Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le champ des œuvres téléchargeables s’étend, et la capacité des équipements permet d’absorber toujours plus de contenus numérisés.
Certains aspects de cette extraordinaire liberté bouleversent l’équilibre de la sphère culturelle. Le téléchargement illicite de musique, de films, de programmes informatiques ou de jeux vidéo pénalise lourdement, économiquement et culturellement, ceux qui en vivent, directement ou indirectement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on recense, chaque année, en France environ 1 milliard de fichiers piratés ; le chiffre d’affaires de l’industrie musicale a été divisé par deux en quelques années ; le taux d’emploi dans les maisons de disques a été réduit d’un tiers ; le nombre d’artistes « signés » a chuté de 40 % par an. La liste des dégâts est donc importante.
Toutes les études relèvent la responsabilité considérable portée par le « petit piratage de masse » dans cet effondrement du secteur culturel. Les créateurs et les industries culturelles réclament, à juste titre, une réaction des pouvoirs publics.
L’offre légale s’est considérablement étoffée, mais elle demeure, nous en avons conscience, insuffisante. De plus, elle ne pourra jamais se développer dans des conditions normales si l’on laisse subsister un piratage massif.
Nous allons donc continuer d’œuvrer pour répondre au défi qui est le nôtre aujourd'hui en conduisant deux approches en parallèle : la dissuasion et l’augmentation de l’offre légale.
Internet doit rester un lieu de liberté partagée, et non devenir l’espace de tous les pillages. Il est urgent de rétablir l’équilibre entre les droits fondamentaux des internautes et ceux, non moins légitimes, des artistes. Je salue ici le terme de « réconciliation » employé tout à l’heure par M. le rapporteur.
Comment peut-on demander à nos auteurs d’être dans l’innovation musicale ou cinématographique, de porter haut l’exception culturelle française, s’ils ne peuvent vivre de leur travail parce que celui-ci est disponible gratuitement sur la toile.
Vous le savez, cette demande formulée par tous les secteurs de la sphère culturelle, y compris les distributeurs, a conduit à une négociation avec le Gouvernement, qui a débouché sur un accord historique associant quarante-sept organisations et entreprises de la musique, du cinéma, des médias et de l’internet. Du jamais vu !
Je ne détaillerai pas l’ensemble du dispositif prévu, car il a été brillamment décrit par Mme la ministre, M. le rapporteur et l’ensemble des orateurs, mais je tiens à souligner les éléments qui me paraissent constituer sa force.
Conformément à la solution prônée par la commission des affaires culturelles, et par le Gouvernement, le groupe UMP souhaite s’inscrire dans une logique pédagogique visant à décriminaliser le piratage ordinaire.
Ce projet de loi vise à instaurer un régime gradué et proportionné de sanctions. Il n’est pas question de supprimer les peines lourdes pour les personnes qui fournissent les moyens de contourner les mesures de protection ou qui font commerce du téléchargement massif. En revanche, il s’agit de permettre une application mesurée de la loi, qui ne traite pas nos adolescents, fervents internautes, comme des délinquants, mais qui suscite une prise de conscience salutaire. Internet n’est pas, et ne doit pas être, une zone de non-droit. Les internautes ont droit au respect de leur vie privée, les auteurs à celui de leur droit moral garant de leurs conditions d’existence et du développement de leur talent.
Ce dispositif législatif, tel qu’il est conçu, présente une réponse graduée, souple et adaptable. Il s’inspire des résultats obtenus, via des outils très similaires, dans d’autres États confrontés aux mêmes difficultés. Et nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés !
Ainsi, aux États-Unis et au Canada, pays dans lesquels un avertissement est adressé aux contrevenants, 90 % des internautes – j’insiste sur ce pourcentage – renoncent au téléchargement illégal dès le deuxième message. La dissuasion est plus efficace que la sanction.
Le groupe UMP s’est prononcé contre le principe de la sanction financière, car celle-ci risquerait de créer une inégalité entre les internautes capables d’acquitter leurs amendes et ceux dont la situation matérielle ne le permet pas.
La dissuasion par la suspension respecte l’égalité entre internautes et constitue une solution pédagogique idéale pour tous les publics. Il s’agit là, me semble-t-il, de l’esprit même de la loi.
Aujourd’hui, la seule mesure existante est d’ordre pénal : le délit de contrefaçon. L’internaute s’expose alors à des poursuites devant le tribunal correctionnel avec des possibilités de sanction au premier téléchargement illégal. Les peines prononcées par les tribunaux à l’encontre des pirates sont des amendes qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros, parfois assorties de prison avec sursis.
Encore une fois, la prévention est mille fois préférable. L’expérience étrangère démontre que, en l’absence d’une solution alternative, la justice pénale finit par être saisie massivement. Ainsi, en Allemagne, des milliers de plaintes sont enregistrées par les parquets.
Par ailleurs, je souhaite revenir sur l’équilibre entre les droits fondamentaux.
Encore une fois, internet doit rester un espace de liberté ; en aucun cas, il ne doit être une zone de non-droit. Les garanties présentées dans ce texte réconcilient le droit de propriété, le droit moral des créateurs, aujourd’hui bafoués, mais également en danger – car il s’agit de leur moyen de subsistance –, et celui du respect de la vie privée des internautes.
La suspension temporaire ne peut en aucun cas être considérée comme une atteinte à un droit fondamental. Elle est déjà couramment appliquée par le juge et elle l’est aussi, mes chers collègues, par les opérateurs, qui n’hésitent pas à suspendre les mauvais payeurs. Serait-il plus grave d’oublier le paiement d’une facture que de se rendre coupable d’un vol, vol qui met l’ensemble du monde culturel en danger ? Quel étrange renversement des valeurs et quelle considération pour nos auteurs, qui, je le rappelle, constituent la richesse culturelle de notre pays !
Les mécanismes préventifs seront mis en place par une autorité administrative indépendante, la HADOPI, selon un modèle qui a déjà fait ses preuves dans notre droit. La CNIL est l’exemple qui s’en rapproche le plus.
Cette haute autorité sera composée par des membres et selon des procédures offrant toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance nécessaires. Je précise, au passage, que la prise de sanctions se fera, bien sûr, sous le contrôle du juge. La HADOPI n’exercera aucune surveillance généralisée des réseaux et des internautes, pas plus d’ailleurs que les fournisseurs d’accès Internet. Comme c’est déjà le cas aujourd’hui, toutes les procédures partiront de la constatation, ponctuelle, par les ayants droit, de téléchargements illicites. Ce sont donc les œuvres, et elles seules, qui seront «surveillées » et seul le constat de leur piratage pourra donner lieu à l’envoi d’avertissements et, éventuellement, à une suspension temporaire d’accès internet.
Cette haute autorité sera habilitée à obtenir uniquement les informations strictement nécessaires – le nom et les coordonnées – à l’envoi du message d’avertissement, des informations d’ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour engager leurs actions judiciaires. En aucun cas le contenu des œuvres téléchargées ne sera porté à sa connaissance, ce qui confirme, si besoin était, le respect dont fait preuve le législateur à l’égard de la vie privée des internautes.