Intervention de François Zocchetto

Réunion du 15 avril 2008 à 16h00
Droits pour les victimes — Adoption d'une proposition de loi

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, voilà trois ans, dans le cadre de la mission d’information qu’elle avait confiée à notre collègue Laurent Béteille et à moi-même sur les procédures rapides de traitement des affaires pénales, la commission des lois du Sénat avait plaidé, se mettant ainsi au diapason de M. Jean-Louis Nadal, procureur général près la Cour de cassation, pour un « traitement en temps réel de l’exécution des peines ».

Cette préoccupation est très largement partagée par les parlementaires. C’est aujourd’hui l’Assemblée nationale qui prend l’initiative, avec une proposition de loi présentée par M. Jean-Luc Warsmann visant à améliorer notre arsenal législatif dans ce domaine.

Incontestablement, les conditions d’exécution des sanctions pénales ont progressé depuis la loi dite « Perben II ». Je me bornerai à citer la réduction de 20 % du montant de l’amende en cas de paiement volontaire dans le délai d’un mois suivant la condamnation ou encore la convocation systématique devant le juge de l’application des peines des personnes condamnées à une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à un an.

Par ailleurs, les bureaux d’exécution des peines, désormais implantés dans 176 tribunaux de grande instance, ont permis de relayer efficacement ces évolutions législatives dans les juridictions.

Malgré ces progrès, l’exécution des décisions pénales n’est pas encore complètement satisfaisante, qu’il s’agisse de l’exécution de la peine proprement dite ou du versement des dommages et intérêts à la victime.

S’agissant de l’exécution de la sanction pénale, selon les estimations de nos collègues députés, seule la moitié des amendes prononcées par ordonnance pénale ou par jugement correctionnel est actuellement recouvrée. Quant aux peines d’emprisonnement, une sur cinq ne serait pas exécutée après son prononcé. Cette situation est donc tout à fait insatisfaisante.

Concernant le versement des réparations, nous constatons que de nombreuses victimes doivent encore s’engager dans des procédures lourdes et parfois coûteuses pour un résultat souvent très éloigné du montant des sommes allouées et des frais répétés.

Il faut donc se réjouir que, sur ces deux volets, la proposition de loi qui nous est soumise apporte de réelles améliorations.

Je passerai rapidement sur les dispositions destinées à améliorer l’exécution des sanctions pénales. Elles visent notamment à faciliter ou à encourager la présence des prévenus à l’audience, puisque l’on a observé que le taux d’exécution des peines d’emprisonnement pouvait varier de 90 % à 50 % selon que le jugement était rendu ou non en présence de l’auteur ou de son représentant.

La commission des lois a largement approuvé l’ensemble des mesures présentées, tout en vous proposant, mes chers collègues, par le biais de plusieurs amendements, d’en améliorer la rédaction sur certains points.

Je souhaiterais m’attarder davantage sur le volet de la proposition de loi consacré aux victimes, qui comporte deux dispositions principales.

En premier lieu, un nouveau dispositif d’aide au recouvrement des dommages et intérêts sera mis en place pour les victimes d’infraction qui ne sont pas éligibles au mécanisme actuel d’indemnisation prévu par le code de procédure pénale.

En second lieu, il est prévu d’étendre, dans le cadre des procédures actuelles, les modalités d’indemnisation pour les victimes de véhicules incendiés.

L’aide au recouvrement proposée par les députés est apparue à notre commission comme le moyen de combler certaines lacunes de notre procédure.

Sans doute, il faut le souligner, le système d’indemnisation des victimes d’infractions, articulé autour de la commission d’indemnisation des victimes d’infraction, appelée communément CIVI, et du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI, est particulièrement protecteur en France.

Il concerne cependant les victimes des infractions les plus graves et laisse de côté les personnes qui ont subi de petits préjudices corporels ou des dommages aux biens, alors même que, il faut le reconnaître, ces derniers forment, en quantité, l’essentiel du contentieux pénal.

Aujourd’hui, le fonds de garantie prend en charge environ 15 000 dossiers par an pour un montant de l’ordre de 320 millions d’euros. Le dispositif qui vous est proposé, mes chers collègues, concernerait 35 000 victimes supplémentaires – c’est un chiffre important – pour une incidence financière estimée à environ 20 millions d’euros.

Il semble donc justifié d’aider ces personnes à recouvrer la réparation qui leur a été allouée par les tribunaux. Cette aide, selon la proposition de loi, serait confiée au fonds de garantie des victimes d’infractions, et prendrait deux formes : le versement d’une avance et la prise en charge, à la place de la victime, des démarches de recouvrement.

Tout en approuvant ce dispositif, la commission des lois s’est interrogée sur deux points.

Tout d’abord, elle s’est intéressée à la question de l’articulation de l’aide au recouvrement avec les régimes actuels d’indemnisation.

Je veux parler en particulier des victimes du terrorisme, de l’amiante ou encore des accidents de la circulation. Pourront-elles accéder à l’aide au recouvrement ? Dans quelles conditions ? Vous pourrez peut-être, madame le garde des sceaux, nous apporter des éclaircissements sur ce point.

La seconde interrogation de la commission porte tout naturellement sur les moyens financiers nécessaires au fonds de garantie pour mettre en œuvre l’aide au recouvrement et, en particulier, pour payer l’avance aux victimes. Sans doute le fonds sera-t-il subrogé dans les droits de la victime pour recouvrer les dommages et intérêts. Néanmoins, il ne faut pas s’illusionner sur les ressources que procurera cette voie. On sait en effet qu’une majorité des personnes condamnées, qui connaît une situation pécuniaire délicate, ne consacre à l’indemnisation que dix euros, vingt euros, voire trente euros par mois.

Dans ces conditions, madame le garde des sceaux, faudra-t-il à moyen terme envisager une augmentation de la principale source de financement du fonds de garantie, à savoir la contribution des assurés, qui s’élève actuellement à 3, 30 euros pour chaque contrat d’assurance de biens ?

La question du financement se pose aussi, et peut-être avec plus d’acuité, pour l’autre disposition principale de la proposition de loi, qui concerne l’indemnisation des personnes dont le véhicule a été détruit ou dégradé à la suite d’une infraction.

Actuellement, ces victimes peuvent être indemnisées dans des conditions relativement strictes par la CIVI. La présente proposition de loi vise à assouplir ce dispositif : d’une part, la condition de « situation matérielle ou psychologique grave » causée par l’infraction ne serait plus exigée ; d’autre part, le plafond de ressources mensuelles que la victime ne doit pas dépasser afin de pouvoir prétendre à une indemnisation serait relevé de 50 % et s’élèverait à près de 2 000 euros.

Il n’est pas apparu injustifié à la commission de prévoir un régime d’indemnisation plus souple pour les victimes de véhicules détruits ou dégradés, dans la mesure où il s’agit d’un instrument de travail pour beaucoup de nos concitoyens.

Cependant, il nous faut montrer une attention particulière sur trois points.

D’abord, quel sera le coût d’une telle disposition pour le FGTI et comment sera-t-il financé ? Les estimations dont nous avons pu faire état dans le rapport présentent encore, en effet, une marge d’incertitude.

Ensuite, et surtout, il est important que le dispositif proposé ne conduise pas à une déresponsabilisation des propriétaires de véhicules, qui peuvent toujours s’assurer, il convient de le rappeler, contre le risque incendie pour un coût relativement modique.

Enfin, nous devons veiller à ce que la mise en place d’un régime d’indemnisation plus souple pour les victimes d’infractions ne conduise pas à des situations inéquitables vis-à-vis de victimes d’autres dommages aux biens, voire de dommages corporels, qui continueront d’être indemnisées dans les conditions du droit commun.

Aussi, même si elles ne nous conduisent pas à remettre en cause le dispositif proposé par les députés, ces interrogations nous incitent à l’encadrer davantage en en limitant le champ aux seuls véhicules détruits par incendie et en exigeant que la victime ait souscrit une assurance responsabilité civile. Cela paraît aller de soi, mais ces points devront être précisés lors du débat.

En outre, nous vous suggérons qu’une évaluation de la loi soit faite d’ici à trois ans, notamment afin de mesurer ses incidences financières.

Madame le garde des sceaux, ce texte n’épuisera sans doute pas l’effort que nous devons engager pour les victimes.

Je souhaite, pour conclure, attirer votre attention sur la situation particulièrement douloureuse des victimes d’attentats ou d’actes de terrorisme.

Des études scientifiques conduites sous les auspices de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, ont mis en évidence l’existence pour ces victimes d’un préjudice spécifique et permanent, qui n’est indemnisé actuellement que sur le fondement d’une décision du conseil d’administration du FGTI et qui n’est pas reconnu explicitement par les tribunaux, et encore moins par la Cour de cassation.

Conscient que ces questions concernant les victimes d’actes de terrorisme ou d’attentats relèvent sans doute plus du règlement que de la loi, je crois cependant indispensable de donner une base juridique plus solide à la reconnaissance de ce préjudice, appelé préjudice permanent et exceptionnel, et à son indemnisation. J’espère, madame le garde des sceaux, que vous pourrez nous donner des garanties sur ce point tout à l'heure.

Par ailleurs, notre commission a longuement débattu ce matin de la question du délai au cours duquel une victime d’un attentat peut présenter une demande d’indemnisation au FGTI. Ce délai est de dix ans à compter des faits. Cependant, il est arrivé, dans des cas très peu nombreux il est vrai – à ma connaissance, un seul cas avéré s’est produit à ce jour –, que la victime ait été informée de son droit de recourir au fonds de garantie au-delà de ce délai, dans l’hypothèse, par exemple, où le caractère terroriste de l’infraction a été décelé tardivement. Il est apparu évident à notre commission que le fonds de garantie devait alors appliquer les dispositions de l’article 705-5 du code de procédure pénale, selon lesquelles le requérant peut être relevé de la forclusion « lorsqu’il n’a pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ou lorsqu’il a subi une aggravation de son préjudice ou pour tout autre motif légitime ». Sur ce dernier point, je sollicite également votre interprétation, madame le garde des sceaux.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous invite, mes chers collègues, à adopter la présente proposition de loi.

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