Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Président de la République a annoncé le 29 novembre 2007 diverses mesures en faveur du pouvoir d'achat. Avec le titre II de ce projet de loi de développement de la concurrence au service des consommateurs, nous faisons une première incursion au coeur de cette problématique.
Comment répondre de manière équilibrée à la juste attente concernant la revalorisation du pouvoir d'achat ? Le Président de la République a dit vouloir « aller très loin sur la négociabilité dans les relations entre distributeurs et producteurs ».
Dans ma courte intervention, je m'interrogerai sur la réponse qu'apporte ce projet de loi à la « commande » du Président de la République. Je n'aborderai pas les deux autres grands thèmes - les communications électroniques et le secteur bancaire -, et encore moins l'ouverture des magasins le dimanche, qui va, comme le pense M. le rapporteur, s'inviter dans ce débat. Si les deux sujets que j'ai cités plus haut sont très présents dans le texte, ils ont été mis en arrière-plan dans les travaux préparatoires.
Monsieur le secrétaire d'État, votre texte met-il en avant la nécessaire négociabilité entre distributeurs et producteurs ? À l'évidence non, nous n'y sommes pas encore : c'est un sujet qui inquiète, car il est vaste et a des conséquences multiples.
J'ai lu en détail le rapport de l'Assemblée nationale et le compte rendu des discussions qu'il relate. J'ai très clairement éprouvé le désagréable sentiment de pénétrer au coeur d'un mauvais scénario décrivant un véritable règlement de comptes avec la distribution, qui porterait tous les maux et serait la seule responsable des prix. Il est vrai que la distribution est très concentrée, avec ses six centrales d'achat, alors que la production est très éclatée, même si - ne l'oublions pas - elle comprend quelques majors mondiales.
J'ai pu lire dans le rapport de l'Assemblée nationale que « permettre aux distributeurs de négocier les prix avec leurs fournisseurs serait dangereux », et je n'oublie pas l'allusion très précise à de « fausses factures », accusation grave dans un rapport parlementaire, qui ne peut certainement pas contribuer à apaiser les esprits.
Je vous propose, mes chers collègues, de dépasser ces agressions ridicules et sans intérêt tant elles sont systématiques. Pour nous aider à être logiques, posons simplement le problème et cherchons à y apporter la bonne solution.
L'énoncé du problème pourrait être le suivant. Un consommateur souhaite acheter un produit dont le prix de vente est composé de deux éléments principaux : le coût de production et le coût de distribution. Ce consommateur espère bénéficier des conditions les plus favorables pour améliorer son pouvoir d'achat. Comment peut-il espérer y parvenir ? Schématiquement, trois solutions peuvent être retenues : faire baisser le coût de distribution, diminuer le coût de production ou abaisser les deux composantes du prix de vente. J'ai écarté du raisonnement les taxes et certains frais annexes.
Analysons chacune de ces solutions.
La première - baisser le coût de distribution - est, pour simplifier, celle qui est retenue dans le projet de loi. La marge dont nous disposons dans cette hypothèse est très faible puisque, malgré la loi de 2005, les distributeurs sont toujours encadrés dans certains aspects de la négociation et dans la constitution du prix de vente.
Nous trouverons peut-être une piste d'amélioration dans la suppression des marges arrière, même si elles sont, à mon avis, tout à fait acceptées par les parties, malgré des réactions apparentes, mais aussi dans la mise en place du « triple net ». Aujourd'hui, la marge brute de la grande distribution est comprise entre 2, 5 % et 3, 5 %, voire 4 %. Il ne faut pas s'attendre à trouver uniquement dans ces marges finales une amélioration significative du pouvoir d'achat. À titre d'exemple, si l'on prélève 50 % de la marge brute, cela ne représente au mieux que 0, 2 % d'amélioration du pouvoir d'achat puisque les dépenses alimentaires ne constituent que 14 % des achats des consommateurs.
La deuxième hypothèse est de diminuer le coût de production. C'est là que se situe probablement la plus grande marge potentielle. Certains produits très ciblés produits par des grands groupes de taille mondiale risquent de connaître des hausses. Vous nous l'avez confirmé, monsieur le secrétaire d'État. Depuis quelques semaines, on entend parler de hausses insupportables, de l'ordre de 15 % à 20 %, pour certains produits majeurs qui pèsent lourd dans le panier de la ménagère.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous ai écouté ce matin parler de ce que quelques-uns appellent des réformettes - il faut mettre l'emploi de ce terme au compte de la tension ambiante -, et affirmer votre conviction - que je partage - que le nouveau projet va permettre au distributeur d'abaisser de 15 % le prix de certains produits.
Mais, vous l'avez dit également, l'augmentation de 10 % du prix du lait ne peut avoir un impact supérieur à 2 % sur le prix du yaourt nature. Cherchez l'erreur ! Une analyse très fine de la production doit être menée, car il y a des marges de manoeuvre très importantes.
Nous devons par ailleurs être très attentifs à la protection de nos PME et de nos agriculteurs. Dans ce texte, des dispositions vont dans ce sens et j'en suis satisfait. Bien protéger les plus fragiles doit nous permettre d'être plus vigilants sur la grande production.
La troisième voie, qui paraît la plus logique, est de travailler sur les deux composantes - distributeurs et producteurs - et de combiner les efforts de ces deux secteurs.
Est-ce que le « triple net » est la bonne réponse ? Je m'interroge. Les comptes financiers de la douzaine d'entreprises majeures des deux secteurs dont nous connaissons les chiffres précis montrent que, d'un côté, nous avons six centrales d'achat qui dominent la distribution et contrôlent près de 86 % du marché, avec une marge brute de 2, 5 % à 3, 5 %, voire 4 %, et, de l'autre, cinq ou six multinationales qui contrôlent directement ou indirectement 81 % du marché du panier de la ménagère, hors marques de distributeurs. Ces entreprises atteignent des taux de rentabilité allant de 12 % à 18 %. Le Président de la République connaît très bien ces chiffres, ce qui explique sa demande d'aller loin dans la négociabilité.
Le sujet est complexe et les grandes réformes n'ont pas toujours permis d'atteindre le but recherché - je pense notamment à la loi Galland. Les PME et les agriculteurs ont besoin de protection face aux centrales d'achat et aux multinationales. C'est l'intérêt de toutes les parties, et les grandes entreprises le savent fort bien. Comme vous l'avez d'ailleurs souligné, monsieur le secrétaire d'État, les produits des PME et des agriculteurs sont de plus en plus présents dans les linéaires : le diable n'est pas forcément là où certains le voient !
J'ai pu trouver avec plaisir dans le rapport de Gérard Cornu des réflexions très intéressantes. Le rapporteur a raison de souligner que les liens qu'entretiennent la concurrence et la consommation sont fort complexes et qu'il faut réaliser des études d'impact et une large concertation préalable. J'ai cru comprendre, au travers des propos tenus ce matin, que les entretiens préalables à la discussion du texte ont été nombreux et ouverts à tous.
Un projet de loi de modernisation de l'économie devrait être présenté au printemps 2008. Nous en attendons beaucoup ! J'espère seulement, monsieur le secrétaire d'État, que vous ne regretterez pas de ne pas être allé plus vite sur la négociabilité et que le pouvoir d'achat n'aura pas à souffrir d'une hausse des prix dans les prochains jours.
Je voterai ce texte parce qu'il contient certaines mesures et orientations qui me paraissent fort positives et parce que vous m'avez rassuré sur la volonté du Gouvernement de prendre en compte dans les prochains mois tous les aspects contenus dans le concept de négociabilité.