Intervention de Gérard Longuet

Réunion du 18 octobre 2005 à 16h00
Sécurité et développement des transports — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Gérard LonguetGérard Longuet :

Pourquoi ce changement de pied ? Tout simplement parce que l'AFITF était confrontée à un problème, au demeurant assez simple : il lui fallait emprunter, sur la période 2005-2012, 3, 5 milliards d'euros ; mais, une fois empruntée, cette somme aurait immédiatement été comptée dans la dette publique de l'Etat, ce qui aurait contribué à aggraver encore un peu plus le dépassement du fameux ratio de 60 % du produit intérieur brut.

Lorsque Gilles de Robien, pour lequel j'ai estime et sympathie, moi qui l'ai connu à Amiens alors que j'étais sous-préfet, a proposé la création de l'AFITF, il avait le sentiment que Eurostat accepterait que la dette de l'AFITF soit « démaastrichtée », pour employer un terme barbare. A la lumière de l'expérience, avec la mise en place, au premier trimestre 2005, de l'AFITF, il a fallu conclure qu'une dette de l'AFITF était bel et bien une dette de l'Etat. De ce fait, la ressource certaine tirée des dividendes des sociétés d'autoroutes perdait de son intérêt, puisque, de toute façon, on retombait dans le cas précédent, celui de l'aggravation de la dette de l'Etat.

Aussi le Premier ministre et le Gouvernement ont-ils mobilisé dans le texte initial, qui prévoyait la capacité de l'AFITF à bénéficier de financements nouveaux, la procédure de l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat public-privé pour faire en sorte que, si endettement il y a, ce soit non pas un endettement direct de l'AFITF, mais un endettement des partenaires des maîtres d'ouvrage - Etat, sociétés d'autoroutes, collectivités locales et, grâce à ce texte, bientôt RFF. Ainsi le financement de l'AFITF ne pèse pas sur la dette publique de l'Etat.

Voilà une explication simple et de bon ton.

Aujourd'hui, je le rappelle, les ressources budgétaires affectées à l'AFITF proviennent de la taxe d'aménagement du territoire, pour 510 millions d'euros cette année, de la redevance domaniale, pour 160 millions d'euros, de l'affectation de 4 milliards d'euros sur le produit des cessions des autoroutes qui est, lui, un produit certain, sans oublier la fraction du produit des amendes de radars. On espère bien que ces recettes-là disparaîtront, mais, comme on ne peut pas, hélas ! tabler sur l'absolue sagesse des automobilistes, il est vraisemblable qu'elles ne tariront pas du jour au lendemain.

Si les majorités à venir ne remettent pas en cause ces recettes budgétaires, nous avons la capacité de financer non seulement les 7, 5 milliards d'euros de subventions prévus par le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire de 2003, qui ne disparaît pas et qui reste la référence en matière d'infrastructures, mais également les 2 milliards d'euros qui correspondent à l'achèvement du volet « infrastructures » des contrats de plan Etat-régions, même si le réalisme nous conduit à penser que ces 2 milliards d'euros ne seront pas dépensés en 2006 et que les contrats de plan Etat-régions devront sans doute être prolongés d'une année. C'est désolant, mais, malheureusement, nous y sommes habitués.

Donc, cher collègue Reiner, n'ayez pas d'inquiétude : le travail mené par Gilles de Robien de juillet 2002 à décembre 2003, l'audit sur les infrastructures, le travail du conseil général des Ponts et Chaussées, le travail de l'Inspection des finances, mais surtout le travail effectué par le Parlement, Assemblée nationale et Sénat réunis, pour construire une véritable colonne vertébrale au profit des grandes infrastructures routières et surtout ferroviaires, tout ce travail reste valide et les moyens financiers sont rassemblés.

J'ajoute, cher collègue Reiner, que vous êtes un peu de mauvaise foi, mais, après tout, c'est votre droit, lorsque vous prétendez qu'il n'y a pas de projet ferroviaire. Et ce au moment même où les trois-quarts des dépenses de l'AFITF sont précisément des dépenses ferroviaires et qu'elles sont financées à 100 % par des recettes tirées de la route, c'est-à-dire au moment même où se concrétise cette intermodalité que nous souhaitons tous ici, particulièrement sur vos travées, cher collègue, parce qu'elle seule permet de concilier développement durable et infrastructures.

Une ligne a été tracée ; elle est suivie. Quant aux moyens, ils ont été adaptés aux réalités et tiennent compte des contraintes que nous impose Eurostat, à savoir ne pas augmenter la dette publique de l'Etat.

Mais je reviens maintenant à ce qui m'apparaît constituer la cohérence la plus forte de votre texte, monsieur le ministre, les dispositions relatives à l'agence française de sécurité ferroviaire, l'article 12 et, surtout, l'article 13.

La création de cette agence est, en fait, un préalable à toute évolution du système ferroviaire français. Pour l'anecdote, il est quand même assez étonnant qu'aujourd'hui nous ayons une entreprise qui délivre des certificats de compétence à son concurrent ! Vous me direz que les boulangers, quand ils forment les apprentis, c'est-à-dire leurs futurs concurrents, ne font pas autre chose, et ce depuis des années. Mais l'expérience prouve que la SNCF n'est pas forcément la mieux placée, dans la perspective d'une ouverture du ferroviaire à la concurrence, pour être la seule autorité capable de certifier les compétences.

Le ministère peut-il jouer ce rôle ? Oui, naturellement, vous avez tout à fait raison, sauf que, comme l'explique le ministre fort justement, les compétences techniques requises sont très pointues et doivent être actualisées en permanence. Un établissement public a plus de possibilités, ne serait-ce que par la politique des ressources humaines qu'il conduit, de recruter sous contrat les compétences ad hoc, requises à un moment déterminé, sachant qu'elles sont appelées à évoluer dans le temps.

Je ne suis pas certain qu'une carrière complète de fonctionnaire dans une seule agence, c'est-à-dire quarante ans et plus de vie professionnelle, soit la seule réponse que l'on puisse apporter en matière de certification de sécurité.

Il faut donc accepter un système plus ouvert et, de ce point de vue, la création d'une agence autonome est un signal fort en direction de l'ensemble des entreprises publiques ou privées qui, de près ou de loin, travaillent avec le ferroviaire : elles auront demain en face d'elles un interlocuteur bien identifié qui pourra fournir des réponses à leurs demandes légitimes.

Trop souvent on a eu le sentiment d'un monde clos, fermé sur lui-même, d'une culture quasi endogamique. Grâce à l'agence, grâce au recours à des compétences extérieures qu'elle permettra, grâce aussi à la possibilité offerte aux agents de conduire une partie de leur carrière dans l'agence, de l'enrichir de leur expérience pour ensuite, peut-être parce que les techniques auront évolué, de changer d'activité, tout cela donnera à cette agence une autorité intellectuelle et technique certainement plus forte qu'un service anonyme d'une administration centrale.

On change de nom. Est-ce vraiment nécessaire ? Pour ma part, je ne voterai pas l'amendement concerné : j'estime que le vocable « agence » donne de l'autorité à ceux qui travaillent en son nom et, si je suis battu, cela n'aura rien de tragique : ce qui compte, c'est que la mission soit organisée avec l'indépendance, l'autorité et la lisibilité que l'on attend d'un système qui va évoluer.

Car, et c'est sans doute l'aspect le plus important d'un projet de loi qui n'a rien d'un texte de circonstance, mais qui est une étape dans une évolution, monsieur le ministre, entre rupture et mouvement, vous choisissez de franchir une étape, et une étape qui marque un vrai changement : la France, vous le confirmez, accepte que le ferroviaire obéisse à une loi simple, celle de la comparaison, celle de la confrontation, celle de l'émulation, bref, pourquoi ne pas le dire ? celle de la concurrence.

Vous appliquez ce principe simple au fret, c'est l'article 12 ; vous en préparez la mise en oeuvre avec une autorité de certification indépendante, c'est l'agence française de sécurité ferroviaire de l'article 1er. Préalable à toute compétition loyale pour ce qui est des services, vous donnez à RFF les moyens d'être le grand outil d'infrastructures, acceptant ce que l'on appelle dans les télécommunications, l'énergie ou le gaz, l'accès des tiers au réseau.

Voilà qui dotera notre pays d'un réseau d'infrastructures ferroviaires sur lesquelles ne pèsera aucun risque de saturation, d'indisponibilité, de pénurie ou de médiocrité.

La référence, c'est le CIADT de 2003. La ligne de force, c'est un effort pour achever les liaisons TGV indispensables. - je note d'ailleurs après vous, monsieur le ministre, que, pour la première fois, trois lignes TGV pourront être réalisées simultanément ; c'est également, monsieur Dubois, la poursuite des études sur la mise en place de lignes de TGV dont la nécessité n'apparaît peut-être pas aussi évidente que le prolongement des lignes Ouest vers Rennes ou Bordeaux, mais auxquelles il serait bon tout de même de réfléchir : vous le savez, le temps passe si vite, hélas !

Quoi qu'il en soit, rassurez-vous, les moyens de l'AFIFT permettront de conduire les études concernant le deuxième tracé de chemin de fer de Paris à Londres. Cela étant, l'électrification de la ligne Amiens-Boulogne est plus urgente et les moyens nécessaires seront dégagés.

Monsieur le ministre, avec les trois grands projets que vous avez annoncés vendredi dernier, vous allez surtout donner un contenu charnel à ce qui est devenu l'Arlésienne du financement public, à savoir le PPP. Pourquoi l'Arlésienne ? Parce qu'on en parle dans tous les colloques, mais qu'on ne voit pratiquement rien sur le terrain.

Vous avez annoncé trois opérations : la ligne à grande vitesse contournant Nîmes et Montpellier, le tronçon Sud-Ouest-Atlantique entre Angoulême et Bordeaux et les installations de sécurité pour la liaison Rhin-Rhône.

Pour affirmer la vocation du fret ferroviaire, je vous suggère deux autres équipements qui permettraient d'accélérer la mise au gabarit GB1 et de favoriser le ferroutage.

Je pense à la liaison Paris et Bordeaux, qui exige l'aménagement de quatre tunnels dans la région Poitou-Charentes pour être au gabarit. Les 90 millions d'euros nécessaires ne sont pas prévus. On pourrait avoir recours à un financement en PPP pour exécuter ces travaux et assurer une ligne de ferroutage Nord-Sud-Atlantique.

Je pense également à la ligne de ferroutage Nord-Sud Lotharingien, c'est-à-dire à la liaison entre le Luxembourg et Perpignan. Elle est en cours d'achèvement, il ne reste que le verrou du tunnel de Condrieu, long de 150 mètres, à faire sauter ; c'est le seul obstacle à la circulation sur la rive droite du Rhône qui demeure - M. le ministre connaît bien le noeud ferroviaire que constitue l'étranglement de Lyon. Là encore, en assurant la fin des travaux grâce à un PPP, le Gouvernement afficherait sa volonté de faire du ferroutage une réalité.

Bref, mes chers collègues, ce projet de loi peut sembler hétéroclite. Il manifeste en fait le souci du Gouvernement d'accompagner l'actualité sur le terrain de la sécurité, ce dont personne ne peut lui tenir rigueur, et sur le terrain des réalités économiques et sociales, ce en quoi la profession ne peut que lui être reconnaissante.

Avant tout, aux yeux de l'UMP, le projet de loi traduit la volonté de mettre en oeuvre un véritable projet ferroviaire fondé sur les choix du CIADT de 2003. Grâce à son article 13, il permet de dégager les moyens financiers nécessaires, par la mobilisation de ressources nouvelles, par l'association de toutes les énergies au service du ferroviaire français. Ainsi - et je pense en particulier à la région parisienne avec la liaison CDG-Express - RFF, d'une part, l'Etat, d'autre part, pourront co-contracter avec tous ceux qui croient au ferroviaire et qui sont prêts à le financer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion