Intervention de Richard Yung

Réunion du 18 novembre 2009 à 14h30
Cumul des fonctions et des rémunérations — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Richard YungRichard Yung :

Faut-il que la France se dote d’un deuxième grand opérateur international en matière d’énergie ? Je n’ai pas la réponse à cette question.

Ce débat est donc nécessaire, mais il ne faut pas le mener de façon masquée, larvatus prodeo ! Or, à l’heure actuelle, nous avons l’impression qu’il y a une volonté de ne pas nous dévoiler le projet stratégique, qui existe, bien sûr, derrière cette nomination. De ce fait, nous en sommes réduits à des conjectures.

La situation de cumul des fonctions de dirigeant d’une entreprise publique et de dirigeant d’une entreprise privée est porteuse de nombreux risques, que tout le monde a présent à l’esprit, en particulier le risque de conflit d’intérêts, qui est accentué par le fait qu’EDF et Veolia, outre leurs participations croisées – EDF détient 4 % du capital de Veolia – opèrent dans des domaines analogues et possèdent même une filiale commune, Dalkia, détenue à 66 % par Veolia et à 34 % par EDF.

Mme Lagarde nous dit : « Le conseil d’administration d’EDF s’est engagé, si M. Proglio était nommé président, à éviter toute situation de conflits d’intérêts ». Je suis sûr qu’elle est sincère lorsqu’elle tient ces propos. Mais nous sommes bien placés pour demander un peu plus de garanties dans ce domaine, l’histoire récente nous ayant largement éclairés et échaudés.

En outre, comment expliquer, si ce n’est par la crainte de voir surgir des conflits d’intérêts, que le conseil d’administration de Veolia ait créé un poste de président non exécutif et nommé Louis Schweitzer, ancien président de Renault, comme vice-président chargé du bon fonctionnement de la gouvernance ? Là encore, c’est une drôle d’acrobatie ! Jamais nous n’avons vu cela dans les conseils d’administration de grandes entreprises ! On va nommer un vice-président chargé, au fond, de vérifier que le président applique les règles éthiques de haut niveau. Cela me paraît un peu curieux !

Le président Arthuis estime – cela a été dit – qu’un tel cumul « serait un contournement des règles de bonne gouvernance ». Cela montre que le débat relatif au cumul des fonctions transcende les clivages politiques.

J’en veux pour preuve l’amendement du groupe socialiste, qui a été adopté par le Sénat lors de l’examen du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales – M. Teston ici présent peut en attester –, visant à empêcher le président du conseil d’administration de La Poste, transformée contre notre volonté en société anonyme, de détenir une autre responsabilité dans une entreprise, quelle qu’elle soit, publique ou privée. Cette disposition, votée par l’ensemble du Sénat, toutes tendances confondues, prouve qu’il a bien la perception d’un certain malaise dans ce domaine.

Pourquoi l’État, qui est l’actionnaire majoritaire d’EDF, ne vient-il pas devant le Parlement pour expliquer quel mandat il donne à M. Proglio et sur quel projet la nomination de celui-ci a été envisagée ?

Mme Lagarde a indiqué qu’il « pourra réaliser des opérations stratégiques très importantes ». Certes, nous pouvons envisager plusieurs hypothèses, mais nous aimerions bien savoir de quelles opérations il s’agit et en débattre. Or, pour l’instant, nous sommes dans l’obscurité.

Selon la presse, M. Proglio devrait opérer le rapprochement stratégique des deux groupes. On nous explique, en effet, que la tendance mondiale est au rapprochement de l’énergie et de l’environnement : GDF-Suez, E.ON en Allemagne, Iberdrola en Espagne, etc. Je le répète : nous, nous sommes prêts à en débattre, mais pas dans ces conditions, c’est-à-dire de façon un peu camouflée.

J’ajouterai une simple remarque : n’est-il pas paradoxal de vouloir nommer à la tête d’EDF celui qui préside depuis cinq ans le comité stratégique du groupe public, alors même que le Premier ministre a récemment critiqué certains choix stratégiques d’EDF, en matière notamment de gestion du parc nucléaire ou de tarification ? Permettez-moi ce clin d’œil.

Je subodore aussi que la nomination de M. Proglio répond également à des objectifs comptables : il s’agit de mettre à la charge des consommateurs d’électricité, donc de tous les Français, le désendettement de Veolia – il est prévu qu’EDF passe de 4 % à 15 % du capital de Veolia et en devienne ainsi l’actionnaire de référence – en échange d’une montée d’EDF au capital de Dalkia, leur filiale commune. In fine, on aboutira à une valorisation de Veolia et de Dalkia. Ce sera bon pour les actionnaires de ces deux entreprises, mais que va y gagner, au fond, EDF ? Je laisse la question ouverte.

Ensuite, s’agissant de la question du cumul des rémunérations, Mme Lagarde a récemment déclaré devant le Sénat que M. Proglio ne cumulera pas plusieurs rémunérations et percevra « une seule et unique rémunération », dont le montant, semble-t-il, n’a pas encore été fixé.

Cependant, M. Proglio a indiqué son souhait de garder, en tant que président d’EDF, un niveau de revenu comparable à celui dont il jouissait chez Veolia, ce qui est compréhensible, et légitime de son point de vue, mais signifie que sa rémunération sera de l’ordre du triple de celle de son prédécesseur, M. Gadonneix.

Le cas d’espèce auquel j’ai fait référence montre la nécessité de légiférer. Cependant, le dispositif que nous examinons ne nous semble pas satisfaisant.

Des critiques, sur lesquelles je ne reviendrai pas, ont été émises sur la consultation de la commission nationale de déontologie de la fonction publique. Une telle disposition n’était pas pertinente, dans la mesure où cette commission, essentiellement composée de hauts fonctionnaires, avait pour simple mission d’examiner si les activités privées que les agents de l’administration envisagent d’exercer ne sont pas incompatibles avec les fonctions qu’ils exerçaient antérieurement.

En revanche, la substitution de l’Agence des participations de l’État, qui a fait l’objet d’un premier amendement du rapporteur, puis d’un amendement du Gouvernement, n’emporte pas notre adhésion.

L’Agence des participations de l’État a pour vocation d’être le bras séculier, si j’ose dire, de l’État et du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, dans sa stratégie industrielle. Elle n’a ni souci ni capacité ni compétence dans le domaine éthique ou en matière de politique de rémunérations.

Au surplus, comment se convaincre que cette agence, composée pour l’essentiel de hauts fonctionnaires ou d’anciens hauts fonctionnaires des finances, au demeurant tous très estimables, prendra sur elle d’émettre des opinions différentes de celles de son ministre de tutelle, auquel elle destine ses rapports ? Personne ne peut croire cela ! Nous sommes dans un théâtre d’ombres !

Je le répète, l’Agence des participations de l’État n’a pas pour vocation de faire ce qu’il est envisagé de lui demander aujourd'hui et elle ne le fera pas.

Pour toutes ces raisons, nous avons préféré, pour notre part, nous prononcer clairement sur la non-compatibilité du cumul des fonctions de dirigeant d’une entreprise publique et d’une entreprise privée.

Nous proposons – c’est l’objet de notre amendement – d’interdire purement et simplement ce cumul et, bien sûr, dans la foulée, le cumul de rémunérations.

Notre amendement, je l’ai dit, s’inscrit dans le prolongement des propositions que le groupe socialiste a déjà présentées ces dernières semaines, afin de réformer la gouvernance des entreprises.

Je pense également à la proposition de loi initiée par notre excellente collègue Nicole Bricq, visant à réformer le statut des dirigeants de société et à encadrer leurs rémunérations.

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