Madame la ministre, avant d'exprimer l'opinion du groupe communiste républicain et citoyen sur le texte qui nous est soumis, je tiens à protester très énergiquement contre l'absence de M. Larcher. En effet, non seulement le texte dont nous discutons aujourd'hui méritait sa présence à vos côtés, mais, de plus, M. le ministre avait pris l'engagement de recevoir une délégation des travailleurs de l'entreprise Nestlé de Marseille, victimes, comme vous le savez, de la fermeture de cette dernière. Ils sont ici, et il leur est répondu que M. Larcher ne peut pas être là.
Ce genre de comportement est préoccupant compte tenu des difficultés immenses auxquelles se heurtent des centaines de familles et de salariés face à un groupe qui, je le rappelle, enregistre des milliards d'euros de profits.
Bien évidemment, la lutte continue chez Nestlé, et le Gouvernement en entendra encore parler.
La justice a, une première fois, condamné l'attitude de ce groupe, et je trouve que c'est bien mérité.
J'en viens au projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis.
Ce texte est-il dicté par un souci de justice ? Nous aurions souhaité qu'il en fût ainsi, mais la première des motivations exprimées dans le rapport est plus cynique, puisqu'il est indiqué que « la baisse prévisible de 100 000 nouveaux actifs par an implique de rechercher des ressources de main-d'oeuvre que les femmes sont en plus grand nombre pour fournir. »
De la loi du 13 juillet 1983, dite « loi Roudy », à la loi du 9 mai 2001, dite « loi Génisson », voilà donc presque vingt ans que le législateur a, par de nombreuses dispositions, pour prétention de supprimer les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes, ce sans véritables résultats.
C'est devenu un véritable leitmotiv que de dire que ces lois ne sont pas appliquées, que les dispositifs mis en place sont insuffisants et pas assez contraignants.
Pourtant, le débat a été relancé grâce à l'adoption, en mars 2004, d'un accord interprofessionnel pour lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes, puis par le projet de loi que nous examinons aujourd'hui. Malheureusement, force est de constater que ce dernier est, lui aussi, plus que décevant.
Deux raisons majeures expliquent cela. Ce texte vise à lutter contre les inégalités de salaires entre les hommes et les femmes, qui, si elles ont légèrement baissé au cours des vingt dernières années, sont encore démesurées, puisque, en 2002, l'écart moyen était d'environ 19 %, pour monter jusqu'à 23 % chez les cadres. Mais, comme tout ce qui s'est fait depuis vingt ans sur ces questions, les articles de ce projet de loi ne comportent que des mesures purement incitatives et absolument pas coercitives.
C'est même un choix revendiqué par le Gouvernement : vous indiquez, en effet, madame la ministre déléguée, qu'entre convaincre et contraindre vous avez choisi de convaincre. Vous ajoutez également que l'égalité ne se décrète pas. Malheureusement, vingt ans d'échec apportent la démonstration concrète que, sans loi coercitive, il n'y a pas d'avancée réelle. J'en veux pour preuve la loi sur la parité aux élections. Où en serions-nous aujourd'hui sans elle ? Poser la question, c'est y répondre.
En ayant pour objet de supprimer les écarts de rémunération dans les cinq prochaines années, c'est-à-dire d'ici à 2010, par l'intermédiaire de négociations de branches, les mesures prévues dans le présent projet de loi reposent uniquement sur le « bon vouloir » des entrepreneurs au lieu de les contraindre à considérer également leurs salariés, qu'ils soient hommes ou femmes.
D'ores et déjà, avant même qu'il soit adopté, nous savons donc que ce texte sera inefficace et qu'il ne résoudra rien au fond. Il n'est, en réalité, qu'un ensemble de mesures d'affichage social, sans contestation sur le fond d'une immense injuste pour les femmes.
Par ailleurs - et c'est peut-être le plus important - le débat sur les inégalités professionnelles n'y est envisagé que sous l'angle des inégalités de rémunération.
Cette vision réductrice des problèmes sociaux ne peut que nous faire penser au proverbe chinois : quand le sage montre la lune, l'idiot regarde le doigt. En effet, la réalité sociale des discriminations sexuelles est beaucoup plus complexe et grave que ce que vous avez l'air de penser.
Madame la ministre dois-je vous rappeler que l'égalité salariale ne sera possible que lorsque toutes les discriminations professionnelles auront disparu et que l'on traitera de manière globale l'organisation du travail des salariés, en tenant compte de leur vie personnelle et familiale ?
Or les millions de femmes qui sont entrées dans la vie active au cours des quarante dernières années sont toujours confinées dans quelques secteurs d'activité, essentiellement le tertiaire et les services, où elles sont d'ailleurs plus vulnérables et victimes de ségrégations professionnelles, parce qu'elles occupent des postes peu qualifiés, peu valorisés, et se voient imposer un temps partiel, qui plus est peu compatible avec la vie familiale ou personnelle.
Le fond du problème, c'est que les inégalités majeures entre les hommes et les femmes résident dans le fait que ce sont les femmes qui sont le plus victimes de la précarité, car cantonnées à des emplois mal payés et instables. Victimes de discriminations, leurs chances de progression dans leur emploi sont beaucoup plus faibles. Ainsi, 63 % des contrats « aidés » concernent les femmes. Ce sont elles qui sont le plus touchées par le chômage : plus de 10 % des femmes actives sont au chômage et de plus en plus d'entre elles sont au chômage non indemnisé. En fin de carrière, elles sont souvent sans emploi ou en invalidité.
A cela, il faut ajouter que la vision sexiste du travail qui vise à prêter aux femmes des « caractéristiques » spécifiques - docilité, finesse, capacité d'effectuer des « petits travaux », notamment - est encore la culture dominante qui règne au sein du patronat français.
Bref, considérées comme une « variable d'ajustement », une « main-d'oeuvre mobilisable », ce sont toujours les femmes qui sont les plus contraintes à accepter des contrats à temps partiel : 82, 1 % des temps partiels sont occupés par des femmes.
Or, un temps partiel, c'est un salaire partiel, éventuellement une indemnisation de chômage partielle, puis une retraite partielle. Près de 3, 5 millions de femmes sont confrontées à cette réalité, qu'elles n'ont pas choisie et qui fait d'elles des salariées pauvres.
Depuis vingt ans, en effet, le travail à temps partiel a explosé dans certains secteurs - le commerce, l'hôtellerie, la restauration, les services aux particuliers et aux entreprises - et chez une catégorie professionnelle particulière : plus de la moitié des femmes concernées sont des employées. Qu'elles soient caissières, vendeuses ou femmes de ménage, la plupart n'ont pas choisi d'occuper un poste à temps partiel. Elles ont préféré avoir un emploi de quelques heures plutôt que d'être au chômage. Beaucoup d'entre elles travaillent pour un salaire bien inférieur au SMIC et avec des horaires extrêmement éclatés.
Sur les 8, 5 millions d'actifs qui perçoivent un salaire inférieur au SMIC, 80 %sont des femmes. Ce chiffre représente une aggravation de 10 % en dix ans.
Il est donc grand temps de « tordre le cou » à l'idée de « choix ». Temps choisi, temps subi : en dépit des apparences, la question n'est pas pertinente. Que signifie « choisir » quand les pressions sont tellement fortes qu'il n'y a pas d'autres solutions, quand les emplois proposés ne sont jamais à temps plein, quand les contraintes de la vie familiale deviennent trop complexes ? Les pressions ne sont pas uniquement d'ordre économique ou domestique ; elles sont également, et fortement, idéologiques : le travail à temps partiel a été construit de toutes pièces comme étant la forme d'emploi idéale pour les femmes.
La question est donc non pas tant de savoir si le travail à temps partiel a été choisi un peu, beaucoup, passionnément ou pas du tout, mais d'en mesurer les conséquences. Au fil des ans, il est devenu la figure emblématique de la division sexuelle du marché du travail. Il est, dans le même mouvement, devenu le moteur de la pauvreté laborieuse. Le sujet est pourtant longtemps resté tabou en France, comme si les working poors étaient une exclusivité américaine.
Or le sous-emploi échappe très largement à votre analyse des inégalités professionnelles, parce qu'il se confond, pour partie, avec le travail à temps partiel, que les stéréotypes culturels qualifient systématiquement de « bon pour les femmes ».
Il est tout à fait frappant, en effet, de voir comment le travail à temps partiel demeure exclu de votre réflexion sur l'emploi et le chômage. Le sujet est relégué au chapitre de la diversification du travail ou, plus désolant encore, à la rubrique relative à la « conciliation de l'emploi et de la vie familiale », mais il est rarement abordé sous l'angle de la pénurie d'emploi.
Il n'y a donc, dans votre projet de loi, rien sur tout cela, rien sur le temps partiel imposé aux femmes. Vous ne faites qu'en appeler à la bonne volonté des employeurs, sans les contraindre à en faire preuve, sans même les y inciter.
Si la bonne volonté suffisait, l'inégalité serait aujourd'hui en voie d'extinction, puisque, dans la loi « Roudy » du 13 juillet 1983, dont c'est l'anniversaire demain, était abordée la question des écarts de rémunérations entre les hommes et les femmes - or, près d'un quart de siècle après, ceux-ci n'ont presque pas changé ! - et que cela fait presque cinquante ans que, dans l'article 51 du traité de Rome, ces questions-là étaient traitées.
Il faut donc que les sanctions soient exemplaires et, surtout, appliquées, et que des obligations soient mises en oeuvre, donnant ainsi de la vraie visibilité à cette urgence sociale.
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que si les problèmes d'inégalité professionnelle entre hommes et femmes sont le résultat d'une conception machiste de l'ordre social, elles sont aussi confortées par votre politique libérale, qui charrie chaque jour encore plus de précarité dans l'emploi et qui touche en premier lieu les femmes.
Les secteurs professionnels de l'éducation, du social, ou encore de la santé, sont des secteurs hautement féminisés qui subissent des assauts constants. Ce sont donc les femmes qui sont les premières touchées par la régression sociale. Ainsi, les réformes sur la retraite, avec le passage des dix meilleures années à vingt-cinq années, sont une véritable catastrophe : parmi les retraités pauvres, à savoir ceux qui perçoivent moins que le minimum vieillesse, huit sur dix sont des femmes.
En réalité, ce texte a pour objet non pas de satisfaire les besoins des femmes, mais de répondre aux exigences et aux besoins de l'économie française.