Séance en hémicycle du 29 octobre 2008 à 22h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Bernard Frimat.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La conférence des présidents a établi comme suit l’ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

Jeudi 30 octobre 2008

À 9 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire :

1°) Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (405, 2007-2008) ;

À 15 heures et le soir :

2°) Questions d’actualité au Gouvernement ;

Ordre du jour prioritaire :

3°) Suite de l’ordre du jour du matin.

Mardi 4 novembre 2008

À 16 heures et, éventuellement, le soir :

1°) Éloge funèbre du président Michel Dreyfus-Schmidt ;

Ordre du jour réservé :

2°) Conclusions de la commission des lois (n° 61, 2008 2009) sur la proposition de loi visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006 64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (n° 39, 2008-2009) ;

3°) Proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations, présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste (54, 2008-2009) ;

La conférence des présidents a fixé :

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

4°) Proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet, présentée par M. Marcel-Pierre Cléach et plusieurs de ses collègues du groupe UMP (423, 2007 2008) ;

À partir de 18 heures :

Désignation :

- des dix-huit sénateurs membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;

- de dix sénateurs au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé §

- des quinze membres de la délégation du Sénat pour la planification ;

Mercredi 5 novembre 2008

Ordre du jour prioritaire :

À 15 heures et, éventuellement, le soir :

- Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Jeudi 6 novembre 2008

Ordre du jour prioritaire :

À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

1°) Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après déclaration d’urgence, de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 (55, 2008-2009) et déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur les prélèvements obligatoires ;

2°) Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Éventuellement, vendredi 7 novembre 2008

Ordre du jour prioritaire :

À 9 heures 30, à 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Mercredi 12 novembre 2008

À 16 heures et le soir :

1°) Sous réserve de l’entrée en application de la résolution, adoptée par le Sénat le 29 octobre 2008 et soumise au Conseil constitutionnel, modifiant l’article 3 du règlement du Sénat afin de renforcer le pluralisme dans l’organe dirigeant du Sénat, élection de deux vice-présidents du Sénat ;

Ordre du jour prioritaire :

2°) Sous réserve de sa transmission, projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 (A.N., n° 1157) ;

La conférence des présidents a fixé :

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Au plus tard à 19 heures : Désignation de secrétaires du Sénat

Jeudi 13 novembre 2008

À 9 heures 30 :

Ordre du jour prioritaire :

1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;

La conférence des présidents a décidé d’organiser un débat thématique sur « l’hôpital en question », avant le début de la troisième partie du projet de loi « dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre général pour 2009 » ;

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

À 15 heures et le soir :

2°) Questions d’actualité au Gouvernement ;

Ordre du jour prioritaire :

3°) Suite de l’ordre du jour du matin.

Lundi 17 novembre 2008

À 10 heures :

1°) Questions orales ;

Ordre du jour prioritaire :

À 15 heures et le soir :

2°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Mardi 18 novembre 2008

Ordre du jour prioritaire :

À 9 heures 30 :

1°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;

À 16 heures et le soir :

2°) Éloge funèbre de André Boyer ;

Ordre du jour prioritaire :

3°) Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

Mercredi 19 novembre 2008

Ordre du jour prioritaire :

À 15 heures et le soir :

- Suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009.

En application de l’article 28 de la Constitution et de l’article 32, alinéa 1, du règlement, le Sénat a déterminé les semaines de séance. Le Sénat pourra siéger en séance plénière :

- jusqu’au lundi 22 décembre 2008 ;

- du lundi 5 janvier 2009 jusqu’au vendredi 20 février 2009 ;

- du lundi 2 mars 2009 jusqu’au vendredi 10 avril 2009 ;

- du lundi 27 avril 2009 jusqu’au mardi 30 juin 2009.

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

Ces propositions sont adoptées.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (no 405, 2007-2008 ; n° 53, 59) (urgence déclarée).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.

Debut de section - Permalien
Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication

Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous soumettre aujourd’hui vise à ce que la France saisisse pleinement la chance inédite que représente internet pour la culture, aussi bien pour sa démocratisation que pour tirer parti du potentiel de développement économique qu’elle recèle.

Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux dispose d’un accès à internet haut débit, et 62 % de ceux qui sont âgés de plus de onze ans se connectent au moins une fois par mois. Dans quelques années, chacun devrait pouvoir accéder librement, facilement et rapidement à un catalogue presque illimité de films, de titres de musique, bientôt d’œuvres littéraires, mais aussi d’expositions virtuelles, de captations de pièces de théâtre, d’opéras.

Il est de notre responsabilité de faire en sorte que cette nouvelle offre se développe dans sa richesse et sa diversité, au bénéfice de l’ensemble de nos concitoyens : consommateurs, créateurs, entreprises de toutes les filières des industries culturelles et des réseaux de communication. Elle ne doit donc, en aucun cas, aboutir à spolier de leurs droits certains acteurs au bénéfice d’une frange peu scrupuleuse ou inconsciente des internautes.

Des progrès remarquables ont été accomplis, au cours des deux dernières années, par les opérateurs qui offrent légalement accès à la musique et aux films sur internet.

Plus de 3 200 films et plus de 3 millions de morceaux de musique sont aujourd’hui disponibles auprès des plates-formes de téléchargement, des chaînes de télévision, ou encore des fournisseurs d’accès à internet. Certaines de ces offres sont gratuites, financées par la publicité ; d’autres sont payantes mais forfaitaires et permettent, notamment en matière de musique, de télécharger de façon permanente, pour quelques euros par mois, au sein de catalogues de plusieurs centaines de milliers de titres.

Le coût de cette offre pour le consommateur décroît donc rapidement, y compris pour le cinéma puisqu’il est possible pour un foyer de consulter un film pour moins de cinq euros, ou plusieurs dizaines de films pour moins de dix euros par mois.

Il ne sera toutefois possible de faire des réseaux numériques un outil de distribution des biens culturels qui présente toutes les qualités en matière de sûreté, de richesse et de coût que si les droits de propriété intellectuelle y sont respectés.

Nous devons pour cela lever le principal obstacle : le piratage des œuvres sur internet, commis sur une très grande échelle dans notre pays, qui détient une sorte de record mondial puisqu’un milliard de fichiers ont en effet été piratés en France en 2006. Ce véritable désastre économique et industriel auquel nous assistons se traduit également sur le terrain du renouvellement et de la diversité de la création.

Le marché de la musique enregistrée est le plus atteint, avec une baisse de 50 % en valeur au cours des cinq dernières années, assortie d’un fort impact sur l’emploi - 30 % des effectifs des maisons de production - et sur la création, de nombreux contrats d’artistes ayant dû être résiliés et le nombre de nouveaux artistes « signés » chaque année ayant diminué de 40 %.

Le cinéma s’engage sur la même pente : il y a déjà, à l’heure actuelle, autant de téléchargements illégaux journaliers – 450 000 – que d’entrées en salles. Le marché de la vidéo a perdu un quart de sa valeur, comparable à celle de la musique enregistrée, au cours des quatre dernières années, alors même que le prix moyen des nouveautés diminuait d’un tiers.

L’année où un film français a rencontré un succès historique – Bienvenue chez les Ch’tis - devrait être une année de forte hausse de la fréquentation : or ce n’est pas le cas. Tous les exploitants de salles s’en inquiètent, car ils ont, ces dernières années, énormément investi pour rénover leurs équipements, qu’il s’agisse de multiplexes ou de petites salles rurales. Les producteurs, en particulier les PME de la production indépendante dont l’économie repose en grande partie sur le crédit, voient que les coûts des crédits bancaires renchérissent.

Quant au livre, après avoir découvert, à la Foire de Francfort, les prouesses technologiques qui seront bientôt proposées au public, j’ai la certitude que ce secteur entrera, à son tour, dans l’ère numérique, s’il n’y est d’ailleurs déjà. Il serait en tout cas coupable de notre part de feindre de l’ignorer et de ne pas prendre préventivement toutes les mesures nécessaires pour éviter que cette filière, à son tour, ne pâtisse des effets ravageurs du piratage.

La situation des créateurs et des entreprises françaises ne serait pas si alarmante si l’effondrement du marché des biens « physiques », CD et DVD, était compensé par l’essor des ventes dématérialisées. Mais, à l’heure actuelle, ce naufrage n’est absolument pas rééquilibré, dans aucun secteur, par les ventes numériques. En effet, alors que dans la plupart des grands pays aux habitudes de consommation comparables aux nôtres ces ventes décollent – elles représentent désormais déjà plus de 25 % du marché aux États-Unis – le taux dépasse péniblement 7 % dans notre pays.

Il est donc urgent d’endiguer cette hémorragie des œuvres sur internet qui laissera bientôt exsangues la création et l’économie de la culture. Il est également urgent, pour cette raison, de responsabiliser davantage l’internaute, qui vit parfois dans une sphère d’irréalité et une certaine bulle d’apesanteur.

Il se livre, en effet, à une sorte de déni de réalité, qui consiste à méconnaître les conséquences de son comportement, d’abord, pour les autres – créateurs et entreprises des industries culturelles - et, ensuite, pour lui-même.

Il convient en effet de rappeler que la loi pose d’ores et déjà le principe de la responsabilité de l’abonné à internet, qui est tenu, par le code de la propriété intellectuelle, de veiller à ce que son accès au réseau ne fasse pas l’objet d’une utilisation qui méconnaisse les droits de propriété littéraire et artistique.

Surtout, l’internaute qui pirate en mettant à disposition ou en téléchargeant des œuvres protégées se rend coupable du délit de contrefaçon. À ce titre, il tombe sous le coup de sanctions - c’est la loi de 2006 - pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende, sans préjudice d’éventuels dommages et intérêts.

Parce que ces sanctions paraissent disproportionnées et inadaptées au cas du piratage dit ordinaire, les ayants droit répugnent aujourd’hui à y recourir et les actions engagées se limitent en fait à quelques centaines à ce jour.

Mais il est douteux qu’ils puissent s’offrir le luxe d’hésiter longtemps s’ils devaient constater que les pouvoirs publics renoncent à mettre en place une solution alternative, à la fois mieux proportionnée à l’enjeu et plus efficace car praticable sur une grande échelle.

Le principe de cette solution a été envisagé en concertation avec les artistes et les industries culturelles. Cette démarche, encouragée par le Président de la République, dès son élection, a eu pour effet de modérer les contentieux jusqu’à ce jour. Nul doute qu’en l’absence de cette initiative les procédures pénales se seraient multipliées, comme c’est d’ailleurs le cas en Allemagne, où les tribunaux pénaux sont saisis actuellement de plusieurs dizaines de milliers d’actions.

Je veux mentionner, enfin, les dangers du piratage qui concernent plus particulièrement les jeunes ou très jeunes internautes.

En effet, s’ils manient l’outil numérique avec une grande virtuosité, ils n’en demeurent pas moins singulièrement vulnérables dans leur navigation sur un internet affranchi de toute régulation.

Or on constate sur les réseaux de pair à pair une offre illégale massive de films pornographiques ou violents présentés sous les apparences de films grand public. Pour se limiter à un seul exemple, celui du réseau eDonkey, 60 % des fichiers d’, ou encore 45 % des fichiers de Bienvenue chez les Ch’tis sont en réalité des films pornographiques.

L’existence d’une offre pirate porte donc une atteinte grave, pour laquelle il n’existe pas de parade technique, à la protection des mineurs, que seule l’offre légale est susceptible de garantir.

La méthode suivie par le Gouvernement pour répondre à cette situation a reposé sur la conviction que, pour être efficaces, les solutions mises en œuvre devaient faire l’objet d’un large consensus préalable entre les acteurs de la culture et les acteurs de l’Internet.

C’est le sens de la mission qui avait été confiée à Denis Olivennes, alors président-directeur général de la FNAC, mission destinée à favoriser la conclusion d’un accord entre les professionnels de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel et les fournisseurs d’accès à internet.

Le résultat, c’est l’accord historique signé à l’Élysée, le 23 novembre 2007, par quarante-deux entreprises ou organisations représentatives de la culture et de l’Internet. Cet accord s’est encore renforcé depuis avec cinq nouveaux signataires. Ce sont donc près de cinquante acteurs de la culture et de l’Internet qui se sont rassemblés autour d’un plan d’action, en deux volets.

Premier volet : il s’agit de rendre l’offre légale facilement accessible, plus riche et plus souple.

D’abord, les maisons de production de disques se sont engagées à retirer les mesures techniques de protection « bloquantes » – les fameux « DRM » – des œuvres françaises. Ces dispositifs empêchent, par exemple, de consulter un même titre sur plusieurs lecteurs : l’ordinateur, le baladeur, l’autoradio, etc.

Selon les accords de l’Élysée, les DRM devaient disparaître un an après la mise en œuvre du présent projet de loi. Toutefois, à l’issue d’un dialogue particulièrement constructif, les grandes maisons de disques – et particulièrement la première d’entre elles, Universal – sont disposées à avancer de plus d’un an la concrétisation de leur engagement et à retirer très rapidement, dans les jours qui viennent, les DRM. C’est un geste très significatif en direction du consommateur. Je crois qu’il faut le saluer. Il démontre que l’industrie musicale a pleinement pris conscience du lien entre piratage et offre légale. Il convient de veiller à ce que les pirates en prennent à leur tour conscience.

Ensuite, le délai d’accès aux films par les services de vidéo à la demande – VOD – sera ramené dès l’application de la loi au niveau de celui qui est applicable aux DVD, c’est-à-dire à six mois après la sortie du film en salles. Puis les discussions interprofessionnelles devront aboutir, dans un délai maximal d’un an, à un raccourcissement des fenêtres, de tout ce que l’on appelle la chronologie des médias. Il est évident que l’on souhaite que ces engagements soient mis en œuvre le plus tôt possible et, bien sûr, de façon anticipée par rapport au calendrier prévu. Un dialogue est actuellement engagé avec les filières du cinéma pour y parvenir.

Je salue à cet égard les amendements adoptés par votre commission des affaires culturelles. Ils visent à donner aux engagements de la filière cinématographique en matière de chronologie des médias, et à leur mise en œuvre, un cadre juridique plus précis et une visibilité accrue, notamment du point de vue des consommateurs, tout en respectant l’autonomie des acteurs économiques.

Il est fondamental que les internautes puissent percevoir sans tarder la contrepartie tangible de l’approche plus responsable d’internet que nous entendons promouvoir au travers de ce projet de loi.

Le second volet des accords de l’Élysée porte sur la lutte contre le piratage de masse. Celle-ci doit changer de logique. La nouvelle approche proposée par le Gouvernement est tout d’abord préventive et graduée, puisque aucune sanction ne pourra intervenir au premier acte de piratage. Elle vise, d’autre part, à décriminaliser le piratage : une éventuelle sanction ne nécessitera plus forcément l’intervention du juge, même si elle demeurera sous son contrôle.

À propos de ce deuxième point des accords, quel dispositif le projet de loi instaure-t-il ?

La base juridique sur laquelle il repose existe déjà – je l’ai mentionnée : c’est l’obligation de surveillance de l’accès internet. Le texte du Gouvernement vise en fait à préciser le contenu de cette obligation et à mettre en place un mécanisme de réponse dite graduée en cas de manquement de la part de l’abonné. Il convient de souligner qu’il s’agit bien de la responsabilité de l’abonné, et non de celle du pirate, qui peut être un autre membre du foyer familial. Ainsi, les parents titulaires de l’abonnement pourront se voir avertis des conséquences d’actes de piratage commis par leurs enfants.

Un tel dispositif connaît évidemment de nombreux précédents dans notre droit. Par exemple, en matière d’infractions routières, le titulaire du certificat d’immatriculation est redevable de l’amende même s’il n’est pas lui-même l’auteur d’un excès de vitesse : il a au moins commis un défaut de surveillance de son véhicule ou de l’usage qui en est fait. J’estime en outre naturel qu’il incombe aux parents de relayer auprès de leurs enfants la pédagogie développée à leur égard par les pouvoirs publics dans le cadre de la réponse graduée.

Cette réponse prendra une forme qui, dans un premier temps, sera préventive, puis, dans un deuxième temps, transactionnelle, et, enfin, pourra éventuellement déboucher sur une sanction de nature administrative, prononcée par une autorité indépendante chargée de la gestion du mécanisme mais placée sous le contrôle du juge judiciaire.

Que se passera-t-il, concrètement, pour l’abonné, en cas de piratage ?

La première phase, celle de la constatation des faits, ne connaîtra en fait aucun changement par rapport à la situation actuelle. Aujourd’hui, il appartient effectivement aux ayants droit de repérer les actes de piratage sur internet par l’intermédiaire des agents assermentés des sociétés de perception et de répartition des droits et de leurs organisations professionnelles. Pour ce faire, ces structures utilisent des traitements automatisés qui collectent les adresses IP, sortes de plaques d’immatriculation, permanentes ou provisoires, des ordinateurs. Il faut le souligner, ces traitements automatisés font l’objet d’une autorisation délivrée par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Sur la base des constats dressés, les ayants droit peuvent saisir le juge, mais le projet de loi leur offrira une alternative : ils pourront aussi, s’agissant de pirates ordinaires, saisir une autorité administrative indépendante sur le fondement du manquement de l’abonné à son obligation de surveillance.

L’objectif du Gouvernement est que l’efficacité du mécanisme pédagogique et gradué géré par l’autorité administrative dissuade les ayants droit de recourir à la voie pénale.

En fait, la voie administrative n’entraîne pas la disparition de la voie pénale, mais vient la compléter. Il n’est effectivement pas envisageable de priver les ayants droit, par principe, du recours direct au juge, compte tenu, notamment, du fait que certains actes de piratage, par leur ampleur, par les moyens employés ou encore par le but poursuivi, ne pourraient recevoir une réponse adéquate que sous la forme d’une sanction pénale ou de dommages et intérêts. Il appartiendra aux ayants droit de choisir la modalité la plus adaptée.

La procédure administrative, à la fois rapide et peu coûteuse, s’imposera naturellement dans tous les cas de piratage ordinaire, ludique, qui constituent bien sûr l’immense majorité des cas.

S’agissant de ce que certains appellent une double peine, c’est-à-dire du risque de voir une même personne sanctionnée à la fois par le juge pénal et par l’autorité administrative, je tiens à souligner que la difficulté soulevée n’est pas de nature juridique, car la jurisprudence constitutionnelle admet qu’un même fait soit passible à la fois de sanctions administratives et de sanctions pénales. C’est notamment le cas lorsque des infractions bancaires ou boursières sont sanctionnées ou quand des agents publics sont l’objet de sanctions disciplinaires et pénales.

Nous estimons cependant qu’un cumul des sanctions, sanction pénale et sanction administrative, sur la tête d’une même personne n’est pas souhaitable et doit être évité. Il n’est effectivement pas compatible avec le souci de prévention et de décriminalisation qui sous-tend le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet.

Pour autant, il n’est pas envisageable de priver les créateurs et les entreprises de l’accès au juge. Il faut donc adopter des solutions de nature essentiellement pratique.

Tout d’abord, à l’occasion de la demande à la CNIL de l’autorisation des traitements automatisés leur permettant de repérer les infractions, les ayants droit s’engageront à n’utiliser les constats ainsi dressés que dans le cadre de l’une ou de l’autre voie – pénale ou administrative. Ils organiseront ainsi un aiguillage à la source entre les deux procédures.

Ensuite, il convient d’insister sur le fait que les ayants droit qui saisiront l’autorité administrative à partir de l’adresse IP d’un ordinateur ne connaîtront jamais l’identité de l’abonné mis en cause. La loi ne prévoit en effet aucun retour d’information de la part de la haute autorité compétente en direction des auteurs de la saisine.

Ladite autorité demeurera donc pour les ayants droit une « chambre noire », un écran venant s’interposer entre eux-mêmes et l’identité de l’abonné. Ce n’est pas le cas – je tiens à le souligner – lorsque le tribunal correctionnel est saisi.

Quel sera le rôle de l’autorité administrative à laquelle sera confié le traitement des constats dressés par des agents assermentés ?

Cette autorité sera en fait l’Autorité de régulation des mesures techniques créée en 2006 sur l’initiative de votre Haute Assemblée afin de veiller à l’interopérabilité des mesures techniques de protection et au respect de l’exception pour copie privée. Elle est actuellement présidée par le conseiller d’État Jean Musitelli. Pour mieux refléter l’étendue de ses nouvelles compétences, elle sera rebaptisée Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, ou HADOPI.

La Haute autorité ne pourra agir que sur le fondement des constats dressés par les représentants des ayants droit. Elle ne disposera donc d’aucune faculté d’auto-saisine ni a fortiori d’aucune compétence de surveillance des réseaux de communication électronique.

Elle enverra tout d’abord aux pirates des messages d’avertissement pédagogiques, dénommés recommandations. Ensuite, après l’envoi d’un courrier électronique, elle fera usage du procédé de la lettre remise contre signature, de façon à s’assurer que l’abonné a bien pris connaissance du comportement qui lui est reproché. C’est important : les parents seront ainsi nécessairement avertis des actes de piratage qui pourraient être commis à leur insu par leurs enfants, et les entreprises des agissements de leurs collaborateurs.

Une phase préventive, que le droit ne permet pas jusqu’à présent, précédera donc une éventuelle sanction – elle la précédera même obligatoirement. L’infraction ne sera effectivement constituée qu’après renouvellement du manquement dans l’année qui suit la réception de l’avertissement.

La visée pédagogique et préventive de ce mécanisme est essentielle et constitue le cœur du projet de loi. Selon une récente étude menée en Grande-Bretagne et publiée en mars 2008, 70 % des internautes cesseraient de télécharger dès le premier message d’avertissement et 90 % dès le deuxième. Ces données sont cohérentes avec les taux relevés aux États-Unis, un dispositif du même type ayant été mis en place dans certains États fédérés.

En cas de manquement répété de l’abonné, la Haute autorité pourra prendre à son encontre une sanction administrative consistant en une suspension de l’accès internet. La suspension de l’abonnement sera assortie de l’impossibilité de souscrire pendant la même période un autre contrat auprès de tout opérateur, de façon à éviter la migration des abonnés d’un fournisseur à un autre. Ce point est également important car les opérateurs de communication qui feront diligence pour mettre en œuvre les décisions de la Haute autorité ne doivent pas être pénalisés par rapport à ceux qui se montreraient moins coopératifs dans le but de capter de façon déloyale la clientèle de leurs concurrents.

En principe, la durée de la suspension de l’abonnement est comprise entre trois mois et un an. Cependant, la Haute autorité pourra proposer à l’abonné une transaction : s’il s’engage à ne pas renouveler le comportement qui lui est reproché, sa suspension pourra être ramenée à une durée comprise entre un et trois mois. Cette phase transactionnelle instaurant un dialogue entre la Haute autorité et l’abonné accentue encore l’aspect pédagogique du mécanisme.

Nous sommes bien sûr conscients des difficultés que pourrait poser ce dispositif aux entreprises ou à d’autres personnes morales, notamment publiques, telles les universités. Le projet de loi prévoit donc que la Haute autorité pourra recourir à des mesures alternatives à la suspension de l’accès lorsque les effets de cette sanction seraient disproportionnés. L’employeur pourra ainsi être invité par la Haute autorité à prendre des mesures de type pare-feu pour éviter que les employés ne s’adonnent au piratage à partir des postes informatiques de l’entreprise. De telles techniques sont d’ailleurs déjà largement utilisées dans les collectivités publiques ou privées d’une certaine taille.

La Haute autorité pourrait également enjoindre de telles mesures dans les cas, plus que rares, où il pourrait s’avérer techniquement impossible ou particulièrement complexe et coûteux de suspendre l’accès à internet sans suspendre également les services de téléphonie et de télévision.

Afin de garantir le respect des mesures de suspension, les fournisseurs d’accès à internet seront tenus de vérifier, à l’occasion de la conclusion de tout nouveau contrat, que leur cocontractant ne figure pas sur le répertoire des personnes dont l’abonnement a été suspendu. La Haute autorité pourra décider de prendre des sanctions pécuniaires d’un montant maximal de 5 000 euros à l’encontre des fournisseurs d’accès qui s’abstiendraient de procéder à ces vérifications ou qui ne mettraient pas en œuvre les mesures de suspension qu’elle décide.

Bien entendu, toutes les sanctions – suspensions d’abonnement, mesures alternatives à cette suspension et sanctions pécuniaires à l’encontre des fournisseurs d’accès – sont susceptibles de recours devant le juge.

Enfin, le texte précise les conditions, classiques, dans lesquelles le titulaire de l’accès à internet pourra s’exonérer de sa responsabilité : cas de force majeure ou détournement frauduleux de son accès par un tiers. Il encourage également les abonnés à prendre des mesures de sécurisation de leur poste, sur le modèle de ce qui existe déjà en matière de contrôle parental. En effet, la mise en œuvre d’un tel dispositif figurant sur une liste de moyens efficaces dressée par la Haute autorité vaudra exonération de responsabilité.

Telle est l’économie générale du mécanisme pédagogique et gradué envisagé par les accords de l’Élysée qu’il vous est proposé de traduire dans la loi.

Un débat assez vif s’est engagé dans les médias et l’opinion publique à propos de ce projet. Il y a des revendications légitimes de part et d’autre. Nous devons évidemment en tenir compte. Cependant, certains arguments semblent caricaturaux et d’autres plus inquiétants.

Je m’attarderai donc sur trois questions soulevées au sujet de ce projet de loi.

En premier lieu, la pertinence du choix comme sanction ultime d’une mesure de suspension de l’abonnement internet, de préférence, par exemple, à une amende, est contestée.

Tout d’abord, cette solution a été choisie pour manifester clairement la volonté du Gouvernement de décriminaliser le piratage ordinaire et d’instaurer à cet effet une procédure vraiment différente de celle qui est suivie devant le juge correctionnel. Il me semble qu’une sanction de nature pécuniaire aurait brouillé ce message, le juge pouvant également prononcer une sanction de ce type.

Ensuite, le rapport direct entre le comportement en cause – à savoir l’utilisation inappropriée de l’accès internet – et la nature de la sanction tend à renforcer l’efficacité pédagogie de celle-ci.

Enfin, le caractère non pécuniaire de la sanction évite de créer une inégalité devant le piratage entre des abonnés qui seraient en mesure d’acquitter facilement leurs amendes et ceux qui se trouveraient dans une situation difficile.

Certains voient dans la suspension de l’abonnement à internet une atteinte aux droits de l’homme, et plus précisément à la liberté de communication.

Je leur répondrai en premier lieu, tout simplement, que la résiliation de l’abonnement est déjà prévue – c’est bien normal – dans les contrats passés par les fournisseurs d’accès à internet avec leurs abonnés, dans les cas où ceux-ci ne s’acquittent pas de leurs factures ou se livrent à un usage inapproprié de leur abonnement. La mise en œuvre de cette clause ne requiert ni l’intervention du juge ni celle de l’autorité administrative : il suffit d’une mise en demeure adressée par le prestataire lui-même.

Ainsi donc, le préjudice économique infligé aux fournisseurs d’accès par les mauvais payeurs pourrait sans l’ombre d’un doute – voilà qui est étrange – justifier la résiliation unilatérale de l’abonnement. En revanche, une suspension d’abonnement prononcée dans le cadre d’une procédure contradictoire, par une autorité administrative indépendante, pour sanctionner un autre préjudice, porté cette fois aux industries culturelles, violerait gravement les droits de l’homme. Quelle approche étrange et paradoxale !

En second lieu, à supposer que la disposition permanente, à domicile, d’un accès à internet puisse être considérée comme une liberté fondamentale, on ne peut méconnaître le fait qu’aucun droit n’est inconditionnel : il doit être concilié avec les autres libertés et ne saurait être invoqué pour les violer impunément.

La Cour de justice des Communautés européennes a ainsi souligné, tout récemment, la nécessité de concilier les droits des artistes et des industries culturelles avec la liberté de communication sur les réseaux numériques. Et la Cour de cassation a jugé que le respect du droit des auteurs ne constitue pas une entrave à la liberté de communication, à la liberté d’expression ou à celle du commerce et de l’industrie.

Concilier le droit de propriété et le droit moral des créateurs avec la liberté de communication, ce n’est pas porter atteinte à celle-ci, c’est, au contraire, lui donner toute sa portée.

Tout notre droit est traversé par la nécessité d’assurer un équilibre entre des droits et libertés par nature antagonistes. Il n’y aurait aucune logique à ce que seul l’environnement numérique échappe à cette règle. En effet, il n’abolit pas les principes les plus élémentaires qui gouvernent la vie en société.

Autre objection fréquemment soulevée, la Haute autorité violerait la vie privée et elle permettrait le fichage des internautes et la surveillance généralisée des réseaux.

Il y a un paradoxe dans cette assertion : en effet, dans les autres pays qui pratiquent l’envoi de messages d’avertissement aux internautes, voire la suspension de l’accès à internet – les États-Unis, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, et le Royaume-Uni depuis quelques semaines –, cette politique se passe entièrement de l’intervention publique. Elle est purement contractuelle et résulte d’accords entre les fournisseurs d’accès et les ayants droit.

La particularité de l’approche française, c’est justement d’interposer entre les parties en présence – ayants droit, fournisseurs d’accès et internautes – une autorité indépendante, qui assure la prévention du piratage tout en protégeant le secret de la vie privée.

Ainsi que je l’ai déjà indiqué, seule la Haute autorité pourra se procurer les données personnelles de l’abonné – nom et coordonnées postales et électroniques – strictement nécessaires à l’envoi des messages d’avertissement.

L’identité du pirate demeurera donc cachée aux ayants droit. À cet égard, la procédure devant la Haute autorité sera donc plus protectrice du secret de la vie privée que celle qui peut se dérouler devant le juge.

Au sein de la Haute autorité, la commission qui traitera les dossiers présentera toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance : elle sera composée de magistrats et disposera d’agents publics dont l’absence de liens avec les intérêts économiques en cause aura été vérifiée par des enquêtes préalables.

La procédure suivie devant la Haute autorité, qui sera détaillée dans un décret en Conseil d’État, répondra à toutes les exigences du « procès équitable » au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Quant aux données nécessaires pour mettre en mouvement le mécanisme de prévention, ce sont celles qui sont d’ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour mener leurs actions judiciaires, à savoir les adresses IP. Aucune donnée nouvelle, je le répète, ne sera relevée par les agents assermentés pour dresser les constats nécessaires à la mise en œuvre de la réponse graduée.

J’en viens à présent à la troisième objection : cette loi serait dictée par les majors. Je tiens à le souligner, et tous ceux qui sont en contact avec les milieux culturels le savent bien, le présent projet de loi a reçu le soutien massif des créateurs et des entreprises du cinéma, de la musique et de l’Internet. Ce soutien provient tout particulièrement des petites et moyennes entreprises de la culture, de ces entreprises indépendantes qui sont les premières victimes du piratage parce que ce sont elles qui prennent le plus de risques en soutenant de jeunes talents. Plus de 95 % des entreprises dans le domaine de la musique sont des PME employant moins de vingt salariés : elles représentent 67 % de l’emploi et 44 % du chiffre d’affaires dans ce secteur.

Ces structures indépendantes, qui sont au cœur du dynamisme et de la diversité de notre scène artistique et de la scène européenne, se sont réunies sur mon initiative jeudi et vendredi dernier, au Muséum d’histoire naturelle, pour dresser leurs perspectives d’avenir dans le cadre des premières « Arènes européennes de l’indépendance ». Cette rencontre s’est achevée par la signature d’une déclaration en dix points, parmi lesquels figure le soutien massif au projet de loi, qui revêt à leurs yeux une importance considérable.

Cette loi n’est donc pas celle des majors, c’est celle de tous les créateurs et de toutes les industries culturelles.

Ce n’est pas non plus la loi des artistes les plus réputés, mais celle des jeunes talents.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication

Ce n’est pas, enfin, une loi pour les multinationales, c’est une loi pour les centaines de milliers d’acteurs des filières économiques concernées, du technicien à l’artiste, de l’auteur au producteur, en passant par le réalisateur et le diffuseur.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui se joue au travers de ce projet de loi, c’est la place que nous entendons réserver aux artistes au sein de notre société.

La France est, depuis plusieurs siècles, extrêmement attachée au droit d’auteur et à la défense des artistes. Nous avons toujours su, face à chaque innovation technique, défendre ces principes essentiels.

Lorsque les appareils de reproduction mécanique ont fait leur apparition, nous avons inventé la rémunération pour copie privée et le droit de reprographie.

Quand l’explosion des radios libres a fait de la diffusion radiophonique le vecteur essentiel d’accès à la musique pour les jeunes, nous avons inventé la « rémunération équitable ».

Au moment des technologies numériques et de l’Internet, il est essentiel de faire vivre avec toujours plus de force et de conviction la défense du droit des auteurs. Ce n’est pas aux technologies de nous dicter leurs règles, c’est à nous de leur imposer celles que notre société a choisi de se donner à elle-même. Tel est le sens de ce projet de loi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Thiollière

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dès son élection, le Président de la République a voulu « réconcilier » l’univers de l’Internet et celui du droit d’auteur.

À cet effet, il a engagé une démarche fondée sur la concertation avec les acteurs concernés, consacrée par des accords – les accords de l’Élysée de novembre 2007 – dont la traduction est le projet de loi que vous avez présenté, madame la ministre, au conseil des ministres le 18 juin dernier et qui est soumis au Parlement. Je m’honore du fait que le débat s’ouvre dans la Haute Assemblée, et j’en remercie, en notre nom à tous, le Gouvernement.

Je le dis d’emblée, le Président de la République et le Gouvernement ont raison de vouloir réconcilier internet et la création. Nous devons donner un coup d’arrêt au piratage des œuvres. Nous devons tout mettre en œuvre pour permettre le développement d’une économie des œuvres sur internet, respectueuse du droit des auteurs et de ceux qui travaillent dans les industries de la création.

Je suis convaincu qu’il est possible de permettre à la fois l’accès à toutes les formes de culture et le respect des droits des créateurs.

Je suis tout aussi convaincu qu’il est possible d’avoir accès à toutes les œuvres, d’hier et d’aujourd’hui, ici et partout dans le monde, tout en respectant l’économie qui est liée à la création.

En effet, il est possible d’offrir aux internautes toutes les facilités d’accès aux œuvres de leur choix et de respecter le travail des centaines de milliers de femmes et d’hommes qui permettent, grâce à leurs compétences et leurs talents, l’émergence et la diffusion de ces œuvres.

Nous ne devons pas oublier que 2, 4 % des Français ont un emploi dans les filières culturelles.

Voilà l’enjeu qui est au cœur du texte dont nous allons débattre : la réconciliation pour aller de l’avant.

Il ne s’agit donc pas d’opposer le créateur et l’internaute. Surtout pas ! Il faut qu’ils avancent l’un avec l’autre, le créateur étant souvent lui-même internaute, et l’internaute étant parfois créateur. Non pas l’un contre l’autre, mais bien l’un avec l’autre !

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Thiollière

Il nous faut donc un texte qui favorise, et accompagne dans une certaine mesure, de nouveaux usages, à la fois protecteurs des œuvres et ouverts au monde de la création, venant se substituer aux pratiques qui nuisent à la création.

Dans ce monde nouveau, les pratiques culturelles de nos concitoyens profiteront pleinement des formidables avancées des technologies. Mais ce monde nouveau ne foulera plus au pied le travail de la création. Il permettra, au contraire, son développement, son épanouissement et sa juste rémunération.

Ce monde nouveau doit aussi être celui dans lequel la France ne verra pas sa culture sombrer – ou, pire, dépérir – dans l’anonymat de la mondialisation, celui dans lequel nous lui donnerons les moyens de jouer à nouveau un rôle précurseur.

Que serait la France dans le monde sans ses créateurs ? Que serait notre pays sans son industrie de la création d’œuvres écrites, musicales ou cinématographiques, de créations audiovisuelles ou de jeux vidéo ? Que serait-il sans ses écrivains, ses musiciens, ses cinéastes ?

Si la France venait à s’enliser dans les sables de la mondialisation culturelle, à quoi bon se battre pour la diversité ?

Si nous ne nous battons pas pour défendre le droit des créateurs, la France, nous le savons, verra s’éteindre irrémédiablement son rayonnement et disparaître une part essentielle de son économie, liée à la « matière grise » et à la créativité.

La bataille se joue maintenant. Beaucoup disent que c’est la bataille de la dernière chance.

Le rayonnement de notre pays passe en effet par une lutte acharnée pour défendre et promouvoir ce que nous avons de plus précieux : la richesse créative.

Voilà pourquoi nous devons livrer la bataille de la réconciliation entre internet et la création. Car c’est la bataille pour la création !

J’ajoute, à l’intention de tous ceux qui mettent en avant, à juste titre, la liberté, l’indépendance et les droits en Europe, qu’il n’y aura pas d’Europe sans création proprement européenne.

Il n’y aura pas une Europe qui compte dans le monde, une Europe qui trouve sa place entre l’Asie et l’Amérique, une Europe lumineuse, sans une volonté farouche de promouvoir les œuvres de l’esprit. II n’y aura pas une Europe de la culture sans la défense acharnée du droit d’auteur.

La bataille que nous menons aujourd’hui, nous la devons à ceux dont le génie jalonne l’histoire de nos peuples. Nous la devons à l’histoire de la création dans notre pays et en Europe. Nous la devons à ceux qui nous regardent, dans la solitude et la difficulté de la création. Ils sont le plus souvent silencieux et inquiets. Mais je sais qu’ils attendent beaucoup de nous.

Nous devons aussi et surtout cette bataille à toutes les générations qui nous succéderont.

C’est à eux que nous devons dire notre confiance et notre soutien. Mais nous devons agir en conséquence et leur dire haut et fort que nous avons de la considération pour leur travail et que nous ne le laisserons pas piller.

II est de notre devoir non seulement de favoriser l’accès au plus grand nombre de toutes les œuvres, mais aussi de protéger tous les droits liés à la création, avec la même détermination, la même énergie, la même volonté républicaine.

Nous avons l’obligation de tisser d’indéfectibles liens entre cette part fascinante d’humanité qui invente les technologies les plus avancées et cette part fascinante d’humanité qui est la profondeur et l’essence même de la création. C’est l’une et l’autre, pas l’une sans l’autre, et encore moins l’une contre l’autre !

Je parle de fascination. En effet, le monde qui s’ouvre devant nous est fascinant.

Il est fascinant parce que tous les possibles s’ouvrent à nous, à l’image de toutes ces fenêtres qui clignotent sur internet et que nous ouvrons d’un clic. Il est également fascinant parce qu’il suscite des appétits de culture, à l’image de tous ces sites sur lesquels prospèrent films et musiques, jeux et œuvres audiovisuelles. Il est fascinant, enfin, parce qu’il propose aux créateurs une scène immense, dont on peut lever le rideau en quelques clics.

Mais la fascination peut aussi engendrer une forme d’aveuglement. Alors, la technologie prend le pas sur l’homme et réduit son pouvoir créatif à une marchandise parmi les plus vulgaires, car elle n’a même pas de prix ; le pillage devient la règle, au mépris du droit ; la source de la création tarit.

Voilà pourquoi nous devons nous ressaisir.

Le Président de la République, je le redis, a mis en œuvre une méthode très constructive : des rencontres, placées sous le patronage de Denis Olivennes, se sont tenues à l’automne 2007 ; des accords ont été signés à l’Élysée entre les différentes parties prenantes ; un projet de loi a été présenté par le Gouvernement et un débat s’engage aujourd'hui au Parlement ; une fois le texte adopté, la mise en œuvre de la loi et du plan d’action interviendront : d’une part, entre les partenaires auxquels sont fixés un cap et des obligations et, d’autre part, par le travail que réalisera une haute autorité indépendante.

Nous en sommes donc aujourd’hui à une étape importante du processus.

Avant de présenter les modifications que la commission des affaires culturelles propose d’apporter au texte, je voudrais évoquer le débat européen, en vous priant de m’excuser de reprendre des propos qui ont déjà été tenus, mais la répétition est aussi une forme de pédagogie, qui n’est peut-être pas inutile pour y voir plus clair. Le débat européen suscite à la fois intérêt et émotion.

Intérêt, car notre pays n’est pas le seul concerné par un piratage massif : c’est pourquoi le projet de loi est regardé avec beaucoup d’attention au-delà de nos frontières. D’ailleurs, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, certains pays ont déjà mis en place des dispositifs proches, mais dans le cadre d’accords contractuels passés entre les sociétés d’ayants droit et les fournisseurs d’accès à internet. Tel est déjà le cas aux États-Unis, mais aussi, depuis cet été, en Grande-Bretagne, où des avertissements sont adressés aux internautes contrevenants. Les faits confirment l’efficacité de la démarche : aux États-Unis, 70 % des internautes renoncent au téléchargement illicite dès réception du premier message, 85 % à 90 % à la réception du deuxième et 97 %, soit la quasi-totalité, à la réception du troisième.

Parallèlement à l’intérêt suscité par le texte, je parlais aussi de l’émotion. Je pense à celle qu’a provoquée l’adoption d’un amendement du Parlement européen sur le « paquet Télécom », sur l’initiative du député Guy Bono. Il a suscité de nombreuses réactions, car certains tentent d’instrumentaliser le débat sur ce projet de directive en vue de bloquer la démarche française.

Or, à Bruxelles, tant les rapporteurs du texte que les plus grands détracteurs du droit d’auteur et du présent projet de loi ont insisté sur le fait que le « paquet Télécom » ne portait pas et ne devait pas porter sur les contenus.

Le processus législatif européen de codécision n’est évidemment pas achevé et la France demandera que cet amendement ne figure pas dans le texte définitif, car il entretient la confusion dans les esprits.

Cela étant, quand bien même il serait adopté, sa portée juridique n’apparaît ni avérée ni suffisante pour remettre en cause notre démarche.

En effet, le projet de loi satisfait aux principes posés par la Cour de justice des Communautés européennes et par les textes.

En premier lieu, aucun texte communautaire n’affirme que l’accès à internet est un droit fondamental. On conçoit mal comment le dispositif de réponse graduée pourrait porter atteinte au droit fondamental de la liberté d’expression et d’information des citoyens inclus dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. On n’oppose pas les droits, on les rend compatibles, sans introduire de hiérarchie entre eux. En second lieu, le projet de loi respecte le principe de proportionnalité. En troisième lieu, il apporte les garanties exigées en matière de protection de la vie privée.

Il nous faut donc relativiser ce débat et nous recentrer sur l’objectif, qui consiste à trouver un équilibre de bon sens entre les différents droits en présence pour qu’internet reste un formidable espace de liberté, sans être une zone de non-droit.

Les Français sont désormais conscients de la nécessité d’une régulation équilibrée d’internet. Ce besoin de régulation est ressenti dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres.

Plusieurs arguments complémentaires plaident aujourd’hui en faveur d’un rappel à l’équilibre des droits régissant notre société, au bénéfice de l’ensemble des secteurs concernés.

Le premier de ces arguments, c’est l’encombrement des réseaux électroniques, lequel résulte pour partie de l’importance des fichiers illicites qui y transitent : 50 % à 80 % de la bande passante des fournisseurs d’accès à internet serait occupée par les réseaux de pair à pair, une utilisation qui aurait quadruplé entre 2003 et 2007.

Aux États-Unis, cette situation incite d’ailleurs les fournisseurs d’accès à internet à réfléchir à un niveau de facturation dépendant de l’importance des flux. Si ce principe de « net neutrality » était appliqué, il est évident que le piratage serait sensiblement moins attractif.

Le deuxième argument, c’est l’intérêt bien compris des industries de réseaux, qui ont besoin de satisfaire l’attente de leurs abonnés en termes de contenus créatifs.

Le troisième argument, enfin, c’est l’offre commerciale légale, qui s’est considérablement enrichie.

J’en viens au texte lui-même, que nous avons bien sûr examiné avec une grande attention. Je vous remercie, madame la ministre, ainsi que vos proches collaborateurs, de votre disponibilité et de votre écoute. Je remercie également toutes les parties prenantes, que j’ai eu plaisir à rencontrer et qui m’ont beaucoup apporté, ainsi que les collègues qui ont travaillé avec moi et au nom desquels je présenterai des amendements.

Nous souhaitons aujourd’hui, à travers ces amendements, renforcer encore l’équilibre et l’efficacité du dispositif proposé : d’une part, pour encourager le développement de l’offre légale des œuvres musicales, cinématographiques, audiovisuelles, voire littéraires, mais aussi des jeux et des logiciels ; d’autre part, pour endiguer de manière significative les pratiques répréhensibles de téléchargement.

Voilà deux ans, le Sénat avait initié le principe d’une autorité administrative de régulation des mesures techniques. Aujourd’hui, cette autorité existe. Elle deviendra la Haute autorité pour la protection des œuvres et la protection des droits sur internet.

Comme son nom l’indique, cette haute autorité a d’abord pour objet de favoriser la diffusion des œuvres dans un cadre légal et de protéger le droit d’auteur et les droits voisins.

Nous souhaitons que sa mission et son fonctionnement soient encore plus précis. Ils le seront, au travers de ce projet de loi, parce que nous, législateurs, aurons encore mieux dessiné les contours de son action.

Je résumerai en cinq points les avancées qui sont proposées par la commission des affaires culturelles.

Premièrement, la Haute autorité doit être irréprochable et efficace.

Pour lui conférer toute son indépendance, nous voulons qu’elle se voie conférer la personnalité morale. Nous voulons également que ses membres soient irréprochables et tenus au secret professionnel. Les règles d’incompatibilité seront renforcées. Nous proposons aussi de renforcer son pouvoir d’expertise. Les agents qu’elle nomme seront assermentés, et pas seulement habilités.

Deuxièmement, la Haute autorité doit être encore plus au service des pouvoirs publics.

Ses missions seront précisées. Elle pourra recommander toute modification législative. Elle pourra être consultée par le gouvernement ou par les commissions parlementaires sur toutes les questions relevant de sa compétence. Elle pourra contribuer à la position française dans les négociations internationales. Elle rendra compte annuellement de son travail au gouvernement et au Parlement.

Troisièmement, il faut mieux concilier les droits des internautes et ceux des créateurs.

Nous souhaitons que la Haute autorité puisse, à la demande des fabricants, labelliser les moyens de sécurisation jugés efficaces et qu’elle ait également la possibilité d’établir et de mettre à jour régulièrement une liste des sites permettant un accès commercial légal – payant ou pas – respectueux du droit d’auteur. Il s’agit d’éclairer utilement l’internaute et de faciliter un accès sécurisé, dans un monde en perpétuelle évolution.

Quatrièmement, il faut adapter les obligations pesant sur les opérateurs de communications électroniques.

La pédagogie est l’axe essentiel du dispositif qui nous est proposé. C’est pourquoi, en tout premier lieu, les fournisseurs d’accès à internet devront, dès la signature des contrats, puis par le biais d’annonces informatives régulières, expliquer le droit et la nécessité de son respect. Ils devront, pour les mêmes raisons, informer leurs clients de la liste des moyens techniques permettant de sécuriser leur accès, selon la liste publiée par la Haute autorité.

Toujours dans le même esprit, nous souhaitons une parfaite information des enfants dès l’école, afin que les nouvelles générations connaissent et comprennent ce merveilleux droit d’auteur. Dans le cercle de famille, l’accès à internet deviendra ainsi un acte responsable partagé.

Cela permettra aussi d’éviter de soumettre les enfants à des images choquantes. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, de nombreux sites n’offrent pas un accès sécurisé, ce qui met en danger les enfants, donc la famille. Les enfants peuvent en effet être en situation de voir des films pornographiques ou violents. Je ne suis pas persuadé que tous les parents en soient aujourd’hui pleinement conscients.

Enfin, madame la ministre, vous avez exposé la procédure qui pourra conduire la HADOPI à prévoir la suspension de l’accès à internet. Nous proposons d’ajouter la possibilité d’une sanction alternative, consistant en une limitation des services ou de l’accès à ces services. Ainsi, la HADOPI pourra décider, à la condition – j’insiste sur ce point – que le droit des auteurs soit scrupuleusement protégé, et en fonction de l’avancée des technologies, de laisser à l’abonné, outre la téléphonie et la télévision, dans le cas d’un abonnement « triple play », par exemple un service de messagerie.

Cinquièmement, il faut renforcer l’équilibre du texte pour favoriser le développement de l’offre légale.

Les accords de l’Élysée préconisent l’ouverture, par les partenaires privés concernés, de discussions sur l’évolution nécessaire de leurs métiers.

Nous suggérons que la Haute autorité évalue régulièrement, en matière de filtrage, les expérimentations engagées par les professionnels.

Dans le même temps, nous proposons de supprimer le mot « filtrage » du projet de loi. En effet, il n’apporte rien à la rédaction actuelle et introduit même une ambiguïté, dans la mesure où n’est ainsi cité que l’un des types de moyens supposés permettre, en l’état actuel des technologies, une suspension des contenus illicites.

Nous voulons aussi garantir que la chronologie des médias sera rapidement révisée. Indispensable à l’équilibre du financement du cinéma dans notre pays, celle-ci devra néanmoins être revue afin de favoriser le développement de l’offre légale de contenus sur internet, dès lors que la loi sera mise en œuvre.

Ces cinq points résument tout à la fois l’avis de la commission des affaires culturelles et l’objet des amendements qu’elle a déposés.

Si j’ai été long sur ce point, c’est parce que je ne veux pas que l’exégèse du texte prête à confusion. Ce que nous voulons, c’est mettre un terme au piratage des œuvres protégées par le droit d’auteur et les droits voisins.

Je ne veux pas non plus que les explications données sur ce projet de loi inquiètent inutilement nos concitoyens : les sanctions ne tomberont que si l’abonné persiste et récidive, malgré les nombreuses recommandations et les rappels à la loi.

L’accès aux œuvres est une liberté magnifique. Elle s’étend chaque jour davantage. Saisissons cette chance, mais faisons en sorte que, car c’est le devoir qui incombe à notre génération, l’on puisse jouir de cette liberté tout en garantissant une autre liberté formidable, la liberté de créer et de voir le travail de sa création protégé et justement rémunéré.

Je considère en effet qu’il y aurait un grand risque à vouloir hiérarchiser nos libertés. L’une ne doit pas passer devant l’autre, sous peine de l’anéantir. Toutes deux sont consacrées au même niveau dans notre République.

Ici, en France, mais aussi partout en Europe et dans de nombreux pays du monde, notre travail législatif est observé avec un grand intérêt. Ici, et partout en Europe, le monde de la création nous observe.

Je souhaite, au nom de la commission des affaires culturelles, que nous soyons à la hauteur de la responsabilité qui nous incombe. En enrichissant le projet de loi de nos débats et de nos amendements, je suis convaincu que nous y parviendrons.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le monde numérique change très vite.

Voilà vingt ans, on comptait seulement 100 000 internautes sur l’ensemble de la planète. Aujourd’hui, ils sont près de 1, 5 milliard.

Voilà dix ans, naissait tout juste le baladeur MP3, sur lequel on pouvait, performance extraordinaire pour l’époque, télécharger huit morceaux de musique. Aujourd’hui, ces appareils peuvent enregistrer jusqu’à 40 000 pièces, y compris des vidéos.

Voilà cinq ans, la télévision régnait en maître sur la distribution des images au sein de tous les foyers et les étoiles du web 2.0 étaient à peine naissantes. Aujourd’hui, sur de très grands sites de partage de vidéos, ce sont 13 heures de vidéo qui sont postées chaque minute.

C’est donc peu de dire que nous vivons une véritable révolution numérique, planétaire, et que cette révolution change notre façon de vivre, de travailler, de nous divertir, de communiquer, de nous informer.

Cette révolution se développe sous l’effet de trois ruptures profondes.

Tout d’abord, une rupture technologique : sur internet, les débits vont croissants et sont multipliés par presque cinquante tous les dix ans dans les pays industrialisés.

Ensuite, une rupture culturelle, avec l’émergence de nouvelles pratiques, de nouveaux modes de consommation. C’est notamment le cas pour l’image. Avec ce que l’on appelle, dans le jargon informatique, la délinéarisation, les internautes souhaitent prendre le contrôle de la programmation. Cela signe sans doute la fin du modèle vertical de distribution des programmes.

Enfin, une rupture économique, avec l’émergence de nouveaux acteurs, la démultiplication des offres et, surtout, une réallocation dans la chaîne de la valeur.

Cette révolution est telle qu’elle bouleverse aussi les équilibres fragiles de nos industries culturelles et qu’elle pourrait même atteindre jusqu’au droit d’auteur, qui, vous le savez, est une très belle invention française.

Une nouveauté radicale dans l’écosystème internet est à l’origine de ce phénomène et permet de le comprendre. En effet, un bien culturel, immatériel par essence, numérisé possède une propriété toute particulière : on peut le donner et le répliquer sans aucune limite et, surtout, sans risque de le perdre, pour celui qui le possède.

C’est peut-être cette fantastique et terrible propriété qui perturbe profondément les modèles économiques habituels. En annulant les coûts de reproduction et de distribution, les « coûts marginaux », comme disent les économistes, sont nuls. La tarification peut donc tendre vers zéro. On arrive ainsi à l’avènement d’une gratuité presque généralisée, principe constitutif d’internet, comme le montrent les travaux collaboratifs, les échanges, notamment à travers l’exemple de l’encyclopédie Wikipédia.

Pourtant, cette gratuité doit faire l’objet d’un questionnement. Bien sûr, la gratuité se généralise, mais elle n’est pas aussi nouvelle qu’on peut nous le dire et, surtout, elle n’est peut-être que faciale.

En dehors du champ légal et économique, cette gratuité prend la forme du piratage. Il n’est absolument pas nécessaire de justifier la lutte contre cette pratique inacceptable. À l’intérieur du champ légal et économique, la gratuité ou quasi-gratuité passe par la publicité ou les forfaits, un forfait étant un prix fixé pour une offre illimitée et pratiquement infinie, comme vous l’avez dit, madame la ministre. Les forfaits se développent à tous les niveaux. Dans le domaine de la musique, les majors ont signé des accords pour quelques euros, avec des plates-formes, que je ne veux pas citer, afin de distribuer leurs catalogues, en contrepartie de la publicité. Mais il existe aussi d’autres modèles de vente, plus ou moins liés, du reste, et sur lesquels je ne m’étendrai pas.

Dans le cinéma, FilmoTV, un distributeur français, a pris récemment l’initiative d’un fonctionnement par forfaits. Aux États-Unis, la réponse des grands studios – sans doute à Google – a été « Hulu » où avec trente secondes de publicité, vous visionnez vos films et vos séries.

Enfin, dans la presse, l’événement emblématique a eu lieu il y a un an, lorsque le New York Times a donné l’accès gratuit, en échange de publicité, à ses nouvelles mais aussi à ses archives.

Progressivement, tout le monde en vient à ce modèle de quasi-gratuité. Tous les acteurs entrent en concurrence sur un modèle plus ou moins fondé sur l’audience, où chacun veut capter la publicité.

Vous avez eu raison de le dire tout à l’heure, madame le ministre, nous sommes actuellement dans un trou noir. On assiste à une captation de la valeur et on ne parvient pas, avec les nouveaux modèles qui émergent du numérique, à monétiser cette audience à proportion de ce qui peut être par ailleurs perdu. C’est ce qui rend l’exercice difficile.

Mais soyons optimistes, mes chers collègues ! La publicité sur internet augmente de 25 % par an. En France internet est déjà devenu le troisième support publicitaire, devant la radio et l’affichage, et, bien sûr, derrière la presse et la télévision. Progressivement ce support va s’imposer.

Deuxième caractéristique de cette gratuité : elle n’est pas aussi nouvelle qu’on voudrait bien nous le faire croire. En effet, la gratuité a accompagné l’essor même des télécommunications. C’était le cas jadis du téléphone fixe gratuit, puis du téléphone mobile subventionné et autrefois du minitel, mais c’est aussi le cas de la radio et de la télévision qui proposent des programmes, bien entendu, gratuitement en échange de publicité.

Je m’attarderai davantage sur la troisième caractéristique de cette gratuité. Telle qu’on nous la présente, il s’agit d’une fausse gratuité, d’une gratuité faciale. En effet, ce que ne paient pas les uns, d’autres le paient et, parfois, d’autres le perdent aussi, lorsqu’il s’agit des créateurs.

En ce sens, cela n’annonce pas un monde idéal débarrassé du profit et de l’argent. C’est même l’acmé de la logique marchande, la contrepartie d’une société où les biens abondent. Sur internet, l’économie réelle finance l’économie virtuelle. Vous connaissez le slogan de la ville de Palo Alto près de San Francisco : « Make money, change the world » ! Make money

Réfléchir à ces nouveaux modèles nous conduit à deux questions. D’une part, doit-on accepter cette atteinte massive aux droits des créateurs ? Bien sûr que non, il n’en est pas question ! Et d’autre part, peut-on penser que la seule lutte contre le piratage suffira à tout régler ? Une logique défensive sera aussi vouée à l’échec. En effet, il est vraisemblable que les technologies auront toujours un train d’avance sur la loi.

Comme Michel Thiollière l’a dit voilà un instant, il faut apporter une double garantie. Celle-ci concerne d’abord le créateur parce que internet ne doit pas tuer la création et parce qu’il s’agit d’un espace de création. Mais il faut en même temps garantir aux internautes un large accès à tous les contenus et aux applications, dans des conditions légales, bien entendu.

Concrètement, madame le ministre, nos propositions viennent compléter celles de Michel Thiollière, que je remercie d’ailleurs de sa grande patience. Pour concilier nos objectifs je vous propose trois pistes de travail que nos amendements développeront.

Première piste, il faut que le piratage devienne un risque inutile, grâce à, ou à cause de, la riposte graduée mais, surtout, par le biais du développement de l’offre légale. M. Olivennes l’avait dit clairement, avant de « désinciter », il faut encourager. Aussi, nous étions un peu surpris que, dans le texte, il y ait bien peu de chose sur l’encouragement à l’offre légale.

La filière nous rétorquera : « Endossez d’abord la responsabilité politique, ensuite, on discutera ! » En tant que législateurs, nous sommes prêts à tout endosser mais nous voulons aussi, comme Michel Thiollière, poser des jalons. Nous souhaitons en poser au sujet de la chronologie des médias, de l’interopérabilité. Par exemple, les aides à la production du CNC pourraient être subordonnées à l’engagement de rendre le film disponible en vidéo à la demande, ou VOD, en respectant la chronologie des médias.

Deuxième piste, les mécanismes que nous sommes prêts à instituer par la loi ne doivent pas menacer ce qui fait l’essence même d’internet. Nous avons parlé de « filtrage ». Ce terme était absent des accords Olivennes, on y parlait plutôt d’une « expérimentation ». Le filtrage des réseaux est inacceptable. Michel Thiollière propose un amendement de suppression ; nous souhaitons aller un peu plus loin.

En effet, derrière le filtrage se profile une menace. Le principe de neutralité est tout simplement un principe de liberté. Le système internet procède par différentes couches, le réseau transporte des applications, des services et des contenus. Les réseaux ne doivent pas avoir d’autorité sur les contenus !

Cela est d’autant plus important dans notre pays que c’est la France qui, au moment du sommet des Nations unies sur la société d’information a notamment porté ce souci de neutralité. Ce principe est fondamental si nous voulons que demain internet reste un gisement de création, de valeur et de valeur ajoutée, pour tout le monde !

Enfin, troisième piste, la loi doit protéger le droit de propriété intellectuelle, sans tomber dans le travers d’une société d’hyper-surveillance, ce qui est aussi l’une des menaces d’internet. Nous vous proposerons, dans la riposte graduée, au troisième étage de la fusée, pour la sanction, de substituer une amende à l’interruption.

Nous sommes sans doute en désaccord sur ce point. En démocratie, les désaccords sont bien naturels et il est normal que chacun puisse s’exprimer. Mais ce que nous proposons ne menace en rien la riposte graduée, au contraire. Notre proposition présente les mêmes bénéfices mais sans les désavantages de la coupure d’accès.

D’abord, dans des cas très rares selon vous, mais en réalité dans de trop nombreux cas, si vous coupez l’accès à internet, vous coupez la France en deux. En effet, dans certaines zones qui concernent environ 1 150 000 lignes, vous ne parviendrez pas à faire le tri entre les services de télévision, de téléphone fixe et d’internet. Par conséquent, la suspension est une mesure discriminatoire.

Deuxième avantage : pas de coupure, pas de fichier ; on évite les discussions sur ce point.

Enfin, le troisième avantage, c’est la pédagogie. Mais où est la pédagogie quand on veut réorienter les comportements vers l’offre légale si précisément on coupe le fil qui permet d’y accéder ?

Par ailleurs, j’ai entendu Éric Besson, prononçant les mots du Président de la République, déclarer à l’Élysée que le haut débit internet doit devenir une commodité essentielle. Déjà aujourd’hui internet a une très grande importance. Une coupure de plusieurs mois à un an privera des personnes de la recherche d’emploi, de moyens de formation et d’information. On peut obtenir le même bénéfice avec une autre mesure tout autant respectueuse de ce qui constitue, madame le ministre, le cœur de votre texte.

Je conclurai en me référant à l’un de nos grands anciens, Victor Hugo. Passons donc du net à Victor Hugo, de Gutenberg à McLuhan ! Victor Hugo déclarait lors du Congrès littéraire du 21 juin 1878 : « Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l'auteur, mais comme pensée, il appartient – le mot n'est pas trop vaste – au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l'un des deux droits, le droit de l'écrivain et le droit de l'esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l'écrivain. » Mes chers collègues, faisons en sorte que ni le droit des auteurs, ni le droit de l’esprit humain ne soit sacrifié. C’est le travail qu’il nous importe désormais d’accomplir.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, de l ’ Union centriste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Je voudrais apporter quelques précisions concernant l’organisation de nos travaux avant d’entendre les orateurs des groupes.

La commission souhaite que la discussion des articles ne commence que demain matin, compte tenu du délai tardif, aujourd’hui à midi, qui avait été fixé par la conférence des présidents.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Monsieur le président de la commission, je vous donne immédiatement mon accord : nous arrêterons nos travaux après la réponse de Mme la ministre aux orateurs qui seront intervenus dans la discussion générale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

En outre, la commission demande la réserve de l’amendement n °145 tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er et de l’article 1er jusqu’à la fin du texte, après l’amendement n °93 visant à insérer un article additionnel après l’article 11.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Quel est l’avis du Gouvernement sur la demande de réserve formulée par la commission ?

Debut de section - Permalien
Christine Albanel, ministre

Avis favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Serge Lagauche.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Lagauche

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, dite « loi DADVSI », adoptée définitivement par le Parlement le 30 juin 2006, visait à garantir le respect du droit d’auteur et des droits voisins dans le cadre des échanges culturels par le biais de l’Internet.

Deux ans après le vote de cette loi censée notamment apporter des réponses efficaces au contournement du droit d’auteur sur le net, on constate qu’elle n’a pas été dissuasive et que le piratage s’est amplifié.

Le contournement sur internet des règles de la propriété intellectuelle demeure à ce jour assimilé au délit de contrefaçon, passible dans notre arsenal juridique de trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende.

Parce qu’elles sont excessives et totalement inadaptées, ces sanctions n’ont pour ainsi dire jamais été appliquées, et le pillage des œuvres par le biais des réseaux de pair à pair n’a cessé de prendre de l’ampleur jusqu’à mener les industries culturelles, musicales et cinématographiques au point de rupture.

Les chiffres du piratage des œuvres sont éloquents. En ce qui concerne la musique, un milliard de fichiers – soit l’équivalent des ventes physiques de titres – auraient été téléchargés en 2007, dont seulement 20 millions sur des plates-formes de téléchargement légales.

L’industrie phonographique française dans son ensemble, majors et labels indépendants, se trouve actuellement dans une situation des plus délicates. Le marché du disque a globalement chuté de 22 % en 2006 et encore de 20, 5 % pour les neuf premiers mois de 2007, avec une baisse vertigineuse en volume et en valeur de plus de 50 % depuis 2002.

J’insiste sur le fait que cette baisse concerne aussi bien les grands éditeurs, dits majors du disque, que les petites structures qui ne représentent pas moins de 80 % de l’offre musicale en France. Les uns ne peuvent pas exister sans les autres. C’est le principe même de l’équilibre de la culture et de la contre-culture qui est en jeu, de l’équilibre entre une offre grand public et une offre plus pointue mais garante de la diversité et de la richesse de la production phonographique française.

En ce qui concerne le cinéma, le constat n’est pas plus brillant.

Secteur pourtant régulé par le Centre national de la cinématographie, ou CNC, le cinéma est désormais touché de plein fouet par le téléchargement et la mise à disposition illégale sur internet : 450 000 films seraient téléchargés illégalement chaque jour, et une étude récente du CNC et de l’ALPA, l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, nous enseigne qu’en 2006 plus de 40 % des films sortis en salle étaient déjà disponibles sur les réseaux peer to peer, sur lesquels près de 94 % des films piratés pouvaient être téléchargés avant même leur sortie en DVD.

En 2008, malgré le succès phénoménal de Bienvenue chez les Ch’tis – plus de 20 millions d’entrées-salles –, la fréquentation stagne par rapport à l’année précédente : le pic de fréquentation que l’on attendait du succès de ce film ne s’est pas produit.

L’ensemble du système de financement du cinéma et de rémunération des ayants droit sur les différentes fenêtres d’exploitation d’un film risque de s’effondrer si rien n’est fait pour endiguer le piratage des œuvres et développer en parallèle – c’est important ! – une offre légale attractive et respectueuse de la propriété intellectuelle. Il est donc urgent d’agir sur ces deux volets.

La méthode employée, consistant à réunir sous l’égide de M. Denis Olivennes l’ensemble des acteurs concernés par le pillage des œuvres sur internet, s’est avérée positive. Les accords dits « de l’Élysée » nous semblent un compromis équilibré permettant de répondre à une situation d’urgence.

La « riposte graduée », issue de ces accords signés par quarante-deux organisations professionnelles, sociétés d’ayants droit et fournisseurs d’accès à internet et dont ce projet de loi est la transcription législative, constitue une démarche consensuelle, pédagogique et novatrice pour lutter contre le piratage des œuvres sur internet. Nous ne pouvons qu’y souscrire.

Permettez-moi toutefois un certain nombre de remarques.

Il est tout d’abord particulièrement regrettable que certains fournisseurs d’accès à internet se croient permis, sous le fallacieux prétexte qu’on leur aurait fait signer une page blanche, de retirer leur signature de ces accords. L’avenir de la création musicale et cinématographique risque de pâtir de telles volte-face, qui en disent long sur l’attitude que certains opérateurs se croient autorisés à adopter pour des raisons qui leur sont propres.

Sans revenir sur le détail du dispositif de la « riposte graduée », qui nous a été parfaitement décrit par M. le rapporteur et par vous-même, madame la ministre, je regrette à mon tour les vicissitudes de l’amendement n° 138, dit « amendement Bono », qui a le mérite de rappeler aux États membres un principe essentiel de l’ordre juridique communautaire : toute atteinte aux libertés fondamentales nécessite l’intervention d’une autorité judiciaire.

Si l’on ne peut nier que la possibilité pour tous les citoyens d’accéder à internet est un objectif de développement important, il nous paraît excessif qu’un encadrement de son utilisation soit considéré comme une atteinte aux droits essentiels de l’homme revêtant un caractère liberticide. Ajoutons que les garanties offertes dans le projet de loi pour assurer la sécurisation des données personnelles qui seront collectées par la HADOPI et l’anonymat des internautes sanctionnés ont été respectées, grâce en partie aux amendements de la commission des affaires culturelles.

Une telle démarche est d’autant plus navrante qu’elle tente de faire passer les auteurs et l’ensemble de la chaîne des ayants droit pour de terribles censeurs de l’internet, alors qu’il s’agit ni plus ni moins de faire respecter, sur le net comme ailleurs, les règles de la propriété intellectuelle tout en les adaptant au nouvel environnement numérique.

Cependant, madame la ministre, votre projet de loi ne nous satisfait pas pleinement en ce qu’il ne reflète pas suffisamment la philosophie des accords de l’Élysée. Ces derniers reposaient sur un équilibre entre les droits et les obligations des ayants droit. En d’autres termes, la mise en place d’un système innovant de riposte graduée doit avoir pour corollaire un certain nombre d’obligations dont le respect permettra le développement de l’offre légale de musique et de films.

Le respect du volet fondamental du développement parallèle de l’offre légale est essentiel.

En ce qui concerne la graduation de la « riposte » – nous aurions préféré le terme « réponse », moins agressif –, le volet pédagogique n’est pas assez développé. Vous vous appuyez sur la peur du gendarme en espérant – et, sincèrement, nous le souhaitons également – que, comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, 70 % des internautes cesseront de pirater des œuvres lors de la réception du premier message d’avertissement et que ce taux atteindra 90 % lors de la réception de la lettre recommandée avec accusé de réception. Il manque, madame la ministre, un engagement ferme du Gouvernement de développer une campagne d’information ayant pour objet de faire de la pédagogie à destination des internautes, en particulier des plus jeunes, afin de leur expliquer de façon simple l’enjeu du respect par tous des règles de la propriété intellectuelle.

Nous souscrivons aux propositions de la commission des affaires culturelles du Sénat visant à sensibiliser les élèves, dans le cadre des enseignements scolaires, aux risques liés aux usages d’internet et aux dangers du piratage des œuvres culturelles pour la création. Il s’agit d’un point fondamental, qui déterminera l’efficacité de ce texte : la riposte graduée ne sera comprise et acceptée par l’opinion qu’à cette seule condition. Sans cette campagne d’information, les systèmes de brouillage risquent de se développer – car la technique est toujours en avance sur le législateur – et tous les efforts déployés pour protéger et rémunérer la création auront été vains.

Le projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui, madame la ministre, présente par ailleurs des lacunes en matière d’encouragement des industries de la culture à développer l’offre légale, développement qui est le corollaire, voire la justification, de la riposte graduée. Les accords signés étaient très clairs sur ce point : l’engagement pris par les pouvoirs publics de mettre en place un dispositif efficace de réduction du piratage sur internet doit s’accompagner d’un engagement des professionnels de l’industrie culturelle de développer leur offre légale et de faire des efforts significatifs. Il s’agit, pour le cinéma, de réviser la chronologie des médias et d’abaisser le délai de diffusion de la vidéo à la demande, la VOD, de sept mois et demi à six mois ; et, pour l’industrie musicale, de renoncer à recourir aux DRM, les mesures de gestion des droits numériques, ce qui réglerait les multiples problèmes d’interopérabilité entre les différents supports d’écoute et de lecture.

Certes, l’offre légale s’est développée de manière significative depuis le vote de la loi DADVSI, et de nouveaux modèles de consommation légale des œuvres ont vu le jour. Il est désormais possible d’écouter une grande quantité et une grande diversité d’œuvres musicales sur des plates-formes légales de lecture et de téléchargement ; des centaines de milliers de titres sont d’ores et déjà accessibles, soit en streaming, soit par le biais de la vente à l’acte.

Mais, si la vente de musique numérique représente un chiffre d’affaires de 50, 8 millions d’euros en 2007, soit une augmentation de 16, 6 % par rapport à l’année précédente, elle reste marginale au regard du chiffre d’affaires global de l’industrie phonographique, qui s’élève à 713 millions d’euros.

L’offre légale de cinéma en ligne connaît une progression comparable, et le marché de la vidéo à la demande est en forte croissance, avec des catalogues de plus en plus étoffés qui viennent directement concurrencer les locations physiques en vidéoclubs. Pour 2007, l’observatoire de la vidéo à la demande faisait état d’une augmentation de l’offre de 45, 2 % par rapport à l’année précédente. En revanche, si 67 % des internautes déclarent connaître ce service, ils ne sont que 9 % à y recourir.

Que ce soit pour le cinéma ou pour la musique, l’offre légale numérique n’a donc pas encore rencontré la demande.

À ce titre, l’engagement des professionnels du cinéma d’aligner, au sein de la chronologie des médias, la fenêtre de la VOD sur celle du DVD serait un signe fort qui rendrait la VOD plus attractive. Il est à cet égard très regrettable que certains représentants de la profession aient refusé de siéger à la première réunion organisée par le CNC pour faire évoluer la chronologie des médias.

Votre projet de loi, madame la ministre, ne suffira pas à poser le cadre de la rencontre entre la demande et l’offre légale de musique et de films. La pédagogie à travers une sanction du piratage, même graduée, est indispensable pour inciter les internautes à se diriger vers l’offre légale numérique. À défaut, la lettre des accords de l’Élysée serait certes respectée, mais leur esprit, qui fait prévaloir un équilibre entre la lutte contre le piratage et le développement de l’offre légale, serait fragilisé. Il faut d’urgence rétablir cet équilibre afin d’assurer aussi bien la diversité de l’offre que l’attractivité de son prix.

L’enjeu de cet équilibre, nous le connaissons tous : c’est celui de l’environnement culturel dans lequel nous souhaitons vivre. Ce sera un monde de pseudo-gratuité qui s’organisera autour des annonceurs publicitaires, avec des productions françaises financées et formatées par la publicité, ou bien un monde de diversité que les auteurs continueront de mettre en musique et en image, en toute indépendance.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà deux ans, lors de la discussion du projet de loi DADVSI, nous avons souligné que les discussions sur la régulation des droits d’auteur dans l’univers numérique intervenaient trop tard ou trop tôt. Trop tard, car le projet de loi visait à transposer une directive européenne de 2001 issue d’accords internationaux de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’OMPI, signés en 1996 ; trop tôt, car la révolution numérique était en cours et les modèles économiques émergeaient à peine. Aujourd’hui, l’examen du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet vient le confirmer.

En effet, que reste-t-il de la loi DADVSI ? Comme nous le pressentions alors, le dispositif de sanctions adopté à l’époque pour lutter contre le téléchargement illégal s’est révélé totalement inefficace. Certes, la rapidité des évolutions technologiques dans le secteur numérique rend difficile notre travail de législateur ; mais les sanctions juridiques prévues se sont révélées inapplicables et sont restées inappliquées, nous obligeant aujourd’hui à remettre l’ouvrage sur le métier.

Cependant, à la différence du précédent projet de loi, dont la gestation, nous nous en souvenons tous, avait été douloureuse et la naissance difficile, je pense et j’espère que celui-ci contribuera de la manière la plus efficace possible à la nécessaire régulation de l’univers numérique.

D’abord, la mission menée par Denis Olivennes – mission dont vous avez pris l’initiative, madame la ministre – a réussi à asseoir autour d’une table des professionnels dont les intérêts, nous avions pu le constater au moment de la préparation de la loi DADVSI, sont très divergents. Il faut saluer les « accords de l’Élysée », qui engagent, aux côtés des pouvoirs publics, quarante-sept représentants des différents secteurs de la musique, du cinéma, de l’audiovisuel, et des fournisseurs d’accès à internet à trouver des solutions pour favoriser le développement et la protection des œuvres et programmes culturels sur les réseaux. Qu’un consensus ait pu être trouvé entre ces acteurs, qu’ils aient pris conscience de leurs responsabilités et que chacun ait accepté de souscrire à des engagements forts et concrets pour faire aboutir ce projet est à saluer.

Ensuite, il faut rappeler que le projet de loi est plus qu’attendu par les artistes et les ayants droit. Il est en effet nécessaire aujourd’hui d’apporter une réponse au téléchargement illégal : nous connaissons les effets redoutables, voire extrêmement négatifs, de ce phénomène, et nombre d’exemples en ont été évoqués à cette tribune.

Nous constatons tous qu’avec le numérique nous vivons une révolution des modes de diffusion et de consommation des œuvres, comme l’a si bien rappelé notre collègue Bruno Retailleau, révolution à laquelle les industries culturelles n’ont pas toujours su s’adapter en temps utile. L’important aujourd’hui est de dissuader les internautes de se fournir en fichiers musicaux, cinématographiques ou audiovisuels sans que les auteurs et les ayants droit perçoivent la juste rémunération à laquelle ils sont en droit de prétendre. C’est la raison pour laquelle je défendrai un amendement tendant à ce que les sommes liées au prix de l’abonnement versé durant la suspension de l’accès à internet reviennent directement aux artistes, dans le cadre des actions d’aide à la création et à la diffusion du spectacle vivant : c’est en quelque sorte une réparation pour les artistes des usages illicites de leurs œuvres.

Notre pays, je le rappelle, a toujours défendu le droit d’auteur, seul garant de l’indépendance des artistes, de leur liberté, mais surtout du renouvellement de la création. L’essentiel aujourd’hui est de changer les comportements, car nous savons bien que l’évolution technologique sera toujours en avance sur la loi. C’est pourquoi je crois fondamental d’agir en amont et de renforcer la pédagogie.

Madame la ministre, vous proposez un dispositif préventif, et les sondages réalisés montrent que 70 % des Français seraient effectivement dissuadés de télécharger à la première recommandation reçue. Nous insisterons donc pour que la sanction – la suspension de l’accès à internet – garde son statut d’« arme de dissuasion » ; car nous savons tous qu’aujourd’hui internet est devenu, comme l’indiquait M. Éric Besson en présentant le plan France numérique 2012, « une commodité essentielle comme l’eau ou l’électricité ». Sans revenir sur la question des offres double ou triple play, je soulignerai que la suspension de l’accès à internet peut aujourd’hui devenir handicapante, un nombre croissant de services de la vie quotidienne passant désormais par internet.

Cela étant, la réponse graduée reste la solution qui paraît aujourd’hui la plus adaptée et la plus réaliste. C’est d’ailleurs cette solution, je tiens à le rappeler, que le groupe Union centriste–UDF avait défendue au Sénat en 2006. Nous y sommes donc, vous l’aurez compris, très favorables.

S’agissant de la future haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, ou HADOPI, nous sommes attachés à ce que soient garanties son impartialité et son indépendance. Cet objectif nous semble atteint grâce à la distinction opérée entre le collège et la commission de protection des droits, composée exclusivement de magistrats.

Nous sommes donc attachés à faire de ce projet de loi un texte équilibré fidèle aux engagements pris par chacun lors des « accords de l’Élysée » : équilibre entre le droit de propriété et le droit moral des créateurs, et la protection de la vie privée des internautes ; équilibre entre les sanctions et les offres légales ; équilibre entre les droits et les devoirs des internautes ; équilibre entre prévention et sanction.

Comme d’autres orateurs, j’ai le sentiment que le projet de loi est plus particulièrement centré sur les mesures de la réponse graduée, c’est-à-dire les mesures d’avertissement et de sanction. Or, vous le savez tous, deux volets étaient prévus dans les « accords Olivennes » : le premier vise à améliorer l’offre légale en ligne, le second tend à lutter plus efficacement contre les téléchargements illégaux. J’aurai donc à cœur de défendre plusieurs amendements ayant pour objet de favoriser le développement des offres légales, afin que les internautes et les consommateurs soient réellement « désincités » à télécharger illégalement.

La commission des affaires culturelles a également exprimé ce souhait et a déjà amendé largement le texte dans ce sens. Je proposerai que nous allions un peu plus loin.

S’agissant du développement de l’offre légale, s’il revient principalement aux représentants du secteur de prendre les mesures nécessaires en ce sens, le législateur peut toutefois avoir un rôle d’impulsion. Cela est d’autant plus important que, pour l’instant, aucune annonce n’a été faite – sauf celle de dernière minute ce matin par Universal – et que les négociations, notamment sur la chronologie des médias, sont, force est de le reconnaître, au point mort.

Or, pour deux raisons au moins, il me semble qu’il revient aux pouvoirs publics d’initier le mouvement d’une amélioration de l’offre légale.

Tout d’abord, parce qu’il s’agit du pendant indispensable au volet « sanctions » de ce projet de loi. Il est difficile de mettre en place un système tel que la réponse graduée sans dire aux internautes qu’ils pourront avoir une offre élargie, diversifiée et facile d’utilisation de musique et de cinéma sur internet. Pour que la loi soit bien acceptée par l’opinion publique, et notamment par les jeunes générations, ce volet est indispensable.

Cela est d’autant plus justifié que la disponibilité des œuvres sur les plates-formes légales, œuvres autant cinématographiques que musicales, a été améliorée mais reste encore largement perfectible. S’agissant de la musique, si les catalogues tendent à s’étoffer et à offrir une gamme de plus en plus large, la disponibilité technique des œuvres achetées reste insatisfaisante pour de nombreux consommateurs.

En d’autres termes, comme le rappelle la mission Olivennes, « le manque d’attractivité de l’achat en ligne d’œuvres musicales est très lié aux contraintes d’utilisation que les mesures techniques de protection imposent. L’achat d’une œuvre numérique n’est intéressant que s’il permet la même liberté d’usage que le support physique. ».

Il est ainsi tout à fait regrettable qu’aujourd’hui lorsque vous changez d’ordinateur, vous ne puissiez pas conserver les fichiers achetés sur internet, le transfert d’une bibliothèque à une autre étant impossible. De même, vous ne pourrez pas lire une musique achetée si le format du fichier n’est pas compatible avec le logiciel de lecture de l’ordinateur. Ce sont autant de contraintes qui font que « le consommateur se refusera à acheter ».

Or l’interopérabilité est une condition indispensable à l’acceptation de ce qui est proposé aujourd’hui et à l’émergence d’une offre légale plus attrayante face à la gratuité de l’offre illégale. J’avais déjà insisté sur la nécessaire interopérabilité lors de l’examen du projet de loi DADVSI, et je constate aujourd'hui que de vrais progrès doivent être faits dans ce domaine.

Pour cette raison, je vous proposerai, en m’inspirant des conclusions de la mission Olivennes, un amendement prévoyant que les professionnels du secteur du phonogramme s’accordent pour mettre en place un standard de mesures techniques assurant l’interopérabilité des fichiers musicaux, et pour permettre l’offre au détail de tous les fichiers musicaux en ligne sans mesures techniques.

S’agissant maintenant de l’offre légale en matière de cinéma, s’il n’est pas question de remettre en cause la chronologie des médias, qui est nécessaire, il semble indispensable aujourd’hui de raccourcir les délais d’exploitation des films pour s’adapter à l’univers numérique. Les fenêtres actuelles de la chronologie des médias, de six mois à trente-six mois, sont inadaptées au rythme actuel de consommation des films. Ces délais longs constituent, à n’en pas douter, une invitation au téléchargement illégal. Chacun en est conscient, il faut se rapprocher des délais observés chez nos voisins européens, dont l’exemple montre que des fenêtres d’exploitation plus courtes n’empêchent pas la bonne exploitation des films lors de leur sortie en salle.

Ainsi, les délais de disponibilité des films en VOD doivent être impérativement raccourcis pour se situer autour de trois ou quatre mois. Le rapporteur, M. Michel Thiollière, a fait un premier pas en fixant un cadre aux négociations professionnelles. Il faut aller plus loin et donner des signes tangibles aux internautes consommateurs en indiquant les fenêtres dans lesquelles les professionnels devront négocier. C’est le sens de l’un des amendements que je présenterai.

Au-delà de ce nécessaire rééquilibrage entre la réponse graduée et l’amélioration de l’offre légale, je m’interroge sur l’équilibre entre les obligations de surveillance de son accès internet par l’abonné et les droits de se défendre ainsi que les garanties données aux internautes face à la procédure mise en œuvre par la Haute autorité.

À ce titre, nous avons déposé un certain nombre d’amendements visant à protéger les droits des internautes. Partant d’une obligation de surveillance de l’accès internet par l’abonné, et non d’une obligation pesant sur l’internaute malveillant, le projet de loi pose la question de l’identification du contrevenant et de sa responsabilité. En effet, comment savoir si c’est l’abonné et non une tierce personne qui a téléchargé illégalement ? Cette question est d’autant plus importante qu’il est fréquent qu’un abonnement soit utilisé par plusieurs personnes. Une présomption de culpabilité pèse sur l’abonné.

En outre, il est « simple » de faire accuser un internaute innocent en fournissant son adresse IP, celle de son routeur wi-fi, voire celle de son imprimante, en dépit des systèmes de surveillance.

L’internaute, en l’occurrence l’abonné, devra donc prouver qu’il a été piraté et qu’il a mis tous les moyens en œuvre pour ne pas l’être, ce qui pour un simple internaute profane – ce qui est le cas de la grande majorité des internautes – sera difficile, voire improbable.

Ce constat d’incertitude juridique et de perfectibilité des systèmes informatiques nous a conduits à déposer plusieurs amendements visant à garantir les droits de l’abonné. Ainsi, à ce stade, je l’avoue, nous nous interrogeons sur la possibilité de pouvoir contester le bien-fondé des recommandations comme toute décision administrative. Cela nous semble d’autant plus important que la recommandation entraîne de facto une inscription dans le fichier géré par la HADOPI.

Si l’abonné doit pouvoir se manifester à la suite d’une recommandation, il doit le faire en connaissance de cause. C’est pourquoi nous trouverions normal que la première recommandation, acte générateur de la réponse graduée, soit motivée.

Dans un même souci de consolidation juridique du texte, nous proposerons de préciser le caractère graduel du dispositif en inscrivant clairement dans la loi que la sanction puisse être prononcée uniquement si l’abonné a reçu une deuxième recommandation.

Je proposais également de rendre obligatoire la transaction qui est prévue entre la HADOPI et l’abonné pour l’établissement de la sanction afin de donner plus de souplesse aux décisions de la Haute autorité, mais, surtout, de renforcer le caractère pédagogique avec les internautes contrevenants. C’est aussi dans cet esprit que nous avions suggéré que la HADOPI mette à disposition des internautes contrevenants une hot line gratuite pour permettre d’engager le dialogue. Nous regrettons que la commission des finances ait opposé l’article 40 de la Constitution à ces amendements.

Un dernier amendement vise à empêcher une double action et donc une double peine. En l’état actuel du texte, rien n’interdit que l’internaute puisse faire l’objet à la fois d’un recours devant le juge pénal pour un délit contrefaçon et d’une procédure devant la HADOPI pour défaut de surveillance de son poste. Un même fait, à savoir le téléchargement illégal d’une œuvre protégée, peut conduire à la mise en œuvre de ces deux procédures. La règle non bis in idem peut donc s’appliquer.

Enfin, je terminerai en évoquant la prévention. Je l’ai déjà dit, l’objectif avec la réponse graduée est de faire évoluer les mentalités et les comportements.

L’éducation et la pédagogie nous semblent essentielles pour que les jeunes générations prennent conscience des conséquences du téléchargement illicite sur la création artistique. En 2006, nous avions plaidé l’importance de l’éducation de nos concitoyens à la culture tant ces pratiques de téléchargement peuvent accréditer l’idée que tout est gratuit et que la culture ne coûte rien. Or c’est méconnaître l’investissement personnel et financier et le travail des artistes. Ainsi, je me félicite que M. le rapporteur ait prévu une information des élèves dans le cadre de l’éducation nationale. Il est également bien venu que les fournisseurs d’accès à internet soient mis à contribution dans les actions de sensibilisation des internautes par des messages appropriés.

En tout cas, il ne faut pas perdre de vue que l’enjeu de ce projet de loi est bien la création culturelle. II faut garantir un juste équilibre entre les droits légitimes des auteurs, sans lesquels il ne saurait y avoir de création artistique et culturelle, et les droits des citoyens à l’accès, au partage et à la diffusion de la culture, des savoirs et de l’information que permet ce formidable espace de liberté qu’est internet.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et au banc des commissions.

Debut de section - PermalienPhoto de Ivan Renar

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes ce soir sur un terrain où se posent des questions complexes qui touchent aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et à l’imaginaire de notre époque. Nous n’avons pas à arbitrer un débat myope entre technophiles, technophobes, technophages, voire technolâtres.

Notre problème est de prendre le temps de la maîtrise éthique, esthétique et sociale de ces processus inédits, pourvu que l’homme soit au centre de tout.

Qu’on le veuille ou pas, est et reste posé le statut de l’œuvre, de la création, des créateurs, des auteurs, des artistes et de leur juste rémunération.

Les droits d’auteur, qu’ils soient moraux ou patrimoniaux, sont des droits fondamentaux. Ils font partie de l’héritage démocratique de la France. Nous avons toujours eu à cœur de défendre la création et, par conséquent, les artistes. Il est des plus légitimes que leur travail soit justement rémunéré. Or, si certains vivent très bien de leur œuvre, c’est loin d’être le cas de la grande majorité d’entre eux.

Mme Maryvonne Blondin opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Ivan Renar

C’est pourquoi je regrette que ce projet de loi porte trop sur les aspects répressifs et apporte trop peu de réponses aux questions pourtant primordiales de la prévention du piratage, du développement de l’offre légale, de l’expérimentation de nouveaux modèles économiques des filières musicales et cinématographiques, qui permettraient d’assurer une rémunération équitable aux auteurs de contenus et de conforter toute la création et la production à venir.

Par ailleurs, s’il est normal que les internautes soient mis à contribution pour la rémunération du travail de création, il serait légitime que les fournisseurs d’accès à internet y participent également puisqu’ils engrangent d’énormes profits via la publicité, se servant des œuvres comme produits d’appel.

On le constate, l’évolution des nouvelles technologies et les nouveaux usages qu’elles génèrent entraînent aussi des gains nouveaux et considérables permis par la révolution numérique.

Pourtant, rien ne garantit que la riposte dite « graduée » conduise à une hausse des revenus des ayants droit, d’autant plus qu’une grande partie des fichiers actuellement téléchargés gratuitement ne seront pas automatiquement convertis en achat, dans un contexte de pouvoir d’achat en souffrance.

De toute évidence, la loi ne peut présenter un réel intérêt que si la question du financement de la culture est remise à plat, ce qui suppose une réflexion neuve et ouverte sur la question des prélèvements, de leur perception et de leur répartition.

Ces sujets sont trop vitaux pour la création et les artistes pour se contenter de réponses législatives partielles et inadaptées économiquement et juridiquement. De ce point de vue, la loi dont nous discutons est plus une loi d’adaptation qu’une loi d’anticipation.

De fait, nous naviguons sur un océan de contradictions. Le 24 septembre dernier, dans le cadre de l’examen du « paquet Télécom », les eurodéputés ont voté un amendement qui dispose : « en vertu du principe selon lequel aucune restriction aux droits et libertés fondamentales des utilisateurs finaux ne doit être prise sans décision préalable de l’autorité judiciaire, en application notamment de l’article 11 de la charte sur les droits fondamentaux, sauf en cas de menace à la sécurité publique où la décision judiciaire peut intervenir postérieurement. ». Ce faisant, nos collègues du Parlement européen ciblent la coupure d’accès à internet.

Lors de la présentation du plan France numérique 2012, rappelé dans une séance commune de la commission des affaires économiques et la commission des affaires culturelles, M. Éric Besson, secrétaire d’État, a déclaré que comme l’eau ou l’électricité, l’accès à internet haut débit était « une commodité essentielle » à laquelle tous les Français doivent pouvoir accéder. Rappelant que « un à deux millions de Français demeurent exclus des réseaux du haut débit », M. Besson souhaite instaurer un « droit opposable » visant à permettre cet accès à un coût inférieur à 35 euros par mois.

N’est-il pas paradoxal de vouloir suspendre l’accès à internet pourtant reconnu comme une commodité essentielle ?

Comment vont être gérées ces contradictions ?

N’est-il pas également contradictoire de mettre à disposition des outils permettant des flux et des capacités de stockage croissants et d’interdire aux citoyens de s’en servir ? Pourquoi les industriels s’opposent-ils à l’extension de la redevance pour copie privée au domaine du téléchargement illicite alors qu’ils en favorisent les conditions ?

On peut s’interroger aussi sur la coupure d’accès à internet. Ce type de sanction est mis en cause par la CNIL car il constitue la négation de l’importance prise par internet dans la vie sociale, professionnelle et éducative pour correspondre, s’exprimer, étudier, s’informer, accomplir des démarches administratives, faire sa déclaration fiscale ou des opérations bancaires en ligne. De plus, il instaure un dispositif de surveillance inédit et un fichage généralisé de millions d’internautes contraire aux libertés. Et tout cela pour un résultat des plus incertains. Comme l’a déclaré le président de la CNIL, notre collègue Alex Türk : « Dans la nouvelle société numérique qui se prépare, le combat pour nos libertés me paraît aussi essentiel que la lutte pour la protection de l’environnement ».

Autre question : ce projet de loi adopté ne sera-t-il pas rapidement mis en échec par de nouvelles parades techniques ? Les usagers d’internet ont toujours eu plusieurs longueurs d’avance sur une industrie qui a bien du mal à se mettre à l’heure numérique. Les nouvelles générations de réseaux pair à pair permettent de masquer l’adresse IP des utilisateurs qui partagent des fichiers. Ce projet est d’ores et déjà est en décalage avec la réalité des usages et des techniques et donc complètement anachronique, comme ce fut le cas de la loi DADVSI.

De plus, on ne peut pas parler à proprement dit de sanctions graduées. Le projet de loi vise non pas les contrevenants, mais les abonnés à internet, qui doivent veiller à ce que leur connexion ne soit pas utilisée pour pirater. Or une connexion peut faire l’objet d’utilisation par des inconnus, notamment en cas de connexion wi-fi non sécurisée. Ce projet de loi crée donc une responsabilité du fait d’autrui, ce qui est une première dans le système juridique français.

De plus, ce n’est plus la présomption d’innocence qui préside, mais une présomption irréfragable de culpabilité. Comment un abonné utilisant des moyens de filtrage pourra-t-il prouver sa bonne foi s’il est accusé du contraire ?

Cela dit, la question des droits d’auteur et des droits voisins à l’ère numérique est non seulement un enjeu de société capital, mais également un défi majeur pour le monde de la création et de sa relation au public, afin que l’exception culturelle de notre pays, toujours plus menacée par les lois d’un marché « sans conscience ni miséricorde », en sorte renforcée.

En ce sens, l’irrésistible extension du numérique est une belle occasion d’approfondir les fondements mêmes des conquêtes culturelles et sociales de notre société en lui donnant de nouvelles ailes : renforcer la création et les moyens de la création et, parallèlement, favoriser la démocratisation des œuvres grâce à un accès facilité. Je ne pense pas que l’on puisse avancer sur la question des droits d’auteur en opposant les artistes à leur public, en opposant les droits fondamentaux aux droits d’auteur.

Cela étant dit, une grande partie des internautes adhérerait sans réserve à un code de bonne conduite, dès lors qu’il s’agit de remettre l’auteur et les artistes au cœur de la rémunération. Plusieurs études montrent que les utilisateurs qui téléchargent sont ceux qui dépensent le plus pour des produits culturels. Ceux qui aiment la musique, le cinéma, la littérature et l’émotion irremplaçable que procurent les arts admirent les créateurs et n’ont aucune envie de les léser. Ce sont les majors qui ont la prétention de vouloir arrêter un phénomène de société qu’elles ont elles-mêmes favorisé par leur attentisme et leur conservatisme étriqué. Ne les laissons pas dicter des mesures dont l’obsolescence n’a d’égale que l’inefficacité ! Incapables d’être en phase avec leur temps, les industries culturelles sont en train de vouloir arrêter le progrès au nom du profit !

Dès lors, pourquoi ne pas construire une nouvelle économie de la culture au service de la création et de sa diversité ? L’évolution des technologies ouvre de fantastiques perspectives pour stimuler la création et permettre une circulation sans précédent des œuvres de l’esprit et des savoirs pour peu que le droit s’appuie sur l’intérêt général, favorisant ainsi un saut de civilisation pour l’ensemble de l’humanité. Les industries culturelles ont tort de ne voir internet que comme une menace. Le problème, c’est que ce secteur considère que la rente du paiement à l’acte reste encore lucrative et essaye de la préserver.

Cela dit, on constate des évolutions. De plus en plus, les industries cherchent à exploiter les artistes comme des marques. Afin de dégager des profits, le producteur de disques devient à la fois éditeur, organisateur de concerts, patron de salle, manager et vendeur de produits dérivés.

Je crains que nous n’assistions à un véritable jeu de dupes où ceux qui crient au voleur et dénoncent les internautes comme des pirates sont parfois les premiers à vouloir exproprier les auteurs de leurs droits. Les multinationales de l’industrie culturelle n’ont pas attendu le législateur pour s’accaparer un maximum de droits d’exploitation des œuvres, concentrant ainsi les contenus culturels : après l’appropriation des tuyaux, celle des contenus, afin de mieux exploiter la propriété intellectuelle.

Si l’on a beaucoup parlé de gratuité à propos d’internet, celle-ci est un mythe ! L’immatériel est devenu l’or d’aujourd’hui et de demain.

Certes, les industries culturelles sont en crise, il faut donc trouver des solutions. Pour ce faire, il importe de poser le bon diagnostic. La crise du secteur n’est pas uniquement liée au téléchargement illicite, même s’il n’est pas question de nier ce phénomène, ni même de l’accepter et de faire n’importe quoi.

En ce qui concerne l’industrie audiovisuelle, il est évident que la chronologie des médias est aujourd’hui inadaptée. S’il est fondamental d’en conserver le principe, des aménagements sont nécessaires. Les jeunes, tout en restant le premier public des salles de cinéma, sont aussi les plus sensibles à la gratuité. Les différents dispositifs mis en place, au titre de l’éducation à l’image, dans les écoles, les collèges et les lycées, sont l’occasion d’une sensibilisation pédagogique, afin d’informer les jeunes des conséquences du téléchargement illégal. Madame la ministre, où en est l’éducation nationale sur cette question ? Les articles concernés de la loi DADVSI n’ont pas même été étudiés, et encore moins appliqués.

Nous estimons que la seule question qui vaille est la suivante : comment rémunérer équitablement les auteurs de contenus et les interprètes ? Veillons à ce que le droit d’auteur à la française ne cède la place au copyright anglo-saxon, lequel réglemente l’usage, la reproduction et la diffusion d’un bien, mais sans reconnaître le droit moral essentiel pour les artistes et la protection de leur création. Le copyright favorise ainsi les investisseurs au détriment des artistes.

Enfin, compte tenu de l’expérience décevante de la précédente loi, il est essentiel d’évaluer, dans les deux ans au plus tard, le dispositif qui sera adopté dans les prochaines heures, en vue de le corriger, voire de l’abandonner complètement. Considérant l’évolution rapide des technologies, il est plus sage d’expérimenter et d’en tirer les enseignements ; nous avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens.

Le groupe CRC en a la conviction, le numérique et internet sont potentiellement des innovations bénéfiques pour les ayants droit et leur public, comme ce fut le cas avec les nouvelles technologies qu’ont été, un temps, le cinéma, la radio, puis la télévision. L’internet peut être une arme de construction massive. Toutes ces innovations, révolutionnaires lors de leur démarrage, n’ont jamais manqué de conforter le droit d’auteur, qui est maintenant remis en cause. Cela étant dit, notre souci – qui va nous guider au cours du débat et dans notre vote final – sera de préserver l’intérêt des auteurs et des artistes interprètes et, je le répète, de veiller à leur juste rémunération pour garantir l’avenir de la création et de la production dans notre pays

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La parole est à Mlle Sophie Joissains, dont je salue la première intervention à la tribune de la Haute Assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, le champ des œuvres téléchargeables s’étend, et la capacité des équipements permet d’absorber toujours plus de contenus numérisés.

Certains aspects de cette extraordinaire liberté bouleversent l’équilibre de la sphère culturelle. Le téléchargement illicite de musique, de films, de programmes informatiques ou de jeux vidéo pénalise lourdement, économiquement et culturellement, ceux qui en vivent, directement ou indirectement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : on recense, chaque année, en France environ 1 milliard de fichiers piratés ; le chiffre d’affaires de l’industrie musicale a été divisé par deux en quelques années ; le taux d’emploi dans les maisons de disques a été réduit d’un tiers ; le nombre d’artistes « signés » a chuté de 40 % par an. La liste des dégâts est donc importante.

Toutes les études relèvent la responsabilité considérable portée par le « petit piratage de masse » dans cet effondrement du secteur culturel. Les créateurs et les industries culturelles réclament, à juste titre, une réaction des pouvoirs publics.

L’offre légale s’est considérablement étoffée, mais elle demeure, nous en avons conscience, insuffisante. De plus, elle ne pourra jamais se développer dans des conditions normales si l’on laisse subsister un piratage massif.

Nous allons donc continuer d’œuvrer pour répondre au défi qui est le nôtre aujourd'hui en conduisant deux approches en parallèle : la dissuasion et l’augmentation de l’offre légale.

Internet doit rester un lieu de liberté partagée, et non devenir l’espace de tous les pillages. Il est urgent de rétablir l’équilibre entre les droits fondamentaux des internautes et ceux, non moins légitimes, des artistes. Je salue ici le terme de « réconciliation » employé tout à l’heure par M. le rapporteur.

Comment peut-on demander à nos auteurs d’être dans l’innovation musicale ou cinématographique, de porter haut l’exception culturelle française, s’ils ne peuvent vivre de leur travail parce que celui-ci est disponible gratuitement sur la toile.

Vous le savez, cette demande formulée par tous les secteurs de la sphère culturelle, y compris les distributeurs, a conduit à une négociation avec le Gouvernement, qui a débouché sur un accord historique associant quarante-sept organisations et entreprises de la musique, du cinéma, des médias et de l’internet. Du jamais vu !

Je ne détaillerai pas l’ensemble du dispositif prévu, car il a été brillamment décrit par Mme la ministre, M. le rapporteur et l’ensemble des orateurs, mais je tiens à souligner les éléments qui me paraissent constituer sa force.

Conformément à la solution prônée par la commission des affaires culturelles, et par le Gouvernement, le groupe UMP souhaite s’inscrire dans une logique pédagogique visant à décriminaliser le piratage ordinaire.

Ce projet de loi vise à instaurer un régime gradué et proportionné de sanctions. Il n’est pas question de supprimer les peines lourdes pour les personnes qui fournissent les moyens de contourner les mesures de protection ou qui font commerce du téléchargement massif. En revanche, il s’agit de permettre une application mesurée de la loi, qui ne traite pas nos adolescents, fervents internautes, comme des délinquants, mais qui suscite une prise de conscience salutaire. Internet n’est pas, et ne doit pas être, une zone de non-droit. Les internautes ont droit au respect de leur vie privée, les auteurs à celui de leur droit moral garant de leurs conditions d’existence et du développement de leur talent.

Ce dispositif législatif, tel qu’il est conçu, présente une réponse graduée, souple et adaptable. Il s’inspire des résultats obtenus, via des outils très similaires, dans d’autres États confrontés aux mêmes difficultés. Et nous sommes tous confrontés aux mêmes difficultés !

Ainsi, aux États-Unis et au Canada, pays dans lesquels un avertissement est adressé aux contrevenants, 90 % des internautes – j’insiste sur ce pourcentage – renoncent au téléchargement illégal dès le deuxième message. La dissuasion est plus efficace que la sanction.

Le groupe UMP s’est prononcé contre le principe de la sanction financière, car celle-ci risquerait de créer une inégalité entre les internautes capables d’acquitter leurs amendes et ceux dont la situation matérielle ne le permet pas.

La dissuasion par la suspension respecte l’égalité entre internautes et constitue une solution pédagogique idéale pour tous les publics. Il s’agit là, me semble-t-il, de l’esprit même de la loi.

Aujourd’hui, la seule mesure existante est d’ordre pénal : le délit de contrefaçon. L’internaute s’expose alors à des poursuites devant le tribunal correctionnel avec des possibilités de sanction au premier téléchargement illégal. Les peines prononcées par les tribunaux à l’encontre des pirates sont des amendes qui peuvent atteindre plusieurs milliers d’euros, parfois assorties de prison avec sursis.

Encore une fois, la prévention est mille fois préférable. L’expérience étrangère démontre que, en l’absence d’une solution alternative, la justice pénale finit par être saisie massivement. Ainsi, en Allemagne, des milliers de plaintes sont enregistrées par les parquets.

Par ailleurs, je souhaite revenir sur l’équilibre entre les droits fondamentaux.

Encore une fois, internet doit rester un espace de liberté ; en aucun cas, il ne doit être une zone de non-droit. Les garanties présentées dans ce texte réconcilient le droit de propriété, le droit moral des créateurs, aujourd’hui bafoués, mais également en danger – car il s’agit de leur moyen de subsistance –, et celui du respect de la vie privée des internautes.

La suspension temporaire ne peut en aucun cas être considérée comme une atteinte à un droit fondamental. Elle est déjà couramment appliquée par le juge et elle l’est aussi, mes chers collègues, par les opérateurs, qui n’hésitent pas à suspendre les mauvais payeurs. Serait-il plus grave d’oublier le paiement d’une facture que de se rendre coupable d’un vol, vol qui met l’ensemble du monde culturel en danger ? Quel étrange renversement des valeurs et quelle considération pour nos auteurs, qui, je le rappelle, constituent la richesse culturelle de notre pays !

Les mécanismes préventifs seront mis en place par une autorité administrative indépendante, la HADOPI, selon un modèle qui a déjà fait ses preuves dans notre droit. La CNIL est l’exemple qui s’en rapproche le plus.

Cette haute autorité sera composée par des membres et selon des procédures offrant toutes les garanties d’impartialité et d’indépendance nécessaires. Je précise, au passage, que la prise de sanctions se fera, bien sûr, sous le contrôle du juge. La HADOPI n’exercera aucune surveillance généralisée des réseaux et des internautes, pas plus d’ailleurs que les fournisseurs d’accès Internet. Comme c’est déjà le cas aujourd’hui, toutes les procédures partiront de la constatation, ponctuelle, par les ayants droit, de téléchargements illicites. Ce sont donc les œuvres, et elles seules, qui seront «surveillées » et seul le constat de leur piratage pourra donner lieu à l’envoi d’avertissements et, éventuellement, à une suspension temporaire d’accès internet.

Cette haute autorité sera habilitée à obtenir uniquement les informations strictement nécessaires – le nom et les coordonnées – à l’envoi du message d’avertissement, des informations d’ores et déjà collectées par les créateurs et les entreprises culturelles pour engager leurs actions judiciaires. En aucun cas le contenu des œuvres téléchargées ne sera porté à sa connaissance, ce qui confirme, si besoin était, le respect dont fait preuve le législateur à l’égard de la vie privée des internautes.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Pour ce qui concerne la question du piratage des œuvres culturelles, de nombreuses initiatives sont menées par les différentes institutions communautaires, dont la Commission européenne. Celle-ci a ouvert une consultation avec les États membres et les partenaires concernés pour étudier l’approche française. C’est bien la preuve que nos voisins cherchent également une solution en ce sens.

Au sein de notre commission des affaires culturelles, il a été proposé de renforcer encore l’indépendance et le professionnalisme des membres composant la Haute autorité, en la dotant de la personnalité morale, en lui permettant de consulter les représentants du monde culturel et d’être consultée par eux, en prévoyant aussi les incompatibilités de fonction de ses membres. Elle pourra labelliser certains systèmes de sécurité et certaines offres légales. Un rapport annuel permettra de faire régulièrement le point sur son activité et, dans le même temps, de la faire évoluer de façon adaptée.

À l’avenir, l’offre légale doit se rapprocher au plus près de l’attractivité, qui conduit aujourd'hui aux téléchargements illicites, en proposant une politique tarifaire adaptée. Il y va de l’intérêt des producteurs et des distributeurs.

À cet égard, les amendements déposés visent à encourager fortement le développement de l’offre légale et la révision de la « chronologie des médias ». Internet n’a pas de frontière. Cet espace international doit être un enrichissement et ne pourra être viable que dans le respect des libertés individuelles.

Canaliser les voies de l’internet par des règles simples et aussi évidentes que le respect des droits de chacun, c’est aussi permettre une prise de conscience de l’altérité, notion d’autant plus difficile à percevoir que l’on se trouve derrière un écran. Nous ne sommes qu’au début du chemin, sur un terrain en perpétuelle mutation.

Pour finir, je tiens à remercier le rapporteur, M. Michel Thiollière, et le président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Legendre, pour la qualité de leurs travaux. Je remercie également Mme la ministre pour son écoute rare et la diligence qu’elle a toujours témoignées à l’égard des auteurs et de la création.

Je pense que ce texte posera les bases nécessaires à une relation saine et constructive entre auteurs et internautes.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La parole est à Mme Françoise Laborde, dont je salue la première intervention à la tribune de la Haute Assemblée.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui nous plonge directement au cœur d’une problématique centrale : quelle société de l’information et de la création culturelle voulons-nous transmettre en héritage aux générations futures ?

Il y a dix ans exactement commençait une véritable révolution technologique, celle de la croissance exponentielle des échanges de données et du développement des premiers logiciels de téléchargement d’œuvres musicales sur internet. Les industriels avaient alors mis en place les premiers verrous anti-copie sur les fichiers numériques musicaux référencés dans leurs catalogues.

Depuis, cette évolution s’est accélérée, au niveau tant des supports que des conditions d’échange des œuvres culturelles, avec l’apparition de nouvelles plateformes et logiciels de téléchargement, donnant ainsi au consommateur l’accès à une offre quantitative et qualitative très large, inconnue jusque-là.

Nous assistons à une véritable révolution de l’économie culturelle, dont les mutations nous transportent de la civilisation du support matériel à celle du support numérique et du virtuel.

Nous ne pouvons encore mesurer, pour les années à venir, les conséquences de ces bouleversements sur notre société. En tant que parlementaires, nous nous devons pourtant de les anticiper et d’imposer de nouveaux outils pour garantir la juste rémunération des auteurs, ainsi que la pluralité et la diversité des œuvres produites.

Or, dans un contexte de récession internationale, force est de constater que le secteur de l’économie culturelle est aujourd’hui en péril, parce qu’il n’a pas anticipé les changements technologiques, juridiques et financiers qu’il traverse. Plusieurs modèles économiques cohabitent : téléchargement gratuit en ligne, téléchargement payant, abonnement.

Les enjeux économiques de la copie par les particuliers sont considérables. En témoignent les téléchargements quotidiens de films en France, équivalents au nombre d’entrées en salle, sans oublier une chute des ventes de disques de 50 % en cinq ans.

La réponse apportée par le Gouvernement s’inspire des préconisations du rapport Olivennes et des accords de l’Élysée, conclus entre les professionnels de la filière à la fin de l’année 2007, qui reposent sur trois piliers : la dissuasion, la transaction et la sanction. Ce texte de loi place le consommateur au cœur du dispositif et invite les parlementaires à entériner la mise en place d’une autorité de régulation indépendante, la HADOPI, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, ayant pour mission de lutter contre le piratage en instituant le principe de riposte graduée, la constitution d’un fichier des internautes contrevenants et la mise en œuvre de sanctions.

Ce dispositif de dissuasion prévoit l’envoi de messages préventifs aux internautes indélicats, de courriers et, enfin, une suspension de l’abonnement en cas de récidive. Ces outils auront une vertu pédagogique, et les industriels, en contrepartie du fichage des pirates présumés, se sont engagés à supprimer les DRM des œuvres référencées dans leurs catalogues, comme cela nous a été confirmé dans la presse aujourd’hui.

En tant que parlementaire et adjointe au maire déléguée à la culture d’une commune de 23 000 habitants, dotée d’une salle de spectacle de 950 places, d’un cinéma et d’une médiathèque, je suis concernée au premier plan par ces mesures et, comme beaucoup de mes collègues élus locaux, par les questions du financement de la production et de la diversité des œuvres culturelles, ainsi que de la rémunération des auteurs.

Les dispositions de ce texte vont engager non seulement la responsabilité des particuliers abonnés, mais aussi celle des élus des collectivités locales qui mettent à la disposition de leurs concitoyens des accès internet dans les lieux publics, notamment les points multiservices, les bibliothèques et les médiathèques.

Pour autant, le principe de riposte graduée, qui s’appliquerait dans la sphère familiale et éducative, apparaît comme un bon outil pédagogique. La sensibilisation des consommateurs à la notion de droit d’auteurs est devenue nécessaire.

C’est pour cette raison que les membres du groupe du RDSE, que je représente ce soir, voteront ce texte sous réserve de l’adoption d’un certain nombre d’amendements.

Pour être nécessaire, ce dispositif n’en est pas pour autant suffisant, madame la ministre. Le Gouvernement doit se rendre à l’évidence. La technologie évolue plus vite que les lois et la relance de la filière ne se fera pas sans prendre des mesures d’accompagnement plus ambitieuses, qui donnent des moyens substantiels à une politique culturelle digne de ce nom : subventionner la création indépendante, faciliter l’accès à la diffusion des œuvres les moins commerciales, renforcer le tissu associatif culturel, pérenniser les structures municipales, et responsabiliser les fournisseurs d’accès à internet et les industriels, notamment les majors.

L’abonné, qui a une obligation de vigilance et de surveillance de l’usage de son accès internet, est bien isolé au cœur du dispositif de riposte graduée. Le fichage des internautes pirates – je rappelle à cette occasion que ces deux mots ne sont pas synonymes – doit avoir, pour être accepté, une contrepartie à sa mesure, à savoir la régulation des rapports entre les industriels, les auteurs et les labels indépendants. C’est pourquoi je regrette que ce texte ait été déposé devant la Haute Assemblée sans que deux préalables soient levés. D’une part, il aurait fallu dresser le bilan complet de l’application de la loi DADVSI, qui a été votée en 2006 et qui ne semble pas avoir porté ses fruits. D’autre part, il aurait fallu évoquer la logique industrielle et celle de la juste rémunération des auteurs.

En substance, ce projet de loi soulève un grand nombre d’interrogations auxquelles il n’apporte pas de réponse, notamment parce que la prévention et la répression, même progressive, ne suffiront pas pour sauver ce secteur d’activités.

J’aborderai, en premier lieu, la question de la rémunération des auteurs. Bien que les moyens de diffuser leurs œuvres se soient considérablement élargis, ils n’ont pas pour autant bénéficié de ces progrès et ils redoutent, dans ce contexte, la mise en place de licences collectives qui dissocieraient l’acte de consommation de leur propre rémunération.

Faut-il vous rappeler, madame la ministre, qu’ils sont déjà à la merci des majors, qui monopolisent leurs catalogues pendant des années et en déterminent les conditions de diffusion ? Il faudra bien pousser les industriels à innover pour mettre en place de nouveaux modes de rémunération des auteurs, en contrepartie de l’adoption de la riposte graduée. En effet, aujourd’hui, il est plus rentable pour un auteur indépendant de vendre directement son œuvre par internet que de passer par un distributeur.

Sur ces questions, le projet de loi reste muet. Nous étions pourtant en droit d’attendre la mise en place d’une politique culturelle plus ambitieuse, notamment en faveur des producteurs indépendants et des artistes.

Le deuxième point sur lequel je reviendrai est celui qui concerne le consommateur. Sa responsabilisation constitue une avancée, mais elle ne peut être le seul levier du changement pour pérenniser l’avenir de la filière culturelle. Par ailleurs, nous ne pouvons pas rester indifférents à la vive inquiétude que soulève la mise en place du fichier des internautes présumés pirates et à la possibilité de suspendre leur abonnement, deux mesures qui pourraient être considérées comme des atteintes aux libertés individuelles. Mais je veux bien croire, madame la ministre, à l’étanchéité de la boîte noire !

Enfin, ce projet de loi soulève une polémique à l’échelle européenne et expose la France à des recours. En effet, il est contraire aux dispositions adoptées par le Parlement européen, en septembre dernier, à l’occasion du vote de l’amendement n° 138 du « paquet Télécom », texte qui confère à l’accès à internet un caractère de droit fondamental pour les citoyens. Par conséquent, la décision d’une telle rupture devrait être prise par une autorité judiciaire.

J’exprimerai un dernier regret avant d’achever mon intervention. Le Gouvernement n’a pas entendu les principales préconisations des professionnels de la filière et du monde associatif, qui attendent la rénovation totale du système de rémunération des auteurs et proposent de nouveaux leviers : responsabiliser les fournisseurs d’accès à internet, les inciter à informer l’internaute sur la législation en vigueur, instaurer une taxe auprès d’eux pour financer un fonds d’aide aux jeunes artistes, envisager, notamment, le développement des nouveaux supports, dont il n’est pas question dans ce texte – téléphonie mobile, disques durs externes et autres MP3 –, l’achat avec période d’essai et le différentiel de TVA, etc..

Telles sont les raisons pour lesquelles les membres du groupe du RDSE resteront très vigilants quant à la mise en œuvre de la répression, notamment l’usage qui sera fait du fichier des contrevenants.

Pour conclure, je rappellerai que la révolution numérique nous impose de trouver un nouvel équilibre des droits : innover pour rémunérer la création, même de façon imparfaite, plutôt que de laisser les auteurs seuls face aux majors, aux diffuseurs et aux annonceurs, pourquoi pas en relançant le débat avec les professionnels autour du concept de licence collective. Il y va de la pluralité, de la diversité, bref, de la pérennité de la création culturelle en France.

Applaudissements sur l’ensemble des travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux années après la loi DADVSI, le Parlement est de nouveau saisi du problème du piratage de masse des œuvres, notamment musicales et cinématographiques.

Au-delà du témoignage qu’il apporte de l’échec de la loi DADVSI, le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet offre l’occasion de redéfinir les mécanismes de lutte contre le piratage et d’actualiser notre réflexion sur la rémunération des artistes, l’accès pour tous à la culture, le soutien à la création, autant d’objectifs qui doivent être ceux d’une politique culturelle ambitieuse dans un contexte de révolution des techniques et des comportements. Le défi n’est pas mince, et je ne suis pas certaine qu’il soit pleinement relevé.

Pourtant l’urgence est là. Je n’évoque pas par ces mots la procédure d’urgence qui a été déclarée une fois de plus par le Gouvernement, mais l’urgence face à la détérioration massive de l’économie de la culture.

On évalue, pour l’année 2006, à un milliard le nombre de fichiers d’œuvres musicales échangés illégalement en France, avec des conséquences dramatiques pour le secteur du disque, dont le marché a baissé de 22 % en 2006 et encore de plus de 20 % sur les neuf premiers mois de l’année 2007.

La loi DADVSI avait été la source d’affrontements caricaturaux entre les partisans du « tout-gratuit », aspiration illusoire, et les tenants d’une répression à grande échelle, sourds aux pratiques nouvelles qu’offre la révolution numérique.

Le moment est peut-être venu, avec ce nouveau projet de loi, de mettre enfin un terme, au moins pour un temps, à ce combat, qui ne sert pas plus la création que les utilisateurs, comme l’illustre l’inefficacité de la loi DADVSI. Or force est de constater que cette opposition perdure aujourd’hui, et la responsabilité du Gouvernement dans ce domaine est réelle.

Nous attendons trois choses de cette loi.

Tout d’abord, la réaffirmation du principe et du respect du droit d’auteur. Malmené par le piratage massif qui s’opère sur internet, ce droit est fragilisé dans le débat public, la montée des nouveaux usages « on line » revenant à nier le lien entre l’œuvre et son créateur. Il est donc nécessaire et urgent de rappeler la raison d’être du droit d’auteur, la nécessité d’en assurer le respect et de contrer les manquements.

L’occasion est donnée, avec ce projet de loi, de réaffirmer que le droit d’auteur est à la fois un droit matériel à une juste rémunération et un droit moral à disposer personnellement de ses œuvres. Il est la condition sine qua non de l’émergence et de la vitalité de la création. Remettre en cause le droit d’auteur, c’est risquer de tarir la source de la création. C’est parce qu’il est assuré de pouvoir plus ou moins bien vivre de son œuvre que l’artiste peut trouver sa juste place dans notre société. Enfin, le droit d’auteur est aussi, face à la puissance de certains producteurs, un rempart contre la marchandisation de la culture.

Il ne fait aucun doute que l’abandon du droit d’auteur, la rupture avec ce qui constitue tout à la fois une conquête sociale, culturelle et politique, signerait l’arrêt de mort de la création.

Ce serait d’abord sacrifier tout un tissu d’entreprises culturelles – ce qui aurait de graves répercussions sur l’emploi –, mais aussi renoncer à une ambition ancienne et toujours réaffirmée, par la gauche notamment, de soutien à la création originale. Les premiers à subir les conséquences d’une rupture avec la logique du droit d’auteur seraient les petites entreprises culturelles, les créateurs et les producteurs indépendants.

Le projet de loi réaffirme le principe de ce droit et la nécessité de son respect. C’est une bonne chose, pour nous, socialistes, qui sommes profondément attachés à la création, à sa vitalité, à sa diversité, ainsi qu’à ceux qui la font vivre.

Ensuite, la révolution des techniques et des comportements, avec le numérique, ne peut servir de prétexte à la remise en cause du droit d’auteur, sans offrir d’issue alternative.

À cette occasion, nous devons évoquer le débat sur les libertés et droits fondamentaux. Dans la situation actuelle, qui se caractérise par un piratage de masse, seule la liberté des créateurs de disposer de leur œuvre et d’en tirer une juste rémunération est véritablement menacée.

Invoquer un droit fondamental d’accès à internet, alors qu’il s’agit moins d’un droit que d’une facilité, celle de télécharger sans contrainte, ne me paraît pas légitime. Dans notre société, tous les droits sont assortis d’obligations légales ou réglementaires. L’égalité d’accès à la culture n’a d’avenir que si elle s’accompagne d’un certain nombre de règles s’imposant à tous, producteurs comme utilisateurs. Notre vision des libertés s’inscrit dans le respect d’un état de droit.

À l’évidence, les pratiques sur internet évoluent aujourd’hui plus vite que le cadre juridique. Raison de plus pour ne pas autoriser un usage illégal, dont le premier résultat serait d’éliminer des pans entiers de la création !

Sans nier le caractère perfectible de ce projet de loi, la mécanique dite de riposte graduée qu’il introduit nous semble, par sa logique pédagogique et de dissuasion, présente le mérite de ne pas ouvrir les vannes de façon irresponsable et irréparable.

Enfin, nous sommes conscients que nous légiférons à un moment qui appelle des mesures d’urgence. Pour autant, cette volonté de préserver le droit d’auteur par un mécanisme de dissuasion ne doit pas être prétexte à un statu quo qui reviendrait à nier les aspirations culturelles des internautes. C’est sur ce point que le projet de loi nous semble déséquilibré.

Madame la ministre, lors de votre audition par la commission des affaires culturelles du Sénat, vous déclariez que « la montée en puissance de l’offre ne se poursuivra qu’à condition que la lutte contre le piratage porte ses fruits ». De même, les accords Olivennes affirmaient la nécessité d’avancer dans un même mouvement sur la lutte contre le piratage et sur la montée en puissance de l’offre légale.

Or, le texte que vous proposez semble conditionner l’offre légale à la lutte contre le piratage. Vous participez ainsi à entretenir un sentiment de défiance chez les internautes. C’est la raison pour laquelle la responsabilité du Gouvernement est réelle dans l’opposition qui persiste entre internautes et créateurs. Nous ne voulons pas de cette guerre-là !

Pour opérer la conciliation chère aux accords « Olivennes », il nous paraît indispensable de travailler à ce que le droit d’auteur conquière de nouveaux territoires et prenne le tournant de la révolution numérique, tout en tenant compte des aspirations des internautes.

La situation vous crée, madame la ministre, au moins trois obligations.

En premier lieu, il faut favoriser l’émergence et le développement de nouveaux services en ligne sur internet. Je pense par exemple aux services comme le Deezer ou le magnétoscope en ligne, pour lesquels nous présenterons un amendement, et qui peuvent constituer tout à la fois des offres adaptées, faciles d’accès et bon marché pour les internautes, ainsi que de nouvelles sources de financement de la création.

En deuxième lieu, il faut revoir rapidement la chronologie des médias – nous présenterons un amendement en ce sens – pour réduire la durée des fenêtres, l’étude des nouvelles pratiques révélant que la rapidité de la disponibilité de l’œuvre vient s’ajouter à la gratuité comme mobile du téléchargement.

En troisième lieu, enfin, il faut développer un véritable espace numérique public dense, riche et accessible, dans l’esprit d’un service public, à l’image de ce que sont aujourd’hui, par exemple pour la lecture, les médiathèques publiques. Nous avions évoqué cela lors de l’examen du texte qui est devenu la loi DADVSI. Où en est-on ?

Sur toutes ces questions, nous attendons de votre part, madame la ministre, des signes clairs et forts témoignant de votre volonté d’encourager et d’accompagner cette évolution de l’internet dans le respect du droit d’auteur, au bénéfice de la culture et de ceux qui y aspirent.

Vous l’aurez compris, les sénateurs socialistes souhaitent soutenir ce texte. Ils seront donc particulièrement attentifs à vos propos.

Applaudissements sur l’ensemble des travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons ce soir est nécessaire. Tout le monde a souligné l’échec de la loi du 1er août 2006 qui, sur les sujets du téléchargement illégal, de la copie et du piratage, n’a nullement empêché le viol du droit moral des créateurs.

En dépit des sanctions très lourdes fixées par ce texte – trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende –, toute une génération a vécu, et vit toujours, avec l’idée, du moins pour les plus jeunes d’entre eux, que les biens culturels doivent être gratuits. Le pillage des œuvres continue de faire des ravages dans l’industrie culturelle. Plusieurs de mes collègues l’ont rappelé ; je n’y reviendrai donc pas.

Mais quel temps perdu ! En effet, le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis aurait dû être adopté en 2006, en lieu et place de la loi DADVSI. Souvenons-nous de ce débat brouillon au cours duquel les positions du Gouvernement avaient varié d’un extrême à l’autre. La très polémique licence globale était venue parasiter l’examen d’un texte comprenant des dispositions totalement inapplicables.

Je le redis, après tant d’autres : la défense des créateurs doit être au cœur de nos préoccupations. Le respect de leurs droits est un impératif catégorique qui fonde notre exception et notre politique culturelle française. L’enjeu est immense car il nous faut protéger ce système unique en Europe – et même, probablement, au monde – si nous ne voulons pas passer sous les fourches caudines de la culture anglo-saxonne.

Sans droit d’auteur, Gounod, Bizet et Saint-Saëns, pour ne citer que ceux-là, ne nous auraient jamais offert leurs opéras et leurs symphonies. Le cinéma français aurait disparu depuis longtemps. Mais c’est surtout aux jeunes créateurs qu’il faut penser car, plus que d’autres, ils dépendent du droit d’auteur pour consolider leurs premiers pas.

Le présent projet de loi est équilibré, dans la mesure où il concilie les droits des créateurs et la liberté des utilisateurs du réseau internet. En ce sens, il est mieux adapté à l’ère numérique que la loi précédente.

Contrairement à la polémique qui fait rage, il ne s’agit pas d’un texte liberticide. Ce qui est liberticide, c’est de nier la création et le droit d’auteur qui doit la rémunérer. Il est faux et déraisonnable d’affirmer que l’accès à internet constitue une liberté fondamentale. Aucune jurisprudence française n’a dégagé un tel principe. Si tel devait être le cas, qu’en serait-il alors de l’accès au téléphone ? Quand vous ne payez pas vos factures de téléphone, on vous coupe bien la ligne… Cela dit, il ne me semble pas scandaleux que la suspension de l’abonnement soit prononcée par une autorité administrative indépendante, de surcroît composée de magistrats et de fonctionnaires chargés de fonctions juridictionnelles.

D’autres garanties doivent être soulignées. Les agents de la HADOPI, qui seront chargés du traitement des saisines, seront astreints au secret professionnel et devront respecter un code de déontologie. Les données qui leur seront transmises ne porteront pas sur les correspondances des internautes et seront effacées à l’issue de la période de suspension de l’abonnement. Les DRM seront supprimées : c’est tout de même un progrès considérable !

Par ailleurs, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, la possibilité de proposer une transaction à l’internaute passible d’une sanction me semble être une réponse intéressante, à mi-chemin entre pédagogie et sanction. Sur ce point, je pense même qu’il serait concevable que la HADOPI ait la possibilité de réduire le débit de la connexion internet afin d’empêcher les fraudeurs de récidiver.

Au cours de la discussion des articles, nous proposerons de consolider le mécanisme de la riposte graduée. D’autres garanties peuvent en effet être apportées, notamment en matière de respect de la vie privée.

Le projet de loi attire également une critique majeure en ce qu’il fait l’impasse sur le développement de l’offre légale. Ce point a déjà été souligné à plusieurs reprises mais je tiens à y revenir. Si le projet de loi pose la question de la démocratisation de l’accès à la culture, il fait en revanche l’impasse sur le développement de l’offre légale. Dans ce domaine, on ne constate aucun progrès, mais au contraire une grande lenteur, peut-être même un peu de mauvaise volonté de la part de certains. Il est pourtant urgent d’agir ! Nous nous devions, aujourd’hui, de le rappeler !

Je souhaite également insister sur la nécessité de créer une plate-forme publique gratuite destinée à promouvoir le travail d’artistes n’ayant pas accès aux plates-formes commerciales. À cet égard, madame la ministre, la loi DADVSI prévoyait l’élaboration d’un rapport qui ferait le point sur toutes ces questions. Nous l’attendons toujours ! C’est tout à fait regrettable !

On pourrait également imaginer quelques propositions « collatérales ». Je les livre très rapidement. Certaines dispositions devraient ainsi être adoptées afin de protéger les internautes contre certaines dérives. Je pense notamment aux systèmes de limitation d’accès pour les mineurs, que l’on devrait rendre obligatoires, mais aussi à la protection de nos concitoyens contre l’exploitation commerciale de leurs données personnelles.

Telles sont, pour l’essentiel, les observations que nous voulions faire au stade de la discussion générale. Vous l’aurez compris, nous aborderons ce projet de loi de façon positive, et avec la volonté de l’enrichir.

Pour conclure, laissez-moi vous livrer cette citation d’un auteur aujourd’hui oublié, Denis de Rougemont : « toute œuvre humaine, même la plus simple, exige et suppose un avenir ». Évidemment, il ne pensait pas à internet. Mais notre devoir, ce soir, c’est d’offrir un avenir aux œuvres de l’esprit !

Applaudissements sur l’ensemble des travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, sauver la création artistique et culturelle, dont la fragilisation nous est présentée comme le motif de ce projet de loi, c’est d’abord permettre l’expression et la reconnaissance des créateurs, notamment par la rémunération.

Sauver la création, c’est précisément ce qui nous motive, à l’inverse d’un Gouvernement qui a fragilisé le régime de l’intermittence, qui a annoncé l’assèchement des recettes de l’audiovisuel public avant même de mettre en débat l’ambition que celui-ci mérite, qui a supprimé la ligne « culture » de la politique de la ville et qui, aujourd’hui, boucle le budget du spectacle vivant en vendant le patrimoine.

Sauver la création, c’est réintroduire le créateur au centre du droits d’auteur, mais c’est aussi encourager le public dans son rôle de spectateur, d’auditeur, voire de participant aux contenus culturels et artistiques le plus diversifiés possible.

L’autorité administrative indépendante, l’HADOPI, qui est au cœur de ce texte, néglige beaucoup d’artistes et d’interprètes et n’envisage le public que comme un délinquant potentiel. C’est pourtant lui, le public, qui a été, depuis dix ans, harcelé de publicités par les fournisseurs vantant les flux rapides pour téléchargement, alors même que rien de légal n’existait.

C’est lui, le public jeune, que l’on représente le casque sur les oreilles, à qui les fournisseurs vantent « l’offre » de musique « gratuite » sans aucune précaution de fléchage de ce qui est légal ou non.

La HADOPI répond davantage aux puissants acteurs que sont les sociétés de perception ou les bénéficiaires de droit d’exploitation, tandis que rien n’est envisagé pour les conduire à mieux rémunérer les artistes.

Alors que le rapport Besson veut faire d’internet l’alpha et l’oméga du quotidien des citoyens, allant jusqu’à prévoir l’ordinateur familial comme outil pour les dépôts de plaintes, la sanction envisagée in fine est précisément la suspension de la connexion.

Le secrétaire d’État Éric Besson veut vraiment donner des arguments aux détracteurs de la loi, car il nous promet au plus vite « une deuxième phase de déploiement de l’administration électronique, avec une dématérialisation des échanges de bout en bout et l’unification des sites d’accès aux services publics ».

Où est la cohérence entre cette promotion d’une société où le seul lien est numérique et le mode de sanction envisagé ?

L’amendement des députés européens MM. Bono et Cohn-Bendit, que les ministres vont sans doute récuser, n’est pas hors sujet dans le « paquet télécom » : rappelons aux opérateurs que ce n’est pas le tuyau qui fait la règle !

Quand on transporte des contenus culturels et que l’on relie les individus entre eux, on ne peut ni s’abstraire de la propriété intellectuelle ni être l’instrument de la violation des libertés, dont le respect de la vie privée.

En revanche, les termes « atteintes aux besoins élémentaires » ou « liberticide » pour qualifier ce projet de loi doivent être réservés à des situations bien plus graves.

Il n’empêche, madame la ministre, que vous nous proposez un dispositif qui, une fois de plus, repose sur l’éviction du juge, répond aux injonctions de structures, s’appuyant sur des sortes de détectives privés numériques, s’appuie sur des procédures ne séparant pas la fonction d’instruction et la fonction de poursuite, qui a eu et aura une vocation régulatrice de mesures techniques, préventives, certificatrices, répressives, voire prescriptives. Bref, il s’agit d’un objet juridique non identifié.

Certes, il est hors de question de priver les créateurs de la ressource liée à la diffusion de leurs œuvres, mais nous devons tirer les leçons de la loi DADVSI. Truffée de complexités technologiques, enrayant les systèmes et privant le consommateur du droit à la copie privée, dont les DRM, alourdie de contradictions, lestée d’armes répressives hors du commun – 300 000 euros et trois ans de prison –, cette loi était promue par la majorité comme la solution parfaite et encensée par ceux qui ne jurent aujourd’hui que par ce nouveau projet de loi.

La loi a fait pschitt ! Les DRM ont vécu. Des majors qui nous traitaient d’irresponsables pour avoir osé réfléchir à la licence globale ont fait leur le principe forfaitaire, oubliant au passage la juste rémunération des acteurs et des interprètes. Et personne, évidemment, n’a réclamé une condamnation excessive.

Quant au seul apport positif de la loi DADVSI, à savoir une plateforme publique de téléchargement, celle-ci n’a pas été mise en œuvre. Cette loi n’a fait qu’ancrer dans la durée les pratiques de téléchargement qu’elle était censée réguler.

D’ailleurs, la majorité des jeunes et beaucoup d’adultes ne pensent même pas à un délit, et encore moins à la fragilisation des revenus des artistes qu’ils aiment. Ils envisagent encore moins qu’ils puissent remettre en cause l’existence durable de ces derniers.

Les ventes de CD et de DVD s’effondrent. Même les entrées en salles stagnent : la survie de ces dernières n’est due qu’au hasard d’un film suscitant l’engouement.

Les représentants des éditeurs, des producteurs, des diffuseurs, des réalisateurs et des artistes que nous avons rencontrés pointent tous le téléchargement. Ce dernier participe sans doute à l’érosion du marché. Mais est-on certain que ce qui ne serait pas téléchargé serait acheté ?

L’effondrement du pouvoir d’achat n’est, quant à lui, pas virtuel. Le budget des ménages n’est pas extensible ; il est d’abord mobilisé sur l’essentiel : le loyer, l’alimentation, les soins, les déplacements. Quant aux dépenses moins vitales, quel sort leur est réservé ?

La réussite absolue du marketing du téléphone portable tient au fait qu’on en a fait un objet de consommation considéré comme indispensable. Le racket que représente l’encouragement aux SMS alourdit la facture. Alors, avant de parler de manque de scrupules, il faut aussi évaluer le manque de moyens et le pouvoir d’achat des citoyens !

Il est vrai que ce n’est pas une raison pour que soient spoliés les artistes. Aussi allons-nous chercher dans ce texte, dans le respect des libertés, tout ce qui peut les aider.

Pour conclure, et en toute franchise, madame la ministre, pensez-vous réellement que ce texte permettra la promotion et la reconnaissance des créateurs et des artistes interprètes, afin qu’ils vivent de leurs œuvres, tout en préservant l’accès à la culture pour tous ? Quant à nous, les élus Verts, nous n’en sommes pas convaincus.

J’exprimerai un dernier regret. Si les créateurs ont besoin d’être rémunérés pour leur travail, la création a aussi besoin d’être financée. Or ce projet de loi n’apporte pas un centime de plus à la création, ce que nous regrettons.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Christine Albanel, ministre

Les propos qui ont été tenus font ressortir des points de divergence, mais aussi des points de convergence, ce qui me semble extrêmement important et réconfortant.

Sur le fond, l’ensemble des intervenants ont montré combien ils étaient attachés aux droits d’auteur, fidèles en cela à notre grande tradition française vieille de plusieurs siècles et au nom de laquelle nous reconnaissons l’acte de création et les créateurs. Cette nécessité, qui dépasse de loin les clivages partisans, a été fortement réaffirmée ce soir.

Des diagnostics communs ont été établis sur la situation actuelle. Quoique très alarmistes, les descriptions qui en ont été faites, tout en étant subtiles, sont en même temps très proches de la réalité. Il a bien été montré que ce ne sont pas seulement les majors qui se plaignent et qui essaient d’instrumentaliser artistes et créateurs : des filières entières sont aujourd’hui directement touchées, parmi lesquelles énormément de PME.

Les Arènes européennes de l’indépendance, qui se sont tenues la semaine dernière sous l’égide de mon ministère, réunissaient des PME de tous les secteurs ; les unes et les autres ont manifesté une très grande inquiétude. Il est important de rappeler que, à côté des grands acteurs du secteur, il existe une multitude de petites, voire de très petites structures ; ce sont elles qui sont directement touchées, alors même qu’elles prennent souvent les risques les plus importants et qu’elles réalisent un travail d’innovation irremplaçable.

Il a également été rappelé l’exigence d’équilibre qui s’attache à ce projet de loi. Ma démarche se veut à la fois pédagogique, comme l’ont souligné avec beaucoup de finesse différents intervenants, et porteuse de message : la réponse graduée vaut mieux que la riposte ; la réponse doit être mesurée, adaptée aux actes commis et dissuasive. Telle est bien l’idée ! Nul n’a envie que le processus aille à son terme, à savoir la suspension de l’abonnement ; il est préférable de s’en tenir aux recommandations, voire à la lettre personnalisée, qui ne fait pas grief en elle-même.

Là où ce mécanisme a été expérimenté, il a donné d’excellents résultats. Il n’y a aucune raison qu’il en aille différemment en France. Beaucoup d’internautes n’ont pas clairement conscience de mal agir en procédant à des téléchargements illégaux massifs, parfois sans savoir précisément ce qu’ils veulent voir ou entendre. Aussi, la seule réception d’un message peut les amener à changer de comportement.

La responsabilisation de l’abonné n’est en rien une démarche incongrue. Bien sûr, les parents dont les enfants téléchargeraient pourraient être touchés. Mais il n’y a là rien d’exceptionnel. Par exemple, aux termes du code de la route, le titulaire de la carte grise peut être amené à devoir payer des amendes. Ce principe de responsabilisation, tout à fait pertinent, sous-tend le présent projet de loi.

L’ensemble sera porté par une autorité composée de juges et qui offrira toutes les garanties de confidentialité ; elle fonctionnera comme une boîte noire faisant écran entre les ayants droit et les pirates. Ce point est crucial et répond à de nombreuses objections qui ont été soulevées.

La notion d’équilibre est importante, car l’attente en matière d’offre légale est forte ; cela a été dit par tout le monde. La commission des affaires culturelles a eu pour préoccupation de créer les conditions d’un plus grand développement de l’offre légale.

Il est assez logique que le projet de loi prévoie la création d’une autorité indépendante, parce que c’est un processus que nous maîtrisons. L’offre légale, quant à elle, relève de mécanismes de marché et de processus industriels. Nous ne pouvons enjoindre par voie législative à tous les industriels de la musique et du cinéma d’utiliser des modes particuliers de production et de diffusion. En revanche, nous pouvons essayer de créer les conditions les meilleures pour les y inciter.

Durant la phase de négociations et de préparation du projet de loi, le nombre de plateformes de vidéos à la demande a doublé en l’espace d’un an, passant de 20 à 43. Voilà moins d’un an, on comptait 1 000 films disponibles ; on en compte aujourd’hui 3 200. Bien sûr, ces chiffres sont encore faibles, mais ils progressent fortement.

Parallèlement, l’offre musicale s’est elle aussi considérablement accrue. Les tarifs sont plus attractifs. Ainsi, le prix d’un morceau de musique en téléchargement est passé de 85 à 73 centimes. Actuellement, la location d’un film coûte de 1 à 5 euros et il existe de très intéressantes formules d’abonnement, au forfait, qui préservent les droits des auteurs, puisque ces derniers sont rémunérés au prorata du nombre de téléchargements. La licence globale ne permettait pas une telle rémunération.

Les choses vont très vite, puisque Universal a fait aujourd’hui une importante annonce s’agissant des DRM. Alors que nous avions prévu que les industries puissent bénéficier d’un délai d’adaptation pour leur permettre de faire progresser l’offre légale à compter de l’entrée en vigueur de la loi, les événements s’accélèrent avec la suppression des DRM. Or, comme l’a notamment rappelé Mme Morin-Dessailly, l’interopérabilité est essentielle si l’on veut que se développe l’offre légale. C’est ce qui est en train de se produire. Il n’est pas imaginable qu’une grande maison de disques supprime les DRM sans qu’elle soit suivie dans sa démarche. Cela ira sans doute assez vite.

Il faut accélérer le calendrier : tel est le sens du travail effectué par la commission des affaires culturelles. Néanmoins, je rappelle que nous sommes dans le cadre d’accords interprofessionnels.

Certains orateurs ont évoqué les exemples étrangers, notamment les cas du Canada et des États-Unis. De fait, il est très intéressant de voir ce qui se passe ailleurs.

L’amendement Bono a été évoqué ; j’ai été très sensible aux analyses qu’en ont faites les membres du groupe socialiste. Je pense que cet amendement n’a pas de portée juridique. C’est d’ailleurs l’avis de la Commission européenne, qui, par la voix de son porte-parole, a dit qu’il s’agissait d’un simple rappel, d’un principe général ne faisant nullement obstacle à la possibilité pour chaque État de se doter des meilleurs moyens possibles de lutter contre le téléchargement.

Cela étant, cet amendement crée un effet de brouillage et ouvre une possibilité de manipulation. Dans un souci de clarté, nous souhaitons donc qu’il soit retiré. Nous avons de bonnes raisons de croire qu’il le sera.

La distinction, par de nombreux intervenants, de la notion de liberté et du droit est cruciale. S’il est enrichissant et commode, voire nécessaire, d’avoir accès à internet, on peut discuter du fait qu’il s’agisse d’une liberté fondamentale, comme Mme Tasca l’a très finement souligné. En tout cas, ce serait une liberté bornée par d’autres libertés, un droit devant s’articuler avec d’autres droits.

Je le rappelle, le projet de loi vise à suspendre l’accès à internet chez soi, ce qui n’interdit nullement d’aller chez son voisin ou dans n’importe quel cybercafé pour procéder à des formalités ou aux obligations de la vie courante. Ce n’est pas comme si l’on vous privait de votre permis de conduire, auquel cas vous ne pourriez plus conduire votre voiture ni aucune autre. Ne mettons donc pas sur le même plan une liberté comme celle d’aller et venir et la liberté de naviguer sur le net.

Une autre préoccupation est également partagée par tous : l’importance de l’éducation. La démarche pédagogique doit en effet être relayée. Cette idée figurait dans la loi DADVSI, mais il faut aller plus loin en complétant le code de l’éducation voire le programme du brevet informatique et internet. C’est tout à fait dans l’esprit du texte, qui vise à créer très tôt une prise de conscience.

Ce sujet a évidemment donné lieu à des interprétations différentes. Ainsi, M. Retailleau préconise d’infliger des amendes. Je continue à penser que cette mesure créerait une inégalité et serait mal perçue par les internautes. En fait, on reviendrait aux sanctions prévues par la loi DADVSI, …

Debut de section - Permalien
Christine Albanel, ministre

… qui prévoyait une peine de prison et des amendes.

Les amendes ne seraient certainement pas très élevées, puisque vous avez précisé qu’elles seraient graduées, monsieur le rapporteur pour avis, mais une sanction pécuniaire n’est pas de même nature qu’une interruption de l’accès à internet.

Debut de section - Permalien
Christine Albanel, ministre

Oui, mais il y aurait forcément des inégalités selon l’état de fortune de chacun.

En ce qui concerne les offres triple play, la possibilité de couper simplement l’accès à internet avait été actée par l’ensemble des participants dans les accords de l’Élysée. Ces derniers jours, nous avons repris contact avec les fournisseurs d’accès, qui nous ont bien confirmé que les cas où le découplage est impossible sont extrêmement rares. Lorsque l’opération s’avère irréalisable, reste la possibilité à la Haute autorité de prononcer d’autres injonctions, comme celle de se doter d’un pare-feu ou de logiciels empêchant le piratage.

Pour toutes ces raisons, je continue à être réservée sur le fait d’infliger des amendes, même si cette proposition vient enrichir un débat dont l’objet est de mieux lutter contre le piratage et de défendre les auteurs par les voies les plus efficaces.

Je le répète, il n’est pas prévu de créer un fichage généralisé des réseaux. Les accords de l’Élysée prévoient, quand cela est possible, le marquage des œuvres, ce qui mettrait fin à de nombreuses difficultés.

Debut de section - Permalien
Christine Albanel, ministre

Pour l’instant, cette technique n’est pas maîtrisée et elle aurait évidemment un coût pour les producteurs. En tout cas, c’est cette idée qui est au cœur du projet de loi, et certainement pas le fichage généralisé des réseaux.

M. Retailleau a fait une brillante description de l’accélération fantastique des techniques que nous sommes tous en train de vivre. C’est vrai que celles-ci nous dépassent sans cesse et que nous risquons toujours d’avoir un métro de retard. Pour autant, le projet de loi est suffisamment souple pour pouvoir s’adapter. À l’évidence, son objet est non pas d’éradiquer le piratage, mais de le faire diminuer massivement en créant une prise de conscience et en favorisant une offre alternative légale. Avec une diminution du piratage de 60 % à 70 %, par exemple, la situation deviendrait radicalement différente pour les industries culturelles et pour les créateurs.

Ce texte ne porte pas à lui seul toute une politique culturelle. Cela étant, en dépit des dangers du téléchargement illégal, on peut ne pas être trop mécontent de nos résultats : le cinéma ne se porte pas trop mal ; il suffit de voir la moisson de récompenses que nous avons glanées cette année.

N’oublions pas non plus que nous avons un système de soutien financier pour les œuvres cinématographiques et les œuvres audiovisuelles unique en Europe et même dans le monde. Notre offre culturelle est donc considérable.

L’ambition française pour la culture est telle que l’Europe regarde avec beaucoup d’attention ce que nous allons faire concernant le téléchargement illégal, d’autant qu’il existe d’autres expériences ailleurs. Dans une lettre très récente, Viviane Reding qualifiait même de tentatives de bonnes pratiques l’expérience anglaise, qui se déroule hors intervention étatique, et l’expérience française.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis que la défense des créateurs soit une ambition à ce point partagée par la Haute Assemblée.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

La discussion générale est close.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

J’ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif à la gestion concertée des flux migratoires entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal et de son avenant.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 68, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J’ai reçu de M. le Premier ministre un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire, du protocole relatif à la gestion concertée des migrations et du protocole en matière de développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne.

Le projet de loi sera imprimé sous le n° 69, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

J’ai reçu de M. Jean-Claude Étienne une proposition de loi relative à la création d’une première année commune aux études de santé et facilitant la réorientation des étudiants.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 64, distribuée et renvoyée à la commission des affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

J’ai reçu de M. Alain Fouché une proposition de loi relative à l’aide active à mourir.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 65, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de virement de crédits n° DEC 31/2008 - Section III –Commission - Budget général - Exercice 2008 (NCE).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-4051 et distribué.

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de virement de crédits n° DEC 30/2008 – Section III – Commission – Budget général – Exercice 2008 (DNO).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-4052 et distribué.

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de virement de crédits n° DEC 32/2008 – Section III – Commission – Budget général - Exercice 2008 (DNO).

Ce texte sera imprimé sous le n° E-4053 et distribué.

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Projet de directive de la Commission modifiant la directive 2006/87/CE du Parlement européen et du Conseil établissant les prescriptions techniques des bateaux de la navigation intérieure.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-4054 et distribué.

J’ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de décision du Conseil autorisant la mise sur le marché de produits contenant du soja génétiquement modifié MON89788 (MON-89788-1), consistant en ce soja ou produits à partir de celui-ci, en application du règlement (CE) n° 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-4055 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

J’ai reçu de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la proposition de loi tendant à allonger le délai de prescription de l’action publique pour les diffamations, injures ou provocations commises par l’intermédiaire d’Internet (423, 2007 2008).

Le rapport sera imprimé sous le n° 60 et distribué.

J’ai reçu de M. Laurent Béteille un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la proposition de loi visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (n° 39, 2008-2009).

Le rapport sera imprimé sous le n° 61 et distribué.

J’ai reçu de M. Jean-Jacques Hyest un rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations (54, 2008 2009).

Le rapport sera imprimé sous le n° 62 et distribué.

J’ai reçu de M. Jean Faure un rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale (499, 2007-2008).

Le rapport sera imprimé sous le n° 66 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

J’ai reçu de M. Jean-Patrick Courtois un avis présenté au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi portant dispositions relatives à la gendarmerie nationale (499, 2007 2008).

L’avis sera imprimé sous le n° 67 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

J’ai reçu de M. Roland du Luart un rapport d’information fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur la gestion de l’aide juridictionnelle par les caisses autonomes de règlements pécuniaires des avocats (CARPA).

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 63 et distribué.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Frimat

Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, jeudi 30 octobre 2008 :

À dix heures :

1. Suite de la discussion du projet de loi (405, 2007-2008) favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet (Urgence déclarée) ;

Rapport (53, 2008-2009) de M. Michel Thiollière, fait au nom de la commission des affaires culturelles.

Avis (59, 2008-2009) de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques.

À quinze heures et le soir :

2. Questions d’actualité au Gouvernement.

Délai limite d’inscription des auteurs de questions : jeudi 30 octobre 2008, à onze heures.

3. Suite de l’ordre du jour du matin.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

La séance est levée le jeudi 30 octobre 2008, à zéro heure cinquante-cinq.