Intervention de Pierre Martin

Réunion du 15 avril 2008 à 10h00
Questions orales — Règles d'urbanisme applicables à proximité des bâtiments d'élevage

Photo de Pierre MartinPierre Martin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi d’orientation pour l’agriculture du 9 juillet 1999 a introduit dans le code rural un article L. 111-3, selon lequel, en vertu du principe de réciprocité, les restrictions pesant sur l’implantation des constructions à usage agricole à proximité des immeubles d’habitation pèsent à l’inverse lors de l’implantation d’immeubles d’habitation à proximité de constructions à usage agricole.

Il s’agissait de résoudre les conflits de voisinage engendrés par la proximité des activités agricoles et des locaux d’habitation de tiers. Or, aujourd’hui, il s’avère que cet article L. 111-3 du code rural, qui impose la règle de la distance des 100 mètres, soulève des problèmes dans bon nombre de petites communes rurales.

En vertu de cet article, un bâtiment d’élevage situé à moins de 100 mètres d’une habitation possédée par un tiers ne peut ni s’étendre ni être mis aux normes. De même, un particulier ne peut obtenir un permis de construire si la maison ou le terrain à bâtir se trouve à moins de 100 mètres d’un bâtiment d’élevage.

Permettez-moi de vous faire observer, monsieur le ministre, que ces dispositions se révèlent particulièrement néfastes au développement des communes rurales et des exploitations agricoles et n’encouragent pas l’installation de jeunes agriculteurs et la mise aux normes des bâtiments d’élevage.

Mon département, la Somme, ne compte pas moins de 782 communes. Cela signifie que les petites communes, rurales en particulier, y sont nombreuses.

La règle de la distance des 100 mètres crée de plus en plus de situations de conflits entre ceux qui veulent construire ou s’agrandir et les autres. Dès lors, une question se pose : sera-t-il encore possible de construire au cœur des villages si y demeurent encore trois ou quatre agriculteurs ?

La seule solution, monsieur le ministre, pour débloquer les nombreuses situations conflictuelles existantes, et à terme explosives – le mot n’est pas trop fort – n’est-elle pas la servitude, sous forme d’un acte notarié supposant l’accord des deux parties, afin que tout le monde puisse vivre en bonne cohabitation ?

Mon collègue de l’Assemblée nationale Marc Le Fur, représentant le département des Côtes-d’Armor, rencontre les mêmes problèmes dans bon nombre de ses communes rurales. Il a donc proposé cette solution, en sa qualité de rapporteur pour avis de la commission des finances, lors de l’examen de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006.

Son amendement a d’ailleurs été adopté, lors de la première lecture du texte, par nos collègues députés, qui avaient déjà été sensibilisés à ce problème dans leurs communes. Il prévoyait d’accorder la possibilité de déroger, sous certaines conditions, à cette règle d’urbanisme en milieu rural, sous réserve bien entendu de l’accord des parties concernées, par la création d’une servitude grevant les immeubles concernés par la dérogation.

L’Assemblée nationale a donc souhaité remettre en discussion le compromis adopté par le Parlement lors de l’examen de la loi relative au développement des territoires ruraux, en prévoyant la possibilité pour les parties de déroger par contrat aux dispositions de l’article L. 111-3 du code rural.

Cependant, cette proposition a soulevé des interrogations et cette solution n’a pas été finalement retenue dans le texte définitif de la loi d’orientation agricole, ce qui est particulièrement dommageable.

Pour tenir compte des spécificités locales et éviter de figer les territoires, la loi a pourtant prévu que des dérogations puissent être accordées. Ce dispositif ne vise cependant que les constructions nouvelles à l’exception des travaux conduisant à changer la destination d’anciens bâtiments agricoles en vue de leur transformation en habitation.

Les changements de destination réalisés dans le périmètre d’éloignement d’une exploitation agricole et destinés à accueillir des tiers représentent ainsi autant de situations conflictuelles.

Concrètement, comment cela se passe-t-il, monsieur le ministre ? D’abord, le dossier est instruit par les services de la direction départementale de l’équipement. La chambre d’agriculture donne son avis en rappelant généralement la règle de la distance de 100 mètres. Puis on dit que, pour une surface paillée, la distance peut n’être que de 50 mètres et que le préfet peut accorder une dérogation. Soit ! Mais il n’est jamais statué sur ces possibilités, d’où les conflits qui en résultent.

La pénurie de logements accessibles dans certains secteurs engendre un accroissement de la demande d’acquisitions de terrains et de bâtiments agricoles.

Par ailleurs, la loi du 2 juillet 2003 relative à l’urbanisme et à l’habitat, en permettant sous certaines conditions d’opérer le changement de destination de certains bâtiments situés dans les zones agricoles prévus par les plans locaux d’urbanisme, va sans doute, à l’avenir, aggraver ce phénomène. Une dérogation s’avère donc là aussi nécessaire, si les parties ont conclu un accord.

Dans la réalité, une personne obtient un certificat d’urbanisme, puis un permis de construire pour un terrain situé à 50 mètres d’une exploitation. Si la construction n’a pu être réalisée dans les temps, la règle de la distance de 100 mètres s’applique. En d’autres termes, la personne qui a acheté un terrain constructible ne peut plus construire, ce qui aboutit à un conflit !

Dès lors, monsieur le ministre, j’en appelle à vous non seulement pour débloquer une situation complètement figée et hautement préjudiciable pour bon nombre de communes rurales de mon département, qui ne peuvent plus construire, mais aussi pour permettre aux jeunes agriculteurs d’agrandir leur exploitation, ne serait-ce que pour mettre aux normes leurs bâtiments d’élevage, ce qui leur est imposé par la politique agricole commune, PAC.

La politique du Gouvernement tend à inciter les jeunes agriculteurs à s’installer : de nombreuses dispositions qui figurent dans la loi d’orientation agricole, ainsi que dans les récentes lois de finances, vont dans ce sens. Elle vise aussi à éviter la désertification des campagnes grâce au développement des territoires ruraux.

Quant à la PAC, elle oblige les agriculteurs à mettre aux normes leurs bâtiments d’élevage. Or tout est bloqué par cette règle de la distance des 100 mètres. Les nuisances peuvent être visuelles, olfactives ou autres, mais, franchement, sur le terrain, on a du mal à faire la différence entre les distances de 50 mètres et de 100 mètres !

Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, l’article L.111-3 du code rural a créé plus de conflits de voisinage qu’il n’en a résolus. Une règle trop stricte ne peut être valable pour tous, et chaque conflit doit être réglé au cas par cas dans les villages. Il doit y avoir possibilité de dérogations dans certains cas.

Cette situation ne peut plus durer, monsieur le ministre, et il faut aujourd’hui accepter de prendre ce problème à bras-le-corps. Êtes-vous prêt à revoir cette question, pour la survie de nos petits villages, le maintien des agriculteurs dans nos campagnes et l’installation des jeunes ?

Vivre à la campagne, ce n’est pas vivre en ville, bien entendu. Le lien social, le dialogue sont nécessaires dans nos petits villages, faute de quoi l’incompréhension et la suspicion règnent, d’où les procès que l’on connaît tant en Bretagne que dans la Somme.

Cela ne facilite évidemment pas le bien-vivre, alors qu’une servitude par acte notarié permettrait de résoudre ce problème non seulement pour le présent, mais également pour l’avenir.

En outre, ne pourrait-on pas imaginer que cette servitude figure dans le code de l’urbanisme et non dans le code rural ?

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