Intervention de Luc Chatel

Réunion du 13 décembre 2007 à 9h30
Développement de la concurrence au service des consommateurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux de vous présenter aujourd'hui le projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, qui a été adopté récemment par l'Assemblée nationale et qui s'inscrit dans le cadre d'une stratégie globale du Gouvernement en faveur du pouvoir d'achat des Français et de la défense des droits des consommateurs.

Permettez-moi tout d'abord de saluer l'ensemble des sénateurs qui ont participé aux travaux préparatoires de ce texte. Je tiens plus particulièrement à rendre hommage au travail de qualité accompli par votre rapporteur, M. Gérard Cornu, avec lequel nous avons entretenu un dialogue constant, nourri et constructif. Merci, monsieur le sénateur !

Le débat que nous abordons aujourd'hui fait suite aux discussions qui ont été menées à l'Assemblée nationale dans un climat serein et constructif, auquel l'opposition a largement contribué. Je suis convaincu qu'il en sera de même dans cette assemblée, pour un sujet qui, je le crois, doit rassembler les différentes sensibilités politiques.

Le Gouvernement souhaite agir en faveur du pouvoir d'achat des Français, en pesant concrètement sur deux leviers.

Le premier levier est bien sûr l'augmentation des revenus du travail, laquelle passe d'abord par les mesures adoptées cet été dans la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, en particulier la revalorisation des heures supplémentaires. Ces dispositions constituent un « triple bonus » pour les salariés : la majoration des heures supplémentaires pour tous les salariés à hauteur de 25 %, l'exonération complète de charges sociales salariales, puisque le brut devient du net, enfin l'exonération d'impôt sur le revenu pour les revenus issus des heures supplémentaires.

L'augmentation des revenus du travail passe aussi par la mise en place du revenu de solidarité active, le RSA. Ce dispositif, porté par Martin Hirsch, permettra d'accompagner vers l'emploi les personnes en situation de précarité en leur garantissant un gain financier conséquent lorsqu'elles reprennent une activité ou quittent, par exemple, un emploi à quart temps pour un emploi à mi-temps.

La valorisation du travail passe enfin par la série de mesures annoncées récemment par le Président de la République, qui font l'objet du projet de loi adopté hier en conseil des ministres. Il s'agit de la faculté, pour les entreprises, de racheter les jours de RTT à des conditions avantageuses pour les salariés, de la majoration des heures supplémentaires pour les fonctionnaires, du déblocage de la participation et d'une prime de fin d'année défiscalisée de 1 000 euros pour les salariés des PME, et de la possibilité de négocier dans les entreprises une remise en cause des 35 heures en échange d'augmentations de salaires. Ces dispositions seront mises en oeuvre progressivement.

Le second levier consiste en une politique active sur le niveau des prix, par la stimulation de la concurrence. Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui est une traduction concrète de cette politique de renforcement de la concurrence, au service du pouvoir d'achat des Français.

Ce texte concerne environ un tiers du budget des ménages. Grande distribution, banques, téléphonie, Internet : il s'attaque à des préoccupations quotidiennes des Français.

Le titre Ier du projet de loi introduit un bouleversement majeur dans le secteur des relations entre l'industrie et le commerce, avec une réforme importante de l'encadrement des relations commerciales.

Mesdames, messieurs les sénateurs, il n'y a aucune fatalité à ce que les consommateurs français subissent dans les grandes surfaces les prix les plus élevés d'Europe. C'est en faisant ce constat que Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, avait engagé en 2004 une réflexion sur les relations commerciales. Alors que l'indice moyen des prix à la consommation dans la grande distribution était de 100 en Europe, la France avait en effet atteint un indice moyen de 115.

Cette réflexion a abouti à la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes, dite « loi Dutreil » - vous en étiez déjà le rapporteur au Sénat, monsieur Cornu -, laquelle, en modifiant la définition du seuil de revente à perte, a permis aux consommateurs de bénéficier d'une partie des avantages commerciaux obtenus par les distributeurs auprès de leurs fournisseurs. Dès lors, les distributeurs ont eu davantage de latitude pour déterminer les prix en magasin et ont pu se livrer à une véritable concurrence sur les prix, concurrence qui avait - je ne vous le cache pas - quasiment disparu dans notre pays.

Deux ans après le vote de cette loi, nous disposons du recul nécessaire pour en dresser le bilan, une clause de rendez-vous ayant d'ailleurs été prévue.

Les mesures adoptées à l'époque ont concrètement pesé sur le niveau des prix des produits de grande consommation, la baisse enregistrée sur le prix des produits de grande marque entre mai 2006 et mai 2007 ayant atteint 3, 4 %. En termes de pouvoir d'achat, ce sont 2, 5 milliards d'euros par an qui ont été directement rendus aux consommateurs, soit, sur deux ans, une économie moyenne de 200 euros par foyer.

La spirale inflationniste qui prévalait depuis le début des années 2000 a donc été enrayée.

Aucun impact négatif, il faut le souligner, n'a été constaté, ni sur le petit commerce, ni sur l'emploi dans le commerce, ni sur la place des produits des PME dans les linéaires. Bien au contraire ! Le secteur du commerce a créé 20 000 emplois l'année dernière. Quant aux PME qui fournissent les grandes surfaces, le poids de leurs produits dans le chiffre d'affaires des magasins est passé de 56, 2 % à 57, 3 % depuis l'entrée en vigueur de la loi.

Si l'on peut raisonnablement considérer aujourd'hui que la réforme de 2005 a été un succès, elle n'est cependant, à mon sens, qu'un premier pas, et nous devons aujourd'hui franchir une nouvelle étape. C'est précisément l'objet de ce projet de loi, qui permettra aux distributeurs, à partir du 1er janvier prochain, de répercuter sur le prix de vente aux consommateurs l'intégralité de leurs avantages commerciaux, à savoir les fameuses « marges arrière ».

La transformation du mode de calcul du seuil de revente à perte, autrement dit le « triple net », constitue un acte important et volontariste. Une telle mesure figurait déjà parmi les recommandations du rapport Canivet.

Aussi, dans un souci de simplification et de transparence des relations commerciales, le projet de loi prévoit que l'ensemble de la relation entre fournisseurs et distributeurs sera désormais défini dans une convention unique, afin d'éviter de trop nombreuses dérives.

Naturellement - nous y sommes très attachés -, le régime spécifique dédié aux agriculteurs sera maintenu. L'Assemblée nationale a d'ailleurs apporté au texte des ajouts importants dans ce domaine, et je vous encourage, mesdames, messieurs les sénateurs, à les conforter dans le cadre des débats qui se dérouleront ici même. Le contrat type réservé aux produits agroalimentaires sera modifié pour tenir compte des situations de forte variabilité des cours des matières premières agricoles. Ce sont donc des dispositions importantes.

La réforme des relations commerciales est un sujet d'envergure. Si nous en doutions, il suffirait d'observer les réactions épidermiques, pour ne pas dire irrationnelles, que le sujet provoque chez certains grands distributeurs, notamment, ce matin encore, dans la presse quotidienne.

Il est savoureux d'entendre ceux-là mêmes qui, voilà quelques mois, réclamaient la possibilité de répercuter dans les prix aux consommateurs l'intégralité des marges arrière nous expliquer aujourd'hui que cette mesure serait inutile. Je souhaite rafraîchir un peu la mémoire de ceux qui, aujourd'hui, me reprochent une certaine timidité et qualifient ce texte de « réformette ». Souvenez-vous, monsieur le rapporteur, de la publication du rapport Canivet, qui recommandait la mise en place du « triple net ». Que n'ai-je entendu ! « Impossible à mettre en place », « trop audacieux »... Pourtant, nous y sommes aujourd'hui !

Rappelons-le à toutes fins utiles, le présent projet de loi va deux fois plus loin que la réforme intervenue en 2005. Les distributeurs auront la possibilité de baisser de 15 % en moyenne le prix des produits qu'ils choisiront. La concurrence sera ainsi réintroduite. Toutefois, je tiens à le rappeler, nous avons maintenu le principe d'interdiction de revente à perte, qui nous semble très important pour éviter les spirales déflationnistes et les « prix prédateurs » observés à une autre époque.

Il est tout aussi savoureux d'entendre des distributeurs nous expliquer que, dans le système proposé par ce projet de loi, il serait « impossible, pour les distributeurs, de négocier les prix avec leurs fournisseurs ». Mesdames, messieurs les sénateurs, vous qui êtes souvent des élus de la ruralité, vous qui connaissez bien le tissu des PME locales fournissant la grande distribution, allez donc expliquer à une entreprise de l'agroalimentaire, par exemple dans le secteur de la charcuterie, qu'il n'y a pas de possibilité de négociation entre fournisseurs et distributeurs ! C'est une plaisanterie ! En effet, quand cette entreprise propose ses produits au tarif 100, elle se voit facturer des marges arrière de 70 et vend réellement à un prix net de 30 ! Un rapport de force existe bien aujourd'hui, et il est en faveur de ceux qui ne constituent au total que cinq centrales d'achat sur l'ensemble du territoire !

Il est une autre idée reçue : la hausse des tarifs liée à l'augmentation des matières premières, qui atteint parfois de 15 % à 20 %, se traduirait automatiquement par une augmentation des prix à la consommation de 15 % à 20 %.

Premièrement, je le dis clairement, certaines hausses des tarifs sont abusives et nullement justifiées par la hausse du prix des matières premières. Par exemple, lorsque le prix du lait augmente de 10 % - je suis moi-même l'élu d'un département rural producteur de lait -, l'impact sur le prix final dans les rayons devrait être de 2 % pour un yaourt nature et de 3 % pour un camembert ! Nous sommes bien loin des hausses à deux chiffres que certains brandissent !

Deuxièmement, certains semblent jouer sciemment de la confusion possible, dans l'esprit du public, entre, d'une part, la hausse des tarifs pratiqués par le fournisseur par rapport au distributeur et, d'autre part, la hausse des prix de vente dans le magasin, c'est-à-dire le tarif destiné au consommateur.

Nous savons d'expérience que, chaque année, à cette période, ont lieu des négociations entre industriels et distributeurs, au cours desquelles les premiers proposent des tarifs souvent en augmentation, qui, après négociation, seront ensuite revus à la baisse.

À cet égard - et je vous livre là une information dont j'ai eu la preuve ces derniers jours -, je suis quelque peu étonné, alors que certains industriels anticipent actuellement la mise en oeuvre de la loi et proposent à la distribution des baisses de tarifs en contrepartie de la suppression des marges arrière, que le distributeur expliquant que la loi ne pourra pas lui permettre de diminuer les prix soit le seul à opposer un refus. On le voit, la position de certains est pleine de contradictions.

S'agissant des relations commerciales, une dernière question se pose encore : devrons-nous aller plus loin dans la transparence et la négociabilité ?

Le Gouvernement le pense et considère que nous devrons remettre à plat dans les prochains mois un certain nombre de sujets.

Il s'agit, notamment, des relations entre l'industrie et le commerce sur la négociabilité des conditions générales de vente, mais aussi des situations d'abus de position dominante. Je vous ai indiqué tout à l'heure que cinq distributeurs détenaient une puissance d'achat exceptionnelle au regard des petits fournisseurs.

Il s'agit également des lois en vigueur relatives à l'urbanisme et à l'équipement commercial, qui ont souvent entretenu dans notre pays certaines rentes de situation à l'échelon local.

Il s'agit, par ailleurs, de la question de l'assouplissement du travail dominical, dont j'ai cru comprendre que la Haute Assemblée voulait débattre dans le cadre du présent projet de loi.

Le Gouvernement souhaite donc qu'un travail de fond soit mené sur ces questions. C'est la raison pour laquelle il a confié à l'ancienne présidente du Conseil de la concurrence, Mme Marie-Dominique Hagelsteen, une mission sur les modalités que pourrait prendre une réforme sur la négociabilité des conditions générales de vente et des tarifs. Ses travaux, qui ont été entamés, viendront compléter ceux de la commission présidée par Jacques Attali, qui rendra ses conclusions au début du mois de janvier.

La deuxième partie du projet de loi instaure des mesures sectorielles pour garantir le bon exercice de la concurrence dans des secteurs qui sont devenus très importants pour la vie quotidienne des consommateurs et suscitent de fortes attentes de leur part.

Ces mesures concernent, notamment, le secteur des communications électroniques - Internet, la téléphonie, la télévision numérique -, ainsi que le secteur bancaire.

Il faut bien reconnaître que, dans ces secteurs, l'exercice de la concurrence se révèle souvent problématique du fait non seulement de la spécificité de l'offre, mais aussi de certaines pratiques en vigueur, qu'il faut dénoncer - j'observe d'ailleurs que les autorités compétentes en la matière l'ont fait avant moi - et auxquelles il convient de mettre bon ordre.

Mon objectif est que le consommateur final soit le véritable régulateur de ces marchés, sanctionnant positivement les entreprises les plus vertueuses et les plus innovantes, qui présentent les meilleurs rapports qualité-prix, et, inversement, sanctionnant négativement les entreprises les moins compétitives, qui ont des pratiques dommageables pour le client.

Pour ce faire, plusieurs conditions doivent être réunies. Il est tout d'abord primordial d'instaurer une véritable transparence sur les prix. La concurrence n'est effective que si les offres sont suffisamment lisibles, en termes de contenu et de prix, pour que le client puisse les comparer et choisir son prestataire en parfaite connaissance de cause.

C'est le sens, par exemple, de la disposition qui vous est proposée s'agissant du secteur bancaire. Elle nous permettra de savoir, enfin, ce que nous coûte notre établissement bancaire, car c'est sans doute le seul secteur où un établissement ne nous informe pas du prélèvement qu'il effectue sur notre compte. Cette disposition permettra au consommateur français de recevoir un relevé annuel des frais bancaires, de connaître la situation de son compte, de se renseigner, de négocier avec son banquier et, le cas échéant, de faire jouer la concurrence et de changer d'opérateur.

La transparence des prix, c'est aussi la question de la gratuité de certains services aujourd'hui anormalement surfacturés

Le présent projet de loi instaure la gratuité du temps d'attente et la non-surtaxation des services d'assistance dans les domaines de la téléphonie et de l'internet, où l'on a constaté beaucoup trop d'abus, d'insatisfactions et de plaintes des consommateurs.

À l'heure actuelle, le record des plaintes reçues par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, concerne précisément le secteur d'Internet et de la téléphonie mobile, avec plus de 35 000 plaintes par an, en augmentation de 19 %.

Je rappelle que le gouvernement précédent, sur l'initiative de Patrick Devedjian et de François Loos, avait eu la volonté d'initier un partenariat entre les associations de consommateurs et les professionnels. À ce titre, vingt et un engagements avaient été pris, en 2005, pour améliorer l'information et la protection des consommateurs. Cependant, lorsque Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé des entreprises et du commerce extérieur, et moi-même avons réuni les principaux acteurs à la rentrée, nous nous sommes aperçus que sept engagements seulement avaient été tenus.

En conséquence, le Gouvernement a décidé de prendre ses responsabilités et de vous proposer de légiférer sur ces sujets essentiels que constituent la gratuité du temps d'attente, la possibilité donnée au consommateur de résilier plus facilement ses contrats dans le domaine de la téléphonie mobile, mais aussi la réduction à dix jours du délai de restitution sur les cautions des décodeurs et autres dispositifs.

La protection des consommateurs dans le secteur de la téléphonie implique de se préoccuper de la mobilité du consommateur, de sa capacité à changer librement d'opérateur.

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