Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services, mes chers collègues, lors des débats sur la loi Chatel, et notamment sur son titre Ier, qui visait déjà à moderniser les relations avec la grande distribution, nous avions demandé que la question des délais de paiement soit traitée. La priorité ayant été alors donnée à d’autres dispositions plus favorables à la grande distribution, en particulier au détriment de l’interdiction de la revente à perte, le Gouvernement avait remis à plus tard ce débat pourtant déjà ancien.
En l’espèce, cependant, nous avons plus de chance qu’avec l’action de groupe puisque, une fois n’est pas coutume, le Gouvernement a honoré ses engagements : avec l’article 6 du présent projet de loi, la question des délais de paiement est au rendez-vous.
La longueur des délais de paiement constitue un problème crucial pour la survie même de notre réseau de petites entreprises, mais également une question complexe, tant les situations concrètes sont diverses.
Aujourd’hui, en France, les créances des PME sur leurs clients représentent 25 % de leurs bilans, contre seulement 8 % en Allemagne. C’est considérable : on estime en effet que les entreprises consentent à leurs clients quelque 600 milliards d’euros de crédit, soit quatre fois plus que le crédit bancaire !
La réduction des délais de paiement dégagerait donc des milliards d’euros de trésorerie, soit un fonds de roulement essentiel pour les investissements, car plus le solde commercial est élevé, moins les PME investissent. De fait, les PME françaises investissent beaucoup moins que les PME allemandes, par exemple. En outre, les retards de paiement se trouvent à l’origine de 21, 6 % de leurs défaillances.
Parallèlement, les grosses entreprises clientes, en particulier les géants de la distribution, font indûment fructifier dans des placements financiers les sommes qu’ils devraient normalement verser à leurs fournisseurs. Au bout de la chaîne, les petits producteurs sont exsangues et n’ont d’autre solution que de mettre la clef sous la porte.
Et la situation se détériore d’année en année : dans son rapport annuel, l’Observatoire des délais de paiement constate que ces délais s’accroissent pour les très petites entreprises ainsi que les petites et les moyennes entreprises, qui ne peuvent plus négocier face aux distributeurs, du fait de relations commerciales de plus en plus déséquilibrées.
Le projet de loi traite la question des délais de paiement très loin de son article 21, afin – dixit le rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, M. Jean-Paul Charié – « de les exclure du champ de la négociabilité ».L’intention est louable. Toutefois, monsieur le secrétaire d'État, pensez-vous sérieusement que la règle posée à l’article 6 fasse le poids quand on sait que la libre négociabilité et la discrimination tarifaires renforceront encore le déséquilibre déjà patent entre les « petits » et les « gros » ?
La lecture de l’article 6 à la lumière de l’article 21 laisse songeur quant à la volonté réelle du Gouvernement, tout comme les exceptions qui sont posées à la règle dans le texte même de l’article, et sur lesquelles nous reviendrons.
De plus, en cas de non-respect des délais légaux, le professionnel devra saisir un tribunal, ce qui n’ira évidemment pas sans lui poser des problèmes en termes de perte de temps, mais aussi d’opportunité compte tenu des inévitables représailles auxquelles il sera confronté. Les fournisseurs devront choisir entre fermer parce qu’ils ne sont pas payés ou mettre la clef sous la porte parce qu’ils n’ont plus d’acheteurs !
Tout cela nous amène à constater que les rares bonnes idées de ce projet de loi sont perverties par la politique économique favorable aux grands groupes financiers et économiques qui est celle du Gouvernement.