Mais il l'a fait, monsieur de Richemont !
Ce n'est pas le Président de la République, qui se veut le chantre du volontarisme politique, qui soutiendra que l'on ne peut rien faire face à la souveraineté de ces micro-États abritant des pavillons de complaisance !
Tout d'abord, ces mini-puissances dépendent de l'économie mondiale. Si l'on veut réellement faire pression sur elles afin qu'elles acceptent des normes minimales, on peut agiter une menace très simple et efficace si elle est brandie par tous les États à la fois : rompons les relations commerciales avec eux, n'acceptons plus leurs bateaux dans nos ports, et l'affaire sera vite réglée !
Une autre piste d'action, envisagée voilà une vingtaine d'années avec l'article 91 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay, serait de vérifier l'existence d'un « lien substantiel » entre le navire et son pavillon. Le respect de cette condition interdirait les pavillons de complaisance.
Mes chers collègues, nous devons agir au lieu de nous adapter, parce que ces pavillons de complaisance poussent au dumping social et fiscal, comme nous l'avons vu lors du vote de la loi de 2005 créant le registre international français.
À l'époque, le Gouvernement avait cherché le moins-disant social et fiscal, avec des exonérations de cotisations, des réductions d'impôts et l'acceptation d'une forme de « directive Bolkestein de la mer », à savoir la coexistence de différentes législations sociales sur le même bateau, en fonction de la nationalité des marins employés.
Un navire battant pavillon français peut aujourd'hui rémunérer des salariés roumains ou polonais, par exemple, en appliquant la législation roumaine ou polonaise ! Il doit seulement respecter ce seuil minimum que constituent les normes internationales, notoirement insuffisantes.
Face à ces dérives, le vrai critère social n'est pas la nationalité du capitaine : il faut que tous les travailleurs sur un bateau battant pavillon français jouissent des mêmes protections, quelle que soit leur nationalité, et que les capitaines de bateaux français bénéficient de la formation française, avec des contrôles très stricts. Si tel n'est pas le cas, on entre dans une logique de dumping social, non pas entre les pays mais, ce qui est pire, entre des travailleurs qui exercent la même profession au même endroit !
C'est pourquoi les Verts proposent que l'aide nécessaire au renouvellement de la flotte sous pavillon français soit réservée aux navires armés avec des marins bénéficiant des normes du code du travail maritime français.
Ils préconisent également l'adoption d'une directive imposant aux caboteurs transitant entre les ports européens des normes sociales au moins égales à celles qui sont appliquées aux marins résidents, en ce qui concerne les salaires, la durée du travail, le temps d'embarquement et la sécurité sociale.
S'agissant du projet de loi que nous examinons aujourd'hui, un sénateur avisé déclarait lors de la séance du 14 avril 2005 : « S'agissant des fonctions, seuls le capitaine et l'officier chargé de sa suppléance devraient être français. Et vous admettrez, monsieur le secrétaire d'État - à l'époque, il s'agissait de M. Goulard -, que, sur ce point, vous n'avez pas encore obtenu gain de cause auprès des instances européennes ! »
Il était probable, voire inéluctable, que l'Union européenne ne pourrait admettre cette distinction nationale. D'où est venue l'attaque en justice ? Des armateurs espagnols, qui enregistrent leurs navires sous pavillon français afin de profiter des quotas de pêche français !
Ces armateurs, non contents de profiter des quotas de notre pays, en avaient assez de devoir embaucher un capitaine français : ils ont porté l'affaire devant la justice européenne, qui leur a donné raison. Ce problème est central parce qu'il constitue un détournement de la régulation de l'accès à des ressources rares - en l'occurrence, des ressources halieutiques.
Je le rappelle, les quotas de pêche, négociés au niveau européen, sont ensuite distribués entre les États, pour répartir équitablement les contraintes face à la crise écologique.
Mes chers collègues, évitons tout patriotisme : ces détournements de quotas peuvent se faire dans les deux sens. On a vu très récemment des thoniers senneurs à Sète, à Marseille ou au Grau d'Agde se transformer en navires libyens !
On a affaire ici à l'accaparement de quotas libyens par des pêcheurs français, une sorte de piraterie des temps modernes qui n'est pas acceptable et que l'on appelle la captation de quotas : ces bateaux sont pour la plupart d'anciens navires français, sortis de la flotte et passés sous pavillon libyen par un armateur français, en partenariat avec un armateur libyen, afin d'aller piller les ressources de la Libye.
Il faut régler cette question du quota hopping, ou captation des quotas. Toutefois, aborder cette question sous l'angle de la nationalité de l'équipage constitue une erreur. Le véritable critère est écologique : il faut que les quotas s'appliquent pays par pays, c'est-à-dire en fonction du lieu de débarquement des marchandises et de la résidence de ceux qui profitent de ces ressources naturelles, et non pas en fonction de la nationalité du capitaine.
Pour bénéficier des quotas nationaux, en quelque sorte à titre de contrepartie, les pêcheurs doivent avoir un « lien substantiel » avec le territoire dont ils exploitent les ressources naturelles et qui a rendu leur activité possible.
Un tel critère avait été esquissé avec la loi d'orientation maritime de 1997, mais encore faut-il l'appliquer réellement ! C'est cette codépendance qui se trouve remise en cause par les pavillons de complaisance, ces ancrages factices auxquels viennent s'amarrer des armateurs qui ne font que prendre les ressources naturelles et les subventions, sans jamais rien restituer, que ce soit sous forme d'activité économique, de rentrées fiscales, de respect des normes environnementales ou de protection sociale. C'est ce lien substantiel qui doit servir de guide pour reterritorialiser cette économie et l'empêcher de s'affranchir de toute règle.
En conclusion, nous souhaitons que le pavillon français soit le symbole du respect de la mer et des marins. La volonté politique doit s'exercer en Europe et, si possible, dans le reste du monde. En un mot, assez de complaisance pour les voyous des mers !