Intervention de Nicole Bricq

Réunion du 25 novembre 2005 à 15h00
Loi de finances pour 2006 — Article 2

Photo de Nicole BricqNicole Bricq :

Je vous avais promis, monsieur le ministre, que vous auriez l'occasion de m'entendre aujourd'hui et, de fait, je me suis inscrite pour prendre la parole sur un certain nombre d'articles, à commencer par l'article 2, qui traite de l'impôt sur le revenu.

L'impôt sur le revenu revêt un caractère paradoxal. Il focalise en effet l'attention, alors que, d'un point de vue quantitatif, il n'occupe qu'une faible place au sein de notre fiscalité : il ne représente aujourd'hui qu'un sixième des recettes de l'État, contre un cinquième voilà dix ans.

Par rapport à la production de richesses, sa part est également faible : 3, 2 % du PIB. La France enregistre d'ailleurs à cet égard le plus faible taux parmi l'ensemble des pays développés. Aux États-Unis, par exemple, l'équivalent de l'impôt sur le revenu représente 7, 6 % du PIB.

Autre paradoxe qui ne laisse pas d'étonner les élus de gauche : bien peu de Français en sont redevables puisque 20 % des ménages fournissent 90 % du produit de l'impôt sur le revenu !

Malgré les caractéristiques que je viens de rappeler, depuis plusieurs années, la France n'est pas la dernière dans le mouvement général, en Europe et dans le monde, de baisse de la fiscalité, et plus particulièrement en matière d'impôt sur le revenu ou de ce qui s'y apparente.

Or, dans le panorama fiscal français, l'impôt sur le revenu présente une différence fondamentale avec les autres impôts, y compris la CSG : il est progressif.

D'un point de vue macro-économique, personne ne peut le contester, le déséquilibre entre le capital et le travail est durable.

Nous pensons, par conséquent, que la fiscalité est un correctif utile. Nous avons donc besoin, en France, d'un impôt redistributif à assiette large.

Nous sommes nombreux à le dire - je pense en particulier à M. le président de la commission des finances et à M. le rapporteur général - le débat fiscal occupera la première place lors de la confrontation politique de 2007, et c'est tant mieux ! En effet, il s'agit d'un débat qui touche profondément au ressort démocratique et républicain. Or, d'une certaine manière, ce débat commence aujourd'hui.

J'en viens maintenant à votre politique, monsieur le ministre.

A long terme, la politique systématique d'allégement de l'impôt sur le revenu, que vous poursuivrez en 2007 - nous en reparlerons lors du débat sur la réforme fiscale - a pour résultat de favoriser la rente, ce qui va à l'encontre de cette « valeur travail » à laquelle vous affirmez être profondément attaché.

Les travaux d'un jeune économiste de renom - « mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années » ! -, M. Thomas Piketty, ont montré que l'impôt sur le revenu, notamment par ses taux les plus élevés, avait, jusque dans les années soixante-dix, permis d'éviter l'accumulation des patrimoines et le retour aux très fortes inégalités du début du siècle.

Nous vous reconnaissons au moins une logique, monsieur le ministre, celle de tenir la promesse du candidat Jacques Chirac en 2002, qui fixait à son quinquennat l'objectif de baisser l'impôt sur le revenu de 33 %. Si nos calculs sont bons, la baisse atteindra 11 %, voire 14, 5 % si l'on y inclut la prime pour l'emploi, dont nous reparlerons à l'occasion de l'examen de l'article 3.

Pourtant, cette logique est néfaste au regard de l'idée que nous nous faisons, nous Français, du pacte qui nous lie, bien au-delà des divergences et des différences naturelles en démocratie.

Monsieur le ministre, vous nous reprochez, à nous socialistes - vous l'avez encore fait hier au cours de la discussion générale -, de ne pas avancer de propositions. Vous aurez remarqué, si vous êtes attentif à l'actualité, que nous y venons. Vous ne trouverez d'ailleurs pas aujourd'hui un socialiste qui ne revendique la revalorisation de l'outil fiscal.

Certes, la palette est large entre ceux qui prônent un impôt universel sur le revenu et ceux qui, comme moi, souhaitent fondre l'impôt sur le revenu et la CSG, pour disposer d'un impôt à assiette large. Cette dernière proposition permettra à la progressivité de s'exercer et à la redistribution d'être efficace. C'était d'ailleurs l'une des préconisations du rapport de MM. Saint-Étienne et Le Cacheux, mais ni le Gouvernement ni la majorité n'ont voulu en tenir compte.

Tuer à petit feu l'impôt sur le revenu nous conduit irrémédiablement à un système d'impôt proportionnel. C'est la flat tax, telle que la pratiquent certains pays récemment entrés dans l'Union européenne.

Nous ne pouvons approuver cette évolution majeure, qui supprime toute progressivité et qui tourne le dos à un impôt payé par les contribuables « en raison de leurs facultés ». Il s'agit là, vous le comprendrez, monsieur le ministre, d'une divergence majeure avec la majorité et le Gouvernement. Ce débat, je le répète, ne fait que commencer !

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