Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est le point d'aboutissement d'une longue procédure engagée par la Commission européenne contre la France voilà maintenant quatre ans.
La Commission estime en effet que notre législation, qui réserve aux Français les deux postes de capitaine et de suppléant, n'est pas conforme à l'article 39 du traité instituant la Communauté européenne, qui fixe le principe de libre circulation des personnes. Elle a engagé, pour cette raison, un recours en manquement contre la France le 15 février dernier, lequel fait suite à une lettre de mise en demeure et à un avis motivé : la prochaine étape est donc la traduction de la France devant la Cour de justice des Communautés européennes.
Sur le plan juridique, la réserve de nationalité du capitaine a été fondée, pendant longtemps, sur les prérogatives très larges qui lui sont reconnues. Celui-ci peut en effet exercer des fonctions d'officier d'état civil, il a des pouvoirs d'enquête et de mise en détention préventive, ainsi que des pouvoirs en matière de sûreté. En outre, ses pouvoirs disciplinaires sont très importants, puisqu'il a autorité sur toutes les personnes embarquées pour assurer l'ordre à bord du navire.
C'est ainsi que de nombreux pays européens ont maintenu une réserve de nationalité pour les capitaines de navire. Monsieur le secrétaire d'État, vous venez de le rappeler, l'État français lui-même a pendant longtemps défendu une telle position.
Le tournant est venu, en 2003, de la Cour de justice des Communautés européennes, qui a décidé, dans deux arrêts, d'apprécier en pratique l'étendue des prérogatives des capitaines. Elle a ainsi jugé dans deux affaires que le capitaine et son second n'exerçaient pas leurs prérogatives de manière suffisamment constante pour justifier une dérogation à la libre circulation des travailleurs. Dans ces deux arrêts, elle a appliqué cette interprétation non seulement aux petits navires de pêche restant près de la côte mais aussi aux navires allant en haute mer. Prenant en compte cette nouvelle interprétation du traité, la Commission européenne a demandé à la France de modifier sa législation.
En outre, la Cour de Cassation a jugé en 2004 que la réserve de nationalité du capitaine n'était plus justifiée.
Cette évolution juridique a été intégrée par de nombreux pays européens puisque, aujourd'hui, la plupart de nos voisins ont supprimé la réserve de nationalité ou sont en passe de le faire. Ces pays considèrent donc que des Européens, sous réserve de garanties linguistiques et juridiques, sont aptes à exercer les fonctions de capitaine à bord de leurs navires. Parmi eux, certains vont même très loin puisqu'ils ne posent aucune condition de nationalité : c'est le cas, par exemple, de la Lettonie, du Luxembourg, de la Norvège ou encore du Royaume-Uni.
Dans ce contexte général d'ouverture, le présent texte vise à répondre aux exigences de la Commission, en supprimant la réserve de nationalité sur tous les registres, à l'exception des registres des collectivités d'outre-mer. En outre, son chapitre II encadre les pouvoirs du capitaine en matière pénale et les place sous le contrôle de l'autorité judiciaire. Cet encadrement a pour but d'éviter le risque d'inconstitutionnalité qui naîtrait de l'exercice par des non-nationaux de prérogatives de puissance publique. Celles-ci seront désormais exercées sous le contrôle du procureur de la République et, plus généralement, des autorités françaises.
La commission des affaires économiques a été animée, face à ce texte, par un double souci : garantir l'emploi maritime français et l'avenir de la filière, d'une part ; assurer le respect des exigences de sécurité maritime, d'autre part.
Or, de ce double point de vue, le contexte économique dans lequel s'inscrit ce texte doit nous interpeller.
Grande puissance maritime historique, la France n'occupe plus le rang qui devrait être le sien au niveau européen et mondial. Placé au quatrième rang mondial dans les années soixante, le pavillon français n'occupe plus, aujourd'hui, que la vingt-neuvième place. En outre, la situation de l'emploi maritime est marquée par une crise des vocations qui appelle une attention particulière de la part des pouvoirs publics.
La France est en effet touchée par une pénurie préoccupante d'officiers, évaluée à plus de 600 officiers. Cette pénurie se manifeste d'ailleurs également au niveau européen, où il manquerait 4 000 officiers, et au niveau mondial, où il en manquerait 10 000, soit 2 % des effectifs globaux.
Les causes de cette pénurie tiennent à l'insuffisance des entrées dans la profession, aux sorties prématurées et à l'attrait pour d'autres modes de vie. À titre d'exemple, l'année 2005 avait été marquée par une chute de 25 % du nombre de candidats à l'entrée de la filière formant les officiers de première classe. Quand on sait qu'il faut environ quinze ans pour devenir capitaine, on mesure l'impact de cette pénurie dans le temps. En outre, la moitié environ des officiers au long cours démissionnent rapidement.
Cette pénurie a des conséquences très concrètes sur le pavillon français dans la mesure où certains armateurs qui le souhaiteraient ne peuvent pas immatriculer leurs navires sous pavillon français, faute de trouver les officiers français pour les commander. Elle a donc un impact sur le succès du registre international français, le RIF, dont la création, sur l'initiative de notre excellent collègue Henri de Richemont, visait à rendre le pavillon français plus attractif. Ceci a des conséquences préjudiciables en termes de sécurité, puisque la possibilité pour l'État français de jouer son rôle d'État du pavillon en matière de contrôle du respect des normes nationales et internationales est réduite d'autant.
Dans un tel contexte, marqué par une ouverture générale au niveau communautaire et par une pénurie d'officiers qui pèse sur le pavillon français, la commission des affaires économiques a approuvé l'économie générale du présent projet de loi. Elle estime toutefois que le problème de la nationalité du capitaine ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt. Les deux grandes questions qui nous sont posées indirectement par ce texte sont en effet les suivantes : comment inciter davantage les armateurs à immatriculer leurs navires sous pavillon français ? Comment garantir le maintien de la filière maritime française ?
Pour les raisons qu'elle a indiquées, la commission estime urgent que l'État français prenne enfin des mesures pour revaloriser les carrières maritimes, comme ont su le faire des pays comme la Norvège, attachés à maintenir une compétence maritime sur leur territoire et pour la défense de leurs intérêts dans les instances internationales.
En effet, l'existence d'un nombre suffisant d'officiers navigants est une condition impérative du maintien de la sécurité maritime à bord de nos côtes et au-delà. Après une carrière maritime, les personnels navigants deviennent fréquemment experts maritimes, pilotes maritimes et hauturiers, et inspecteurs des affaires maritimes. C'est pourquoi le maintien de cette filière est indissociable de l'existence d'un « savoir-faire » français, gage d'une exigence particulière en matière de sécurité maritime. Et la France, dotée du troisième domaine maritime mondial et de 5 000 kilomètres de côtes, a une responsabilité particulière en la matière.
C'est pourquoi votre commission vous proposera, par un amendement, de pérenniser les obligations des armateurs en matière de formation embarquée à bord des navires immatriculés au RIF, afin de continuer à promouvoir une filière nationale de formation maritime. Elle vous proposera également de renforcer les exigences attendues des candidats aux fonctions de capitaine s'agissant, j'y insiste, de la maîtrise de la langue française et de la connaissance de la loi nationale.
En outre, ce texte doit impérativement s'inscrire dans un plan plus global en faveur de la filière maritime française. Vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d'État, la tenue d'une table ronde sur les écoles de formation. Je m'en réjouis, car il est tout de même paradoxal de constater une telle désaffection pour une filière de plein emploi, offrant des postes à haute responsabilité et la possibilité de poursuivre des carrières à terre.