Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la deuxième fois depuis le début de la législature, une proposition de loi en matière de justice vient en débat au Sénat. Avec un calendrier parlementaire aussi chargé, on ne peut que s’en réjouir. Le président Hyest le sait, je suis très attachée à l’initiative parlementaire et au dialogue permanent avec la commission des lois.
Le texte qui vous est présenté est une proposition consensuelle, dont l’initiative a été prise par M. Jean-Luc Warsmann, par ailleurs président de la commission des lois de l’Assemblée nationale. Ce texte a été adopté à l’unanimité par les députés le 17 janvier. Je m’étais engagée à ce qu’il poursuive rapidement son cheminement législatif. La commission des lois du Sénat a pu s’en saisir et procéder à des auditions.
Je veux saluer le travail de son rapporteur, M. François Zocchetto.
Monsieur le rapporteur, l’analyse que vous avez faite dans votre rapport est très complète. Vous avez mis en évidence les améliorations que le texte apporte au fonctionnement de la justice. Je sais tout l’intérêt que vous portez à cette question : vous l’avez montré lors de précédents débats, qu’il s’agisse de la loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale ou de celle qui a renforcé la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.
La proposition de loi apporte, en effet, des améliorations évidentes. Elle améliore « l’après-jugement », c’est-à-dire l’exécution des peines et l’indemnisation des victimes. Cette phase de la procédure pénale est parfois négligée. Elle est pourtant essentielle.
C’est parce que les peines sont exécutées que la justice est dissuasive. C’est parce que les amendes sont payées que la justice est crédible. C’est parce que les victimes sont dédommagées que la justice est humaine.
La proposition de loi apporte trois progrès essentiels : elle améliore l’indemnisation des victimes ; elle renforce l’exécution des peines ; elle rend plus efficace le recouvrement des amendes.
Tout d’abord, les victimes ont parfois l’impression d’être les grandes oubliées de la justice.
Est-il normal qu’une victime expose des frais pour être indemnisée alors qu’elle ne sera peut-être même pas remboursée ? Est-il normal qu’une victime soit laissée seule face à son agresseur pour obtenir ce qui lui est dû ? Est-il normal qu’une victime renonce à être dédommagée plutôt que de devoir affronter à nouveau son agresseur ?
Dans ces moments-là, ce n’est pas la justice qui triomphe. C’est la loi du plus fort qui s’impose une nouvelle fois.
Voilà pourquoi j’ai souhaité créer un juge délégué aux victimes. Il est en fonction dans tous les tribunaux de grande instance depuis le 2 janvier. Il accompagne la victime dans ses démarches. Il fait le lien, auprès d’elle, avec le procureur de la République et le juge de l’application des peines.
Pour rendre effective l’indemnisation des victimes, il faut aller plus loin.
Comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, à l’heure actuelle, les trois quarts des victimes ne relèvent pas de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions, la CIVI.
Telle est la raison pour laquelle je me suis engagée devant les associations de victimes à créer un service d’assistance au recouvrement des victimes d’infractions, le SARVI.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui permet de tenir cet engagement. Elle tend à créer un droit à l’aide au recouvrement des dommages et intérêts.
Ce droit concerne toutes les victimes d’infractions qui ne peuvent pas bénéficier d’une indemnisation par la commission d’indemnisation.
Elles sont environ 75 000 chaque année à devoir assurer seules le recouvrement des dommages et intérêts qui leur sont accordés par une décision pénale.
Ce peut être le cas, par exemple, du client d’une banque qui a été pris en otage lors d’un vol à main armée et qui n’a subi aucune blessure physique. Cette victime ne peut pas être indemnisée par la CIVI. En revanche, elle pourra s’adresser à ce nouveau service que constitue le SARVI, qui lui permettra de ne pas avoir à accomplir elle-même les démarches pour réclamer son dû.
Cette aide au recouvrement sera assurée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions, le FGTI.
Jusqu’à concurrence de 1 000 euros, le SARVI dédommagera intégralement la victime. Au-delà de ce montant, il lui accordera une avance plafonnée à 3 000 euros dans l’attente du recouvrement effectif des dommages et intérêts par le Fonds.
Vous en conviendrez, c’est un progrès notable dans le traitement des victimes.
La proposition de loi instaure une autre amélioration en faveur des victimes, qui concerne un type de dommage très particulier : la destruction des véhicules résultant d’actes volontaires.
Ces infractions placent les victimes dans des situations parfois très difficiles.
Comment aller travailler quand vous n’avez plus de véhicule ? Comment assurer au quotidien tous vos déplacements privés ? Les incidences familiales et financières peuvent avoir une ampleur sans proportion avec la valeur du véhicule détruit.
Quand vous n’avez pas suffisamment d’argent pour le remplacer, quand vous n’êtes pas convenablement assuré pour être dédommagé, quand vous êtes encore endetté par l’achat du véhicule devenu hors d’usage, être victime de ce genre d’acte de destruction est une extrême injustice.
Actuellement, pour être indemnisées par la CIVI, les victimes doivent prouver que la perte de leur véhicule les place dans une situation matérielle ou psychologique grave. C’est très difficile à établir.
La proposition de loi assouplit les conditions du dédommagement de ce type de faits. Les victimes n’auront plus à démontrer ces conséquences. Il suffira que leurs revenus ne dépassent pas le plafond de ressources de l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire moins de 2 000 euros par mois.
La solidarité nationale permettra alors d’indemniser le véhicule perdu, dans la limite de 4 000 euros. Ce dispositif a un coût estimé entre 7 millions et 13 millions d’euros.
Ensuite, autre avancée, la proposition de loi remédie à certains facteurs de blocage dans l’exécution des décisions pénales.
L’action de la justice ne s’achève pas avec l’audience. Elle continue après le jugement.
Il ne sert à rien d’enquêter, il ne sert à rien de juger, il ne sert à rien de condamner, si les sanctions prononcées ne sont pas appliquées.
L’exécution des peines est aussi un moyen de lutter efficacement contre le sentiment d’impunité et contre la récidive que ce dernier engendre. Quand la règle est clairement établie, quand on sait qu’elle est appliquée, alors la règle devient dissuasive.
Tarder à exécuter une peine peut aussi nuire au travail de réinsertion entrepris par le condamné. Le retard peut faire perdre sa cohérence à la peine prononcée.
Améliorer cette phase finale de l’action de la justice pénale est une action essentielle. C’est une priorité pour chaque juridiction. Je le rappelle lors de chacun de mes déplacements dans les cours d’appels et les tribunaux.
Voilà quatre ans, c’est cette préoccupation qui a conduit à expérimenter les bureaux de l’exécution des peines. Leur objectif est d’accélérer l’exécution des peines. Par exemple, les amendes peuvent être payées à la sortie de l’audience par chèque ou carte bancaire. Ainsi, nous avons gagné trois mois en moyenne dans le recouvrement des amendes par rapport à 2005.
Pour assurer une plus grande efficacité à la justice pénale, la proposition de loi incite les prévenus à comparaître aux audiences ou à s’y faire représenter.
Le constat est simple : quand un prévenu ne comparaît pas à l’audience, le taux d’exécution des jugements est deux fois moins élevé que s’il est présent ; quand un prévenu ne comparaît pas, les délais d’exécution sont deux fois plus longs.
Nous voyons ainsi tout l’intérêt que présente la comparution du prévenu à l’audience.
La proposition de loi met en place un dispositif incitatif : les frais de procédures payés au Trésor public, qui s’élèvent actuellement à 90 euros pour tous les condamnés, passeront à 180 euros pour les condamnés absents à l’audience.
La proposition de loi tend également à faciliter la signification des décisions par les huissiers de justice.
Passé un certain délai, les huissiers qui n’auront pas signifié un jugement le transmettront au procureur de la République. Ce dernier pourra alors engager toutes les diligences utiles pour permettre une signification rapide de la décision au prévenu. Il pourra, au besoin, faire rechercher son adresse par la police ou la gendarmerie, ou recourir à toute autre forme de réquisition utile.
La proposition de loi introduit aussi de nouvelles modalités pour porter les jugements à la connaissance des personnes concernées. Ces dernières pourront, notamment, être invitées par l’huissier à venir à son étude retirer le jugement qui doit leur être signifié.
Ces aménagements sont empreints d’un grand pragmatisme. Ils permettront de raccourcir considérablement les délais d’exécution des décisions de justice. J’indique dès à présent que votre commission des lois a proposé de nouvelles améliorations à ce dispositif qui me paraissent très opportunes.
Enfin, la proposition de loi a pour objet de renforcer l’efficacité du recouvrement des amendes et de l’exécution des suspensions ou retraits de permis de conduire.
Quatre points méritent d’être rappelés.
L’abattement de 20 % qui incite au paiement rapide des amendes depuis 2004 est étendu au droit fixe de procédure de 90 euros. Il profitera au condamné qui s’en acquitte dans les trente jours suivant sa condamnation.
La proposition de loi permet également au Trésor public d’accorder des remises totales ou partielles sur les amendes forfaitaires majorées. En effet, une décision partiellement exécutée est préférable à une décision totalement inexécutée.
Le dispositif qui empêche un contrevenant n’ayant pas payé ses amendes routières de vendre son véhicule est également étendu. Jusqu’à présent, le comptable du Trésor peut s’opposer à la vente du véhicule dans une seule hypothèse : lorsque le contrevenant déménage. Cette condition est supprimée par la proposition de loi.
Toujours en matière routière, les services judiciaires, comme les services de police ou de gendarmerie, pourront désormais accéder directement au Fichier national des permis de conduire. Cela intéressera tout particulièrement les bureaux de l’exécution des peines. Ils seront en mesure de notifier plus précisément aux condamnés la date à laquelle prendra fin la suspension de leur permis. Ils pourront également leur notifier immédiatement les mesures de retrait ou d’annulation de permis par perte de points.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi est emblématique du travail de qualité que permet l’initiative parlementaire.
Les insuffisances constatées par une mission d’information trouvent dans ce texte des réponses concrètes et immédiates.
Ces moyens nouveaux sont un premier pas vers l’objectif que nous visons tous : celui d’une justice dont l’efficacité est reconnue, d’une justice qui s’adapte, d’une justice qui remplit toute sa mission. Je sais que ces préoccupations sont aussi celles du Sénat.
Monsieur le rapporteur, je souhaite maintenant répondre à vos questions sur la situation des victimes d’actes de terrorisme.
Vous avez raison, les victimes d’actes de terrorisme ne sont pas des victimes comme les autres. Un mécanisme spécifique est mis en place en leur faveur.
Vous l’avez dit, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions est chargé d’indemniser les victimes de terrorisme.
II leur verse une provision dans le délai d’un mois. Une offre d’indemnisation complète doit ensuite leur être proposée dans un délai de trois mois.
Le FGTI indemnise le préjudice personnel spécifique des personnes victimes de terrorisme en tenant compte de leur traumatisme. Ce dernier point est essentiel.
Je prends donc devant le Sénat l’engagement d’inscrire le principe de la réparation du préjudice personnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme dans le code des assurances, mais aussi dans le décret qui fixera les préjudices indemnisables devant les juridictions, à la suite du rapport de M. Dintilhac.
Monsieur le rapporteur, vous avez également soulevé la question du délai pour agir devant le fonds de garantie, en évoquant notamment la possibilité d’être relevé de la forclusion.
Là encore, je peux vous assurer que le fonds continuera à tenir compte, comme il le fait actuellement, de la situation très particulière des victimes d’actes de terrorisme. Il arrive exceptionnellement qu’une victime n’agisse pas dans le délai de dix ans. Pour autant, jamais aucune ne s’est vu refuser une indemnisation. Nous avons toujours procédé à des ajustements quand ceux-ci étaient nécessaires.
Vous vous demandiez en outre quelle sera l’incidence financière de cette proposition de loi sur le fonds de garantie. Le service d’aide au recouvrement ne fait que l’avance à la victime des sommes dues par le condamné, auprès duquel il perçoit aussi des frais. L’efficacité du fonds dans le recouvrement de ces sommes lui permettra de préserver son équilibre financier.
S’agissant du dédommagement des véhicules incendiés, j’ai précisé que son coût se situait entre 7 millions et 14 millions d’euros. C’est une estimation fondée sur l’ensemble des 40 000 véhicules incendiés qu’on recense chaque année.
Évidemment, tous ces propriétaires ne relèveront pas de la commission d’indemnisation, soit parce que l’incendie n’est pas le fait délibéré d’un tiers ou parce que l’auteur en est connu, soit parce qu’ils sont assurés, soit parce qu’ils disposent de ressources trop élevées.
Pour toutes ces raisons, il n’est donc pas nécessaire, en l’état, d’augmenter le prélèvement effectué sur les contrats d’assurance, qui finance le fonds de garantie.
Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez évoqué les victimes de l’amiante et des accidents de la circulation.
Chacune de ces deux catégories de victimes dispose d’un fonds particulier, respectivement le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, ou FIVA, et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages, ou FGAO, qui leur permet d’obtenir une indemnisation sans avoir à attendre un jugement. C’est un dispositif beaucoup plus favorable. Mais si elles demandent réparation devant un tribunal pénal, elles pourront bien sûr, comme les autres victimes, solliciter le service d’aide au recouvrement.
Monsieur le rapporteur, j’espère avoir répondu à vos interrogations.