Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, deux années après la loi DADVSI, le Parlement est de nouveau saisi du problème du piratage de masse des œuvres, notamment musicales et cinématographiques.
Au-delà du témoignage qu’il apporte de l’échec de la loi DADVSI, le projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet offre l’occasion de redéfinir les mécanismes de lutte contre le piratage et d’actualiser notre réflexion sur la rémunération des artistes, l’accès pour tous à la culture, le soutien à la création, autant d’objectifs qui doivent être ceux d’une politique culturelle ambitieuse dans un contexte de révolution des techniques et des comportements. Le défi n’est pas mince, et je ne suis pas certaine qu’il soit pleinement relevé.
Pourtant l’urgence est là. Je n’évoque pas par ces mots la procédure d’urgence qui a été déclarée une fois de plus par le Gouvernement, mais l’urgence face à la détérioration massive de l’économie de la culture.
On évalue, pour l’année 2006, à un milliard le nombre de fichiers d’œuvres musicales échangés illégalement en France, avec des conséquences dramatiques pour le secteur du disque, dont le marché a baissé de 22 % en 2006 et encore de plus de 20 % sur les neuf premiers mois de l’année 2007.
La loi DADVSI avait été la source d’affrontements caricaturaux entre les partisans du « tout-gratuit », aspiration illusoire, et les tenants d’une répression à grande échelle, sourds aux pratiques nouvelles qu’offre la révolution numérique.
Le moment est peut-être venu, avec ce nouveau projet de loi, de mettre enfin un terme, au moins pour un temps, à ce combat, qui ne sert pas plus la création que les utilisateurs, comme l’illustre l’inefficacité de la loi DADVSI. Or force est de constater que cette opposition perdure aujourd’hui, et la responsabilité du Gouvernement dans ce domaine est réelle.
Nous attendons trois choses de cette loi.
Tout d’abord, la réaffirmation du principe et du respect du droit d’auteur. Malmené par le piratage massif qui s’opère sur internet, ce droit est fragilisé dans le débat public, la montée des nouveaux usages « on line » revenant à nier le lien entre l’œuvre et son créateur. Il est donc nécessaire et urgent de rappeler la raison d’être du droit d’auteur, la nécessité d’en assurer le respect et de contrer les manquements.
L’occasion est donnée, avec ce projet de loi, de réaffirmer que le droit d’auteur est à la fois un droit matériel à une juste rémunération et un droit moral à disposer personnellement de ses œuvres. Il est la condition sine qua non de l’émergence et de la vitalité de la création. Remettre en cause le droit d’auteur, c’est risquer de tarir la source de la création. C’est parce qu’il est assuré de pouvoir plus ou moins bien vivre de son œuvre que l’artiste peut trouver sa juste place dans notre société. Enfin, le droit d’auteur est aussi, face à la puissance de certains producteurs, un rempart contre la marchandisation de la culture.
Il ne fait aucun doute que l’abandon du droit d’auteur, la rupture avec ce qui constitue tout à la fois une conquête sociale, culturelle et politique, signerait l’arrêt de mort de la création.
Ce serait d’abord sacrifier tout un tissu d’entreprises culturelles – ce qui aurait de graves répercussions sur l’emploi –, mais aussi renoncer à une ambition ancienne et toujours réaffirmée, par la gauche notamment, de soutien à la création originale. Les premiers à subir les conséquences d’une rupture avec la logique du droit d’auteur seraient les petites entreprises culturelles, les créateurs et les producteurs indépendants.
Le projet de loi réaffirme le principe de ce droit et la nécessité de son respect. C’est une bonne chose, pour nous, socialistes, qui sommes profondément attachés à la création, à sa vitalité, à sa diversité, ainsi qu’à ceux qui la font vivre.
Ensuite, la révolution des techniques et des comportements, avec le numérique, ne peut servir de prétexte à la remise en cause du droit d’auteur, sans offrir d’issue alternative.
À cette occasion, nous devons évoquer le débat sur les libertés et droits fondamentaux. Dans la situation actuelle, qui se caractérise par un piratage de masse, seule la liberté des créateurs de disposer de leur œuvre et d’en tirer une juste rémunération est véritablement menacée.
Invoquer un droit fondamental d’accès à internet, alors qu’il s’agit moins d’un droit que d’une facilité, celle de télécharger sans contrainte, ne me paraît pas légitime. Dans notre société, tous les droits sont assortis d’obligations légales ou réglementaires. L’égalité d’accès à la culture n’a d’avenir que si elle s’accompagne d’un certain nombre de règles s’imposant à tous, producteurs comme utilisateurs. Notre vision des libertés s’inscrit dans le respect d’un état de droit.
À l’évidence, les pratiques sur internet évoluent aujourd’hui plus vite que le cadre juridique. Raison de plus pour ne pas autoriser un usage illégal, dont le premier résultat serait d’éliminer des pans entiers de la création !
Sans nier le caractère perfectible de ce projet de loi, la mécanique dite de riposte graduée qu’il introduit nous semble, par sa logique pédagogique et de dissuasion, présente le mérite de ne pas ouvrir les vannes de façon irresponsable et irréparable.
Enfin, nous sommes conscients que nous légiférons à un moment qui appelle des mesures d’urgence. Pour autant, cette volonté de préserver le droit d’auteur par un mécanisme de dissuasion ne doit pas être prétexte à un statu quo qui reviendrait à nier les aspirations culturelles des internautes. C’est sur ce point que le projet de loi nous semble déséquilibré.
Madame la ministre, lors de votre audition par la commission des affaires culturelles du Sénat, vous déclariez que « la montée en puissance de l’offre ne se poursuivra qu’à condition que la lutte contre le piratage porte ses fruits ». De même, les accords Olivennes affirmaient la nécessité d’avancer dans un même mouvement sur la lutte contre le piratage et sur la montée en puissance de l’offre légale.
Or, le texte que vous proposez semble conditionner l’offre légale à la lutte contre le piratage. Vous participez ainsi à entretenir un sentiment de défiance chez les internautes. C’est la raison pour laquelle la responsabilité du Gouvernement est réelle dans l’opposition qui persiste entre internautes et créateurs. Nous ne voulons pas de cette guerre-là !
Pour opérer la conciliation chère aux accords « Olivennes », il nous paraît indispensable de travailler à ce que le droit d’auteur conquière de nouveaux territoires et prenne le tournant de la révolution numérique, tout en tenant compte des aspirations des internautes.
La situation vous crée, madame la ministre, au moins trois obligations.
En premier lieu, il faut favoriser l’émergence et le développement de nouveaux services en ligne sur internet. Je pense par exemple aux services comme le Deezer ou le magnétoscope en ligne, pour lesquels nous présenterons un amendement, et qui peuvent constituer tout à la fois des offres adaptées, faciles d’accès et bon marché pour les internautes, ainsi que de nouvelles sources de financement de la création.
En deuxième lieu, il faut revoir rapidement la chronologie des médias – nous présenterons un amendement en ce sens – pour réduire la durée des fenêtres, l’étude des nouvelles pratiques révélant que la rapidité de la disponibilité de l’œuvre vient s’ajouter à la gratuité comme mobile du téléchargement.
En troisième lieu, enfin, il faut développer un véritable espace numérique public dense, riche et accessible, dans l’esprit d’un service public, à l’image de ce que sont aujourd’hui, par exemple pour la lecture, les médiathèques publiques. Nous avions évoqué cela lors de l’examen du texte qui est devenu la loi DADVSI. Où en est-on ?
Sur toutes ces questions, nous attendons de votre part, madame la ministre, des signes clairs et forts témoignant de votre volonté d’encourager et d’accompagner cette évolution de l’internet dans le respect du droit d’auteur, au bénéfice de la culture et de ceux qui y aspirent.
Vous l’aurez compris, les sénateurs socialistes souhaitent soutenir ce texte. Ils seront donc particulièrement attentifs à vos propos.