En réalité, comment expliquer que cette question n'ait pu être résolue plus tôt, notamment lors de l'examen de la proposition de loi relative à la création du RIF, tout au moins au cours de la seconde lecture du texte, en avril 2005 ?
J'ai rappelé à l'instant toutes les mises en garde, pour ne pas dire les rappels à l'ordre, dont nous avons fait l'objet alors que l'issue du bras de fer était connue d'avance : il n'y avait qu'à regarder comment les autres pays avaient bel et bien dû se conformer à cette législation !
Je me hasarderai à une explication conforme à mon postulat initial : la relation de l'espace politique avec l'espace et avec le temps, en l'occurrence le calendrier, celui du référendum sur le traité constitutionnel européen.
La loi relative à la création du RIF est datée du 3 mai ; le référendum sur le traité européen était prévu le 29 du même mois. M. Bolkestein et le plombier polonais étaient déjà bien installés dans le paysage français, et pas seulement maritime, faisant lever le vent du souverainisme. En bref, on a considéré que, pour ce texte, l'opportunité politique n'était pas au rendez-vous.
Au-delà des aspects juridiques, nous devons aussi garder présent à l'esprit ce que représente notre marine marchande en termes d'activité économique, d'emploi, de mise en valeur et de mise en mouvement de nos productions comme de nos services.
Or, en dépit des avantages financiers et fiscaux importants qui ont été consentis à nos armements, la réalité demeure préoccupante, notamment du point de vue de l'emploi. Pis, les armateurs de nos propres navires déclarent éprouver de graves difficultés à recruter des officiers français, et nos écoles de marine marchande connaissent, nous le rappelions à l'instant, une crise des vocations.
Certes, en rendant possible un recrutement communautaire, le texte qui nous est soumis aidera peut-être à combler certains vides dans l'encadrement des navires, y compris sur les bâtiments français.
Toutefois, notre pays peut-il se satisfaire de voir disparaître à moyen terme une filière française d'officiers de la marine marchande si ancienne ? À l'évidence, non ! Cette formation est indispensable, non seulement parce qu'il faut des officiers qualifiés et compétents sur la passerelle de commandement des navires, mais aussi parce que nos ports en ont absolument besoin, notamment leurs services d'inspection, dont les moyens aujourd'hui insuffisants contredisent tous les discours sur la protection de nos côtes, des rivages comme des eaux littorales.
La condition première pour garantir la pérennité de la filière française est de rendre espoir et confiance en l'avenir à la flotte marchande, en garantissant et en protégeant par un authentique registre européen, entre autres, ses conditions d'emploi, de sécurité, de rémunération, de formation, y compris la responsabilité des capitaines.
Je ne mésestime pas la difficulté de convaincre de cette nécessité certains de nos partenaires, qui croient avoir déjà résolu leurs propres problèmes. Toutefois, puisque, après tout, c'est la direction que nous devons emprunter, la France ne pourrait-elle pas, lorsqu'elle exercera la présidence de l'Union européenne, profiter de l'occasion pour réinscrire cette question à l'ordre du jour de l'agenda européen ?