Intervention de Christine Albanel

Réunion du 29 octobre 2008 à 22h00
Diffusion et protection de la création sur internet — Discussion générale

Christine Albanel, ministre :

Les propos qui ont été tenus font ressortir des points de divergence, mais aussi des points de convergence, ce qui me semble extrêmement important et réconfortant.

Sur le fond, l’ensemble des intervenants ont montré combien ils étaient attachés aux droits d’auteur, fidèles en cela à notre grande tradition française vieille de plusieurs siècles et au nom de laquelle nous reconnaissons l’acte de création et les créateurs. Cette nécessité, qui dépasse de loin les clivages partisans, a été fortement réaffirmée ce soir.

Des diagnostics communs ont été établis sur la situation actuelle. Quoique très alarmistes, les descriptions qui en ont été faites, tout en étant subtiles, sont en même temps très proches de la réalité. Il a bien été montré que ce ne sont pas seulement les majors qui se plaignent et qui essaient d’instrumentaliser artistes et créateurs : des filières entières sont aujourd’hui directement touchées, parmi lesquelles énormément de PME.

Les Arènes européennes de l’indépendance, qui se sont tenues la semaine dernière sous l’égide de mon ministère, réunissaient des PME de tous les secteurs ; les unes et les autres ont manifesté une très grande inquiétude. Il est important de rappeler que, à côté des grands acteurs du secteur, il existe une multitude de petites, voire de très petites structures ; ce sont elles qui sont directement touchées, alors même qu’elles prennent souvent les risques les plus importants et qu’elles réalisent un travail d’innovation irremplaçable.

Il a également été rappelé l’exigence d’équilibre qui s’attache à ce projet de loi. Ma démarche se veut à la fois pédagogique, comme l’ont souligné avec beaucoup de finesse différents intervenants, et porteuse de message : la réponse graduée vaut mieux que la riposte ; la réponse doit être mesurée, adaptée aux actes commis et dissuasive. Telle est bien l’idée ! Nul n’a envie que le processus aille à son terme, à savoir la suspension de l’abonnement ; il est préférable de s’en tenir aux recommandations, voire à la lettre personnalisée, qui ne fait pas grief en elle-même.

Là où ce mécanisme a été expérimenté, il a donné d’excellents résultats. Il n’y a aucune raison qu’il en aille différemment en France. Beaucoup d’internautes n’ont pas clairement conscience de mal agir en procédant à des téléchargements illégaux massifs, parfois sans savoir précisément ce qu’ils veulent voir ou entendre. Aussi, la seule réception d’un message peut les amener à changer de comportement.

La responsabilisation de l’abonné n’est en rien une démarche incongrue. Bien sûr, les parents dont les enfants téléchargeraient pourraient être touchés. Mais il n’y a là rien d’exceptionnel. Par exemple, aux termes du code de la route, le titulaire de la carte grise peut être amené à devoir payer des amendes. Ce principe de responsabilisation, tout à fait pertinent, sous-tend le présent projet de loi.

L’ensemble sera porté par une autorité composée de juges et qui offrira toutes les garanties de confidentialité ; elle fonctionnera comme une boîte noire faisant écran entre les ayants droit et les pirates. Ce point est crucial et répond à de nombreuses objections qui ont été soulevées.

La notion d’équilibre est importante, car l’attente en matière d’offre légale est forte ; cela a été dit par tout le monde. La commission des affaires culturelles a eu pour préoccupation de créer les conditions d’un plus grand développement de l’offre légale.

Il est assez logique que le projet de loi prévoie la création d’une autorité indépendante, parce que c’est un processus que nous maîtrisons. L’offre légale, quant à elle, relève de mécanismes de marché et de processus industriels. Nous ne pouvons enjoindre par voie législative à tous les industriels de la musique et du cinéma d’utiliser des modes particuliers de production et de diffusion. En revanche, nous pouvons essayer de créer les conditions les meilleures pour les y inciter.

Durant la phase de négociations et de préparation du projet de loi, le nombre de plateformes de vidéos à la demande a doublé en l’espace d’un an, passant de 20 à 43. Voilà moins d’un an, on comptait 1 000 films disponibles ; on en compte aujourd’hui 3 200. Bien sûr, ces chiffres sont encore faibles, mais ils progressent fortement.

Parallèlement, l’offre musicale s’est elle aussi considérablement accrue. Les tarifs sont plus attractifs. Ainsi, le prix d’un morceau de musique en téléchargement est passé de 85 à 73 centimes. Actuellement, la location d’un film coûte de 1 à 5 euros et il existe de très intéressantes formules d’abonnement, au forfait, qui préservent les droits des auteurs, puisque ces derniers sont rémunérés au prorata du nombre de téléchargements. La licence globale ne permettait pas une telle rémunération.

Les choses vont très vite, puisque Universal a fait aujourd’hui une importante annonce s’agissant des DRM. Alors que nous avions prévu que les industries puissent bénéficier d’un délai d’adaptation pour leur permettre de faire progresser l’offre légale à compter de l’entrée en vigueur de la loi, les événements s’accélèrent avec la suppression des DRM. Or, comme l’a notamment rappelé Mme Morin-Dessailly, l’interopérabilité est essentielle si l’on veut que se développe l’offre légale. C’est ce qui est en train de se produire. Il n’est pas imaginable qu’une grande maison de disques supprime les DRM sans qu’elle soit suivie dans sa démarche. Cela ira sans doute assez vite.

Il faut accélérer le calendrier : tel est le sens du travail effectué par la commission des affaires culturelles. Néanmoins, je rappelle que nous sommes dans le cadre d’accords interprofessionnels.

Certains orateurs ont évoqué les exemples étrangers, notamment les cas du Canada et des États-Unis. De fait, il est très intéressant de voir ce qui se passe ailleurs.

L’amendement Bono a été évoqué ; j’ai été très sensible aux analyses qu’en ont faites les membres du groupe socialiste. Je pense que cet amendement n’a pas de portée juridique. C’est d’ailleurs l’avis de la Commission européenne, qui, par la voix de son porte-parole, a dit qu’il s’agissait d’un simple rappel, d’un principe général ne faisant nullement obstacle à la possibilité pour chaque État de se doter des meilleurs moyens possibles de lutter contre le téléchargement.

Cela étant, cet amendement crée un effet de brouillage et ouvre une possibilité de manipulation. Dans un souci de clarté, nous souhaitons donc qu’il soit retiré. Nous avons de bonnes raisons de croire qu’il le sera.

La distinction, par de nombreux intervenants, de la notion de liberté et du droit est cruciale. S’il est enrichissant et commode, voire nécessaire, d’avoir accès à internet, on peut discuter du fait qu’il s’agisse d’une liberté fondamentale, comme Mme Tasca l’a très finement souligné. En tout cas, ce serait une liberté bornée par d’autres libertés, un droit devant s’articuler avec d’autres droits.

Je le rappelle, le projet de loi vise à suspendre l’accès à internet chez soi, ce qui n’interdit nullement d’aller chez son voisin ou dans n’importe quel cybercafé pour procéder à des formalités ou aux obligations de la vie courante. Ce n’est pas comme si l’on vous privait de votre permis de conduire, auquel cas vous ne pourriez plus conduire votre voiture ni aucune autre. Ne mettons donc pas sur le même plan une liberté comme celle d’aller et venir et la liberté de naviguer sur le net.

Une autre préoccupation est également partagée par tous : l’importance de l’éducation. La démarche pédagogique doit en effet être relayée. Cette idée figurait dans la loi DADVSI, mais il faut aller plus loin en complétant le code de l’éducation voire le programme du brevet informatique et internet. C’est tout à fait dans l’esprit du texte, qui vise à créer très tôt une prise de conscience.

Ce sujet a évidemment donné lieu à des interprétations différentes. Ainsi, M. Retailleau préconise d’infliger des amendes. Je continue à penser que cette mesure créerait une inégalité et serait mal perçue par les internautes. En fait, on reviendrait aux sanctions prévues par la loi DADVSI, …

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