Intervention de Évelyne Didier

Réunion du 18 octobre 2005 à 16h00
Sécurité et développement des transports — Question préalable

Photo de Évelyne DidierÉvelyne Didier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d'aborder le contenu de ce projet de loi, je voudrais dire quelques mots de la méthode choisie par le Gouvernement.

En effet, je m'étonne que la discussion en séance publique de ce texte, dont il n'avait pas été question avant la reprise des travaux parlementaires et dont la teneur même n'est connue que depuis le 5 octobre dernier, date à laquelle il a été adopté en conseil des ministres, intervienne aussi rapidement.

Un rapporteur a été nommé pour ce texte le 28 septembre dernier, et son rapport n'est disponible que depuis le 12 octobre. Il ne s'agit bien entendu nullement de mettre en cause son travail, mais les sénateurs étaient donc censés se faire une opinion éclairée, prendre les contacts nécessaires et élaborer des amendements dans des délais particulièrement brefs. Ce n'est pas sérieux !

Je déplore que le Gouvernement, avec l'accord, il faut le dire, de la conférence des présidents, tronque le temps nécessaire à nos travaux et méconnaisse, une nouvelle fois, les droits du Parlement en général et ceux de l'opposition en particulier.

Cela étant, nous n'en sommes pas vraiment surpris : le Gouvernement a déjà donné plus d'une fois des marques de sa haute considération pour l'activité parlementaire, que ce soit en légiférant par voie d'ordonnance, en déclarant l'urgence pour de nombreux textes, notamment pour celui-ci, ou encore en n'inscrivant pas à l'ordre du jour de nos travaux les demandes de débat et les propositions de loi émanant des sénateurs de l'opposition...

De surcroît, le rejet par nos concitoyens, le 29 mai 2005, du traité établissant une constitution pour l'Europe, ainsi que les manifestations du 4 octobre dernier, ont été l'occasion, pour le peuple français, d'exprimer son refus des politiques ultralibérales, de la déréglementation à tout va et du démantèlement des services publics.

Cependant, aucune remise en question de ces politiques n'est aujourd'hui amorcée. Bien au contraire ! Le Parlement européen a ainsi voté, le 28 septembre dernier, une version encore plus libérale du « troisième paquet ferroviaire », prévoyant la libéralisation du transport international des passagers dès 2008 et celle du transport national des passagers en 2012.

De même, la fameuse directive « Bolkestein », qui avait suscité tant de contestation, se trouve actuellement en débat au Parlement européen, lequel devrait voter avant la fin du mois d'octobre ce projet de directive de libéralisation des services, qui avait pourtant particulièrement illustré l'orientation néolibérale des politiques européennes.

En effet, ce texte tend à la réalisation d'un marché unique des services par la suppression de tous les obstacles à la liberté d'établissement et de circulation desdits services. Il encourage le dumping social et fiscal en écartant la perspective d'une harmonisation entre les Etats membres, par l'intensification de la concurrence entre les salariés des différents Etats.

Les institutions européennes restent donc imperturbables et poursuivent la mise en oeuvre de la marchandisation de l'ensemble des activités, celle des services publics en particulier, qui se trouvent directement menacés, notamment le service public ferroviaire.

Je tiens à rappeler ici que, depuis de nombreuses années, les parlementaires communistes demandent un moratoire sur les effets économiques et sociaux de la libéralisation des secteurs publics, s'agissant notamment des domaines ferroviaire, aérien et maritime. Cette demande légitime n'a jamais reçu de réponse.

Au regard des attentes exprimées à plusieurs reprises par le peuple français, il semble pourtant que solliciter les institutions européennes en vue de l'institution de ce moratoire constitue l'un des premiers mandats du Gouvernement.

D'ailleurs, il existe nombre d'exemples des dérives de la libéralisation. Ainsi, en Grande-Bretagne, l'instauration voilà neuf ans d'une politique de déréglementation a provoqué non seulement une baisse de la qualité de l'offre, mais aussi la mise en danger de la sécurité des passagers, comme en témoignent les nombreux accidents survenus.

La société Connex, filiale du groupe Veolia, s'est illustrée sur ce marché en se voyant retirer une franchise qui lui avait été attribuée. L'autorité de réglementation dépendant du gouvernement britannique a pris cette décision en raison d'une gestion laxiste, source de gaspillage des fonds publics. Le secteur privé nous est pourtant toujours donné comme un modèle ! Provisoirement, la ligne concernée est retournée au secteur public. Il est résulté de ce changement une plus grande ponctualité des trains, une gestion plus saine des comptes et l'embauche de davantage de salariés. Pourquoi ne pas en tirer les conclusions qui s'imposent ?

Aujourd'hui, le Gouvernement demande à la représentation nationale de voter le projet de loi tendant à la transposition du « deuxième paquet ferroviaire », sans tenir compte des éléments que je viens d'évoquer. Ainsi, il continue avec zèle l'adaptation du droit français aux orientations libérales européennes. Il y met d'ailleurs plus d'ardeur qu'à la transposition des directives environnementales !

Sur le plan national, aucun bilan des conséquences du plan fret ferroviaire et de la qualité du service public ferroviaire n'a été établi. Pourtant, selon les chiffres donnés tant par la SNCF que par les syndicats, la mise en oeuvre de ce plan s'est traduite, une nouvelle fois, par une perte de capacité du réseau et une régression du trafic des marchandises.

Par ailleurs, afin d'améliorer la sécurité des transports, vous proposez, monsieur le ministre, la création de l'agence française de sécurité ferroviaire, telle que définie à l'article 16 du « deuxième paquet ferroviaire ». Ce nouvel établissement public serait chargé des tâches techniques d'instruction des dossiers et de contrôle de la réglementation technique de sécurité ferroviaire.

Il s'agit, là encore, de confier à une autorité de régulation des missions relevant des prérogatives de l'Etat en tant que garant du service public : sont en effet concernées des missions fondamentales pour la sécurité des usagers, comme la délivrance des autorisations exigées pour l'exercice des activités ferroviaires, ainsi que le suivi et le contrôle de celles-ci.

En outre, cet établissement devrait recruter du personnel provenant des exploitants ou des industriels du secteur. Autrement dit, parallèlement à l'ouverture à la concurrence, cela laisse présager que des opérateurs privés seront représentés au sein du conseil d'administration de l'agence nouvellement créée, qui emploiera bien évidemment des salariés sous statut privé - n'est-ce pas là, d'ailleurs, le véritable objectif visé au travers de cette opération ?

Cela laisse planer de nombreuses interrogations quant aux modalités de délivrance des autorisations concernant l'exercice d'activités ferroviaires. Quels seront les intérêts pris en compte ? Quels critères d'appréciation seront utilisés pour l'attribution des licences ? Encore une fois, la définition des modalités d'application des articles concernés est renvoyée à un décret en Conseil d'Etat. Ajoutons que ce type de structure favorise systématiquement les nouveaux entrants, par une application stricte du principe de libre concurrence au détriment de l'opérateur historique.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment que ce projet de loi ne peut être discuté en séance publique tant qu'un moratoire n'aura pas été décidé afin d'évaluer les conséquences économiques et sociales des politiques de libéralisation des services publics conduites par les institutions européennes et le gouvernement français.

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