Intervention de Michel Billout

Réunion du 18 octobre 2005 à 16h00
Sécurité et développement des transports — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre du projet de loi « sécurité et développement des transports », est plutôt positif et engageant. Il laisse à penser que le Gouvernement va enfin engager les investissements nécessaires en termes d'infrastructures, de matériels roulants et de personnels afin de garantir les objectifs fixés.

La période s'y prête assez bien, à la suite de la remise, le 7 septembre dernier, du rapport d'audit sur l'état des infrastructures de transport ferroviaire, qui fait le constat d'un sous-investissement chronique de l'Etat, lequel aboutira, si rien ne change, à la suppression de 60 % des lignes d'ici à 2025. Les besoins de modernisation et d'entretien du réseau ferroviaire sont donc effectivement urgents.

Cependant, contrairement à toute attente, et sous la forme d'un curieux patchwork, l'ambition de ce texte se limite principalement à la transposition en droit français de la directive dite du « deuxième paquet ferroviaire » par l'article 12 du projet de loi.

Selon le Gouvernement, la libéralisation du fret ferroviaire serait porteuse d'une amélioration de l'offre de transport. Je pense, pour ma part, que le Gouvernement fait là une erreur politique importante. Non seulement ce projet de loi fragilise la sécurité, mais il handicape également le développement des transports. Je m'en explique.

La libéralisation du secteur ferroviaire, tout comme celle du secteur aérien, accroissent l'insécurité des usagers. En témoignent les accidents à répétition sur le réseau ferroviaire en Angleterre ou bien les accidents d'avion de cet été, alors même que l'évolution des technologies devrait permettre d'atteindre un très haut niveau de sûreté des transports.

En effet, comment peut-on penser que la déréglementation et la casse du monopole public, qui se traduisent par la mise en oeuvre du règne du marché et des critères de rentabilité immédiate, puissent améliorer en quoi que ce soit la sécurité des usagers ?

On le sait, pour augmenter leurs marges, les entreprises privées réduisent les coûts en personnels et en maintenance, notamment par une utilisation accrue de la sous-traitance. Les salariés de British Airways en lutte pourraient témoigner des risques importants que la sous-traitance va provoquer sur le plan de la sécurité des voyageurs. Soumettre ainsi les activités au marché, à la concurrence, c'est rogner sur la sécurité et sur la qualité du service !

On peut dire qu'aujourd'hui, les réglementations nationale et européenne ont permis le passage d'une logique de sécurité à celle du risque calculé. En effet, les compagnies, toujours à la recherche d'une rentabilité maximale, n'ont pas hésité à changer les règles d'entretien des pièces dans l'aéronautique. Elles ont privilégié les réparations curatives à l'entretien préventif !

De plus, dans un contexte de baisse constante des crédits accordés à la DGAC, comment la sécurité peut-elle être assurée quand l'objectif n'est plus celui de service public, mais celui de l'augmentation des bénéfices des actionnaires des compagnies privées ?

S'il faut encore parler de sécurité, comment ne pas aborder le nécessaire rééquilibrage entre le rail et la route, objectif pointé par le Livre blanc des transports de la Commission européenne et lors du comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire ?

Cet objectif a été rappelé, plus récemment encore, lors du vote du projet de loi d'orientation sur l'énergie. Il est très présent dans les discours, mais trop peu dans les actes.

Il se justifie pourtant par les nombreux avantages du rail en termes d'aménagement du territoire, de préservation de l'environnement. En effet, on ne le rappellera jamais assez, le secteur routier est responsable de l'émission de 84 % des gaz à effet de serre. Le rail est également un mode de transport plus économe en énergie, ce qui va dans le sens des engagements pris par la France lors de la signature du protocole de Kyoto.

Mais, monsieur le ministre, vous préférez céder toujours plus au patronat routier, en élargissant, par exemple, le champ d'application de l'ordonnance en matière d'aménagement du temps de travail dans le secteur des transports. Les articles 16 et 17 du projet de loi permettent ainsi d'augmenter le temps de travail des conducteurs routiers. C'est là un bel exemple d'amélioration de la sécurité sur les routes !

Le patronat routier bénéficiera également, grâce au plan du Gouvernement du 12 septembre dernier, d'un nouveau dégrèvement de la taxe professionnelle sur les camions de plus de seize tonnes. Ce plan coûtera 400 millions d'euros à l'Etat !

Toutes ces mesures s'ajoutent au dégrèvement de la taxe professionnelle pour les camions de 7, 5 tonnes, qui a déjà été accordé dans la loi de finances pour 2005.

Avec l'article 15 du projet de loi, vous permettez également à ces professionnels de répercuter l'augmentation du prix du pétrole sur les contrats passés antérieurement, et donc sur leurs clients.

Cette mesure pourrait paraître juste tant il est vrai que le secteur routier souffre de cette hausse des cours du pétrole. Toutefois, c'est une baisse des très lourdes taxes sur les produits pétroliers, c'est l'augmentation des prélèvements sur les énormes profits des compagnies pétrolières qui auraient constitué de véritables mesures de justice fiscale pour tous, y compris pour les trop nombreux salariés qui n'ont d'autres choix que d'utiliser leur véhicule personnel pour se rendre sur leur lieu de travail en raison du manque de transports en commun adaptés.

Vous préférez aider un secteur qui souffre, et ce d'autant plus que le modèle de développement de ce mode de transport se fonde essentiellement sur le dumping social et la mise en concurrence intramodale se traduisant par une sous-tarification des transports. Il s'agit également d'un mode de transport où la majorité des coûts d'infrastructures est supportée par la collectivité.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen proposent plutôt l'instauration d'une tarification sociale obligatoire, c'est-à-dire d'une réglementation des prix dans le domaine du transport routier de marchandises prenant en compte le coût des infrastructures, le coût de l'application des réglementations et du droit du travail ainsi que les coûts externes, notamment en termes d'environnement.

Il s'agirait là de la mise en place d'un véritable outil de lutte contre le dumping social organisé, qui permettrait ainsi d'établir une véritable comparaison des coûts du transport routier et du transport ferroviaire. Ce serait, d'une certaine façon, une mise en oeuvre du principe de concurrence libre et non faussée, que certains d'entre vous, mes chers collègues, affectionnent particulièrement.

Par ailleurs, la saturation du réseau routier, favorisée par le Gouvernement, est également facteur de risque, comme en témoignent les dramatiques accidents du tunnel du Mont-Blanc et du tunnel du Fréjus.

Édicter de nouvelles normes de sécurité, sur les tunnels notamment, ce qui fait l'objet de l'article 8 du projet de loi, n'aura que peu de portée s'il y a toujours plus de camions sur les routes. Le « plan fret » de la SNCF, qui prépare l'ouverture à la concurrence du fret ferroviaire, a déjà mis 200 000 camions supplémentaires sur les routes depuis sa mise en oeuvre en 2004. Au terme de ce plan, ce sont un million de camions supplémentaires qui sont attendus ! Monsieur le ministre, ne trouvez-vous pas que cela suffit ? Quid de la volonté affirmée de rééquilibrage des modes de transports ?

Le manque d'entretien du réseau ferroviaire est également facteur de risque. A cet égard, le rapport d'audit sur les infrastructures de transport recommande un fort investissement de l'Etat dans les années à venir. Mais, sur les 600 millions d'euros préconisés par l'audit, le Gouvernement ne s'est engagé qu'à abonder de 70 millions d'euros seulement les crédits d'infrastructures !

Le Gouvernement pense trouver une solution à ce fort besoin d'investissement en proposant, dans l'article 13 du projet de loi, le développement de partenariats public-privé pour la construction, l'entretien ou l'exploitation d'infrastructures de transport.

Or cette mesure ne pourra intéresser le secteur privé que dans le cadre d'opérations particulièrement rentables, comme, par exemple - je vous cite, monsieur le ministre -, la liaison Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle. Mais à côté de cela, quelles solutions proposez-vous pour toutes les autres infrastructures, celles dont le retour sur investissement s'effectue en moyenne à l'échelle de trente ans, voire beaucoup plus ?

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment donc essentiel que l'Etat conserve la maîtrise des infrastructures de transport au regard des missions qui sont les siennes, à savoir l'aménagement du territoire, l'égalité d'accès et l'égalité territoriale ainsi que la sécurité des usagers.

Dans cette optique, nous proposons la mise en oeuvre d'un plan pluriannuel d'investissement entre l'Etat, la SNCF et RFF. Nous demandons également de nouveau la création d'un pôle public de financement organisé autour de la Caisse des dépôts et consignations permettant un financement complémentaire de l'AFIFT.

Toutes ces remarques me conduisent à évoquer l'autre volet du projet de loi, consacré à un supposé « développement des transports ». Là encore, ce bel objectif nécessiterait un tout autre engagement de l'Etat en la matière.

Je reprendrai l'exemple du fret ferroviaire, plus particulièrement du plan d'entreprise 2004-2006, qui est en fait un plan de repli du réseau.

Ainsi, 22 000 sillons ont été abandonnés le 12 décembre 2004 et quatre gares de triage, seize gares de triage principales et plus de cent gares ouvertes au fret vont être fermées. L'application du « plan fret » en 2005 s'est également traduite par la suppression de 2 666 postes.

Par ce plan, il s'agit de permettre à la SNCF d'arriver à l'équilibre, non par une diversification et une amélioration de l'offre de transport, mais par une diminution des coûts de production et la contraction du réseau en se cantonnant aux lignes les plus rentables.

Ainsi, l'unique objectif de ce plan est de préparer l'ouverture à la concurrence. Comment un quelconque développement de l'offre est-il alors possible dans ces conditions ?

La libéralisation des services publics ne peut pas aboutir à un développement du service de transport. En effet, cette stratégie du Gouvernement aboutira à une forte concurrence entre la société nationale et les opérateurs privés sur les lignes rentables, et uniquement sur ces lignes, mettant dans une situation extrêmement difficile l'opérateur public, le privant de toute possibilité de péréquation.

Ainsi, la notion de rentabilité devient plus importante que celle d'égal accès au réseau. Ce changement d'orientation témoigne du passage d'un service public à une entreprise fonctionnant selon la loi du marché.

Nous pensons que, si le Gouvernement veut réellement légiférer pour améliorer la sécurité et développer l'offre de transport, il doit tout d'abord s'engager à reprendre la dette de la SNCF et de RFF. En effet, comment imaginer un quelconque développement avec une dette de plus de 40 milliards d'euros ?

J'ajoute que cette dette a également de lourdes conséquences sur le coût du transport ferroviaire, car elle provoque une augmentation exponentielle des péages versés à RFF. Ceux-ci sont en effet passés de 0, 8 milliard d'euros en 1997 à 2, 3 milliards en 2004 !

En outre, l'Etat doit s'engager à fournir à l'AFITF - celle-ci, je le rappelle, a été créée sur l'initiative du Gouvernement - les fonds nécessaires aux grands projets définis lors du comité interministériel du mois de décembre 2003.

Il me semble même que l'on pourrait se montrer plus ambitieux encore, puisque nombre de projets dont l'utilité publique est pourtant réelle - je pense notamment à l'électrification de la ligne Paris-Troyes-Bâle - n'avaient pas alors été retenus.

Dans cette perspective, le Gouvernement doit, bien évidemment, renoncer à la privatisation des concessions d'autoroutes. En effet, les dividendes des sociétés d'autoroutes devaient être la principale source de financement de l'AFITF - je vous rappelle, monsieur le ministre, que votre prédécesseur, M. Gilles de Robien, en escomptait plus de 30 milliards d'euros de bénéfices d'ici à 2025.

Pourriez-vous nous expliquer, monsieur le ministre, par quel tour de magie vous espérez parvenir à vous dispenser de ces recettes ? En l'occurrence, ce que j'ai entendu jusqu'à présent me rend peu optimiste quant à la pérennité du financement de l'AFITF au-delà de 2007.

Je précise donc que, lors de la présentation du budget des transports pour 2006, nous demanderons au Gouvernement les crédits suffisants pour garantir ce financement, notamment en ce qui concerne le transport combiné et le fret ferroviaire.

Les investissements de la puissance publique ne doivent pas être considérés comme un coût : ils constituent au contraire un gage de croissance et d'emplois !

Nous souhaitons également que le Gouvernement s'engage à organiser un grand débat public sur les transports, en particulier sur les besoins en termes de service public. Le schéma directeur des transports doit être défini en collaboration avec les élus territoriaux et les populations.

En outre, les impératifs de service public dans les secteurs aéroportuaires, ferroviaire et maritime devraient inciter les institutions européennes à proposer la mutualisation des services publics nationaux, plutôt que la mise en concurrence et la marchandisation de ces activités ! En effet, seuls les services publics sont capables de répondre aux attentes des citoyens en matière de transports, en respectant les impératifs de sécurité et en tenant compte de la nécessité du développement du réseau !

Par conséquent - et malgré certaines mesures que nous pourrions soutenir -, les membres du groupe CRC ne peuvent approuver ce projet de loi.

Nous proposerons donc des amendements visant à assurer une maîtrise publique des infrastructures et de l'offre de transport. C'est une condition essentielle à la mise en oeuvre d'un service public de qualité, garantissant l'égal accès et la sécurité des usagers. C'est également la seule manière de fonder le développement des transports non pas sur le rendement maximum des actions des entreprises privées, mais sur les besoins des populations !

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