Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe socialiste est évidemment favorable à la réduction des délais de paiement, sous réserve, bien sûr, de la progressivité de certaines dispositions.
Toutefois, je tenais à attirer l’attention sur deux effets pervers que pourraient avoir ces dispositions.
Le premier, auquel il faudra veiller très attentivement, concerne les enseignes de la grande distribution. En effet, le modèle économique qui les fait prospérer repose en bonne partie sur la durée particulièrement longue des délais dans lesquels ils règlent leurs fournisseurs, alors même qu’elles encaissent « en temps réel », ce décalage leur permettant de réaliser des placements financiers rémunérateurs.
Bien que je me réjouisse de la fin de cette asymétrie si préjudiciable aux TPE et PME de l’alimentaire, notamment, je redoute que les grandes enseignes, beaucoup moins respectueuses du pouvoir d’achat qu’elles ne le claironnent, ne répercutent cette perte financière sur leurs prix. C’est pourquoi je pense qu’il faudra être extrêmement vigilant sur ce point.
Le second effet pervers de ces dispositions concerne les filières des commerces spécialisés qui sont caractérisés par une faible rotation des stocks. Les relations commerciales dans le commerce de détail sont d’une tout autre nature que celles qui régissent les relations entre les grandes enseignes et les PME. Je pense notamment aux libraires, et je ne choisis pas cet exemple au hasard.
Cette profession s’est largement mobilisée quand, lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, un amendement est venu remettre en question l’équilibre économique du secteur. Aujourd’hui, elle reste inquiète.
L’exception culturelle française, à laquelle nous sommes tous attachés, n’a pas bonne presse en Europe. Pourtant, qu’il s’agisse de la loi Lang sur le prix unique du livre ou du financement du cinéma, ces dispositifs permettent à la France de connaître une activité et un dynamisme culturels soutenus.
La loi Lang a permis de maintenir en France un important réseau de librairies indépendantes ; il ne faut pas que la disposition relative aux délais de paiement soit contraire à ses objectifs.
Les librairies sont des entreprises de petite taille ; leurs capacités financières sont sans commune mesure avec celles de leurs principaux fournisseurs. Par ailleurs, leur stock est, pour une part importante, composé d’« offices », c’est-à-dire des nouveautés ou des livres relevant d’opérations commerciales décidées par le fournisseur et bénéficiant d’un délai de paiement de quatre-vingt-dix jours. Pour une autre part, ce stock est composé de titres qu’un libraire se doit d’avoir dans son magasin parce qu’il s’agit d’œuvres de la grande et belle littérature, mais qui ne « tournent » pas rapidement.
Dès lors, dans les librairies, la rotation et la marge moyennes sont faibles, la rentabilité est l’une des moins élevées de l’ensemble du commerce de détail et les besoins en fonds de roulement sont importants.
Le risque serait donc de voir les librairies contraintes de se transformer en magasins privilégiant les grosses ventes et ne proposant les titres « rares » que sur commande. C’est pourquoi il faudra sans doute réfléchir à des dispositions spécifiques en leur faveur.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il m’a semblé indispensable d’attirer l’attention de la représentation nationale sur ce secteur si important pour l’animation culturelle et commerciale des centres-villes, et qui est en outre un acteur essentiel de la diversité éditoriale française.