Séance en hémicycle du 18 novembre 2009 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur le contexte et les perspectives d’évolution de la Direction générale de l’aviation civile, établi en application de l’article 193 de la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances ainsi qu’à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, et sera disponible au bureau de la distribution.

(Texte de la commission)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à interdire ou à réglementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise du secteur public et d’une entreprise du secteur privé, présentée par M. Yvon Collin et plusieurs de ses collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen (nos 8, 87, 88).

Dans la discussion générale, la parole est à M. François Fortassin.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la genèse de la proposition de loi déposée par mon collègue et ami Yvon Collin est liée à la nomination récente d’Henri Proglio, PDG de Veolia, entreprise privée cotée au CAC 40, à la tête d’EDF, première entreprise publique par le nombre de ses salariés et l’importance de son chiffre d’affaires. Cette nomination est essentiellement le fait de la volonté du Président de la République, qui, semblerait-il, ne souhaitait pas le renouvellement du mandat de Pierre Gadonneix, actuel PDG d’EDF.

Il s’agit d’un cas de figure insolite et inhabituel, qui a incontestablement suscité une certaine émotion, pour ne pas dire davantage. J’ai eu l’occasion de qualifier cette situation de « berlusconienne », analyse qui n’a pas vraiment enthousiasmé l’heureux récipiendaire mais que je maintiens.

De quoi s’agit-il ?

Je veux d’abord écarter très clairement tout argument lié à la compétence de M. Proglio, car celle-ci n’est pas en cause ici, ou à son salaire : ce n’est pas là ce qui m’intéresse. Je considère en revanche qu’il est bon de rappeler certains principes républicains devant cette assemblée, afin que l’opinion publique puisse en prendre connaissance. Ces principes veulent que, lorsque deux entreprises n’ont pas la même finalité – du moins jusqu’à ce jour ! –, on puisse légitimement considérer que la nomination à la tête de l’une d’un PDG qui continue à garder un pied dans l’autre fait planer la menace d’un conflit d’intérêt.

Lorsqu’une nomination concerne une entreprise publique dans laquelle la participation de l’État est aussi importante, il est tout à fait normal que la Haute Assemblée ait son mot à dire. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à avoir réagi : M. le président de la commission des finances du Sénat, notre excellent collègue Jean Arthuis, a lui aussi stigmatisé cette situation lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement. Pour avoir assisté à cette séance, je ne peux pas dire que les réponses fournies aient été extrêmement convaincantes…

EDF est un établissement public à caractère industriel et commercial chargé d’une mission de service public. À ce titre, il lui incombe d’assurer un service universel de fourniture d’électricité aux ménages les plus démunis ainsi que dans les zones les moins accessibles. Son chiffre d’affaires est important, de même que sa capitalisation boursière, même si le groupe a perdu quelques millions d’euros l’an dernier, à la suite d’une politique d’expansion coûteuse et peut-être mal maîtrisée.

Quant à Veolia Environnement, c’est une entreprise privée issue de la Compagnie générale des eaux, la CGE. Leader mondial des services à l’environnement, elle poursuit une finalité exclusivement lucrative. Près des deux tiers de son capital sont flottants. La Caisse des dépôts et consignations, son premier actionnaire institutionnel, détient moins de 10 % de son capital.

Il est à noter que la CGE avait été scindée en deux entités, Veolia Environnement et Vivendi Universal, cette dernière étant présidée par Jean-Marie Messier. Chacun sait que celui-ci fut, dans un passé récent, un gestionnaire extrêmement rigoureux et particulièrement avisé, voire un visionnaire. On connaît la suite…

M. le président de la commission des lois sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Ce cumul potentiel de fonctions suscite d’autant plus l’incompréhension qu’il va à l’encontre des grands principes républicains – je les ai déjà rappelés – qui commandent que la défense de l’intérêt général et la prise en compte des besoins de nos concitoyens les plus démunis se fassent dans des conditions transparentes et irréprochables sur le plan éthique. Toute la question est là ! « On ne nous dit pas tout ! », commenterait une humoriste de grand talent.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Nous sommes d’ores et déjà quelque peu échaudés. Il fut en effet un temps où ceux qui craignaient la privatisation de Gaz de France étaient qualifiés soit d’esprits obtus, soit d’empêcheurs de tourner en rond, soit de personnes malintentionnées, voire nuisibles. On sait ce qu’il est advenu.

La commission de l’économie a eu l’occasion d’auditionner M. Proglio. Il a fait observer que, grâce à lui, EDF et Veolia seraient plus forts. C’est donc bien qu’il pense à un rapprochement !

Mes chers collègues, je livre à votre méditation une autre de ses observations, que j’ai trouvée choquante. Il a affirmé devant la commission qu’EDF, renforcée, devait nouer des contacts très étroits avec Gazprom pour prendre les autres pays européens en tenaille. Je ne partage pas tout à fait une telle conception de l’Europe. Un renforcement des liens entre ces deux sociétés peut certes présenter un intérêt, mais, selon l’idée que je me fais de l’Europe, il est évident que l’on ne doit pas se comporter en prédateur. Or c’est bien de cela qu’il s’agit ! Les prédateurs peuvent avoir quelque utilité, mais parfois ils sont nuisibles.

Je n’évoquerai pas la rémunération de M. Proglio, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

… sinon pour mentionner qu’elle serait deux fois et demie supérieure à celle de M. Gadonneix, qui, jusqu’à preuve du contraire, ne donnait pas dans le misérabilisme !

Ce montant serait versé à M. Proglio tout simplement pour lui assurer une rémunération… décente. Nous ne donnons probablement pas la même signification aux mots : l’adjectif « décent » n’est sans doute pas apprécié de la même façon par les élus du peuple et par les grands chefs d’entreprise de notre pays…

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Un autre point nous gêne particulièrement. Les entreprises publiques sont tenues de respecter « des règles et principes de gouvernance d’un haut niveau d’exigence éthique ». Or il sera certainement difficile de définir ce « haut niveau » – la définition de l’« éthique » devrait être plus simple. Tout cela est extrêmement savoureux.

De surcroît, sans même y avoir été invité, M. Proglio a précisé au cours de son audition qu’il n’avait ni résidence secondaire, ni bateau, ni train de vie très élevé. À l’évidence, ce monsieur doit être un grand économe qui assure l’avenir de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Si l’on considère que, toujours selon ses déclarations, M. Proglio resterait à Veolia pour présider un conseil de surveillance qui ne se réunit pas plus de cinq ou six fois par an, on peut se poser une question : pourquoi cette multiplication d’intérêts et cette sorte de « doublonnage », à nos yeux tout à fait anormales ?

Je l’affirme très nettement : le cas de M. Proglio me paraît beaucoup plus révélateur et plus choquant que la nomination avortée de M. Jean Sarkozy à la tête de l’Établissement public pour l’aménagement de la Défense, l’EPAD. Certes, s’il avait porté un autre patronyme, M. Jean Sarkozy n’aurait sans doute pas été sollicité. Mais il est un élu du peuple ! Le poste de président de l’EPAD revient à un conseiller général : à partir du moment où M. Jean Sarkozy détenait un tel mandat, sa nomination n’aurait rien eu de choquant sur le principe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Vous ne demandez tout de même pas que les présidents des grandes entreprises publiques soient des élus !

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Non, monsieur Hyest : je souhaite simplement qu’il n’y ait pas mélange des genres.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

J’entends bien, mon cher collègue, mais il me semble avoir tout de même le droit de porter une appréciation, dût-elle vous déplaire, et je suis certain que tous les membres de cette assemblée m’ont compris. Le public présent dans les tribunes appréciera, lui aussi !

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Non, ils sont venus hier : je n’ai pas amené la claque, le groupe du RDSE est une trop petite formation pour être aussi bien organisée que le groupe UMP !

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

La controverse actuelle, je le répète, n’est pas saine pour la République, que nous devons défendre, voire pour la démocratie.

Mais peut-être considère-t-on – il faut nous le dire ! – que M. Proglio est un homme providentiel, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

M. François Fortassin. … et que c’est ce qu’il faut pour diriger EDF ! En mon âme et conscience, je croyais que le seul homme providentiel en France était le Président de la République : point n’est besoin d’en multiplier le nombre, cela ne ferait qu’altérer son caractère providentiel !

Rires

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Que se trame-t-il en secret ? S’agit-il d’une grande opération industrielle visant à opérer un rapprochement organique entre les deux entreprises EDF et Veolia ? Prépare-t-on la privatisation d’EDF ? On nous a assuré que La Poste ne serait pas privatisée, mais la même promesse avait été faite à propos de Gaz de France. On peut donc être un peu sceptique, d’autant plus que la caractéristique de tout gouvernement, de celui-ci comme d’autres, est d’avoir des vérités à géométrie variable…

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Les deux projets industriels peuvent être complémentaires ; mais, dans un souci de clarté et de transparence, ne procédons pas à un mélange des genres !

Avant de conclure, je vous prie de bien vouloir remarquer, monsieur le président, que je n’ai pas tout à fait épuisé mon temps de parole.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Les membres du groupe du RDSE sont très heureux du dépôt de cette proposition de loi, dû à l’initiative de son président Yvon Collin, et se félicitent que sur d’autres travées se soit manifestée une sensibilité commune.

Je remercie la commission des lois d’avoir choisi de ne pas rejeter ce texte sur la forme. J’ose espérer que, sur le fond, notre analyse n’est pas totalement stupide et mérite un débat, le débat qui va s’engager.

Applaudissements sur les travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je relève que M. Fortassin n’a remis en cause ni le principe du cumul ni celui de la rémunération, ce qui montre bien qu’il s’agit d’une question de principe, et je le remercie des propos qu’il a tenus à l’égard de la commission des lois. Nous avons effectivement abordé ce dossier dans toute sa complexité.

Comme il l’a lui-même indiqué, le problème posé concerne un grand capitaine d’industrie. Il est essentiel que la France ait de grandes industries pour défendre ses intérêts : encore faut-il qu’elle ait de grands capitaines, et encore faut-il que les règles fixées permettent que leur nomination se déroule dans des conditions non discutables.

J’ai donc l’honneur de rapporter la proposition de loi déposée par notre collègue Yvon Collin et plusieurs membres du groupe du RDSE tendant à interdire ou à réglementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise du secteur public et d’une entreprise du secteur privé.

Ce texte ne saurait être extrait de son contexte, à savoir que l’État envisage de nommer à la tête d’EDF l’actuel président de Veolia qui, tout en abandonnant ses fonctions de directeur général, conserverait celles de président.

Compte tenu des débats qu’a provoqués récemment une autre nomination, il est bon que de telles décisions interviennent dans la plus grande transparence alors même que le contexte juridique est complexe et les pratiques insuffisamment encadrées.

Le cumul de fonctions est-il possible au regard de la loi ? La réponse est oui. Le cumul de rémunérations est-il possible entre fonctions publiques et privées ? La réponse est oui.

Dans le premier cas, la loi fixe un cadre très précis. Est-ce suffisant ? Peut-être pas. Dans le second cas, la loi est, c’est le moins que l’on puisse dire, peu contraignante ou discrète, selon qu’il s’agit d’entreprises publiques ou privées, et la pratique l’emporte fréquemment sur les textes. Est-ce satisfaisant ? Peut-être pas.

Aux termes du décret du 30 mars 2009 relatif aux conditions de rémunération des dirigeants des entreprises aidées par l’État ou bénéficiant du soutien de l’État du fait de la crise économique et des responsables des entreprises publiques, « le ministre chargé de l’économie veille à ce que [ces entreprises] respectent des règles et principes de gouvernance d’un haut niveau d’exigence éthique ». C’est donc sous l’angle de cette exigence de droit et de pratique que nous devons examiner la proposition de loi qui nous est soumise.

J’aborderai tout d’abord la limitation du cumul des fonctions de dirigeant mandataire social dans les sociétés commerciales.

Dans la mesure où de nombreuses entreprises du secteur public sont constituées sous la forme de sociétés anonymes dotées soit d’un conseil d’administration, soit d’un directoire et d’un conseil de surveillance, s’appliquent à elles les conditions relatives au cumul des mandats sociaux figurant dans le code de commerce.

La loi fixe des règles de limitation propres à chaque type de sociétés anonymes. Ainsi, dans les sociétés dotées d’un conseil d’administration, un même administrateur ne peut détenir plus de cinq mandats sociaux ; on ne peut exercer qu’un seul mandat de directeur général de société anonyme ou de président de directoire. Ces règles ne valent que pour les sociétés anonymes ayant leur siège sur le territoire français et sont de surcroît assouplies pour les filiales.

Au-delà des règles de droit, les entreprises se sont engagées d’elles-mêmes, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, à respecter certains principes dits de « gouvernement d’entreprise » définis par leurs pairs. Ainsi, le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, et l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, ont adopté à l’usage de leurs adhérents un « code de gouvernement d’entreprise ». De telles règles sont relativement usitées dans les pays anglo-saxons, où elles sont souvent qualifiées de « soft law » : leur violation n’est pas juridiquement sanctionnée.

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement est amené à exercer un contrôle direct sur la nomination par le Président de la République à certains emplois. L’article 13 de la Constitution prévoit ainsi en son cinquième alinéa : « Une loi organique détermine les emplois ou fonctions […] pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. »

Cette disposition permet en conséquence de soumettre au veto du Parlement la nomination des dirigeants de certaines entreprises publiques indépendamment de leur statut juridique. Le projet de loi organique relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, adopté par l’Assemblée nationale le 29 septembre 2009, comporte l’énumération limitative des onze entreprises qui pourront être concernées, parmi lesquelles EDF.

Avant même l’adoption définitive par le Parlement des projets de loi organique et ordinaire relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. Henri Proglio a été entendu respectivement par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le 27 octobre dernier, et par la commission de l’économie du Sénat, le 28 octobre dernier, dans la perspective de sa désignation par décret du Président de la République aux fonctions de président-directeur général d’EDF, annoncée pour la date du 25 novembre prochain.

Nous ne pouvons que nous féliciter d’une initiative destinée à assurer la transparence de cette nomination alors même que l’article 13 de la Constitution, dans l’attente des lois organique et ordinaire relatives à son application, n’est pas encore entré en vigueur.

J’en viens à la question des rémunérations.

La rémunération des dirigeants mandataires sociaux fait depuis 2001 l’objet d’un encadrement de plus en plus strict, soit en vertu de la loi, soit en vertu du règlement. S’y sont ajoutés des principes de bonne gouvernance définis par les entreprises elles-mêmes.

Le dispositif législatif applicable aux sociétés commerciales est précis. La rémunération des dirigeants de sociétés relève d’abord de la compétence des organes sociaux de celles-ci, avec certaines limitations. Des règles de procédures ont été prévues, en particulier le passage par le mécanisme des conventions réglementées. Des interdictions de fond s’appliquent notamment aux éléments de rémunération dont le bénéfice n’est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire.

De longue date s’applique une réglementation particulière à l’égard des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques. Cette réglementation se cumule avec celle qui est éventuellement applicable à ces entreprises à raison de leur statut de sociétés commerciales. La détermination de la rémunération de ces dirigeants, le traitement et les autres éléments de rémunération d’activité s’opèrent dans le cadre d’un contrôle ministériel, par décision conjointe du ministre chargé de l’économie et des finances et du ministre intéressé.

Des règles de bonne gouvernance ont également été imposées par les entreprises elles-mêmes. En matière de rémunérations, le code de gouvernance d’entreprise établi par l’AFEP et le MEDEF pose certains principes pour la détermination de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux et définit le rôle du conseil d’administration. Il prévoit ainsi que la détermination de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux relève de la responsabilité des conseils d’administration ou de surveillance et se fonde sur les propositions du comité des rémunérations.

Lors de son audition, Mme Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires, l’ADAM, est allée plus loin dans son exigence, considérant que, si les règles de notre économie posent le principe de la liberté, qui ne doit pas être remis en cause, il n’en convient pas moins que la détermination des rémunérations des dirigeants de société soit mieux encadrée.

Aussi estime-t-elle que, bien qu’il revienne effectivement au conseil d’administration d’apprécier le montant de la rémunération et de ses accessoires, l’encadrement de ces rémunérations doit être fixé statutairement par l’assemblée générale des actionnaires, les conseils d’administration n’offrant pas les garanties nécessaires de transparence. L’actualité récente concernant d’anciens dirigeants de très grandes entreprises françaises ne fait que confirmer cette appréciation.

Je souhaite maintenant revenir sur l’audition de M. Proglio, puisqu’elle a été évoquée. Menée par la commission de l’économie le 28 octobre dernier, elle aura permis de préciser plusieurs points importants.

M. Proglio est membre d’EDF depuis 2004 et, en cette qualité, en préside le comité stratégique sans avoir connu jusqu’aujourd’hui de conflit d’intérêt.

L’ensemble des décisions et des positions d’EDF et de Veolia concernant la filiale commune aux deux sociétés, la société Dalkia, ont été prises par les deux groupes dans le respect d’obligations de transparence répondant aux normes internationales les plus élevées.

Pour ce qui est des fonctions de dirigeant de Veolia, le conseil d’administration a procédé au transfert des pouvoirs exécutifs au nouveau directeur général, conformément aux dispositions du droit des sociétés précédemment évoquées.

Au sujet de sa rémunération, M. Proglio a souligné qu’au sein de Veolia il bénéficiait du vingt-huitième salaire, par ordre d’importance, parmi les patrons du CAC 40, et que son souhait était de conserver, pour les deux fonctions cumulées, un niveau de rémunération comparable. Il s’est engagé à limiter ses droits à la retraite, qui se trouveraient ainsi figés, et à renoncer à toute distribution nouvelle d’options, engagement confirmé le 30 octobre dernier par un communiqué de Veolia.

Dans un tel contexte, avons-nous intérêt à légiférer ?

Il n’y a sans doute pas lieu d’interdire dans son principe la possibilité d’un cumul de fonctions de direction dans une entreprise du secteur public et dans une entreprise du secteur privé, non plus que celle d’un cumul de rémunérations. En revanche, se pose effectivement la question légitime de l’intérêt d’un encadrement de cette pratique afin que celle-ci n’intervienne qu’après un examen approfondi, au cas par cas, de sa pertinence.

La proposition de loi avait pour objet de soumettre l’examen de la possibilité de cumul de fonctions à la commission de déontologie, qui exerce un double contrôle. Le premier est destiné à prévenir la constitution de toute situation de conflit d’intérêt constitutif du délit de prise illégale d’intérêts sanctionné par l’article 432-13 du code pénal. Le second, de nature déontologique, est destiné à éviter la survenue de certaines situations, bien que les faits concernés ne puissent être qualifiés pénalement.

Le droit en vigueur permet de surcroît l’intervention de la commission de déontologie à l’égard d’un fonctionnaire qui serait nommé dirigeant d’une entreprise intervenant dans le secteur concurrentiel, dans un délai de trois ans suivant sa nomination et au regard des fonctions précédemment exercées.

Si la saisine de la commission de déontologie a toute sa pertinence lorsqu’il s’agit d’apprécier la situation d’un fonctionnaire entrant dans le secteur privé, il n’en va pas de même dans le cas du dirigeant d’une société privée entrant dans une société publique. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a été amenée à considérer que l’examen d’une telle situation devait relever de l’Agence des participations de l’État, l’APE. Celle-ci serait donc appelée à donner son avis sur la nomination à des fonctions de dirigeant mandataire social dans une entreprise du secteur public d’une personne exerçant des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé.

Afin d’assurer le respect de l’article 13 de la Constitution, il reviendrait au ministre de l’économie, lorsque est concernée l’une des entreprises publiques relevant de cette protection constitutionnelle, de transmettre l’avis de l’APE aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat avant que celles-ci ne rendent leur avis.

Nous avons lu sur ce point une proposition d’amendement du Gouvernement tendant à préciser les conditions d’information des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais uniquement dans le cadre de cet article 13. Il vous est donc demandé, madame la secrétaire d’État, de vous engager explicitement à ce que le champ de cette proposition, qui, dans la forme, est plus que satisfaisante, soit étendu aux dirigeants des entreprises ne relevant pas de l’article 13 qui se trouveraient dans une situation identique, et que leur nomination fasse l’objet d’un avis de l’APE qui serait annexé au rapport annuel de l’agence.

C’est sous le bénéfice de ces observations et des engagements sollicités que je vous propose, mes chers collègues, d’adopter la proposition de loi soumise à notre assemblée dans la forme arrêtée par la commission des lois.

Madame la secrétaire d’État, vous me permettrez de conclure en formulant un vœu.

Dans sa préface au rapport annuel, intitulé L’État actionnaire, établi par l’APE pour 2009, Mme Christine Lagarde précise : « L’État, en tant qu’actionnaire d’entreprises de notre pays, doit en permanence les amener à converger vers trois priorités qui sont les siennes : contribuer à l’avenir industriel de la France, créer de la valeur pour notre économie et fournir aux 1, 5 million de salariés concernés des perspectives d’emploi. » Je souhaiterais, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement, dans le droit-fil des exigences formulées dans le décret du 30 mars 2009, y ajoute une quatrième priorité : le respect par ces entreprises des règles et principes de gouvernance d’un haut niveau d’exigence éthique.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État chargée du commerce extérieur

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de bien vouloir excuser l’absence de la ministre, Mme Christine Lagarde.

Je veux vous dire tout l’intérêt que le Gouvernement porte à une proposition de loi dont l’objet est d’encadrer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise du secteur public et d’une entreprise du secteur privé.

Cet intérêt ne vaut cependant que s’il n’y a pas de mélange des genres.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

En effet, nous ne sommes pas là aujourd’hui pour évoquer la stratégie des entreprises publiques, n’en déplaise à M. Fortassin, que je remercie néanmoins de m’avoir fourni l’occasion de rappeler qu’il n’est évidemment pas question de fusion entre EDF et Veolia, pas davantage qu’il n’est question de privatisation d’EDF.

Nous ne sommes pas là non plus, autre mélange des genres, pour traiter d’une situation individuelle, en l’occurrence celle du futur président d’EDF, même s’il est vrai, comme l’ont indiqué MM. Vial et Fortassin, que la situation de M. Henri Proglio est à l’origine de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui.

Henri Proglio, on l’a rappelé, a été auditionné au Sénat le 28 octobre dernier par la commission présidée par M. Emorine. Il a également été entendu à l’Assemblée nationale, en application de la Constitution telle qu’elle a été révisée à la demande du Président de la République.

Le 6 novembre, Mme Christine Lagarde a répondu dans cet hémicycle même à un certain nombre de questions. Tout d’abord, il n’y a jamais eu et il n’y aura pas de conflit d’intérêt, l’évolution de la gouvernance de Veolia permettant au président d’EDF d’exercer pleinement ses fonctions exécutives dans l’entreprise publique. Quant à la rémunération, je rappelle qu’elle n’est pas fixée aujourd’hui, M. Proglio n’étant pas encore président d’EDF. Le comité de rémunération de l’entreprise fera une proposition sur laquelle le Gouvernement se prononcera.

M. Proglio a indiqué qu’il souhaitait conserver – ce qui, vous en conviendrez, est somme toute légitime et raisonnable – un niveau de revenu global comparable à celui qui était le sien chez Veolia.

Pas de mélange des genres, donc : l’objet de tout texte législatif, et celui-ci ne fait pas exception, est de se prononcer sur un certain nombre de principes, en l’occurrence sur un ensemble de situations au sujet desquelles l’État, dans son rôle d’actionnaire – actionnaire unique, actionnaire majoritaire, voire actionnaire minoritaire –, sera amené à se prononcer sur les questions de nomination et de rémunération des dirigeants.

Je voudrais me féliciter de la qualité du travail qu’ont mené ensemble les auteurs de la proposition de loi, le président de la commission, M. Jean-Jacques Hyest, et le rapporteur, M. Jean-Pierre Vial. Le travail a été particulièrement constructif, j’ai pu le constater moi-même, en particulier grâce à l’écoute et à la bienveillante attention de M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi, ainsi que de M. Michel Charasse. Nous avons ainsi abouti, comme l’a indiqué M. Vial, à un très bon travail de synthèse.

Avant de commenter précisément celui-ci, je voudrais vous redire à quel point cette proposition de loi, inspirée par un souci de transparence – encore une fois, lorsqu’il n’y a pas de mélange des genres ! –, rejoint certaines préoccupations du Gouvernement.

Nous avons souhaité accentuer le contrôle ministériel auquel sont soumises les entreprises dans lesquelles l’État est actionnaire majoritaire, notamment pour ce qui concerne les rémunérations. En outre, nous avons été les premiers en Europe à mettre en place dans ce domaine un système d’encadrement pour les entreprises bénéficiant d’un soutien de l’État.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez les dispositions de la loi de finances rectificative d’avril 2009, dont les décrets d’application ont été pris très rapidement, dès la fin de ce même mois d’avril. Vous les connaissez d’autant mieux qu’elles ont été très largement inspirées par les travaux du président de la commission des finances, M. Arthuis.

Qu’il s’agisse des stock-options, des rémunérations variables, des indemnités de départ ou des retraites chapeau, notre dispositif est complet et couvre un large champ puisqu’il s’applique aux sociétés qui bénéficient du soutien de l’État via la Société de prises de participation de l’État, la Société de financement de l’économie française, ou encore le Fonds de développement économique et social, le FDES. Il a été étendu aux constructeurs automobiles aidés par l’État dans le cadre du plan de relance ainsi qu’aux entreprises cotées dans lesquelles l’État détient une participation, qui doivent respecter scrupuleusement le code éthique élaboré, sur l’initiative du Gouvernement, notamment de Christine Lagarde, par l’AFEP et le MEDEF.

Ce code éthique, vous le savez, prévoit l’interdiction du cumul entre contrat de travail et mandat social, le plafonnement du montant des indemnités de départ, qui sont interdites si le dirigeant échoue, le renforcement de la comparabilité et de la transparence en matière de rémunérations.

Cette transparence, le Gouvernement l’a également mise en pratique à l’occasion de la parution du dernier rapport de l’Agence des participations de l’État, rapport qui, étant public, permet aux parlementaires, mais aussi à tous les citoyens, d’être pleinement informés de la composition des conseils d’administration ou de surveillance des entreprises relevant du périmètre de cette agence, mais également de connaître le montant et les conditions de rémunération des dirigeants.

Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, tous ces dispositifs attestent de la communauté de préoccupation entre les auteurs de la proposition de loi, ceux qui l’ont remaniée et le Gouvernement : tous partagent la même volonté de transparence et de rigueur.

J’en viens à la proposition de loi elle-même. Elle s’inscrit dans le nouveau dispositif constitutionnel, qui, je le répète, permet d’associer les assemblées parlementaires à la nomination des dirigeants des plus grandes entreprises. En l’occurrence, il s’agit d’élargir, pourrait-on dire, les conditions dans lesquelles les assemblées parlementaires formuleront un avis sur ces nominations.

Vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, il n’existe pas d’incompatibilité de principe entre une fonction exécutive dans une entreprise publique et un ou plusieurs mandats non exécutifs dans des entreprises privées.

Les dirigeants des entreprises publiques qui ont la forme de sociétés commerciales sont des agents de droit privé, puisque les structures dont ils sont responsables sont des personnes morales de droit privé. Ils sont soumis aux règles du code de commerce relatives au cumul des mandats – je ne les rappellerai pas, mesdames, messieurs les sénateurs, car vous les connaissez parfaitement.

Par ailleurs, il ne nous semble pas justifié, bien au contraire, qu’un dirigeant de droit privé d’une entreprise publique soit empêché d’exercer une autre fonction dans une société privée dès lors que cette seconde activité ne nuit pas à la conduite de ses responsabilités dans le cadre de la direction de l’entreprise publique. Une telle interdiction reviendrait en fait à appauvrir la capacité de gouvernance et de participation avisée à la direction des entreprises publiques d’un certain nombre de dirigeants.

Je voudrais préciser le sens de l’amendement gouvernemental qui sera présenté tout à l’heure et sur lequel j’ai été interrogée.

Tout d’abord, monsieur le rapporteur, vous avez souhaité que l’Agence des participations de l’État puisse en tant que telle fournir des documents aux assemblées parlementaires. Nous n’avons aucune objection à cet égard. Nous estimons même que l’information pourrait être encore plus large. En effet, l’Agence des participations de l’État, au sein de la direction générale du Trésor et de la politique économique, n’est que l’un des services auxquels le ministre de l’économie peut demander de fournir aux assemblées parlementaires un avis dûment éclairé. En outre, les questions en cause peuvent concerner des entreprises qui n’entrent pas dans le champ de la compétence de l’APE.

C’est pourquoi nous avons souhaité indiquer, dans la rédaction de l’amendement que je défendrai, que toute la transparence serait assurée par le ministre des finances – aujourd’hui, Christine Lagarde – à partir des avis des différentes entités du ministère des finances concernées, parmi lesquelles, bien entendu, figure l’APE.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous m’avez demandé si le rapport de l’APE, qui est transmis aux assemblées parlementaires, pourrait contenir des informations relatives aux entreprises qui n’entrent pas dans le champ de l’article 13 de la Constitution, de façon à rendre celles-ci plus transparentes, conformément à l’objet de la présente proposition de loi. Je vous confirme que tel sera le cas, ainsi que le Gouvernement l’a indiqué durant les travaux préliminaires menés avec vous-mêmes et les auteurs de la proposition de loi.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre souci de transparence nous amène à considérer d’un œil tout à fait intéressé cette proposition de loi. Nous avons pensé pouvoir, en accord avec vous, en améliorer encore la formulation. L’adoption du texte de la commission assorti de l’amendement du Gouvernement dont je viens de donner le sens permettra, je le crois, d’avancer sur la voie de la transparence et, au-delà des principes, je le répète, d’améliorer la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’État possède des intérêts.

Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand j’ai appris par la presse que M. Henri Proglio allait être nommé à la tête d’EDF et conserverait néanmoins ses fonctions de président de Veolia, j’ai été pour le moins surpris !

On nous parle de compatibilité des cumuls et de vérification des règles de déontologie. Certes ! Mais cette affaire pose le problème du cumul des fonctions – j’insiste sur cette notion, qui doit être bien distinguée de celle de cumul des mandats – en politique comme dans le monde des affaires, d’ailleurs.

Or cette différence n’est pas assez soulignée dans le rapport de la commission. On dresse un parallèle entre M. Proglio et, par exemple, M. Desmarest, qui est à la fois président du conseil d’administration de Total et simple administrateur d’Air Liquide ou d’autres sociétés, ainsi que membre du conseil de surveillance d’Areva. De même, on nous cite l’exemple de Mme Lauvergeon qui, elle, est présidente du directoire d’Areva et simple administrateur de GDF.

Mes chers collègues, je ne vois pas d’inconvénient à ce que l’on puisse cumuler les fonctions de PDG d’une grande société nationale, par exemple EDF, avec celles de simple administrateur dans des sociétés privées. Toutefois, le cumul en cause ici est tout à fait différent : il s’agit d’être à la fois le grand patron d’EDF et le président de Veolia !

Certes, on prétend que M. Proglio n’exercera pas de fonction exécutive chez Veolia. Mais c’est là d’une distinction subtile, à l’anglo-saxonne : tout le monde sait bien que, s’il reste président de cette entreprise, il continuera à tenir les manettes !

Je l’affirme tout net : soit nous considérons qu’il est possible de continuer à cumuler, dans tous les domaines, en politique comme dans le monde des affaires et ailleurs, soit nous estimons que certaines fonctions requièrent un plein-temps et qu’il n’est pas possible d’en exercer deux à la fois, même si un dirigeant peut accessoirement être administrateur de société. Je me réjouis donc de cette proposition de loi, qui me paraît très pertinente. Il s’agit d’un premier pas, même s’il est timide et ne règle pas vraiment le problème.

La question qui mérite d’être posée, me semble-t-il, c’est celle du cumul de fonctions qui requièrent chacune un plein-temps, et ce quel que soit le domaine. Il n’est pas possible d’assumer correctement deux ou trois activités de ce type, sans compter qu’il existe un risque de confusion des genres !

On nous parle de déontologie. C’est assurément très sympathique, et l’on peut toujours vérifier qu’il n’existe pas de conflit entre deux fonctions, notamment. Mais tout le monde sait bien que, en matière de déontologie, il faut toujours distinguer la pratique et la théorie !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Louis Masson

Certes, monsieur le président de la commission des lois, et les grands débats théoriques sur la déontologie, dans cette enceinte ou ailleurs, sont fort sympathiques. Reste qu’il faut encore examiner, dans la pratique, la façon dont ces règles sont appliquées !

Je voterai cette proposition de loi, mais en restant sur ma faim. Comme toujours quand il est question de cumul de fonctions, nous ne sommes pas allés assez loin. Il me semble que la France compte suffisamment de talents pour qu’il ne soit pas nécessaire de confier de façon abusive à une même personne deux ou trois fonctions simultanées de chef d’entreprise ! Les hauts cadres ayant la compétence nécessaire, dans leur domaine respectif, pour diriger une société ne manquent pas !

Pour conclure, je tiens à réaffirmer ma totale opposition au cumul des fonctions. Or M. Proglio est bien dans ce cas, car les auteurs du rapport de la commission ont confondu ceux qui siègent dans plusieurs conseils d’administration – pourquoi pas, en effet ? – et ceux qui assument deux fonctions à plein-temps, ce qui n’est ni décent, ni correct, ni aussi efficace que l’on voudrait nous le faire croire.

Applaudissements sur les travées de l’Union centriste ainsi que sur quelques travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Nous n’avons rien confondu du tout : nous avons cité des exemples qui existent à l’étranger !

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Mathon-Poinat

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun l’a rappelé, cette proposition de loi est née de la polémique liée à la décision du Président de la République de désigner M. Henri Proglio aux fonctions de président-directeur général d’EDF alors que celui-ci est actuellement président du conseil d’administration de la société Veolia Environnement, concurrente directe des services publics dans un grand nombre de domaines. Or, pour pouvoir jouer sur les deux tableaux, ce chef d’entreprise réputé proche de Nicolas Sarkozy semble mener actuellement des discussions pour conserver la présidence du conseil de surveillance de Veolia.

En l’absence de cadre juridique régissant ce type de cumul, M. Proglio pourrait donc prendre la tête d’une entreprise concurrente dans laquelle l’État détient 85 % des parts, mais qui pèse 72 milliards d’euros en Bourse !

Pour éviter ce mélange des genres et pallier le vide juridique concernant ce type de nominations, mais aussi parce que la réponse de Mme Christine Lagarde à notre collègue Jean Arthuis lors de la séance de questions d’actualité au Gouvernement du 5 novembre dernier est apparue bien légère, nos collègues du groupe du RDSE ont déposé une proposition de loi dont l’objet initial était d’améliorer l’encadrement de ce type de cumul de fonctions et de « veiller à la préservation des intérêts de l’État, qui ne sauraient être compromis par la direction simultanée et unique de plusieurs entreprises publiques et privées, et éventuellement concurrentes ».

Or je serais bien en peine de pouvoir débattre des vices et des vertus de ce texte, puisqu’il a été intégralement remanié par la commission des lois ! À nos yeux, il s’agit tout bonnement d’un véritable « détournement de fond » de l’initiative parlementaire au profit du Gouvernement. Celui-ci a saisi l’occasion offerte par une proposition de loi qui permettait un encadrement, certes timide, de ce nouveau type de pantouflage pour construire une procédure sur mesure permettant à M. Proglio de prendre la tête d’EDF sans perdre celle de Veolia.

Ainsi, le premier article de cette proposition de loi prévoyait initialement que ce type de nomination soit soumis à l’avis de la commission de déontologie de la fonction publique. Après examen par la commission des lois, cette disposition a été supprimée pour être remplacée par un simple avis de l’Agence des participations de l’État, l’APE.

Or, à quoi sert cette instance ? Créée en 2003 dans le cadre de la réforme de l’État par le ministre Francis Mer, l’APE est censée permettre à l’État actionnaire de jouer correctement son rôle auprès des entreprises dans lesquelles il détient des parts. C’est elle qui gère les opérations de cession de titres ou de privatisation pour l’État.

Depuis sa création, cette agence est régulièrement critiquée. En effet, au lieu d’être l’outil de politique industrielle à disposition du ministère de l’économie, elle n’est, dans la pratique, qu’une structure de gestion des participations de l’État.

La commission des lois a donc refusé que la commission de déontologie de la fonction publique soit désignée pour examiner ce type de nominations. Mais en quoi l’APE est-elle plus compétente pour juger des possibles conflits d’intérêts liés à ce type de cumul ? Son inutilité flagrante lors de l’affaire EADS laisse augurer le contraire.

Quant au second article de la proposition de loi, qui limitait le cumul des rémunérations, il a tout simplement été supprimé et remplacé par une disposition prévoyant un simple avis de l’APE sur « le montant global des rémunérations de toutes natures de l’intéressé au titre de ce cumul ». En d’autres termes, le pouvoir de contrainte de cette agence sera proche de zéro.

Le nouveau directeur d’EDF a sans doute une vision stratégique d’EDF-Veolia à faire valoir, mais la possibilité de cumuler les rémunérations est un facteur fort qui explique son obstination à s’accrocher aux deux fonctions.

En somme, cette proposition de loi a été vidée de son contenu et remplacée par un dispositif d’une extrême permissivité, taillé sur mesure pour un proche du Président de la République, dont les contraintes seront inopérantes.

Nous voterons donc contre, mais nous soutiendrons l'amendement qui a été déposé par nos collègues du groupe socialiste. §

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, ce débat est d’importance et d’actualité.

Le Sénat s’est d’ailleurs déjà saisi de ce sujet à l’occasion de la dernière séance de questions d’actualité au Gouvernement, puisque le président de la commission des finances a posé une question extrêmement claire à Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Malheureusement, nous sommes laissés sur notre faim – et c’est peu dire ! –, car il n’a pas obtenu de réponse.

Mme Anne-Marie Escoffier opine.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Plusieurs questions se posent à nous.

Peut-on diriger deux entreprises importantes simultanément ?

Le législateur a déjà répondu non à cette question, en modifiant voilà quelques années le code de commerce. À mon sens, cette rectification, pourtant attendue, n’est pas suffisante, puisqu’il est permis d’occuper dans le même temps les fonctions de président non exécutif d’une société et celles de président-directeur général ou de président du directoire d’une autre société.

À l’époque, nous ne sommes pas allés assez loin et il nous faudra y revenir. Car, là encore, la réponse est non : il ne doit pas être possible de diriger simultanément deux entreprises d’importance, a fortiori lorsque chacune d’entre elles compte plusieurs centaines de milliers de salariés.

Autre question : peut-on gérer une entreprise publique et une entreprise privée simultanément ? En France, le principe de base, c’est qu’une entreprise est privée. Par dérogation, elle est publique lorsqu’elle est chargée d’une mission spécifique au service de l’intérêt général. Elle est alors soumise à des règles spécifiques. Ainsi, son dirigeant a pour mission principale de défendre l’intérêt général, qui dépasse la somme des intérêts particuliers. En revanche, le dirigeant d’une entreprise privée, qu’elle soit cotée ou non au CAC 40, a en charge la défense des intérêts des actionnaires, qui lui ont confié leur argent, même s’il exerce aussi une mission d’utilité auprès des clients, des fournisseurs ou des salariés.

On le perçoit spontanément, instinctivement même : il peut y avoir conflit d’intérêts entre les deux fonctions. D’ailleurs, si la situation, me semble-t-il, ne s’est encore jamais présentée en France, c’est bien parce que l’on a toujours considéré intuitivement qu’il était impossible de diriger en même temps une entreprise publique et une entreprise privée.

Des aménagements sont envisagés : un président non exécutif serait nommé et aurait, à ses côtés, un vice-président, qui serait en quelque sorte un garant, du fait de sa notoriété et de son expérience.

J’en profite pour dire que quand on est, dans le même temps, président d’une autorité administrative indépendante et président du conseil d’administration d’une grande entreprise nationale comme Renault, cela fait beaucoup, même si, à mes yeux, il n’est nullement question de remettre en cause les compétences de M. Schweitzer, qui est pressenti pour être vice-président de Veolia. Tout cela ne me semble pas très sain.

Pour éviter que ce type de nominations ne survienne dans d’autres domaines, tels l’aéronautique ou l’armement – ce serait juridiquement possible aujourd'hui –, il nous faut intervenir et interdire que le dirigeant d’une entreprise publique puisse gérer simultanément une entreprise privée. Nous sommes très nombreux à ressentir cette nécessité. Jusqu’à présent, nous n’avions pas eu besoin de légiférer, car le cas ne s’était pas encore présenté. Aujourd'hui, cela s’impose.

La question du rapprochement éventuel d’EDF et de Veolia est tout autre. Nous sommes prêts à en débattre. Nous pouvons nous appuyer sur l’exemple récent et pertinent de GDF et de Suez. Les deux présidents, qui représentaient chacun les intérêts de sa société, se sont rapprochés, ont discuté avec leur conseil d’administration et avec leurs conseils et sont parvenus à un accord, en préservant à la fois l’intérêt général et les intérêts particuliers de la société Suez. Après de nombreuses discussions, ils sont parvenus à une parité qui a satisfait l’ensemble des intervenants. C’est sans doute ainsi qu’il faut procéder si nous voulons que d’autres rapprochements de ce type aient lieu.

Madame la secrétaire d'État, chacun a du mal à imaginer que, à partir du moment où il sera président de Veolia et d’EDF, M. Proglio n’ait pas la tentation d’opérer des synergies, peut-être nécessaires, entre les deux groupes et même d’aller au-delà. Pour ma part, je considère tout à fait judicieux d’envisager de nommer M. Proglio à la tête d’EDF : il a largement fait la preuve de sa compétence par le passé et je ne doute pas qu’il n’ouvre des perspectives à ce groupe.

Cette proposition de loi nous a réjouis parce qu’elle est l’occasion d’un débat d’actualité. Cependant, je le dis devant le rapporteur Jean-Pierre Vial, elle nous a mis dans l’embarras. Convenez, chers collègues du RDSE, que si l’idée était bonne, la rédaction n’était peut-être pas parfaite.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Il n’était sans doute pas pertinent de prévoir l’avis de la commission de déontologie de la fonction publique, alors que celle-ci connaît seulement de la situation des agents publics qui passent dans le secteur privé. En commission des lois, grâce à l’important travail mené par le rapporteur, nous avons imaginé que l’Agence des participations de l’État pourrait intervenir. Malheureusement, on constate que, et le Gouvernement nous a éclairés sur ce point, cela n’entre pas dans les missions de cette agence.

Au final, le texte est deux fois bouleversé : le Gouvernement propose maintenant un amendement qui prévoit un rapport du ministre chargé de l’économie. C’est bien mais tout à fait insuffisant et réducteur par rapport au problème posé. En outre, cela dénature totalement la proposition de loi.

À titre personnel – je ne sais pas ce que feront mes collègues –, je ne peux m’associer à cette proposition de loi. Je le regrette vivement, car il s’agit d’un sujet important et d’actualité. De surcroît, et sur ce point je suis d’accord avec vous, madame la secrétaire d'État, il ne se limite pas au cas de M. Proglio, mais pourrait concerner d’autres dirigeants. §

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je salue l’initiative de nos collègues du groupe RDSE. Le débat que la proposition de loi qu’ils ont déposée ouvre aujourd'hui rejoint celui que nous avons commencé voilà une dizaine de jours sur l’encadrement des rémunérations dans le secteur financier et dans le secteur boursier et que nous poursuivrons lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Il s’agit donc d’une nouvelle étape dans cette discussion de première importance.

Nous regrettons que cette proposition de loi soit en quelque sorte ad hominen, puisqu’elle vise principalement M. Proglio, dont il ne cesse d’être question, et ne concernera jamais, à regarder l’ensemble des entreprises du secteur public, que trois ou quatre cas. Ce n’est pas opportun. Il s’agit donc d’un texte dont le champ est extrêmement restreint. Est-ce une bonne façon de légiférer ? Je vous laisse en débattre.

L’actualité a mis en lumière les effets néfastes d’une absence de réglementation. Il est vrai que le cas ne s’était encore jamais présenté. M. Henri Proglio devrait être nommé cette semaine à la tête du groupe public EDF tout en restant président du conseil d’administration du groupe privé Veolia. Certes, il existe des cas relativement nombreux dans lesquels une personne exerçant une fonction de direction dans une société est également titulaire d’un mandat social non exécutif dans une autre société. Le nombre de cumuls est limité à cinq par la loi et à trois par le code de bonne conduite du MEDEF et de l’Association des grandes entreprises françaises, mais cette limite est assez peu suivie dans la pratique.

Dans le cas de M. Proglio, le problème est plus prégnant, car il s’agit de cumuler des fonctions de direction. Nommer à la tête d’EDF un dirigeant issu du secteur privé n’a rien de choquant. M. Proglio a certainement toutes les compétences requises pour mener à bien la mission que l’État souhaite lui confier. Il est d’ailleurs déjà responsable du comité stratégique d’EDF. En revanche, il est choquant qu’il dirige une entreprise publique dont l’État détient 90 % du capital tout en continuant à exercer des responsabilités dans un groupe privé, qui, de surcroît, est présent dans le même domaine d’activité !

Le fait que les administrateurs de Veolia lui aient attribué le titre de « président non exécutif » n’enlève rien au caractère curieux – j’allais dire scandaleux

M. René Garrec s’exclame

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Mais pourquoi M. Proglio n’est-il pas resté purement et simplement administrateur de Veolia ? Dans un tel cas de figure, que l’on connaît, il aurait eu tout autant de poids dans les discussions au sein du conseil d’administration de Veolia.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

En outre, cela nous aurait permis d’éviter le débat que nous avons aujourd’hui.

Pourquoi ne veut-il pas quitter la présidence de Veolia ? C’est, au fond, la question que l’on se pose et qui suscite toujours des pensées et des arrière-pensées.

Est-ce par sentimentalisme, parce qu’il est dans l’entreprise depuis trente ou trente-cinq ans ?

Est-ce le signe d’un déficit de talents dans notre pays ? Aurions-nous si peu de patrons de dimension internationale que nous serions obligés d’en utiliser un pour deux postes ?

Faut-il y voir, de la part de l'État, une manière de le récompenser ?

Ou s’agit-il, comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, d’un rapprochement stratégique entre EDF et Veolia ? C’est là un sujet que je me garderai de mettre de côté et qui mérite un débat,

M. Jacques Mézard acquiesce

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Faut-il que la France se dote d’un deuxième grand opérateur international en matière d’énergie ? Je n’ai pas la réponse à cette question.

Ce débat est donc nécessaire, mais il ne faut pas le mener de façon masquée, larvatus prodeo ! Or, à l’heure actuelle, nous avons l’impression qu’il y a une volonté de ne pas nous dévoiler le projet stratégique, qui existe, bien sûr, derrière cette nomination. De ce fait, nous en sommes réduits à des conjectures.

La situation de cumul des fonctions de dirigeant d’une entreprise publique et de dirigeant d’une entreprise privée est porteuse de nombreux risques, que tout le monde a présent à l’esprit, en particulier le risque de conflit d’intérêts, qui est accentué par le fait qu’EDF et Veolia, outre leurs participations croisées – EDF détient 4 % du capital de Veolia – opèrent dans des domaines analogues et possèdent même une filiale commune, Dalkia, détenue à 66 % par Veolia et à 34 % par EDF.

Mme Lagarde nous dit : « Le conseil d’administration d’EDF s’est engagé, si M. Proglio était nommé président, à éviter toute situation de conflits d’intérêts ». Je suis sûr qu’elle est sincère lorsqu’elle tient ces propos. Mais nous sommes bien placés pour demander un peu plus de garanties dans ce domaine, l’histoire récente nous ayant largement éclairés et échaudés.

En outre, comment expliquer, si ce n’est par la crainte de voir surgir des conflits d’intérêts, que le conseil d’administration de Veolia ait créé un poste de président non exécutif et nommé Louis Schweitzer, ancien président de Renault, comme vice-président chargé du bon fonctionnement de la gouvernance ? Là encore, c’est une drôle d’acrobatie ! Jamais nous n’avons vu cela dans les conseils d’administration de grandes entreprises ! On va nommer un vice-président chargé, au fond, de vérifier que le président applique les règles éthiques de haut niveau. Cela me paraît un peu curieux !

Le président Arthuis estime – cela a été dit – qu’un tel cumul « serait un contournement des règles de bonne gouvernance ». Cela montre que le débat relatif au cumul des fonctions transcende les clivages politiques.

J’en veux pour preuve l’amendement du groupe socialiste, qui a été adopté par le Sénat lors de l’examen du projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales – M. Teston ici présent peut en attester –, visant à empêcher le président du conseil d’administration de La Poste, transformée contre notre volonté en société anonyme, de détenir une autre responsabilité dans une entreprise, quelle qu’elle soit, publique ou privée. Cette disposition, votée par l’ensemble du Sénat, toutes tendances confondues, prouve qu’il a bien la perception d’un certain malaise dans ce domaine.

Pourquoi l’État, qui est l’actionnaire majoritaire d’EDF, ne vient-il pas devant le Parlement pour expliquer quel mandat il donne à M. Proglio et sur quel projet la nomination de celui-ci a été envisagée ?

Mme Lagarde a indiqué qu’il « pourra réaliser des opérations stratégiques très importantes ». Certes, nous pouvons envisager plusieurs hypothèses, mais nous aimerions bien savoir de quelles opérations il s’agit et en débattre. Or, pour l’instant, nous sommes dans l’obscurité.

Selon la presse, M. Proglio devrait opérer le rapprochement stratégique des deux groupes. On nous explique, en effet, que la tendance mondiale est au rapprochement de l’énergie et de l’environnement : GDF-Suez, E.ON en Allemagne, Iberdrola en Espagne, etc. Je le répète : nous, nous sommes prêts à en débattre, mais pas dans ces conditions, c’est-à-dire de façon un peu camouflée.

J’ajouterai une simple remarque : n’est-il pas paradoxal de vouloir nommer à la tête d’EDF celui qui préside depuis cinq ans le comité stratégique du groupe public, alors même que le Premier ministre a récemment critiqué certains choix stratégiques d’EDF, en matière notamment de gestion du parc nucléaire ou de tarification ? Permettez-moi ce clin d’œil.

Je subodore aussi que la nomination de M. Proglio répond également à des objectifs comptables : il s’agit de mettre à la charge des consommateurs d’électricité, donc de tous les Français, le désendettement de Veolia – il est prévu qu’EDF passe de 4 % à 15 % du capital de Veolia et en devienne ainsi l’actionnaire de référence – en échange d’une montée d’EDF au capital de Dalkia, leur filiale commune. In fine, on aboutira à une valorisation de Veolia et de Dalkia. Ce sera bon pour les actionnaires de ces deux entreprises, mais que va y gagner, au fond, EDF ? Je laisse la question ouverte.

Ensuite, s’agissant de la question du cumul des rémunérations, Mme Lagarde a récemment déclaré devant le Sénat que M. Proglio ne cumulera pas plusieurs rémunérations et percevra « une seule et unique rémunération », dont le montant, semble-t-il, n’a pas encore été fixé.

Cependant, M. Proglio a indiqué son souhait de garder, en tant que président d’EDF, un niveau de revenu comparable à celui dont il jouissait chez Veolia, ce qui est compréhensible, et légitime de son point de vue, mais signifie que sa rémunération sera de l’ordre du triple de celle de son prédécesseur, M. Gadonneix.

Le cas d’espèce auquel j’ai fait référence montre la nécessité de légiférer. Cependant, le dispositif que nous examinons ne nous semble pas satisfaisant.

Des critiques, sur lesquelles je ne reviendrai pas, ont été émises sur la consultation de la commission nationale de déontologie de la fonction publique. Une telle disposition n’était pas pertinente, dans la mesure où cette commission, essentiellement composée de hauts fonctionnaires, avait pour simple mission d’examiner si les activités privées que les agents de l’administration envisagent d’exercer ne sont pas incompatibles avec les fonctions qu’ils exerçaient antérieurement.

En revanche, la substitution de l’Agence des participations de l’État, qui a fait l’objet d’un premier amendement du rapporteur, puis d’un amendement du Gouvernement, n’emporte pas notre adhésion.

L’Agence des participations de l’État a pour vocation d’être le bras séculier, si j’ose dire, de l’État et du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, dans sa stratégie industrielle. Elle n’a ni souci ni capacité ni compétence dans le domaine éthique ou en matière de politique de rémunérations.

Au surplus, comment se convaincre que cette agence, composée pour l’essentiel de hauts fonctionnaires ou d’anciens hauts fonctionnaires des finances, au demeurant tous très estimables, prendra sur elle d’émettre des opinions différentes de celles de son ministre de tutelle, auquel elle destine ses rapports ? Personne ne peut croire cela ! Nous sommes dans un théâtre d’ombres !

Je le répète, l’Agence des participations de l’État n’a pas pour vocation de faire ce qu’il est envisagé de lui demander aujourd'hui et elle ne le fera pas.

Pour toutes ces raisons, nous avons préféré, pour notre part, nous prononcer clairement sur la non-compatibilité du cumul des fonctions de dirigeant d’une entreprise publique et d’une entreprise privée.

Nous proposons – c’est l’objet de notre amendement – d’interdire purement et simplement ce cumul et, bien sûr, dans la foulée, le cumul de rémunérations.

Notre amendement, je l’ai dit, s’inscrit dans le prolongement des propositions que le groupe socialiste a déjà présentées ces dernières semaines, afin de réformer la gouvernance des entreprises.

Je pense également à la proposition de loi initiée par notre excellente collègue Nicole Bricq, visant à réformer le statut des dirigeants de société et à encadrer leurs rémunérations.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

M. Richard Yung. Telles sont les raisons pour lesquelles nous avons été amenés à déposer un amendement qui, nous le croyons, instaurerait une politique beaucoup plus claire et simple en matière de non-cumul.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon propos a simplement pour ambition de compléter l’excellente intervention de notre collègue François Fortassin.

Nous avons considéré, dans notre groupe, qu’il fallait sortir d’un silence un peu trop assourdissant, y compris syndical, relatif à la nomination du nouveau président d’EDF.

L’urgence de l’actualité nous commandait de réagir au plus vite, afin que notre assemblée puisse discuter et s’exprimer sur cette question plus que symbolique s’agissant de la conception que l’on peut avoir de la République.

Mais la question soulevée reste d’une brûlante pertinence, et va au-delà des contingences du moment. Elle est, en outre, particulièrement parlante quant à la conception de l’intérêt général de l’exécutif, qui n’est pas effrayé par un conflit d’intérêts aussi manifeste. Et je citerai les propos tenus par le Président de la République : « Comment peut-on justifier l’injustifiable ? ».

La nomination du prochain président d’EDF échappera à la nouvelle procédure de l’article 13 de la Constitution, tandis que nous attendrons le 21 décembre prochain pour enfin examiner le projet de loi organique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Les compétences du futur président d’EDF ne sont aucunement en cause – il les a démontrées dans sa carrière – et les questions de rémunération relèvent d’un autre débat plus global.

La question posée aujourd’hui est d’une cardinale importance : il s’agit de la possibilité de cumuler la présidence d’EDF, établissement public à caractère industriel ou commercial chargé d’une mission de service public, et la présidence du conseil d’administration de Veolia, entreprise privée, cet EPIC et cette entreprise réalisant à eux deux plus de 100 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Il n’est pas sain de cumuler des fonctions de direction dans le secteur public et dans le secteur privé, en raison, d’abord, d’un risque évident de conflit d’intérêts, d’autant que ce précédent emblématique, certes, très rare et quasi unique, pourra se décliner et ce, sans aucun véritable garde-fou, sans oublier les exigences de compatibilité avec les règles du droit européen de la concurrence.

De deux choses l’une : soit il s’agit d’un choix d’intérêt personnel du futur président d’EDF et pour l’intérêt général cela ne saurait être une justification, soit il s’agit de mettre en place la stratégie de la constitution d’un nouveau groupe, d’une fusion, auquel cas il faut le dire clairement.

Il existe des signes avant-coureurs inquiétants, dont la cession en cours par la Caisse des dépôts de la moitié du capital de Transdev à Veolia, décision peu respectueuse du choix du service public de nombre de collectivités locales. De la même manière, est envisagé d’ici à quelques mois l’apport d’EDF à Veolia de sa participation minoritaire dans la filiale commune Dalkia.

Quel est l’intérêt du futur président d’EDF, pouvant bénéficier d’une confortable retraite de Veolia, de conserver la présidence du conseil d’administration de Veolia alors qu’il a déclaré, lors de son audition devant la commission de l’économie du Sénat, qu’il n’aura plus qu’à présider six ou sept conseils d’administration par an, ce qui signifie que 98 % de son temps sera consacré à EDF ? S’il y a une logique, qu’on nous la dise !

Concernant les risques de conflit d’intérêts, dire qu’il n’a pas eu connaissance de sujets susceptibles d’en créer n’est aucunement une garantie pour l’avenir.

Il y a là une véritable question de principe extrêmement importante pour tous ceux qui sont attachés à la réussite d’EDF, à la poursuite et à la diversification de son développement.

La synergie des deux groupes, que l’on nous vante, nécessite-t-elle une situation mettant en péril l’indépendance de l’établissement public EDF ?

Monsieur le rapporteur, nous reconnaissons volontiers que notre proposition de loi initiale était imparfaite et aurait mérité un travail plus approfondi. L’actualité et les règles de dépôt et de discussion nous imposaient, comme je l’ai rappelé, d’agir au plus vite. C’est donc bien volontiers que nous avons accueilli vos remarques et vos commentaires, conscients des lacunes originelles.

Mais celles-ci n’en enlèvent pas moins la pertinence du cœur de notre propos. Notre proposition était peut-être inadéquate en droit ; le texte qui nous est soumis est-il adéquat au fond ?

S’agissant de la question du cumul de fonctions, le droit prévoit déjà un certain nombre de prohibitions et de limites à destination des agents publics, des membres de cabinet ou des mandataires sociaux de sociétés commerciales, et il est issu de la loi Sapin de 1993 créant la commission de déontologie.

Cependant, rien dans le droit n’interdisait actuellement que le dirigeant d’une société commerciale puisse également occuper des fonctions similaires à la tête d’une entreprise publique, y compris le cas échéant en additionnant les rémunérations afférentes. Voilà sans doute la preuve que nul n’avait imaginé qu’un tel cas de figure se produirait.

Nous en convenons, le choix de soumettre l’appréciation du conflit d’intérêts à la commission de déontologie créait de jure une nouvelle compétence à la charge de celle-ci.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Notre rapporteur a choisi de réécrire notre proposition de loi. Certes, notre bébé n’était peut-être pas formidable mais maintenant il n’est plus exactement le même…

Au passage, le simple fait que notre commission n’ait pas rejeté en bloc ce texte dénote que les questions soulevées engendrent un véritable malaise sur toutes les travées. Si nous saluons l’approche constructive de la commission, nous considérons que le texte qu’elle propose ne règle pas le problème qui nous intéresse.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

C’est un signe, pas une solution. Il faut vraisemblablement aller plus loin pour clarifier ce grave problème…

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… en interdisant purement et simplement ce cumul de fonctions.

Pour notre part, nous souhaitons par défaut que l’Agence des participations de l’État se prononce non seulement sur la globalité des rémunérations qu’un dirigeant pourrait percevoir, mais aussi sur le montant maximal de celles-ci. Dans le contexte actuel de crise, dans lequel nos compatriotes qui connaissent de graves difficultés économiques sont de plus en plus nombreux, il est normal que l’État préserve au mieux ses intérêts patrimoniaux en fixant les plafonds de rémunération.

En conclusion, notre groupe se félicite d’avoir suscité le débat sur une question qui touche aux fondements mêmes du pacte républicain et qui confine à des valeurs aussi fondamentales. Il est donc naturel que les représentants de la nation s’emparent de cette question, d’autant que l’actualité récente a mis en lumière plusieurs cas de nominations qui ont frappé nos compatriotes.

Nous nous réjouissons donc que chacun, ici, dans cet hémicycle soit amené à prendre position sur ce sujet, dans toute la sérénité qu’appelle un débat démocratique.

Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste. – M. Jean-Jacques Pignard applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, présentée par plusieurs de nos collègues du groupe RDSE et dont nous sommes aujourd’hui saisis, est motivée par un cas particulier, ce qui, tout le monde s’accorde à le dire, n’est pas la meilleure façon de légiférer.

Elle vise, d’une part, à encadrer le cumul des fonctions de mandataire social d’une entreprise publique et d’une entreprise privée, par l’intervention obligatoire de la commission de déontologie de la fonction publique.

Elle prévoit, d’autre part, un encadrement de la rémunération au titre des différentes fonctions, lorsque le cumul est autorisé.

Comme notre excellent rapporteur M. Jean-Pierre Vial l’a rappelé, à juste titre, il n’est pas rare qu’une même personne exerce plusieurs mandats sociaux relevant d’entreprises appartenant au secteur privé et au secteur public. D’ailleurs, il n’est pas toujours aisé de déterminer si une entreprise appartient au secteur privé ou au secteur public. Cela prendrait beaucoup de temps dans certains cas marginaux, notamment pour les filiales.

C’est pourquoi les membres du groupe UMP estiment qu’il n’est pas souhaitable d’interdire, dans son principe, le cumul de fonctions de direction dans une entreprise du secteur public et une entreprise du secteur privé, tout comme le cumul de rémunérations.

Il n’est nullement justifié d’empêcher un dirigeant de droit privé d’une entreprise publique d’exercer une autre fonction dans une entreprise privée, dès lors bien sûr que cette seconde activité ne nuit pas à l’exercice de ses fonctions dans le cadre de la direction de l’entreprise publique.

Ce qui est possible dans le privé, on l’interdirait dans le public, au détriment de ce dernier ! Par exemple, le dirigeant de l’entreprise publique ne pourrait pas exercer un mandant social dans une filiale alors que, cette filiale étant commune par définition avec des entreprises privées, le dirigeant de l’entreprise privée en aurait la possibilité !

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Cette mesure risque de conduire à une situation illogique, qui nuirait au secteur public.

En revanche, la question de l’intérêt d’un encadrement de cette pratique se pose tout à fait légitimement.

L’État doit faire preuve de la plus grande vigilance et de la plus grande transparence afin de prévenir tout risque de conflits d’intérêts pouvant subvenir par l’existence même de telles situations.

Je crois pouvoir le dire, avec mon collègue auteur de la proposition de loi, les règles actuelles, issues tant du droit des sociétés que du droit de la fonction publique, ne permettent pas de prendre en compte de façon satisfaisante les situations de cumul.

Il n’est pas donc illégitime de prévoir, sur le plan législatif, le suivi d’une procédure particulière préalablement à ce type de cumul permettant un examen approfondi, au cas par cas, de sa pertinence.

Toutefois, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement est amené à exercer un contrôle direct sur la nomination à certains emplois.

Cette disposition permet, en conséquence, de soumettre au veto du Parlement la nomination des dirigeants de certaines entreprises publiques, indépendamment de leur statut juridique.

Elle pourra donc intervenir dans l’hypothèse où le Président de la République souhaiterait désigner à la tête d’une entreprise publique, mentionnée par le projet de loi organique que nous allons bientôt examiner, une personne qui, le cas échéant, continuerait à exercer certaines fonctions dans le secteur privé.

J’en viens maintenant au texte même de la proposition de loi. Les dispositifs tels qu’ils avaient été envisagés à l’origine par les auteurs de la présente proposition de loi ne nous semblent pas pertinents.

Je reviendrai brièvement sur le choix de la commission de déontologie. Si cette disposition était retenue, la situation de cumul serait examinée par une commission rattachée au ministre chargé de la fonction publique. Cette commission aurait ainsi à connaître de la situation de personnes qui n’ont aucune attache avec un organe de l’administration.

La composition actuelle de cette commission n’apparaît donc pas adéquate pour traiter de la situation de personnes venant du secteur privé et n’ayant eu, précédemment à leurs fonctions dans une entreprise publique, aucun lien avec l’administration.

Notre rapporteur propose de faire intervenir l’Agence des participations de l’État, service dépendant du ministère de l’économie. Cela nous semble nettement plus adapté pour vérifier la compatibilité d’une situation de cumul avec les intérêts patrimoniaux de l’État.

En outre, nos collègues du groupe RDSE avaient souhaité poser, à l’article 2, une interdiction de cumul de rémunérations liées à des fonctions de mandataire social simultanées dans une entreprise du secteur public et dans une entreprise du secteur privé.

Là encore, cette interdiction brutale ne nous semble pas justifiée. En effet, dès lors que le cumul de fonctions dans une entreprise du secteur privé et une entreprise du secteur public est jugé compatible tant par l’État actionnaire que par les actionnaires des sociétés relevant du secteur privé, il n’y a pas lieu d’interdire toute rémunération au titre des fonctions privées.

En outre, le champ d’application de l’interdiction visée par les auteurs de la proposition de loi, qui concerne tous les mandataires sociaux et même l’ensemble des actionnaires, nous semble trop étendu.

Par conséquent, nous rejoignons, là aussi, la position de notre rapporteur selon laquelle il n’est pas souhaitable de prévoir une telle interdiction.

Tout comme lui, nous estimons plus cohérent que ce soit l’Agence des participations de l’État qui se prononce également sur le montant global des rémunérations de toutes natures de l’intéressé au titre de ce cumul.

Le Gouvernement a déposé un amendement qui tend à préciser et à recadrer le dispositif proposé par la commission des lois.

Il s’agit, en effet, de replacer l’intervention de l’Agence des participations de l’État dans le cadre plus général de l’organisation administrative du ministère de l’économie.

À partir du moment où cette agence est d’ores et déjà amenée à donner un avis au ministère de l’économie s’agissant des décisions relatives à la nomination ou à la rémunération des dirigeants des entreprises dont elle assure le suivi, le Gouvernement considère qu’il n’est pas nécessaire de le prévoir dans la loi, puisque cette procédure existe déjà, dans le cadre du fonctionnement interne du ministère.

Nous partageons cette analyse.

L’amendement du Gouvernement prévoit un dispositif cohérent destiné à éclairer pleinement les assemblées sur les questions relatives aux conflits d’intérêts et aux rémunérations.

Un rapport spécifique du ministère chargé de l’économie sera, en effet, adressé aux assemblées parlementaires en vue de l’examen des nominations soumises aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Il permettra ainsi aux membres des commissions compétentes de disposer d’une information précise sur les questions relatives aux conflits d’intérêts et aux rémunérations.

En outre, non seulement l’Agence des participations de l’État mais également tout service compétent dépendant du ministère de l’économie pourront ainsi contribuer à l’élaboration de ce rapport.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP adoptera le dispositif équilibré qui nous est proposé car il permettra un encadrement raisonnable et transparent des situations de cumul de fonctions de direction.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et au banc des commissions.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État chargée du commerce extérieur

Après les excellentes interventions des différents orateurs et les propos que j’ai présentés tout à l’heure au nom de Mme Christine Lagarde, je souhaite simplement revenir sur quelques points de convergence.

Premièrement, bien qu’une législation ne concerne pas un cas particulier, certains d’entre vous se sont de nouveau interrogés sur la nomination du futur président d’EDF, M. Proglio, en reconnaissant cependant de façon unanime, je tiens à le souligner, sa grande compétence.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Vous l’avez tous dit, il est extrêmement positif pour une entreprise publique, en l’occurrence EDF, qu’un très important dirigeant d’une entreprise privée puisse mettre ses talents, son expérience et ses valeurs morales à son service. Comme tout chef d'entreprise, M. Proglio saura défendre les intérêts d’EDF dans ses différentes parties prenantes, et notamment les intérêts de l’actionnaire qu’est l’État.

Puisqu’il a été beaucoup question du cumul de fonctions, je rappellerai à mon tour que, la gouvernance de Veolia ayant été modifiée, les fonctions exécutives et de direction générale seront exercées non plus par M. Proglio, mais par son successeur, M. Frérot.

Comme il l’a indiqué lui-même lors de son audition devant la commission de l’économie du Sénat, présidée par M. Emorine, M. Proglio n’aura plus dès lors qu’à présider « six ou sept conseils d’administration par an », et « 98 % de son temps sera consacré à EDF ». Le Gouvernement se réjouit de cette décision, somme toute bien normale compte tenu de l’importance qu’EDF revêt à tous égards. Par sa taille, par son engagement dans le domaine énergétique, notamment dans le nucléaire, cette entreprise joue un rôle stratégique pour notre pays.

Deuxièmement, j’entends revenir sur la méthode employée, qui a fait l’objet de nombreuses remarques.

À l’inverse de ce qu’ont prétendu certains orateurs, je peux affirmer en toute franchise que l'ensemble du processus de nomination est marqué par la plus totale transparence.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

C’est en anticipant sur la future loi organique prévue pour mettre en application sur ce sujet la réforme constitutionnelle voulue par le Président de la République et par le Gouvernement que M. Proglio a été auditionné par les commissions compétentes du Sénat et de l’Assemblée nationale.

Dès le début, il nous a semblé tout à fait naturel de travailler, pour reprendre les termes employés à l’instant par M. Béteille, sur un « encadrement raisonnable et transparent » des situations de cumul concernées.

Encore une fois, il existe de nombreuses convergences entre les approches que nous pouvons avoir les uns et les autres. J’ai rappelé tout à l’heure la manière dont le Gouvernement, notamment depuis quelques mois, a souhaité encadrer, sans pour autant les rendre inadéquates et inefficaces, les rémunérations des dirigeants des entreprises publiques entendues au sens large. Je n’y reviendrai pas.

Troisièmement, je ne peux pas ne pas dire un mot sur toutes ces hypothèses, trouvées le plus souvent dans la presse, concernant telle ou telle évolution d’EDF, de Veolia, de leur filiale commune Dalkia, que sais-je encore. Ce qui fait foi aujourd'hui en la matière, ce sont les déclarations de M. Proglio, faites en toute transparence devant votre commission compétente et devant celle de l’Assemblée nationale. Je vous invite donc à vous y référer comme moi.

Peut-être y aura-t-il le moment venu à prendre en considération une proposition formulée au Gouvernement par le conseil d’administration d’EDF. Mais, actuellement, je le confirme une nouvelle fois, le Gouvernement n’a été saisi d’aucun projet touchant à l'évolution d’EDF ou à d’éventuels rapprochements.

Je ne le répéterai jamais assez, plutôt que de relayer, pas toujours avec la meilleure foi, d’ailleurs, telle ou telle supputation que l’on peut trouver dans la presse, mieux vaut se référer aux déclarations claires et nettes du président d’EDF ainsi que des différents membres du Gouvernement qui ont eu à se prononcer sur le sujet, au premier rang desquels Mme Lagarde.

Enfin, quatrièmement, pour en revenir au texte proposé par la commission des lois et eu égard aux propos tenus par certains d’entre vous, j’estime que l’APE mérite sans doute un peu plus de considération.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Dans son rapport publié en 2009, l’Agence des participations de l’État fournit toutes sortes d’informations, beaucoup plus d’ailleurs que l’année dernière, et ce en application des dispositions voulues par le Gouvernement. Elle détaille en particulier, dans une annexe que je vous invite à consulter, les données que j’ai rappelées tout à l’heure en matière d’encadrement, de non-cumul et de rémunération pour chaque personne concernée et nom par nom.

Pour autant, comme M. le rapporteur et M. Béteille l’ont indiqué, l’avis de l’APE ne constitue pas le seul éclairage dont le ministre des finances s’inspire et dont il souhaite pouvoir informer la représentation nationale. C’est donc avec le souci de prendre en compte l’avis de l’APE, mais pas seulement, que nous avons rédigé l’amendement auquel il a été fait allusion à plusieurs reprises.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais vous apporter sur ce sujet important. Je vous remercie d’avoir bien voulu le traiter de manière raisonnable et avec une volonté de transparence. Je vous remercie également de ne pas céder au mélange des genres et en particulier de ne pas faire de supputations sur des évolutions d’entreprise qui sont complètement hors sujet.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, force est de constater que nous nous trouvons dans une situation quelque peu paradoxale.

Nos collègues du RDSE l’ont eux-mêmes reconnu, en déposant une telle proposition de loi, leur objectif premier était d’ouvrir le débat sur cette question. Ils auraient donc pu choisir une autre voie pour ce faire, par exemple une question orale avec débat.

S’ils ont souhaité effectivement introduire de la transparence dans les règles de nomination et de cumul, ils n’ont jamais eu l’intention d’interdire tout cumul. Pour bien connaître l’historique des commissions de déontologie « anti-pantouflage » successives, je sais combien d’efforts le Parlement a dû consentir pour aboutir à des règles à peu près claires en la matière. Il fut un temps où certaines nominations n’étaient même pas soumises à l’avis de la commission de déontologie, sous prétexte qu’elles ne posaient aucun problème !

À des époques anciennes, j’ai eu à connaître de cas franchement scandaleux, à l’image de ce directeur d’un important service de l’État dans le domaine de la défense qui s’est retrouvé, du jour au lendemain, patron d’une grande entreprise privée du secteur. Cette manière de procéder était pour le moins gênante, d’autant qu’il y a tout de même un délai minimal à respecter.

Dans leur texte initial, nos collègues ont proposé que « le cumul des fonctions de dirigeant d’une entreprise du secteur public et de dirigeant d’une entreprise du secteur privé [soit] soumis à l’avis préalable de la commission de déontologie ». Or, en l’état actuel, celle-ci n’est pas compétente pour se prononcer sur la nomination dans le secteur public d’une personne venant du privé. Elle n’a en effet à connaître que de la situation d’un fonctionnaire quittant l'administration pour occuper des fonctions d’encadrement et des responsabilités dans une entreprise privée, pas forcément, d’ailleurs, à un poste de direction.

La commission, notamment son rapporteur, a donc ouvert le dialogue avec les auteurs de la proposition de loi, en s’efforçant de trouver un système qui permette plus de transparence dans le cas où – il n’y en a eu qu’un pour le moment – un dirigeant d’une société privée, nommé dans une entreprise publique, conserverait des responsabilités dans la première.

À titre personnel, je pense que le patron de Veolia, puisque c’est de lui qu’il s’agit, n’a pas choisi la solution la plus confortable en acceptant de devenir aussi celui d’EDF. Il aurait très bien pu décider de rester chez Veolia, qui est une réussite industrielle tout à fait extraordinaire au niveau international, y compris dans le domaine des relations sociales. Cela a encore été rappelé cet après-midi, de l’avis unanime, Henri Proglio est reconnu comme un chef d’entreprise tout à fait éminent.

Ses qualités seront, me semble-t-il, d’un grand apport dans la perspective de l’évolution nécessaire d’EDF. Qu’il veuille garder un œil sur la maison qu’il a construite, après tout, pourquoi pas ? Du reste, il ne demandera pas de rémunération supplémentaire et ne cumulera pas les deux fonctions puisqu’il ne sera plus le P-DG de Veolia, cette entreprise ayant décidé de scinder le poste en deux, en distinguant la présidence du conseil d’administration de la direction générale de l'entreprise. Une telle décision est d’ailleurs conforme à l’esprit de la loi sur les sociétés, qui avait notamment pour objectif de mettre fin aux usages constatés en la matière dans certaines sociétés.

Parce qu’elle partageait la finalité des auteurs de la proposition de loi, la commission des lois s’est appuyée sur ce véhicule législatif pour proposer un texte satisfaisant. Si aucun accord n’était apparu, elle se serait contentée de la rejeter purement et simplement.

Madame la secrétaire d'État, vous avez souligné à juste titre le rôle important que sera appelée à jouer l’APE, qui, aujourd'hui, n’intervient pas dans ce domaine. Son implication est de nature à garantir la transparence du dispositif. Telle est la volonté affichée par la commission des lois. Contrairement à ce que pensent certains de mes collègues, le texte qu’elle a adopté me paraît répondre aux vœux des auteurs de la proposition de loi et à l’esprit qui a présidé à leur démarche. Il ne s’agissait aucunement de prévoir l’interdiction de tout cumul. Ceux qui, aujourd'hui, prônent cette solution devront déposer un autre texte.

La commission a également engagé le dialogue avec le Gouvernement, qui est tout de même concerné au premier chef par les nominations des dirigeants d’entreprises publiques, en vertu des dispositions de l'article 13 de la Constitution. Je ne vois d’ailleurs pas quelles autres sociétés pourraient y être soumises. Dans l’attente de la loi organique qui apportera les précisions nécessaires, ces nouvelles dispositions constituent un progrès indéniable en termes de transparence. Le Gouvernement aura obligation de fournir au Parlement tous les éléments lui permettant de se prononcer sur de telles nominations.

Saisie d’une proposition de loi, la commission peut choisir entre deux attitudes à l’issue de la discussion qu’elle engage en son sein : si ses objectifs concordent avec ceux des auteurs de la proposition de loi, elle peut proposer son propre texte ; sinon, elle se contente d’opposer un refus. Puisque, en l’occurrence, elle se situait dans le premier cas, elle s’est donc efforcée de trouver le meilleur système possible, en travaillant dans un esprit de dialogue et de conviction avec le Gouvernement. Le texte de la commission, amendé par le Gouvernement, me paraît à cet égard pouvoir satisfaire tout le monde.

Voilà, mes chers collègues, les éléments d’information sur les étapes de la procédure que je souhaitais soumettre à votre réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

Après l’article 9 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public, il est inséré un article 9-1 ainsi rédigé :

« Art. 9-1. – La nomination à des fonctions de président du conseil d'administration, de directeur général, de membre du directoire ou de président du conseil de surveillance dans une entreprise mentionnée à l’article 1er de la présente loi concurremment à des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé est soumise à l’avis préalable de l’agence des participations de l’État, service placé auprès du ministre chargé de l’économie, dont l'organisation et les modalités de fonctionnement sont définies par voie réglementaire.

« Ce service émet un avis auprès de l’autorité administrative investie du pouvoir de nomination sur la compatibilité de ce cumul avec les intérêts patrimoniaux de l’État. Dans ce cadre, il se prononce également sur le montant global des rémunérations de toutes natures de l’intéressé au titre de ce cumul.

« Lorsque la nomination mentionnée au premier alinéa est soumise aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, cet avis est transmis aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, avant que celles-ci rendent leur avis. »

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, la commission demande l'examen en priorité, à l’article 1er, de l’amendement n° 4 du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité ?

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Favorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La priorité est de droit.

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

I. - Alinéas 2 et 3

Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :

« Art. 9-1. - La nomination à des fonctions de président du conseil d'administration, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire dans une entreprise du secteur public mentionnée à l'annexe de la loi organique prévue par le cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, concurremment à des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé, fait l'objet d'un rapport spécifique du ministre chargé de l'économie, relatif à la compatibilité de ce cumul avec les intérêts patrimoniaux de l'État et au montant global des rémunérations de toutes natures susceptibles d'être perçues par l'intéressé au titre de ce cumul.

II. - Alinéa 4

Rédiger ainsi le début de cet alinéa :

Ce rapport, élaboré avec le concours des services compétents du ministère de l'Économie, au nombre desquels l'Agence des participations de l'État, est transmis...

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Je remercie le président de la commission des lois d’avoir demandé la priorité sur cet amendement, ce qui va permettre de clarifier le débat.

À vrai dire, notre amendement a déjà fait l’objet de nombreuses allusions, et même plus, puisque, M. Hyest vient de le rappeler, il résulte d’un travail commun, entre les auteurs de la proposition de loi – dans toute la mesure possible –, la commission des lois et M. le rapporteur, que je remercie encore, et le Gouvernement.

Il s’agit de préciser, d'une part, le champ d’action qui fera l’objet du rapport que le ministre chargé de l'économie sera peut-être amené à transmettre au Parlement et, d'autre part, les bases sur lesquelles ce rapport sera établi.

Comme on l’a dit, le rapport sera établi, notamment, sur la base d’informations fournies par l’Agence des participations de l’État. Cette agence, je le rappelle, est un service dépendant du ministère de l’économie, donc placé, actuellement, sous l’autorité de Mme Christine Lagarde. Le Gouvernement a souhaité que ladite agence, tout en étant citée dans les textes, ne soit pas la seule à éclairer le ministre dans le rapport qui sera remis au Parlement.

L’amendement du Gouvernement a pour objet de consacrer la légitimité du rapport du ministre, dans un souci de transparence, et de prévoir les modalités de son élaboration de la façon la plus efficace possible.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Yung, Anziani et Peyronnet, Mme Klès, MM. Navarro et Bodin, Mmes Chevé, Laurent-Perrigot, Cerisier-ben Guiga et Bourzai, M. Todeschini, Mme M. André, MM. Raoul et Marc, Mme Blondin, MM. Bérit-Débat, Berthou et Guillaume, Mmes Khiari et Printz, M. Besson, Mme Campion, MM. Bourquin et Sutour, Mmes Alquier, Bricq et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L'article 9 de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« L'exercice des fonctions de président du conseil d'administration, de directeur général, de membre du directoire ou de président du conseil de surveillance dans une entreprise mentionnée à l'article 1er de la présente loi est incompatible avec l'exercice de fonctions similaires, y compris non exécutives, dans une entreprise du secteur privé. »

La parole est à M. Richard Yung.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Il s’agit d’une proposition alternative à celle qui vient d’être exposée par le Gouvernement. Notre amendement tend en effet à poser le principe de l’incompatibilité entre les fonctions de direction d’une entreprise publique et celles d’une entreprise du secteur privé.

Il vise à prévenir les conflits d’intérêts consubstantiels à des cumuls de ce genre, tout en réglant la question du cumul des rémunérations liée à l’exercice concomitant de ces fonctions.

Pour nous, il est évident que les critères de gestion d’une entreprise publique et ceux d’une entreprise privée diffèrent, notamment parce que la seconde recherche une rentabilité financière pour répondre à l’attente de ses actionnaires. Cela ouvre un champ de conflits considérables.

Notre amendement concerne les fonctions de président du conseil d'administration, de directeur général, de membres du directoire ou de président du conseil de surveillance. Je note d’ailleurs que les règles actuellement applicables en matière de cumul et de bonne gouvernance n’ont pas évité le développement de concentrations de pouvoirs au sein des conseils d’administration, frappés par une endogamie assez générale. Du reste, si le cumul de mandats d’administrateur est limité à cinq, voire à trois dans le cadre du fameux code de bonne conduite, celui-ci est assez peu suivi, et l’on peut parler d’incantation. C’est dire que nous avons des raisons de nous méfier !

Il est à craindre que le fait de confier à un dirigeant des fonctions non exécutives donne seulement l’apparence d’une bonne gouvernance, sans empêcher ce dirigeant de prendre part au processus de décision.

La solution que nous vous proposons est, certes, radicale, mais elle a le mérite d’être plus simple et plus efficace que celle qui est suggérée par la commission.

On voit mal, en effet, surtout dans la rédaction proposée par le Gouvernement, où sont les progrès. Après l’Agence des participations de l’État, c’est maintenant le ministre lui-même qui va faire un rapport sur la nomination à laquelle il va lui-même procéder ! Comment attendre que la lumière jaillisse d’un tel système, hermétiquement clos ? Quant à la publication de la nomination dans le rapport annuel de l’Agence, qui interviendra dix-huit mois ou deux ans après, vous conviendrez que ce n’est pas sérieux au regard du débat qui nous occupe aujourd'hui !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L'amendement n° 2, présenté par MM. Collin, Charasse, Alfonsi, Barbier et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Marsin, Mézard, Milhau, Plancade, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 3, seconde phrase

Après les mots :

le montant global

insérer le mot :

maximum

La parole est à M. François Fortassin.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Il nous paraît indispensable d’inscrire dans la loi qu’il appartient à l’Agence des participations de l’État de fixer le montant global maximum des rémunérations pouvant être perçues au titre du cumul des fonctions.

Cette notion de rémunération maximale est tout à fait conforme aux exigences de l’esprit républicain que nous avons évoqué tout à l’heure. Nous ne sommes pas contre le fait que les dirigeants de grandes entreprises publiques puissent percevoir des rémunérations importantes, mais encore faut-il que celles-ci soient encadrées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Vial

La commission est, bien évidemment, favorable à l’amendement n° 4 du Gouvernement, sous le bénéfice des observations qui ont été apportées.

Nous avons pris note de l’engagement de Mme le secrétaire d'État que les entreprises situées hors du champ de l’article 13 de la Constitution feront l’objet d’un avis annexé au rapport annuel de l’Agence des participations de l’État. Même s’il s’agit, en quelque sorte, d’un cadre théorique, il me paraît important, dans la logique et la rigueur de ce dispositif, de le prévoir.

En revanche, la commission ne peut qu’être défavorable à l’amendement n° 3 rectifié . Il s’agit non pas d’une alternative, mais d’une proposition qui va à l’encontre du dispositif prévu.

Pour ce qui est de l’amendement n° 2, j’aurais tendance à en suggérer le retrait à ses auteurs ; sinon, l’avis serait défavorable. Nous l’avons dit en commission, outre que cet amendement ne serait pas compatible avec l’amendement n° 4 du Gouvernement s’il était adopté, il est contraire au principe même du rapport dans son architecture.

Debut de section - Permalien
Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État

Même avis. M. le rapporteur s’est tellement bien exprimé qu’il me dispense d’argumenter.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote sur l’amendement n °4.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Il ne s’agit pas précisément d’une explication de vote, monsieur le président. Je voudrais comprendre pourquoi ces trois amendements font l’objet d’une discussion commune alors que tous ne s’excluent pas l’un l’autre.

Que l’amendement n° 4 du Gouvernement soit examiné en priorité, soit, mais son adoption ne devrait pas faire tomber les deux autres, en tout cas, pas après les explications que je viens d’entendre de la part des auteurs des amendements. Je conteste la lecture qui est faite de ces trois amendements et souhaite qu’il soit procédé à une discussion séparée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’amendement n° 3 rectifié bis vient bien en discussion commune avec l’amendement n° 4. L’amendement n° 2 pourrait éventuellement être transformé en sous-amendement à l’amendement n° 4. À défaut, en cas d’adoption de l’amendement n° 4, les deux autres amendements tomberaient.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote sur l'amendement n° 4.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Le groupe socialiste apporte son entier soutien à l’amendement n° 3 rectifié bis de M. Yung.

Nous avons déposé au Sénat, voilà à peu près un an, une proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations. Nous sommes attachés, notamment pour les entreprises aidées par l’État – particulièrement pour celles qui relèvent du statut d’entreprise publique – au respect des bonnes règles de gouvernance.

Mme la secrétaire d'État a raison : nul ici n’a mis en cause les compétences de M. Proglio. Tout son parcours professionnel a prouvé ses qualités d’entrepreneur. Mais il se trouve qu’il est, en plus, membre de cinq conseils d’administration.

Monsieur Hyest, pour faire suite à la proposition de loi précitée, vous avez organisé, le 11 mars dernier, une table ronde au cours de laquelle nous avons auditionné de nombreuses personnes : des membres du MEDEF, des administrateurs, des actionnaires… Tous se sont accordés pour dire que la bonne règle était de ne pas dépasser trois mandats d’administrateur.

Au travers de notre amendement, nous voulons rappeler ces principes. S’agissant de l’encadrement des rémunérations, particulièrement des bonus, Mme la ministre de l’économie s’est engagée à ce que, d’ici à la fin de l’année, nous dressions un bilan exhaustif de l’encadrement des rémunérations et des bonus par toutes les règles de bonne conduite qui ont été édictées à la place d’un dispositif législatif.

Aujourd'hui, nous avons l’occasion de voter un dispositif législatif et nous entendons le faire, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, que nous remercions, une fois encore, d’avoir ouvert le débat.

Le Gouvernement doit se rendre compte que ces questions de cumul, de rémunérations comme de fonctions, sont désormais d’ordre public. Elles sont l’un des éléments à l’origine de la crise financière dont nous sortons à peine.

Aujourd'hui, nous avons l’occasion d’émettre un vote et nous le ferons !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

M. Richard Yung. Madame la secrétaire d'État, quand nous vous avons interrogée sur la finalité de ce cumul de fonctions, vous nous avez répété à plusieurs reprises qu’il ne fallait pas procéder à un mélange des genres et qu’il n’y avait pas de projet industriel derrière cette nomination. Mais c’est bien ce qui m’inquiète le plus ! S’il y avait un vrai projet industriel, nous serions prêts à en discuter. Mais, s’il n’y en a pas, cela veut dire que nous sommes en face d’une opération purement personnelle !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

J’ai écouté avec beaucoup d’attention les explications données sur ce dossier par le président de la commission des lois et par le rapporteur, en commission comme en séance publique. Bien entendu, je voterai l’amendement du Gouvernement. Je vais donc faire confiance au Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Par les temps qui courent, ce n’est pas prudent !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

M. Christian Cointat. En réalité, et la nuance n’est pas négligeable, je veux faire confiance au Gouvernement.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

M. Christian Cointat. Car je ne vous cache pas que je ressens un certain malaise. Les personnes ne sont nullement en cause. Mais je suis trop attaché au service public, à la fonction publique, à ce qui relève de l’État, pour ne pas m’alarmer lorsque l’on mélange public et privé. J’ai peut-être tort

Non ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Alors, oui, je veux faire confiance au Gouvernement. J’espère que je n’aurai pas à le regretter.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Bricq

Il vaut mieux avoir des remords que des regrets !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Je n’aimerais pas que, demain, un même homme puisse cumuler les fonctions de président de la SNCF et de président d’une entreprise de construction de véhicules, par exemple. Certes, l’amendement du Gouvernement prévoit qu’un rapport du ministre chargé de l’économie, relatif à la compatibilité du cumul, sera remis au Parlement. Mais si l’on autorise le cumul des fonctions entre le public et le privé, cela risque de se produire.

Je vais donc faire confiance au Gouvernement et voter l’amendement n° 4. Mais, madame la secrétaire d’État, si vous me permettez de paraphraser Montesquieu, je vais voter d’une main tremblante.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

J’admets, comme François Zocchetto, que l’on veuille interdire tout cumul, au sein du secteur privé, au sein du secteur public, et entre les secteurs privé et public.

Toutefois, l’adoption de l’amendement de nos collègues socialistes reviendrait à interdire au dirigeant d’une entreprise publique de cumuler une fonction de direction et un mandat social, …

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

…alors qu’un tel cumul est autorisé dans le secteur privé.

Des entreprises publiques et privées peuvent être en concurrence et avoir intérêt à détenir des participations ou un mandat social dans une entreprise ayant une activité complémentaire. On l’interdit dans l’entreprise publique et on l’autorise dans l’entreprise privée. Ce n’est pas convenable, parce que, ce faisant, on pénalise le secteur public.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Nous ne voterons pas l’amendement du Gouvernement pour deux raisons.

En premier lieu, nous considérons que cet amendement s’écarte beaucoup trop de l’esprit du texte initial.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Malgré l’habileté sémantique du président de la commission des lois, nous sommes loin d’être convaincus.

En second lieu, permettez-moi de vous dire que vous ouvrez la boîte de Pandore.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Croire qu’il n’y aura que le cas particulier que nous avons évoqué, c’est faire preuve d’une naïveté extraordinaire. Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous êtes naïf, monsieur le président de la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Cet amendement nous entraîne dans un système dangereux.

Que va penser l’homme de la rue ? On ne pourrait pas, dans le même temps, être receveur des postes et tenir un bureau de tabac, mais on pourrait être président de La Poste et directeur général d’une entreprise de vente d’automobiles, par exemple !

Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicolas Alfonsi

Je voterai contre l’amendement du Gouvernement.

Lorsque l’on observe des règles non écrites – et c’est l’usage dans d’autres pays que le nôtre –, on va au plus simple : il y a ce qui se fait et ce qui ne se fait pas !

En France, les règles font toujours l’objet d’une délibération. Quand je lis, dans l’amendement du Gouvernement, que la nomination à certaines fonctions fera l’objet « d’un rapport spécifique du ministre chargé de l’économie, relatif à la compatibilité de ce cumul avec les intérêts patrimoniaux de l’État et au montant global des rémunérations », je considère qu’il faut s’arrêter tout de suite ! Il importe de rester extrêmement simple !

Un fait divers, si j’ose dire, à savoir la nomination de M. Proglio à la tête d’EDF, nous conduit à légiférer. Je regrette que le Sénat soit amené à travailler de cette façon. Puisqu’il doit se prononcer, qu’il le fasse, mais j’estime, pour ma part, qu’il doit voter des deux mains contre l’amendement du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

La parole est à M. René Garrec, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de René Garrec

C’est l’intervention de M. Alfonsi qui me conduit à prendre la parole.

Il est vrai que les règles non écrites soulèvent bien des difficultés. Tous ceux d’entre nous qui ont fait du droit public ont un souvenir commun : pas de loi ad hominem ! Ce texte n’est pas une « loi Proglio » ; elle a une portée beaucoup plus large, et personne ne s’y est trompé.

La question du cumul mérite d’être posée. Elle l’a déjà été en 1988. À l’époque, les rémunérations des patrons d’entreprise étaient tarifées. Un patron de la sidérurgie gagnait 120 000 francs par mois, le président du conseil d’administration de l’Association technique de l’importation charbonnière, fonctions que j’exerçais à l’époque, percevait 85 000 francs. Ce système a totalement disparu et c’est une bonne chose.

Aujourd’hui, le problème est différent : il s’agit de savoir si le patron d’une entreprise privée peut exercer des fonctions dans le service public, et inversement.

Autoriser ce cumul serait une très bonne chose pour notre pays. On ne peut certes pas apporter une réponse au détour d’un texte qui n’est pas mûrement réfléchi, en cédant à un coup de cœur. Pour certains, autoriser un tel cumul semble difficile à comprendre, exagéré. D’une certaine façon, c’est vrai ! Néanmoins, lorsqu’il s’agit de légiférer, on ne peut pas raisonner de façon affective. L’amendement du Gouvernement me convient dans la mesure où il apporte une solution, au moins temporaire, à un problème réel.

Il est préférable de se référer à la règle écrite, même s’il ne faut pas lui demander plus que ce qu’elle peut donner.

Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai l’amendement du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Je mets aux voix l'amendement n° 4.

Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe du RDSE.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

Il est procédé au comptage des votes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 81 :

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix l'amendement n° 3 rectifié bis.

L'amendement n'est pas adopté.

L'amendement n'est pas adopté.

L'article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L'amendement n° 1, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :

Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Un décret en Conseil d'État prévoit les conditions dans lesquelles le conseil d'administration ou le conseil de surveillance d'une société à l'égard de laquelle l'État s'est financièrement engagé ne peut pas décider l'attribution d'actions aux dirigeants et mandataires sociaux dans les conditions prévues aux articles L. 225-177 à L. 225-186-1 et L. 225-197-1 à L. 225-197-6 du code de commerce.

Il prévoit également les conditions dans lesquelles des éléments de rémunération variable, indemnités et avantages indexés sur la performance ne peuvent pas être octroyés aux dirigeants et mandataires sociaux de ces mêmes sociétés.

Les sociétés mentionnées aux deux alinéas ci-dessus sont celles :

- auxquelles l'État a directement consenti un prêt, accordé sa garantie à l'occasion d'un prêt ou dans lesquelles il a investi ;

- auxquelles la société de financement de l'économie française a consenti un prêt ;

- dont les émissions de titres financiers ont été souscrites par la société de prise de participation de l'État ;

- ou dans lesquelles le fonds stratégique d'investissement a, directement ou indirectement, investi.

II. - Les conventions visées au deuxième alinéa du A du II de l'article 6 de la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le financement de l'économie déjà conclues à la date de publication de la présente loi sont révisées en conséquence du I ci-dessus.

Cet amendement n’est pas soutenu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-sept heures, est reprise à dix-sept heures cinq.

(Texte de la commission)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public (proposition n° 506, 2008, 2009, texte de la commission n° 86, rapport n° 85)

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, garantir la sécurité et la tranquillité de nos concitoyens en adaptant nos moyens face à une délinquance sans cesse évolutive relève de notre responsabilité partagée. La proposition de loi soumise à votre examen vise donc à renforcer la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public.

Ce texte, adopté par l'Assemblée nationale, a fait l'objet d'un examen approfondi par votre commission des lois. Je tiens à saluer le travail tout à fait remarquable effectué par celle-ci, et particulièrement par son rapporteur.

Comme chacun peut le constater, les hommes et les femmes chargés de la protection des Français doivent faire face à un accroissement de la violence de la part des délinquants. Élus locaux, nous sommes tous amenés à le vérifier quotidiennement sur le terrain.

Deux faits étayent ce constat.

Il s’agit, premièrement, du rôle des bandes dans la montée des violences. Leurs liens avec les trafics de stupéfiants, voire les trafics d'armes, sont connus. En recherchant la confrontation violente avec les forces de l'ordre, ces bandes peuvent être à l'origine de véritables scènes de guérilla urbaine, comme l’illustrent les événements de Gagny. Il ne s’agit là que d’un exemple, mais plusieurs d’entre nous – c’est notamment mon cas – ont vécu par le passé ce type de situation dans des villes de province. Nous avons tous ces incidents en mémoire. Ils causent un trouble très important et masquent souvent d’autres trafics et agissements.

Il s’agit, deuxièmement, de l’extension de la violence à des lieux longtemps préservés et essentiels à la cohésion sociale.

C'est, hélas ! le cas de l'école. Ce phénomène, qui n’existait pas lorsque j’ai commencé à exercer des mandats électifs, est apparu peu à peu, d’abord subrepticement, puis de manière beaucoup plus importante. Des événements récents ont révélé que les établissements scolaires pouvaient devenir le théâtre de violences inacceptables à l’encontre des élèves et du corps enseignant. Et les faits se multiplient.

Cela concerne également, dans un tout autre registre, les stades. Rien n'est plus opposé à l'esprit du sport que les violences qui perturbent trop souvent nos manifestations sportives. Sont en cause non seulement les grands matchs dits « à hauts risques », mais également les rencontres amateurs du samedi et du dimanche après-midi, dans nos communes, sur les stades de quartiers.

Ainsi, la délinquance évolue et nos réponses doivent également évoluer. La proposition de loi vise donc à adapter nos réponses en prévoyant de nouveaux moyens et des mesures ciblées sur certains lieux symboliques, que je viens d’évoquer.

Tout d’abord, contre la délinquance violente, le texte prévoit de nouveaux moyens pour combler les lacunes existantes. Ces moyens sont juridiques, opérationnels et technologiques.

Concernant les moyens juridiques, les incriminations contre les bandes violentes sont aujourd'hui insuffisantes, qu'il s'agisse de l'interdiction des attroupements ou de l'association de malfaiteurs.

L'infraction de participation à une bande violente permet de mieux appréhender la réalité du phénomène. La participation à une bande constituée pour commettre des atteintes aux personnes et aux biens sera désormais punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Ladite infraction permet de lutter contre les différentes formes du phénomène, qu'il s'agisse du regroupement de personnes qui se connaissent, tels les gangs qui se constituent ici et là, ou du regroupement de personnes qui n’ont pas de liens a priori, mais se retrouvent volontairement en un lieu donné pour commettre une action commune violente. C'est le cas des black blocs ou d’un certain nombre de bandes de casseurs qui se retrouvent à l’occasion ou en marge de manifestations, avec les effets que nous connaissons.

Cette infraction permet également de lutter contre l'impunité, clairement recherchée par les personnes agissant en groupe. Elle n'établit pas pour autant une responsabilité collective. Cet aspect sera, je n’en doute pas, l’un des éléments du débat à venir. En participant concrètement au groupe et en poursuivant un même objectif délictueux, chacun, en effet, se rend personnellement coupable. On n’est pas là par hasard !

Afin de lutter contre les infractions commises à visage dissimulé, la proposition de loi prévoit l'introduction d'une nouvelle circonstance aggravante. Les agressions à visage dissimulé augmentent le traumatisme des victimes et compliquent le travail d'identification de la justice. À ce sujet, un décret en Conseil d'État du 19 juin 2009 incrimine d’ailleurs le fait de dissimuler volontairement son visage en marge d'une manifestation. Il est logique d’alourdir les sanctions prononcées pour toute agression commise à visage dissimulé.

Pour faciliter le travail des forces de l'ordre, de nouveaux moyens opérationnels et technologiques sont prévus.

La proposition de loi précise ainsi le cadre d'exercice de la police d'agglomération. En effet, la délinquance moderne se joue des frontières administratives et, pour adapter l'organisation de la sécurité aux bassins de délinquance, la police d'agglomération renforcera la coordination entre les services de sécurité. Les compétences du préfet de police en matière de maintien de l’ordre public seront donc étendues aux départements de Paris et à ceux de la petite couronne.

Des moyens technologiques sont également prévus. L'enregistrement audiovisuel par les services de police constitue un progrès et permettra de confondre plus aisément les auteurs d'agressions, même s’ils portent une capuche ou un foulard pour dissimuler leur visage. Il facilitera l'administration de la preuve, souvent complexe dans un contexte de groupe. Il favorisera les bonnes pratiques policières, en permettant d’établir la vérité sur les circonstances et le déroulement effectif des événements, si l’intervention de police devait ensuite être mise en cause. Il conviendra, naturellement, de préciser le régime juridique de ces enregistrements.

Mesdames, messieurs les sénateurs, adapter nos réponses suppose de nouveaux moyens contre la délinquance violente.

Protéger nos concitoyens exige également, je le disais tout à l’heure, des mesures ciblées sur certains lieux symboliques.

Ainsi, contre la violence dans les stades, le dispositif en vigueur doit être renforcé, en premier lieu les mesures de prévention. La proposition de loi permet de doubler la durée des interdictions administratives de stade. Celles-ci pourront être portées à six mois et interviendront dès le premier trouble à l'ordre public. Les mesures de répression doivent également être renforcées. L'incrimination de la détention et de l'usage des fumigènes est particulièrement adaptée aux spécificités de la violence dans les stades. Certains de ces engins sont des plus dangereux, y compris pour ceux qui les manipulent

Sanctuariser l'école est le second objectif qui sous-tend le texte soumis à votre examen. L'école est un lieu d’apprentissage, où se transmettent les règles de la vie en commun ; elle doit le demeurer. Les événements récents ont montré la nécessité de protéger les écoles, leurs abords et les personnels qui y travaillent.

Pour protéger l'école, il faut la préserver des violences venues de l'extérieur. Ces violences, commises par des personnes mal intentionnées qui pénètrent dans l'enceinte d'un établissement sans y être autorisées, peuvent parfois entraîner un drame.

L'intrusion dans un établissement scolaire sera punie d'un an d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. La peine pourra être aggravée, la détention étant susceptible d’atteindre sept ans et l’amende pouvant s’élever à 100 000 euros si l’agression est perpétrée par plusieurs personnes armées. Il s’agit d’une avancée pour la sécurité des élèves et des enseignants.

L'introduction d'une arme dans l'enceinte scolaire constituera un délit en soi, punissable de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. La sécurisation des abords de l'école contribue à la protection des élèves comme des professeurs. La proposition de loi complète à cet égard le code pénal en ajoutant une circonstance aggravante pour les faits de vols et d’extorsions commis à proximité des établissements scolaires.

Enfin, la sécurité des personnels de l'éducation nationale doit être renforcée. L'autorité des professeurs est aujourd'hui la cible de ceux qui s'en prennent à toute autorité légitime. Les personnels de l’éducation nationale et leurs proches doivent bénéficier d'une protection identique à celle qui est accordée aux agents dépositaires de l'autorité publique. Le texte soumis à votre examen prévoit que les sanctions réprimant les atteintes à ces personnels soient aggravées dès lors que les faits sont liés aux fonctions exercées par la victime. Afin de mieux prendre en compte la réalité du terrain, la proposition de loi étend ce dispositif à leurs proches.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la sécurité est la première des libertés ; elle est la condition de toutes les autres : liberté de s'instruire dans les écoles de la République ; liberté d'y enseigner ; liberté de participer à des événements sportifs ; liberté de manifester pour exprimer ses idées, sans craindre la menace de casseurs et de pillards qui puissent dénaturer ces rassemblements pacifiques et légitimes ; liberté, tout simplement, d'aller et venir dans la rue en toute tranquillité, sans redouter les exactions de bandes violentes.

La présente proposition de loi nous donne les moyens de mieux préserver ces libertés par des mesures concrètes. Respectueuse de nos principes, elle réaffirme un objectif que nous partageons tous : garantir la protection de chacun, en toutes circonstances, sur tous les territoires de la République. C'est notre devoir ! C'est notre responsabilité au service de nos concitoyens !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée est saisie de la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, adoptée par l'Assemblée nationale le 30 juin dernier.

Malgré les efforts entrepris par les pouvoirs publics au cours de la dernière décennie, le phénomène des bandes persiste et, dans certains quartiers défavorisés, il s'enracine et trouble gravement les conditions d’existence de nos concitoyens qui y vivent.

Dans le prolongement des engagements pris par le Président de la République au lendemain des graves violences commises en mars 2009 dans un lycée de la région parisienne, M. Christian Estrosi, alors député, a déposé la présente proposition de loi.

Tout en souscrivant à l’objectif de mieux prendre en compte la spécificité du phénomène des bandes, la commission des lois a souhaité apporter un certain nombre de modifications à ce texte, dans le respect des principes fondamentaux de notre droit pénal et de la cohérence de l’échelle des peines.

Je partirai du constat de la spécificité du phénomène des bandes, avant d’évoquer les modifications apportées au texte par la commission. Je conclurai en attirant l’attention du Gouvernement sur un certain nombre de points qui nous semblent importants.

Pour ce qui est tout d’abord du constat, depuis plusieurs décennies, les grandes agglomérations françaises sont périodiquement traversées par des flambées de violences émanant le plus souvent de jeunes gens issus de quartiers défavorisés : cité des Minguettes à Vénissieux, en 1981 puis en 1983, Vaulx-en-Velin en 1990, Nîmes en 2003, etc.

Pourtant, pendant de nombreuses années, les pouvoirs publics n’ont pas semblé prendre la mesure du caractère spécifique du phénomène des bandes violentes. D’après les personnalités que j’ai entendues, et notamment des sociologues, la notion de « bande » ne fait réellement l’objet d’une attention particulière que depuis cinq à six ans. De ce fait, peu de données objectives sont disponibles pour tenter de cerner précisément ce phénomène.

Selon une étude réalisée par la direction centrale de la sécurité publique en mars 2009, il existerait 222 bandes violentes en France, regroupant environ 2 500 membres réguliers et autant de membres occasionnels. Les quatre cinquièmes de ces bandes seraient localisées en région parisienne, et un peu moins de la moitié de leurs membres seraient âgés de moins de dix-huit ans.

À la différence des gangs américains, qui comptent parfois plusieurs milliers de membres, les bandes françaises les plus structurées ne comporteraient guère plus de cinquante personnes.

En outre, il est important d’opérer des distinctions. En particulier, il est essentiel de distinguer les « bandes » des groupes politiques extrémistes, tels que ceux qui se sont manifestés au sommet de l’OTAN à Strasbourg, en avril 2009, ou à Poitiers, voilà quelques semaines.

À la différence de ces groupes d’extrémistes, qui agrègent au gré des manifestations des individus ne partageant pas de vie en commun, les bandes constituent de véritables formes de sociabilité alternative. La notion de territoire revêt pour elles une valeur quasi sacrée, le groupe ne fonctionne que collectivement, les actes de violences sont toujours accomplis en commun, le plus souvent dans des territoires « neutres » tels que les espaces scolaires ou les transports en commun.

Les pouvoirs publics n’ont pas attendu le dépôt de cette proposition de loi pour lutter contre les violences urbaines. L’action engagée par les pouvoirs publics à cet effet a d’ailleurs produit des résultats significatifs : la délinquance urbaine a baissé de 33 % entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2008.

Néanmoins, d’après les informations que j’ai recueillies, ces données globales masquent une certaine radicalisation des phénomènes de violences, concentrés sur un nombre restreint de quartiers en difficulté et d’individus au passé judiciaire lourd.

Dans un avis rendu en janvier 2008, le Conseil national des villes a mentionné l’existence de noyaux durs et pérennes de jeunes délinquants dans un certain nombre de quartiers en difficulté.

En outre, un double constat semble faire l’unanimité. D’une part, les agressions perpétrées contre les forces de l’ordre sont en hausse : les violences à personnes dépositaires de l’autorité publique se sont accrues de plus de 4 % entre 2007 et 2008, atteignant environ 26 000 faits signalés par an. D’autre part, ces violences se caractérisent par une banalisation du recours aux armes : le nombre de ports et de détention d’armes prohibées a augmenté de plus de 9 % entre 2007 et 2008.

Face aux violences commises en groupes, notre droit pénal n’est certes pas totalement démuni.

En premier lieu, notre droit punit des mêmes peines que l’auteur des faits le complice de l’infraction.

En deuxième lieu, la législation pénale considère dans un grand nombre d’hypothèses le fait que l’infraction ait été commise par plusieurs individus agissant en groupe comme une circonstance aggravante. Deux situations sont envisagées par le code pénal : celle de la commission en réunion et celle, plus grave, de la commission en bande organisée.

En troisième lieu, notre droit reconnaît, depuis le code napoléonien de 1810, l’existence d’un délit d’appartenance à une association de malfaiteurs, aujourd’hui défini par le code pénal comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation – le terme est important –, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ».

Enfin, les groupements spontanés peuvent être poursuivis sur le fondement du délit d’attroupement, armé ou non, défini par le code pénal comme « tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ».

De leur côté également, les tribunaux n’hésitent pas à retenir la responsabilité de tous les membres d’un groupement informel qui s’est rendu coupable d’un crime ou d’un délit, dès lors qu’une faute peut être imputée à chacun d’entre eux.

Néanmoins, l’ensemble de ces mesures n’apparaît pas tout à fait suffisant pour lutter efficacement, de façon préventive, contre les violences commises en groupes. En effet, les dispositions relatives aux attroupements visent plutôt les violences commises par des groupes politiques extrémistes, et les mesures relatives à la criminalité organisée et l’association de malfaiteurs concernent les bandes criminelles présentant un certain degré d’organisation et une activité inscrite dans la durée.

En revanche, notre droit ne parvient pas à prévenir de façon suffisamment efficace les violences commises par des bandes informelles, peu structurées, constituées sur une base territoriale et se livrant de façon régulière à des formes de délinquance allant de simples actes d’incivilités à des délits graves. Ce sont ces groupes que tente de prendre en compte la présente proposition de loi.

La commission des lois a donc entendu conforter la démarche des députés. Néanmoins, son attention a été appelée sur un certain nombre de difficultés que pourrait susciter l’application de ce texte par les forces de sécurité ou par les juridictions. C’est pourquoi elle a souhaité modifier le texte en étant guidée par trois grandes préoccupations.

Premièrement, la commission a souhaité amender ou supprimer les dispositions qui lui paraissaient susceptibles d’ouvrir la voie à une forme de responsabilité collective, qui serait incompatible avec les principes fondamentaux de notre droit pénal. C’est ainsi qu’elle a profondément transformé la définition du délit d’appartenance à une bande, qui figure à l’article 1er de la proposition de loi.

Deuxièmement, la commission a souhaité restaurer une certaine cohérence dans l’échelle des peines retenue par le texte. Elle a notamment modifié les peines encourues en cas d’intrusion armée dans un établissement scolaire. En ce qui concerne l’appartenance à une bande, elle a considéré que les peines encourues en cas de préparation d’une infraction ne devaient pas être aussi sévères, voire plus sévères, que les peines encourues en cas de commission de l’infraction.

Troisièmement, la commission a veillé à ce qu’une protection accrue soit conservée pour les personnels de l’éducation nationale et leurs proches, le texte prévoyant de sanctuariser les établissements scolaires.

Enfin, quatrièmement, la commission des lois a supprimé un certain nombre de dispositions qui lui paraissaient satisfaites par le droit en vigueur. Par exemple, elle a supprimé les mesures relatives au port d’arme dans un établissement scolaire, car des dispositions du code de la défense répriment déjà sévèrement, et de façon générale, le port d’armes de première, de quatrième et de sixième catégorie. Ces mesures s’appliquent, bien évidemment, dans les établissements scolaires.

Par ailleurs, la commission a souhaité compléter la proposition de loi.

Sur ma suggestion, elle a inséré un article tendant à faciliter la création de polices d’agglomération. Il nous a en effet semblé que la constitution de polices d’agglomération était un moyen privilégié pour mieux lutter contre les violences commises par les bandes, qui se caractérisent par leur extrême mobilité. Rappelons à ce sujet que 57 % des personnes interpellées chaque jour à Paris ne résident pas intra-muros. Il est donc essentiel de donner aux forces de l’ordre les moyens de mieux s’organiser pour faire face à cette forme de délinquance qui évolue rapidement.

En outre, la commission a constaté que les manifestations sportives constituaient un terrain d’action privilégié pour les bandes violentes. Elle a adopté un amendement de notre collègue Laurent Béteille tendant à élargir le champ du délit d’introduction de fumigènes dans les enceintes sportives. Elle a également adopté un amendement de notre collègue François-Noël Buffet visant à rendre plus dissuasives les interdictions administratives qui peuvent être prononcées par le préfet à l’encontre de supporters violents.

L’ensemble de ces dispositions donnera ainsi aux forces de l’ordre et aux magistrats les outils juridiques nécessaires pour mieux lutter contre les violences commises en bandes.

Néanmoins, un certain nombre de mesures ne pourront s’appliquer qu’après l’édiction de mesures réglementaires, et je souhaiterais attirer l’attention du Gouvernement sur deux points, certes ponctuels, mais qui me semblent importants.

Tout d’abord, en ce qui concerne l’article 2 bis, qui prévoit de permettre au préfet d’autoriser les agents de surveillance ou de gardiennage des immeubles collectifs d’habitation à porter une arme de sixième catégorie pour assurer leur sécurité, le décret en Conseil d’État qui définira les modalités d’application de cet article devra préciser, conformément à l’intention des députés, que seules les matraques de type bâton de défense ou tonfa, à l’exclusion de toute autre arme, pourront être autorisées, et, surtout, que cette arme ne peut être utilisée qu’en cas de légitime défense.

En outre, j’attire votre attention sur l’article 4 bis, qui autorisera les propriétaires d’immeubles collectifs d’habitation à transmettre aux forces de l’ordre les images des systèmes de vidéosurveillance installés dans les parties communes des immeubles afin de permettre à celles-ci de préparer leur intervention lorsque celle-ci s’avère nécessaire.

La commission a encadré ces dispositions et a souhaité que leur mise en œuvre soit précisée par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui est compétente en matière de vidéosurveillance dans les lieux privés. Il nous a en effet semblé essentiel de maintenir un équilibre entre, d’une part, la nécessité de permettre aux forces de l’ordre de rétablir la jouissance paisible des lieux dans les parties communes des immeubles, et, d’autre part, la nécessité de veiller à ce que la mise en œuvre de ces dispositions ne porte pas une atteinte injustifiée au droit au respect de la vie privée.

En conclusion, je pense que la question des violences commises par les bandes requiert toute l’attention des pouvoirs publics.

De fait, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui viendra compléter un ensemble de mesures récemment prises par le Gouvernement afin de mieux lutter contre les bandes : mise en place d’unités territoriales de quartiers et de compagnies de sécurisation, renforcement des dispositifs de sécurisation des établissements scolaires, etc. Ces efforts doivent être poursuivis et encouragés.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose d’adopter la présente proposition de loi dans la rédaction qu’elle vous soumet.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’est qu’un énième texte sécuritaire porté par le Gouvernement qui fait suite à un fait divers : l’intrusion d’une bande de jeunes dans un lycée professionnel.

Ainsi, le Président de la République, qui se veut toujours plus réactif, a annoncé dans la foulée de cet événement une nouvelle loi qui viserait plus particulièrement les bandes violentes, avec le but affiché de « démanteler les bandes pour prévenir les violences qu’elles pourraient commettre ». Il a alors fait appel à un fidèle parmi les fidèles en la personne de Christian Estrosi, alors député, pour déposer une proposition de loi qui fut débattue à l’Assemblée nationale en mars dernier et qui atterrit au Sénat huit mois après.

Ce texte va venir durcir encore plus notre arsenal pénal en aggravant des sanctions déjà existantes, mais aussi en créant les incriminations de participation à une bande supposée violente et de dissimulation volontaire du visage.

On peut légitimement s’interroger sur la pertinence d’une telle loi au regard de la longue liste de lois sécuritaires adoptées depuis 2002.

Cette accumulation de dispositifs législatifs proposés après chaque fait divers et que vous vous empressez de médiatiser largement n’a fait que complexifier la mise en œuvre de ceux-ci.

De plus, il n’est pas certain qu’une nouvelle loi soit indispensable pour résoudre le problème des bandes violentes. En effet, il existe déjà dans notre code pénal les incriminations de « bande organisée », « d’association de malfaiteurs », de « violences en réunion » ou encore « d’attroupement ».

On peut donc s’interroger, j’y insiste, sur l’apport de votre nouveau dispositif en matière de lutte contre ce genre de délinquance. Notre arsenal pénal en vigueur est tout à fait capable d’y répondre.

Sur le fond donc, il ne s’agit que d’un texte qui s’appuie sur l’émotion suscitée par le fait divers que vous avez habilement entretenu pour mieux, ensuite, flatter votre électorat.

De plus, vous utilisez le volet sécuritaire prétendument pour lutter contre le phénomène de violence de groupes, alors que l’échec de votre politique en matière de lutte contre la délinquance est patent, comme le démontrent les récentes statistiques en la matière.

Encore une fois, vous restez muet sur la prévention, alors même qu’il s’agit d’un élément essentiel pour parvenir à lutter contre la délinquance. Mais cela suppose des moyens ambitieux affectés, d’une part, à la prévention et, en tout premier lieu, à l’éducation nationale pour assurer la réussite scolaire du plus grand nombre, d’autre part, à la brigade des mineurs et à la protection judiciaire de la jeunesse pour un vrai travail d’alternative à la prison, qui est trop souvent criminogène.

Par ailleurs, il serait utile de mettre en place des comités de suivi réunissant régulièrement les différents partenaires de la sécurité et de la prévention.

M. Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats, a quant à lui souligné l’importance du renseignement et de la prévention en matière de lutte contre les bandes. Il estime ainsi qu’« une lutte efficace contre les phénomènes de bandes suppose en amont que soient effectués des actions de prévention et un travail de police de proximité, afin de mieux connaître les bandes et d’identifier leurs membres ; que des mesures soient prises pour assurer la sécurité dans les établissements scolaires ; enfin, que des actions pédagogiques soient menées ».

Monsieur le secrétaire d’État, il serait temps de réfléchir plus sérieusement sur les moyens les plus efficaces pour résoudre ce problème, qui prendra véritablement de l’ampleur si l’on en reste à vos politiques en la matière.

Par ailleurs, ce texte peut porter gravement atteinte aux libertés publiques. Il crée une infraction de participation à une bande ayant l’intention de commettre des infractions. Ainsi, votre dispositif précise que le groupement peut être formé de façon temporaire « en vue de la préparation » d’infractions. Il instaure donc une présomption d’infraction. Il reviendra alors aux forces de l’ordre de prouver que ce groupement avait l’intention de commettre des violences.

Ce système risque d’engendrer des pratiques arbitraires de la part des personnes chargées d’appliquer la loi. Le fait que vous instauriez un délit d’appartenance à une bande violente sans jamais définir cette notion renforce ce problème. Je n’ose imaginer les difficultés qui vont alors en découler.

À ce propos, M. Alain Bauer, président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance, n’a-t-il pas souligné, lors de son audition au Sénat, que « dans les phénomènes de bandes de quartiers, très souvent, les infractions sont commises sans qu’il y ait nécessairement eu de préparation ou de concertation préalables ; ce sont souvent des actes impulsifs, réactifs et d’opportunité » ?

On peut donc se demander comment une loi qui doit permettre à la police d’intervenir en amont des violences et des dégradations va pouvoir s’appliquer. On voit là toute l’inutilité et l’inefficacité de ce texte.

Ajoutons que, dans la pratique, arrêter un groupe supposé violent, qui peut très bien être composé de plusieurs dizaines d’individus, est simplement impossible tant les moyens humains et matériels des forces de l’ordre sont insuffisants.

Comment rendre applicables vos nombreuses mesures quand, en application de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, le Gouvernement supprime 4 000 postes de policiers, des commissariats de quartiers, et, dans le même temps, impose aux forces de l’ordre une politique du chiffre et une culture du résultat ?

Cette proposition de loi va avoir comme conséquence de renvoyer des personnes devant la justice pour des faits qu’elles n’ont pas encore commis, mais qu’elles avaient sûrement l’intention de commettre. Il s’agit là d’un grand recul dans notre système judiciaire.

Les juges devront donc rechercher la qualification pénale non pas en fonction des faits commis, mais selon l’intention de passer à l’acte, véritable casse-tête pour les juridictions pénales, qui peut aussi mener à l’arbitraire.

Ce dispositif n’aura d’autre effet que d’augmenter les statistiques policières et, surtout, d’accroître de façon significative le nombre de fichiers policiers. Mais peut-être est-ce là le véritable but de cette proposition de loi…

L’autre illustration de l’inutilité de ce texte, c’est la fameuse disposition qui vise à punir une personne qui dissimule « volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée ». Cette mesure est symptomatique de votre loi « inutile est dangereuse », comme le rappelle le syndicat de la magistrature. Il est en effet assez illusoire de penser qu’un tel dispositif puisse fonctionner.

Le fait que, dorénavant, vous prévoyiez que la dissimulation du visage sera une circonstance aggravante pourrait porter à sourire, si ce n’était pas aussi grave.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fouché

Si vous aviez été à Poitiers il y a quelques jours, vous auriez vu ce qui s’est passé !

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Car si le fait de masquer son visage complique la tâche de la police pour appréhender l’auteur de l’infraction, cela ne peut pas être juridiquement un facteur aggravant. Sinon, selon un raisonnement par l’absurde, le fait de commettre une infraction à visage découvert devrait être une circonstance atténuante.

Le texte tel qu’il est formulé pourrait être utilisé pour remettre en cause la liberté de manifester. Des policiers n’ont-ils pas affirmé eux-mêmes que cette loi ne s’appliquera, dans les faits, que lors de manifestations ?

Voici donc un système qui ne sera en rien utile pour lutter contre les violences de groupes, lesquelles sont pourtant, j’y insiste, un véritable problème, mais qui va permettre de criminaliser l’action sociale.

Cette mesure est dangereuse non seulement pour les libertés publiques, mais également pour la sécurité des personnes lors de manifestations pacifiques, par exemple lorsque des groupes de casseurs s’y seront introduits et que la police « chargera » la foule pour poursuivre les individus cagoulés. Nul doute que cela risque de créer des troubles au lieu d’y mettre un terme.

Mais cette proposition de loi va encore plus loin dans l’atteinte qu’elle porte à l’action militante lorsqu’elle sanctionne d’un an d’emprisonnement « le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire ». En effet, ce dispositif qui vise particulièrement les locaux scolaires pourrait être étendu à d’autres lieux publics occupés lors de conflits sociaux.

Je comprends tout à fait la nécessité de trouver des solutions pour protéger les personnes chargées d’une mission de service public, mais il ne me semble pas que ce texte y réponde. À mon sens, il s’agit ici, pour le gouvernement, de redorer son blason devant les enseignants, qui ont largement souffert des « réformes » gouvernementales, avec la suppression de nombreux postes, notamment des postes de surveillants, ce qui a pu entraîner une augmentation des intrusions dans les établissements scolaires.

Il y a donc dans cette proposition de loi de quoi porter une grave atteinte à l’action militante, les manifestants risquant ainsi de se voir poursuivis au nom de la lutte contre les violences de groupes. Ce texte est extrêmement dangereux, j’y insiste, alors même que l’objectif annoncé est de mieux protéger les citoyens. Nous devons souligner son peu de cohérence ; rappelons-le, ce dispositif a été pensé dans l’urgence et manque donc du recul indispensable lorsque l’on traite un sujet aussi délicat. On observe ainsi une grande hétérogénéité dans les mesures qui y sont opportunément insérées. On peut d’ailleurs s’étonner de la présence de certaines dispositions qui n’ont qu’un rapport ténu avec le sujet, pour ne pas dire aucun rapport.

Il semble que vous preniez prétexte de cette proposition de loi pour y rattacher certaines mesures comme la vidéosurveillance ou encore la possibilité donnée aux agents des propriétaires et gestionnaires d’immeubles de se munir d’arme. Il y a donc un risque de multiplication des bavures et, de fait, vous affichez votre volonté de privatisation de la sécurité, alors que l’on peut voir les dangers de ce système dans les pays qui y ont recours.

La faculté donnée à ces mêmes propriétaires de transmettre les images de vidéosurveillance dans les parties communes qui sont « susceptibles » de nécessiter l’intervention des forces de l’ordre va dans le même sens et entretient un climat de tension.

Enfin, qu’ajouter de plus à ce qui a déjà été dit concernant la disposition visant à réécrire le délit d’occupations des halls d’immeubles ? La nouvelle formulation que vous proposez ne la rendra toujours pas applicable.

Cette proposition de loi, qui a été élaborée dans l’urgence, je l’ai dit, est peu cohérente et rassemble surtout de nombreuses dispositions hétérogènes qui n’ont pour réel lien que d’aggraver des sanctions prévues dans d’autres lois.

Nous comprenons très bien la visée électorale de ce texte, alors même que vous tendez à revenir fortement sur le terrain sécuritaire à la veille des élections. Cependant, il ne s’agit pas que d’une simple loi d’affichage : elle fait courir de graves risques au mouvement social. On risque donc de voir se reproduire le même schéma que pour les nombreux textes répressifs qui ont été adoptés ces dernières années et qui ont été détournés de leur esprit initial pour réprimer les acteurs de mouvements sociaux.

C’est pourquoi nous nous opposons fermement à l’adoption de ce nouveau texte. Du reste, nous avons déposé des amendements de suppression.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le secrétaire d’État, il s’agit donc de la quinzième loi relative à la sécurité en sept ans, après quatorze textes qui se sont traduits par cent seize modifications du code pénal et en attendant les suivantes. Nos magistrats ont, vous le savez, beaucoup de mal à assimiler ces changements constants.

Le scénario est naturellement toujours le même ; vous le connaissez bien, monsieur le secrétaire d’État. Il se passe un fait divers crapuleux, un acte de violence ou un acte de récidive, bien entendu inacceptable. Et M. le Président de la République apparaît sur le perron de l’Élysée pour dire toute son indignation et annoncer une nouvelle loi. En attendant la prochaine…

Faut-il perpétuellement légiférer et est-il honnête – j’emploie ce mot à dessein –, eu égard aux problèmes qui se posent, de proposer une législation supplémentaire sans apporter les moyens nécessaires ? Les lois multiples, redondantes et surabondantes sont-elles la bonne réponse ? Ce sont les moyens qui manquent le plus, monsieur le secrétaire d’État.

Faire un article de loi sur la violence dans les enceintes d’établissements d’enseignement scolaire, pourquoi pas ? Mais est-il cohérent de conduire une politique aboutissant à une diminution du nombre d’adultes dans lesdits établissements pour encadrer les jeunes et pour les éduquer ? La lutte contre la récidive est, bien sûr, nécessaire, mais lorsque se multiplient ce que les gardiens de prison appellent les « sorties sèches », sans préparation à la réinsertion professionnelle et sociale, lutte-t-on véritablement contre la récidive ?

Quand les jeunes sont livrés à eux-mêmes, qu’il y a moins de temps scolaire, par exemple le samedi, cela va-t-il dans le bon sens ?

Autrement dit, ce qui compte, ce sont les actes ; ce ne sont pas les juxtapositions et les accumulations législatives.

Ce texte est-il utile ? Vous avez essayé de nous expliquer qu’il l’était, monsieur le secrétaire d’État, mais je ne suis pas sûr que vous en soyez persuadé. D’ailleurs, je vous ai senti moins convaincu qu’en d’autres temps.

Si la nécessité de lutter contre les bandes violentes n’est pas discutable, il convient de s’interroger sur l’existence d’un vide juridique dans le droit pénal qui empêcherait cette lutte. Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, notre arsenal pénal comporte des lacunes. Mais existe-t-il un vide juridique ? Nous considérons, comme Mme Assassi, que tous les comportements que cette proposition de loi prétend viser sont déjà constitutifs de délits dans l’état actuel du droit pénal.

Au regard des multiples incriminations déjà existantes, l’introduction d’un délit de bandes soulève la question de sa conformité au principe consacré par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Les dispositions que vous nous proposez sont-elles nécessaires?

Je prendrai un premier exemple. La protection des enceintes scolaires et des personnels qui œuvrent à l’éducation et à l’encadrement des jeunes dans les établissements scolaires. Vous proposez une mesure nouvelle, qui est surabondante par rapport à ce qui existe.

Monsieur le secrétaire d’État, nous allons vous faire une proposition concrète ; c’est notre amendement n° 11 : il prévoit d’appliquer aux personnels qui travaillent dans les enceintes scolaires, mais aussi à toutes les personnes chargées d’une mission de service public, victimes d’une infraction ayant entraîné une interdiction temporaire de travail, commise à raison de leurs fonctions, les dispositions de l’article 706-14 du code de procédure pénale, lequel prévoit une réparation intégrale des dommages ou le versement d’une indemnité.

Proposer, comme vous le faites, une mesure qui existe déjà et qui ne sert à rien, c’est facile. Mais vous nous tenez, vous et vos collègues, monsieur le secrétaire d’État, des discours sur les victimes ! Quand des personnels chargés d’une mission de service public sont victimes, pensez-vous qu’il est juste de leur appliquer les dispositions de l’article 706-14 du code de procédure pénale qui prévoit une réparation intégrale des dommages ou le versement d’une indemnité ?

Si vous n’acceptez pas notre amendement, nous considérerons que vous ne prenez pas les dispositions nécessaires pour venir en aide aux victimes, que vous êtes un spécialiste des belles paroles. Mais tel n’est pas habituellement votre cas et je suis persuadé que vous allez nous le démontrer.

Ce texte est très largement inconstitutionnel, et je ne vous cache pas, monsieur le secrétaire d'État, que nous étudions la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

À cet égard, un remarquable article de M. Hubert Lesaffre paru dans la revue des Petites affiches du mois d’août 2009 est particulièrement éclairant.

Les incertitudes constitutionnelles de ce texte tiennent au fait que le délit de groupe est susceptible de donner naissance à une responsabilité pénale collective et de porter une atteinte disproportionnée à des libertés par ailleurs constitutionnellement garanties.

D’ailleurs, monsieur le rapporteur, votre rapport écrit le démontre, puisque, à la page 19, on peut y lire : « Ce faisant, l’articler premier tend à créer une nouvelle “infraction-obstacle”, s’inscrivant ainsi dans un mouvement contemporain du droit pénal tendant à pénaliser, en amont de la commission d’infractions, les comportements menaçants susceptibles de déboucher sur des atteintes aux personnes ou aux biens. »

Vous le savez bien, la règle fondamentale de notre droit est que l’on punit les actes : tout acte délictueux ou criminel doit être puni. Mais on ne punit pas des intentions !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Même la « loi anti-casseurs », que nous avons pourtant combattue, monsieur le secrétaire d’État, ne prenait en compte que les actes préparatoires au délit, jamais les intentions !

Je rappelle qu’en matière pénale deux principes fondamentaux issus de la jurisprudence de la Cour de cassation sont intégrés dans le code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » ; « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »

Ces principes s’opposent ainsi à l’établissement d’une responsabilité collective, c’est-à-dire, pour reprendre les termes de M. Yves Mayaud, « une responsabilité qui pèserait sur une personne au titre d’une participation à une infraction commise par plusieurs, mais sans qu’il soit possible de savoir qui, des participants, a précisément réalisé le fait qui en constitue la matérialité ».

Ainsi, à l’article 1er de la proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous avez remplacé l’expression « en connaissance de cause », qui manque de précision et de clarté, par l’adverbe « sciemment » ; mais c’est encore très imprécis. Cette rédaction permettra d’engager la responsabilité pénale d’une personne pour la simple connaissance de son appartenance, fût-elle temporaire, à un groupement, fût-il fugitif, circonstanciel, inconstitué, dont seuls quelques éléments ont des intentions malveillantes, et quand bien même les intentions de ladite personne ne le seraient pas.

De plus, la rédaction initiale de ce même article mentionnait que le groupement « poursuit le but ». Certes, vous avez là encore modifié la formulation, monsieur le rapporteur, mais cela ne change pas le fond. Il existe un réel risque d’engagement d’une responsabilité pénale pour autrui, ce qui est clairement inconstitutionnel.

L’établissement d’un lien avec un groupe dont certains membres sont effectivement animés d’intentions délictueuses créera, à l’égard de tous les autres, une présomption d’intention. Cet élément se révèle totalement contraire au principe de la présomption d’innocence en vertu duquel « le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive », pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009.

Concernant la liberté individuelle, le texte prévoit une peine identique pour des faits de nature différente, alors que le code pénal opère une distinction entre les violences ayant entraîné des interruptions temporaires de travail plus ou moins longues, ou encore les dégradations de biens présentant, ou non, un danger pour les personnes.

En outre, l’instauration du délit de groupe conduirait à ce résultat paradoxal que, dans certaines situations, l’intention de commettre un forfait serait punie autant, voire, parfois, plus sévèrement que la commission du délit lui-même.

Vous le voyez, mes chers collègues, tout cela pose un grand nombre de problèmes et ne résout rien.

Pour finir, je voudrais dire quelques mots sur l’article 2 bis, un article dont vous avez essayé de défendre le bien-fondé tout à l'heure, monsieur le secrétaire d’État, mais avec beaucoup de mal. D’ailleurs, je dois vous éclairer sur cette disposition, car peut-être n’êtes-vous pas au courant de la déclaration qu’a faite tout à l'heure M. Brice Hortefeux devant la commission des lois. M. le ministre de l’intérieur a dit qu’il était « réservé » sur cet article, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

…qui donne la possibilité à tout agent salarié d’un organisme de logement d’être armé !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, cette question est suffisamment grave pour que vous m’accordiez encore quelques minutes…

Ainsi, tout agent salarié d’un organisme de logement se trouverait potentiellement détenteur d’une arme.

Tout d’abord, cela va poser de nombreux problèmes pour les gardiens d’immeuble, qui seront perçus comme ayant les mêmes attributs que les policiers.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je ne suis pas sûr que cette mesure favorisera le calme dans les cités et aidera ces agents à accomplir la mission qui est la leur.

Ensuite, il faut être sérieux sur ces questions. Il est normal que la police soit armée eu égard aux missions qu’elle assume et à la formation que les fonctionnaires de la police ont reçue. Mais étendre le port d’arme aux agents de surveillance ou de gardiennage présente de grands risques et n’apporte vraiment rien. Aussi suis-je en accord total avec la réserve émise par M. le ministre de l’intérieur. J’espère que le Gouvernement sera cohérent, monsieur le secrétaire d'État. Mais, je n’en doute pas…

En conclusion, ce texte est inutile, redondant et inconstitutionnel. Il s’agit d’un texte d’affichage, qui n’apporte aucun moyen nouveau. C’est pourquoi nous voterons bien entendu contre.

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes tous contre la violence, contre les violences de groupe, mais aussi, sans nul doute, contre la violence faite à nos principes généraux du droit.

Aujourd’hui, le Sénat est une nouvelle fois saisi d’un texte portant sur la lutte contre l’insécurité. Notre collègue Jean-Pierre Sueur l’a rappelé, il s’agit, pour être précis, du quinzième texte depuis 2002 ! Une telle célérité à faire voter, année après année, ces textes relèverait presque d’une tendance obsessionnelle !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Apporte-t-on une réponse adéquate à un phénomène nouveau ? Tel n’est pas mon point de vue. On lutte contre l’insécurité, qui est d’abord insupportable pour les citoyens les plus faibles, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

… non pas en accumulant les lois, mais en mettant en œuvre les moyens prévus par la loi ! Ainsi, est-il sain d’accumuler des textes nouveaux, quitte, ensuite, à accumuler des textes de simplification ? Est-ce cela la clarification ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Est-il raisonnable de voir arriver au Sénat un texte adopté par l’Assemblée nationale comprenant des incriminations déjà prévues depuis un temps immémorial par le code pénal et qui ont finalement été éliminées grâce à la sagesse de M. le rapporteur ?

Plus on a de règles, moins on les applique ; tous les praticiens ont pu expérimenter cet adage.

Les violences de groupes ne sont pas un phénomène nouveau, mais ce phénomène se modifie avec l’évolution de la société et les techniques de communication actuelles.

Le texte qui nous est soumis n’est pas sans rappeler – mais en pire ! – la « loi anti-casseurs » de juin 1970 punissant instigateurs et auteurs de violences de groupes. C’est la loi du 23 décembre 1981 qui l’a abrogée, loi que vous avez votée, me semble-t-il, monsieur le secrétaire d'État !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Mettre hors d’état de nuire les petits caïds, démanteler les bandes organisées tenant certains quartiers, éloigner les sauvageons : tel fut le souhait pertinent de notre collègue Jean-Pierre Chevènement.

Les questions de fond sont simples ! L’arsenal juridique actuel suffit-il ? Nous considérons que oui. Les moyens d’assurer la sécurité et la prévention, et d’abord les moyens en personnels sur le terrain, sont-ils suffisants ? Nous estimons que non.

Que sont devenues les promesses d’un ancien ministre de l’intérieur – qui a accédé aux plus hautes fonctions depuis ! –, qui proclamait devant les députés en juillet 2002 que « l’éradication des zones de non-droit livrées à l’économie souterraine et à la loi des bandes constitue un devoir prioritaire » ?

La majorité dispose depuis sept ans de tous les leviers qu’elle voulait pour mettre en œuvre son programme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Mais les objectifs n’ont pas été atteints, le sentiment d’insécurité entretenu rejoignant au final les données qui confirment une hausse de la délinquance. Et je ne ferai pas de commentaire superflu sur la statistique pénale.

De fait, la présente proposition de loi est l’exemple même de ce que Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, qualifiait en 2005 de « dégénérescence de la loi en instrument de la politique spectacle ».

La formule est simple, mais ô combien ! dangereuse : isoler un fait divers qui émeut l’opinion pour occuper la scène médiatique, stigmatiser le laxisme, rédiger, pour ne pas dire bâcler, le texte, le faire adopter au plus vite, et... plus rien !

À ce propos, les conclusions de l’auteur de la proposition de loi sont éclairantes, puisqu’elles font directement dériver celle-ci d’un fait divers survenu en mars dernier à Gagny, un acte « particulièrement inqualifiable [qui] a suscité un profond émoi chez nos concitoyens ». C’est ce que l’on appelle de la politique émotive : un empilement de textes répressifs, sans même laisser sécher l’encre du précédent, ni même rendre possible leur application, faute d’avoir publié les décrets nécessaires.

Ce texte apparaît non seulement potentiellement inefficace, mais aussi peu compatible avec les libertés publiques.

L’escalade dans la violence, devenue de plus en plus gratuite, est, en revanche, réelle, preuve que le durcissement de la politique pénale depuis 2002 a constitué une réponse inefficace. Les facteurs d’aggravation sont multiples : défense d’un territoire et d’un trafic, ghettoïsation, désocialisation et échec scolaire, conception initiatique du passage en prison, politiques de réinsertion défaillantes.

L’article 1er de cette proposition de loi crée ainsi un délit de participation à un groupement violent. En dépit des améliorations que M. le rapporteur a voulu apporter à la rédaction de ce dispositif, force est de constater que cette nouvelle incrimination institue une responsabilité pénale collective au mépris des principes fondamentaux de notre droit pénal.

Au demeurant, ces dispositions sont parfaitement redondantes au regard de ce que prévoit le code pénal : les articles 222-7 à 222-16-2 du code pénal font déjà des atteintes volontaires à la personne commises en groupe une circonstance aggravante.

On nous a affirmé que cet article était destiné à combler des lacunes juridiques, mais encore faudrait-il nous le démontrer ! S’il vise les bandes délinquantes, en quoi se distingue-t-il de la bande organisée prévue par l’article 132-71 du code pénal ? S’il concerne les groupes spontanés, en quoi se distingue-t-il de la participation délictueuse à un attroupement prévue par l’article 431-3 ? Quelle est la différence avec le guet-apens prévu par l’article 132-71-1 que vous avez créé en 2007 ?

Par ailleurs, pourquoi ne pas se fonder sur la notion de coaction, plutôt que de créer une nouvelle infraction ? La jurisprudence incrimine déjà le coauteur.

Tout aussi inutiles et inefficaces sont les articles 5 et 7 du texte, censés mieux protéger les personnels des établissements scolaires, alors que des dispositifs législatifs existent déjà. La loi du 17 juin 1998 avait déjà fait des violences, avec ou sans ITT, commises « à l’intérieur d’un établissement scolaire ou éducatif, ou aux abords d’un tel établissement » une circonstance aggravante.

De surcroît, l’article qui renforce la protection des personnels des établissements scolaires est parfaitement redondant avec la protection dont ceux-ci bénéficient en tant que « personnes chargées d’une mission de service public ».

J’aurais également pu évoquer l’article 1er bis, que notre commission a eu l’heureuse idée de supprimer, et dont les dispositions reprenaient celles du 13° de l’article 222-13. Nous voici, par conséquent, monsieur le secrétaire d'État, en pleine politique d’affichage !

Ce texte est inutile, certes, mais il est également dangereux. Nous nous réjouissons que M. le rapporteur ait supprimé l’article 2, qui plaçait dans la même situation juridique les personnes participant à un attroupement délictuel sans arme que celles portant des armes apparentes.

Tout aussi éloquente est l’analyse faite par M. le rapporteur, pour qui la rédaction votée par l’Assemblée nationale est contraire au principe de responsabilité individuelle, l’un des fondements de notre droit pénal.

Nous sommes aussi très inquiets quant à la finalité de l’article 3, qui vise à aggraver les peines encourues dans un certain nombre d’infractions commises en ayant dissimulé tout ou partie du visage. Les débats que mènent en ce moment nos collègues députés membres de la mission d’information sur le port de la burqa synthétisent parfaitement, par analogie, les problématiques essentielles soulevées par cet article. Il n’est tout simplement pas possible d’imposer à chacun d’être en état de contrôle permanent et de faire de l’espace public une vaste zone de vidéosurveillance.

Cet article soulève surtout des difficultés d’ordre pratique, que même les syndicats de police ont mises en avant. Comment faut-il comprendre les termes « dissimulant volontairement » ? Ne craignez-vous pas, monsieur le secrétaire d'État, d’inciter à une escalade inutile, le port d’une cagoule devenant un signe distinctif de provocation, avec un risque de conflit de jurisprudence, toujours incompris ensuite par les forces de l’ordre ?

Je passerai rapidement sur l’article 4 ter relatif au délit d’occupation abusive des halls d’immeuble, mesure symbolique votée en 2003 et tentative de réparation juridique de bric et de broc. Nous ne voyons pas en quoi le fait de remplacer le mot « entravant » par le mot « empêchant » apportera un début de solution.

Monsieur le secrétaire d'État, nous connaissons votre engagement républicain, votre tolérance. J’ai envie de vous dire, avec infiniment de respect : « Pas vous, pas ça ! ». Vous comprendrez que la majorité du RDSE s’oppose à cette proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, que certains le veuillent ou non, le changement parcouru en sept ans est considérable.

Alors qu’entre 1997 et 2002 la délinquance n’avait cessé d’augmenter d’année en année, une véritable remise en ordre a été engagée, une réelle rupture a été amorcée.

Force est aujourd’hui de le constater, les engagements pris par le président de la République, alors ministre de l’intérieur, sont tenus et nous nous rapprochons vraiment, certes encore insuffisamment, de ce degré de sécurité que les Français ont appelé de leurs vœux lors de l’élection présidentielle.

Grâce au volontarisme du chef de l’État et à la détermination du Gouvernement, monsieur le secrétaire d'État, la délinquance diminue de façon significative depuis sept ans. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la délinquance générale a baissé de 15 % depuis 2002, ce qui représente tout de même deux millions de victimes en moins, et c’est ce qui m’importe. Pour le seul mois d’octobre, elle a diminué de 6 % environ par rapport à octobre 2008.

Si ces chiffres sont, certes, encourageants, il reste malheureusement toujours plus à faire, et la lutte contre l’insécurité reste aujourd’hui une priorité. Les choses vont mieux, mais nous avons encore du chemin à parcourir dans ce combat de tous les jours.

La délinquance est en constante mutation. La société change, la délinquance aussi ; elle prend des formes et une acuité nouvelle, comme en témoigne l’augmentation du phénomène de bandes. Ce phénomène n’est pas marginal. Selon le ministère de l’intérieur, en plus des bandes qui se forment de manière éphémère, il existe deux cent vingt-deux bandes organisées en France, liées notamment au trafic de drogues. Elles comptent environ cinq mille personnes, dont la moitié sont mineures.

Ce phénomène évolue à la fois par son ampleur, son mode d’action, le degré d’intensité de la violence et les dégâts qu’il engendre. Il démontre que la délinquance peut avoir de multiples facettes. Il se traduit par des atteintes à l’intégrité physique de victimes innocentes, mais aussi par la dégradation ou la destruction de biens. En outre, il peut s’agir de violences commises par les membres d’une bande à l’encontre des membres d’une bande adverse, parfois au nom d’une guerre de territoires.

Ce phénomène se caractérise aussi par une délinquance de comportement. Je vise notamment les casseurs qui s’infiltrent dans les manifestations, non pour défendre une idée, mais avec pour unique objectif de troubler l’ordre public et de se confronter aux forces de l’ordre. Très souvent, l’intention n’est pas crapuleuse et les violences sont gratuites, comme en témoignent l’action de l’ultragauche et le phénomène des black blocs, qui ont sévi à Strasbourg, ou encore à Poitiers, le 10 octobre, lors d’une manifestation organisée par un collectif anticarcéral pendant un festival.

Nous observons une multiplication des violences dirigées contre l’autorité républicaine. Ce sont des actes de haine commis notamment à l’encontre d’enseignants, de personnels éducatifs et d’élèves, que ce soit dans l’enceinte ou aux alentours des établissements d’enseignement scolaire. Chaque année, 25 000 cas de violences sont ainsi recensés contre des personnes qui incarnent les institutions de la République. Les récents événements qui se sont produits à Gagny et à Lagny-sur-Marne ne peuvent nous laisser indifférents.

Les violences peuvent être individuelles, mais elles apparaissent encore plus intolérables lorsqu’elles sont collectives. La sécurité concerne l’ensemble de la société : la protection de nos concitoyens contre la violence est un droit fondamental dans un pays démocratique. La justice est le fondement de l’unité de notre société et nous ne saurions laisser certains y porter atteinte.

C’est pourquoi, en avril 2009, le Président de la République a souhaité confier à la représentation nationale l’élaboration d’une proposition de loi. Lors de son discours au lycée de Gagny le 18 mars, il déclarait : « Ce qui manque à notre arsenal, c’est de pouvoir poursuivre et condamner les personnes qui constituent une bande dans le but de commettre des atteintes aux personnes ou aux biens ».

Les personnes qui agissent en groupe savent, en effet, mettre à profit les failles juridiques de notre système ; celles-ci aboutissent à une véritable impunité et favorisent les agissements des bandes.

La loi n’établit pas de responsabilité collective et ne reconnaît que les auteurs, coauteurs ou complices, pour lesquels il faut établir une responsabilité de manière individuelle.

Qu’on le veuille ou non, certaines incriminations sont mal adaptées aux nouvelles formes de violences commises par les bandes. Si les attroupements sur la voie publique peuvent être sanctionnés, cette incrimination ne répond pas aux agissements des bandes qui se caractérisent aujourd’hui par leur grande mobilité. L’incrimination d’association de malfaiteurs concerne la préparation des délits et elle est punissable de cinq ans d’emprisonnement. Mais elle ne correspond pas à la réalité des actes commis par les bandes, à savoir principalement des violences volontaires commises en réunion, causant une incapacité temporaire de travail de moins de huit jours et donc punies de trois ans d’emprisonnement.

Face à ces lacunes, les élus locaux, les forces de l’ordre et la justice elle-même se retrouvent impuissants. Les élus locaux, qui sont les premiers à être confrontés à ces phénomènes et qui vivent l’insécurité au quotidien, ne peuvent rendre compte de leur engagement à leurs électeurs. Police et gendarmerie, confrontées au problème d’identification, sont découragées. La justice, qui ne dispose pas des moyens légaux pour imputer la responsabilité, se retrouve accusée de laxisme.

Or les résultats en matière de sécurité sont tributaires de l’engagement de tous ces acteurs, qui doivent être dotés des moyens d’agir. Cette proposition de loi témoigne de la volonté de répondre à une telle préoccupation.

Le texte qui est aujourd’hui soumis à notre examen est sous-tendu par un double objectif : mieux réprimer les actes commis par les bandes violentes à l’égard tant des personnes que des biens et mieux protéger les élèves et les personnes travaillant dans les établissements d’enseignement scolaire.

Je voudrais féliciter notre rapporteur pour le remarquable travail de remise en forme qu’il a accompli.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Béteille

Ce dispositif deviendra, j’en suis persuadé, un outil dont nous constaterons l’efficacité.

La proposition de loi prévoit plusieurs mesures permettant de mieux réprimer les actes commis par les bandes violentes. C’était incontestablement une nécessité étant donné l’inefficacité des textes précédents dans ce domaine. Elle ne crée nullement une infraction d’intention et, selon moi, des éléments constitutifs clairs permettront d’éviter le risque d’inconstitutionnalité.

Le code pénal est complété afin d’instaurer une circonstance aggravante lorsque certaines violences sont commises, par exemple à l’aide de cagoules, par des personnes qui souhaitent éviter d’être identifiées et poursuivies par la justice. Contrairement à nos collègues, qui se sont indignés de cette mesure, tous ceux qui ont assisté à un certain nombre de violences dans la rue comprennent l’intérêt évident d’une telle mesure.

Les modalités d’application du dispositif figurent dans le texte. En particulier, les services de police judiciaire pourront utiliser des enregistrements audiovisuels. Cette possibilité sera un gage à la fois d’efficacité et de bonnes pratiques policières.

Je me félicite que, sur l’initiative du rapporteur, la commission des lois ait limité les risques d’atteinte à la vie privée : la transmission des images relèvera de la seule initiative du bailleur, s’effectuera en temps réel et sera strictement limitée au temps nécessaire à l’intervention des forces de l’ordre.

Je ne vais pas reprendre, mesure après mesure, l’ensemble du dispositif.

Je remercie M. le rapporteur d’avoir pris en compte des amendements prévoyant des dispositions pour les violences commises à l’intérieur des stades, notamment celui que j’avais proposé.

La présente proposition de loi permettra de mieux protéger les personnes et les biens, en particulier dans le milieu éducatif, ce qui constituait l’une de nos principales préoccupations.

En conclusion, monsieur le secrétaire d'État, je souhaite, au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, me réjouir de cette réforme importante et nécessaire proposée par M. Christian Estrosi. Toutefois, nous sommes réunis aujourd’hui non pas pour nous adresser des félicitations, mais pour agir.

Il nous faut adresser un message clair, et si possible unanime, à ceux qui seraient tentés de porter atteinte à notre État de droit et aux fondements de notre République.

C’est la raison pour laquelle le groupe UMP votera cette proposition de loi, telle qu’elle a été enrichie par les excellentes propositions de notre rapporteur.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voici une proposition de loi que j’ai déjà l’impression d’avoir combattue. En effet, cela fait maintenant sept ans que, régulièrement, nous travaillons sur ce sujet et le Gouvernement apporte inlassablement la même réponse.

Ce discours pourrait être celui que j’ai prononcé en 2002, lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, ou celui que je prononce chaque année, lors de la discussion du projet de loi de finances, sur la mission « Sécurité », ou encore celui que j’ai prononcé à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Je n’entrerai pas dans le détail ; la liste serait bien trop longue ! En effet, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le quinzième texte en matière de sécurité depuis 2002...

Encore une fois, ce texte fait suite à un fait divers et, en l’occurrence, il fait écho à l’intrusion, dans un lycée professionnel de Gagny, de plusieurs individus portant des cagoules et munis de barres de fer. Il pose la question de la surenchère sécuritaire du Gouvernement, qui durcit la législation pénale à chaque fait divers.

Le discours qui entoure ce texte a d’ailleurs évolué pour s’adapter aux événements survenus à Poitiers en octobre dernier. À cette occasion, M. le ministre de l’intérieur avait déclaré vouloir « dissoudre les groupuscules violents ». De nombreuses personnes, qui s’inquiètent du risque d’extension de l’incrimination concernant les bandes aux nouvelles formes de mobilisation et d’action militantes, nous ont alertés lors de la publication de la présente proposition de loi.

Monsieur le secrétaire d’État, l’arsenal législatif permettant aux services de renseignements de ce pays d’enquêter et de localiser les individus en question n’existe-t-il pas déjà ? Le contraire serait inquiétant ! Vous vous en tenez, encore une fois, à l’affichage politique dont vous êtes coutumier, afin de flatter une partie de votre électorat, en sachant pertinemment que ces mesures sont soit totalement inutiles, soit dangereuses.

Je m’attacherai tout d’abord à vous montrer, mes chers collègues, en quoi ce texte est inutile.

Les rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat se fondent sur une étude de la direction centrale de la sécurité publique portant sur les bandes identifiées et dont les auteurs reconnaissent eux-mêmes que la différence entre un groupe momentané et une bande structurée est difficilement qualifiable. La nature des liens qui réunit les membres est variable, depuis les bandes de quartier qui s’approprient un territoire jusqu’aux groupes très spontanés qui se forment pour en découdre.

Le texte que nous examinons aujourd’hui n’évoque jamais les raisons de ces attroupements violents. À aucun moment, son auteur ne cherche une explication à ces violences. Or leur explosion dans les quartiers défavorisés résulte en grande partie de la politique gouvernementale, qui attise les malaises sociaux, aggrave les inégalités territoriales, accentue la ghettoïsation…

Cette proposition de loi est d’ailleurs une illustration de cette réalité. Elle ne contient aucune mesure de prévention, ne portant que sur le renforcement des sanctions. Lors de son examen en commission, M. le rapporteur a lui-même reconnu qu’il s’agit d’apporter aux forces de l’ordre et aux magistrats « un certain nombre de solutions adaptées à la spécificité des violences commises en bandes ». Il reconnaît donc que cette proposition de loi n’a aucune vue préventive, qu’elle ne concerne en rien la prévention de la délinquance.

L’article 3 est à cet égard caractéristique. Il vise à créer une circonstance aggravante de « dissimulation volontaire de tout ou partie du visage » pour de nombreuses atteintes aux biens et aux personnes. Nous cherchons encore le caractère préventif de cette mesure… Sur le fond, on affirme ainsi qu’un acte est moins grave si son auteur n’a pas cherché à dissimuler son visage ! La justice appréciera !

Ce texte n’a qu’un seul objet : permettre aux forces de l’ordre d’appréhender, d’incarcérer et de ficher. Alors que vous nous parlez beaucoup de vidéosurveillance, monsieur le secrétaire d’État, le système mis en place est en réalité celui de la « fichéosurveillance » !

Les violences qui ont eu lieu à Gagny en mars dernier n’auraient-elles pu être évitées si des adultes avaient été présents en plus grand nombre dans l’établissement ? Mais le Gouvernement choisit de supprimer les postes de surveillant.

Les dégradations qui ont eu lieu à Poitiers n’auraient-elles pu être évitées si les forces de l’ordre avaient été plus nombreuses et mieux préparées ? Ne s’agit-il pas, tout simplement, d’une question de moyens ?

Tous les acteurs de terrain que je rencontre régulièrement l’affirment, le problème particulier des bandes relève non pas de la loi, mais des actions locales des CLSPD, les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance.

Quant à la justice, elle doit multiplier les travaux d’intérêt général et prendre des mesures d’éloignement des quartiers. Mais elle n’a pas les moyens de s’engager résolument dans cette voie, ces mesures étant, hélas, onéreuses.

L’inutilité de ce texte apparaît de manière flagrante quand on sait qu’il ne comporte que des incriminations déjà existantes. Les syndicats de magistrats auditionnés par la commission l’ont bien souligné, les dispositions actuelles du code pénal permettent d’ores et déjà de réprimer les infractions visées : délinquance en bande organisée, guet-apens, embuscade, attroupement, rébellion, association de malfaiteurs, violences aux personnes, vols, destructions et dégradations commises en réunion… Tout cela est déjà prévu !

M. le rapporteur rappelle lui-même que le « droit pénal n’était pas totalement démuni face aux violences commises en groupe ». Bel euphémisme ! Il admet plus loin qu’il manque aux autorités les moyens d’agir préventivement contre les bandes.

Néanmoins, je tiens à saluer le fait que M. le rapporteur a tout de même permis la suppression, en commission des lois, des articles les plus mal rédigés de ce texte, dont les dispositions étaient, selon ses propres mots, « déjà satisfaites par le droit en vigueur ». Pire, la commission a dû « restaurer une certaine cohérence dans l’échelle des peines retenue par le texte ». Par exemple, l’instauration du délit de groupe, tel que défini dans la rédaction initiale, aurait conduit à punir plus sévèrement l’intention de commettre que la commission du délit elle-même !

Ce texte est également dangereux.

En premier lieu, des dérives restent possibles, les dispositions prévues pouvant concerner les nouvelles formes de contestation et de mobilisation. En effet, le caractère très général des formulations pourrait permettre d’appliquer ce texte bien au-delà de ce que prévoit son exposé des motifs, par exemple aux occupants illégaux de logements vacants qui contestent la politique du logement du Gouvernement, aux faucheurs d’OGM ou à n’importe quel citoyen présent lors de la dispersion d’une manifestation au climat tendu !

Les propos tenus par M. le ministre de l’intérieur après les événements de Poitiers, en octobre dernier, ne nous ont pas rassurés sur ce point, bien au contraire : être suspect, c’est être coupable ; être un opposant, c’est être un délinquant !

En second lieu, cette proposition de loi remet en question la liberté individuelle, à laquelle le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle.

Son article 1er vise à instaurer un délit de groupe, donnant naissance à une responsabilité pénale collective. Or la Cour de cassation a introduit en matière pénale deux principes fondamentaux à valeur constitutionnelle : nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ; il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre. Cet article risque d’établir une responsabilité collective, en permettant de juger une personne pour des actes qu’une autre personne aura eu l’intention de commettre ou aura commis. M. le rapporteur a souhaité le modifier, afin de le rendre plus conforme à nos principes constitutionnels. Cependant, la rédaction adoptée par la commission n’est toujours pas convaincante. Certains juristes plaident déjà pour un recours devant le Conseil constitutionnel, compte tenu des menaces que ce texte fait peser sur les deux principes à valeur constitutionnelle que j’ai rappelés.

De nombreux commentateurs ont comparé cette proposition de loi à la loi dite « anti-casseurs » de 1970. Souvenons-nous : l’application de ce texte avait entraîné des poursuites contre des syndicalistes, et non contre des groupes armés ! C’est la raison pour laquelle François Mitterrand en avait demandé l’abrogation au Parlement dès son arrivée au pouvoir, en 1981.

Nous ne pourrons donc, mes chers collègues, voter un texte si vide de sens et si dangereux pour nos concitoyens.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC -SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me félicite de l’examen de cette proposition de loi. En effet, j’ai l’expérience de ces problèmes dans ma ville de Corbeil-Essonnes, où j’ai pu constater maintes fois l’impossibilité, pour la police, de faire condamner des délinquants mineurs, comme si le fait d’être mineur donnait le droit d’être délinquant !

La plupart du temps, les policiers sont dans l’incapacité d’apporter la preuve qu’un délinquant a été l’auteur de tel fait précis. La justice le relâche donc, et il recommence dès le lendemain…

Mes chers collègues, je souhaiterais vous soumettre trois propositions, qui figurent peut-être d’ailleurs dans cette proposition de loi, que je n’ai pas lue dans son intégralité.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Je propose tout d’abord de ramener l’âge de la majorité pénale de dix-huit ans à seize ans, étant donné qu’aujourd’hui les jeunes de cet âge ont largement la maturité que l’on avait autrefois à dix-huit ans. Actuellement considérés comme mineurs, ils devraient pouvoir être condamnés comme les autres, car pour l’heure leurs aînés, sachant qu’ils ne risquent rien devant la justice, les utilisent pour mener leurs opérations.

Ma deuxième proposition concerne le délit de complicité. Tout individu faisant partie d’une bande qui agresse des policiers ou les empêche d’effectuer leur travail doit être condamné au même titre que les auteurs des actes proprement dits.

Par exemple, il arrive fréquemment que les forces de police, après avoir réussi à stopper une voiture volée, se trouvent aussitôt encerclées par des jeunes qui veulent les empêcher d’arrêter le délinquant. Celui-ci peut alors prendre la fuite, et la police ne peut rien faire ! Il convient donc de considérer ceux qui empêchent la police de faire son travail comme des complices et les punir aussi sévèrement que le voleur.

De même, lorsque des policiers sont victimes de jets de pierres, il leur est difficile d’identifier clairement leurs agresseurs. Ils en sont réduits à interpeller au hasard un ou deux membres du groupe. Ceux-ci devraient encourir la même peine que l’auteur des lancers de pierres, qui ne sera pas forcément identifié. On éviterait ainsi à la police de travailler pour rien, en arrêtant des délinquants que la justice relâchera dès le lendemain sans même une admonestation, dont ils n’auraient au demeurant tenu aucun compte !

Le délit de complicité devrait donc être inscrit dans la loi. Tout individu qui participe à une agression contre la police ou l’empêche de faire son travail devrait encourir la même peine que l’auteur principal des faits, même si ce dernier n’est pas identifié. Il est tellement facile de rejeter la responsabilité sur un autre et de prétendre qu’on était là par hasard…

Enfin, ma troisième proposition concernera la lutte contre la délinquance.

Quand on a, à l’instar du Président de la République, la volonté de lutter contre l’insécurité, il faut avoir à l’esprit que si des jeunes deviennent des délinquants, c’est parce qu’ils n’ont pas de métier. Ayant quitté le collège sans avoir rien appris, ils traînent dans les rues, où ils sont pris en charge par de plus âgés et finissent par sombrer dans la délinquance, rejoignant ainsi les troupes des trafiquants de drogue, des voleurs de voitures…

Tout se tient : cette proposition de loi concerne la justice, mais elle devrait également viser l’éducation nationale. Si celle-ci formait les jeunes à des métiers et si l’on supprimait le collègue unique, source de tous ces maux, il y aurait moins de délinquants et moins de problèmes d’insécurité dans nos communes.

Je livre ces trois propositions à votre sagacité, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en espérant qu’elles pourront être retenues, au plus grand bénéfice de la tranquillité de nos quartiers et de l’efficacité de l’action de la police, laquelle fait le maximum mais se trouve légitimement découragée lorsqu’elle voit que les délinquants qu’elle arrête sont relâchés aussitôt, faute de loi permettant de les condamner.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte dont l’origine parlementaire masque difficilement l’empreinte profonde du Gouvernement. Une proposition de loi qui vise, en une dizaine d’articles, à retoucher pas moins de trente-cinq articles du code pénal me semble relever clairement d’une commande du ministre de l’intérieur.

L’entrée au Gouvernement de l’auteur de cette proposition de loi est d’ailleurs édifiante. La séparation des pouvoirs laisse ici la place à la confusion des pouvoirs, avec une finalité à peine masquée : éviter le contrôle du Conseil d’État sur un texte qui opère de graves changements dans notre tradition pénale.

Je ne reviendrai pas sur l’extrême variété des mesures contenues dans ce texte. Je me bornerai à faire quelques commentaires sur celles qui nous semblent les plus scandaleuses.

Une nouvelle incrimination, celle de la participation à un groupement violent, constitue le cœur de cette proposition de loi.

Permettez-moi de faire un petit retour en arrière. Nous nous souvenons tous des épisodes dramatiques de l’incendie du centre de rétention administrative de Vincennes et de la révolte survenue dans celui du Mesnil-Amelot.

À cette époque, M. Hortefeux, alors ministre de l’intérieur, avait pointé du doigt les associations d’aide aux sans-papiers, les qualifiant de groupuscules d’agitateurs et de provocateurs, ayant pour seul dessein de détruire les centres de rétention administrative. Il avait même déposé une plainte contre un collectif de sans-papiers et interdit une manifestation devant le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot.

Ces épisodes auraient pu rester isolés si vous n’aviez pas appelé, à l’époque, à un meilleur contrôle de ces groupements, en évoquant le fichage de leurs membres et la possibilité de les interdire, de manière préventive selon vous : le bouc-émissaire était tout trouvé.

La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui s’inspire très directement de ces événements. Vous avez beau clamer dans la presse que la nouvelle infraction concernera les bandes violentes, vous savez très bien qu’elle aura vocation à s’appliquer aux associations et collectifs qui œuvrent aujourd’hui dans le domaine de la solidarité – qu’il s’agisse d’aider les sans-papiers ou les mal-logés –, ainsi qu’aux syndicats.

Ne pouvant interdire les regroupements pacifiques spontanés de bénévoles et d’acteurs de la solidarité, la majorité a inventé un « gadget juridique » pour appréhender les membres de ces structures, toujours de manière préventive selon vous, en les condamnant pour des faits qu’ils n’ont pas commis et ne commettront certainement jamais.

Le danger d’une telle infraction de « participation à un groupement violent » réside dans son caractère extensible à toute forme de groupement et, finalement, à toute association ou tout collectif qui projetterait, par exemple, d’organiser l’occupation d’un immeuble à l’abandon pour attirer l’attention des médias sur le mal-logement, notamment des étudiants. Ses membres pouvant désormais être fichés, depuis votre décret datant de la Sainte-Edvige, même s’il a changé de nom, ils seront appréhendés avant même d’avoir mis les pieds dans le logement vacant.

Voici l’objet de cette disposition révélé au grand jour : en recourant aux notions floues de « groupement », de « participation » et de « préparation », vous créez toutes les conditions d’une nouvelle criminalisation des mouvements de solidarité.

Au passage, vous portez atteinte à un principe fondamental du droit pénal : l’exigence d’un élément matériel pour fonder une condamnation. En effet, cette infraction pourra être constituée en l’absence de faits matériels de violence et en l’absence même d’un commencement d’exécution, qui permet normalement de qualifier la « tentative ».

Après la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, destinée, là encore selon vous, à lutter de manière préventive contre la récidive en se fondant sur un supposé état de dangerosité, et non sur un fait établi, vous inaugurez aujourd’hui, avec cette proposition de loi, une nouvelle ère de la justice pénale : celle d’une justice virtuelle, qui se fonde sur les potentialités, les approximations et la dangerosité présumée, au lieu de reposer sur la matérialité des faits.

Introduire une telle infraction dans le code pénal implique un bouleversement, dont le Conseil constitutionnel ne manquera pas de sanctionner le caractère anticonstitutionnel, comme l’a souligné tout à l’heure notre collègue Jean-Pierre Sueur. Cette infraction instaure en effet une présomption de culpabilité difficilement compatible avec la présomption d’innocence.

De plus, ce délit risque de faire l’objet d’une interprétation hasardeuse par les juges, faute d’une incrimination stricte. C’est la porte ouverte à l’arbitraire, puisque les juges devront se fonder non pas sur des faits commis, mais sur un incertain pronostic de passage à l’acte.

Je ne reviendrai pas maintenant sur les autres dispositions de la proposition de loi, toutes aussi farfelues les unes que les autres, mais nous pouvons d’ores et déjà faire quelques constats.

En ouvrant la possibilité de confier des armes aux agents de surveillance, vous transformerez des gardiens d’immeuble en policiers, et demain en shérifs ! À l’inverse, en prévoyant la transmission d’images de vidéosurveillance à la police, vous transformez les policiers en gardiens d’immeuble !

Un tel mélange des genres témoigne de la confusion dans laquelle sont exercées aujourd’hui les missions de sécurité, par une police qui ne cesse de se plaindre de conditions de travail devenues insupportables. Nous reviendrons également sur ce point.

En définitive, si elle concerne effectivement la sécurité, cette proposition de loi n’en demeure pas moins un texte d’affichage médiatique et électoraliste, qui n’apporte absolument rien à la protection des personnes et de leurs biens, ni en termes de prévention. Il se limite à une répétition, assortie d’un léger toilettage, de dispositions qui existent déjà, et ne permettra même pas une meilleure application de celles-ci. Vous donnez l’impression de sans cesse réinventer l’eau chaude…

Il est vrai que, pour vous, il s’agit d’ajouter une couche supplémentaire au mille-feuille sécuritaire indigeste que vous nous fabriquez depuis 2002. À l’approche des élections régionales, c’est un argument électoral de plus pour flatter la fraction la plus dure de votre électorat.

Les élus Verts ne cautionneront pas une telle démarche et voteront contre cette proposition de loi.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, cette discussion générale, qui a parfois porté sur les intentions prêtées aux uns et aux autres, a été fort intéressante.

Tout d’abord, madame Assassi, il ne s’agit pas d’un texte d’affichage. Cette proposition de loi comporte des réponses extrêmement concrètes à des situations nouvelles. En effet, la délinquance évolue et n’est plus celle que nous connaissions voilà trente ou quarante ans, ou même plus récemment.

L’objet de cette proposition de loi est de permettre de sanctionner des individus qui participent activement – c’est-à-dire matériellement – et sciemment à un groupe ayant l’intention de commettre des violences. Contrairement à ce que vous indiquez, elle n’instaure aucune présomption de culpabilité : il faudra, comme pour toutes les infractions, démontrer une participation matérielle et une intention de commettre des actes délictueux.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

J’ai parfois eu le sentiment, peut-être à tort, que la répression d’un certain nombre d’actes vous gênait. Par exemple, je ne vois pas pourquoi nous devrions hésiter à apporter des réponses plus appropriées à des comportements délictueux nouveaux tels que ceux qui ont pu être constatés récemment à Poitiers.

Monsieur Sueur, votre argumentation, talentueuse comme à l’accoutumée, n’en a pas moins été parfois spécieuse, du moins de mon point de vue.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

À vous entendre, ce texte serait à la fois inutile, parce qu’il créerait des incriminations redondantes avec d’autres qui existent déjà, et néfaste, voire liberticide : il y a là une contradiction !

Nous pensons, pour notre part, qu’il est utile et que nous avons besoin de nouvelles incriminations. En effet, l’infraction d’association de malfaiteurs concerne plutôt la criminalité organisée, surtout orientée vers les trafics. Quant à celle de participation à une bande armée, elle ne permet pas de réprimer les protagonistes d’une manifestation violente dès lors qu’ils ne sont pas armés.

Par ailleurs, le texte, monsieur Sueur, ne consacre pas de responsabilité pénale pour autrui. Il prévoit, à son article 1er, que la participation à un groupement en vue de la préparation de violences contre les personnes ou de dégradations de biens doit être caractérisée par un ou plusieurs faits matériels. C’est donc bien une participation individuelle, personnelle, que vise la proposition de loi.

À l’article 2 bis, le régime prévu pour les agents de surveillance ou de gardiennage, notamment ceux qui sont employés par des bailleurs sociaux, que nous évoquions avec M. le rapporteur, dont je salue une fois encore la qualité et la précision du travail, nous semble finalement très proche de celui des agents de la SNCF ou de la RATP. Il suffit de relire l’article pour voir que tout se déroulera sous le contrôle très strict du préfet, comme c’est le cas actuellement pour les agents qui peuvent déjà disposer d’armes.

Monsieur Sueur, je ne prétends pas qu’il ne puisse y avoir débat sur la situation dans laquelle ces agents pourraient se trouver placés dans certains cas, du fait qu’ils seront armés. Parfois, le recours à cette possibilité n’aurait aucun sens, mais, dans des circonstances bien particulières, certains de ces agents, de manière très contrôlée, pourraient être armés. Je me réfère encore une fois, à cet instant, au cas des agents de la SNCF ou de la RATP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il faudra que vous en parliez à M. Hortefeux !

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

Monsieur Mézard, vous estimez que ce texte est motivé par des considérations démagogiques ou de circonstance. Pour ma part, ma longue expérience de terrain, qui m’a amené à envisager certaines innovations en termes de lutte contre l’insécurité, fait que je ne suis pas choqué que l’on puisse chercher des réponses adaptées aux situations nouvelles auxquelles nous sommes confrontés.

Précisément, ce texte offre de nouveaux outils, pour les forces de police, mais aussi pour la défense des libertés publiques. Ainsi, l’article 4 vise l’enregistrement audiovisuel des interventions des policiers ou des gendarmes en vue de restituer le déroulement des opérations, l’objectif étant également d’assurer le plus complet respect des droits des citoyens. Cette possibilité d’enregistrement n’est donc pas liberticide : elle permettra au contraire de protéger tant les policiers que les citoyens.

Par ailleurs, si la rédaction initiale de la proposition de loi comportait peut-être en effet certains risques de doublons ou de conflits en matière d’infractions, le travail de la commission des lois du Sénat a permis d’y remédier.

Vous avez en outre affirmé, monsieur Mézard, que le Gouvernement souhaitait jouer de la circonstance aggravante de dissimulation du visage pour réglementer l’expression dans l’espace public. Cette question ne peut être liée, comme vous l’avez fait d’une façon à mon sens quelque peu malaisée dans votre argumentation, à celle du port de la burqa : les deux problématiques sont tout à fait différentes. Dans cette proposition de loi, la dissimulation du visage est non pas un délit, mais une circonstance aggravante de certaines infractions. Je ne crois pas que le port de la cagoule va devenir une provocation du seul fait de ce texte. Cette pratique constitue déjà un véritable problème, comme en témoignent les agissements violents de certaines personnes cagoulées lors des dispersions de manifestations. Je reviendrai d’ailleurs sur la dénaturation de manifestations pacifiques et démocratiques que peut engendrer ce phénomène.

Monsieur Béteille, je vous remercie d’avoir resitué les vrais enjeux de cette proposition de loi, en écartant certains procès d’intention.

Vous avez eu raison de mettre en exergue le développement du phénomène des bandes, dont la violence, souvent extrême, s’exerce certes contre les forces de l’ordre, mais aussi entre elles. En effet, il s’agit également de protéger des jeunes qui, comme l’a souligné M. Dassault, se sont fourvoyés, et peuvent tout autant être victimes qu’auteurs d’actes de violence.

Comme vous l’avez souligné par ailleurs, ces violences portent souvent atteinte à la liberté de manifester, car les manifestants sont les premières victimes des casseurs, et ce à un double titre : d’une part, en raison des atteintes à leur personne ou à leurs biens ; d’autre part, parce que le message véhiculé par leur manifestation pacifique se trouve dénaturé et brouillé. Dans ces conditions, j’affirme que réprimer de manière plus efficace ces phénomènes relativement nouveaux est une façon de protéger la liberté de manifester.

Enfin, monsieur Béteille, c’est également à juste titre que vous avez souligné que les violences commises contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, les enseignants et, de façon générale, les personnes chargées d’une mission de service public sont intolérables. Sanctuariser les établissements scolaires, en particulier, correspond à une exigence démocratique.

Monsieur Christian Gautier, vous avez opposé ce texte à la nécessaire prévention de la délinquance. Or les deux sujets sont liés, et apporter des réponses à un type nouveau de délinquance n’est pas contradictoire avec la mise en œuvre de politiques de prévention.

Par ailleurs, vous avez critiqué le fait que l’arsenal législatif soit modernisé à la suite d’événements ayant choqué l’opinion publique. Or, dans un pays démocratique, l’apparition de nouvelles formes de délinquance qui défraient la chronique constitue un indicateur à prendre en compte, sans qu’il s’agisse pour autant de légiférer sous le coup de l’émotion. Il convient de se donner le temps de la réflexion, même si nos concitoyens sont sensibles à juste titre à ces évolutions. Il en va d’ailleurs de même dans nos fonctions d’élus locaux, qui nous imposent de faire preuve de sang-froid tout en étant réactifs.

Le Gouvernement cherche donc non pas à faire de l’affichage, mais à répondre au développement du phénomène des violences de bandes, que nous constatons tous sur nos territoires, que ce soit en région parisienne ou en province. Ces bandes, qui se forment souvent à l’occasion d’un événement particulier, ne sont pas structurées et sont souvent constituées de casseurs voulant éviter d’être identifiés. La présente proposition de loi n’a d’autre objet que de répondre très concrètement à ces mutations des formes de délinquance : lorsque les faits délictueux évoluent, la loi doit également évoluer.

Ces phénomènes de violences de bandes, qu’ils traduisent un rejet radical des représentations de la société ou la volonté de s’approprier un territoire, sont inacceptables dans une société démocratique. Ils intéressent à la fois la sécurité publique et la justice.

Vous contestez, monsieur Gautier, la constitutionnalité de l’infraction de participation à une bande, jugeant que sa création constitue un retour à la loi « anti-casseurs » et l’affirmation d’une responsabilité collective. De tels propos m’étonnent, car il ne s’agit pas d’une nouveauté, cette infraction étant très similaire à celle d’association de malfaiteurs, constituée par le simple fait de s’associer en vue de commettre un délit et que vous n’avez jamais envisagé de supprimer par le passé. Il est important de pouvoir intervenir en amont, à partir d’éléments constitués.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pour contrer ces phénomènes de bandes, qui impliquent souvent des jeunes –mais pas uniquement, comme l’ont montré les événements de Poitiers –, plusieurs d’entre vous ont mis l’accent sur la nécessité de conduire des actions de prévention de la délinquance.

Ce sujet me tient très à cœur, à la fois en tant qu’élu local et en tant que secrétaire d’État à la justice. Le Gouvernement est très engagé dans cette démarche. Un rapport sur ce sujet vient d’être remis au Premier ministre dans le cadre du plan gouvernemental de prévention de la délinquance, qui comporte des déclinaisons locales, mises en œuvre sous l’égide des parquets, des représentants locaux de l’État et des collectivités territoriales : les groupes locaux de traitement de la délinquance ou les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance représentent, par exemple, des innovations tout à fait intéressantes.

Toujours en ce qui concerne la prévention, vous avez également insisté, monsieur Dassault, sur les réponses à apporter en matière d’éducation ou d’insertion par le travail, grâce à des formations adaptées, destinées notamment aux jeunes non diplômés. Nous connaissons votre engagement sur ces questions, et c’est à juste titre que vous considérez que des améliorations sur ces différents points auraient des effets positifs sur la vie au quotidien de ces jeunes dans nos cités et limiteraient le risque qu’ils sombrent dans la délinquance.

Nous pensons comme vous qu’il est inadmissible que certains délinquants s’en prennent aux forces de police, dont le rôle est de tous nous protéger. Il n’est pas sain pour notre modèle démocratique et républicain de stigmatiser systématiquement les forces de police au moindre problème, même quand elles ne sont pas impliquées, par exemple dans le cas de violences entre bandes.

Les règles générales applicables en matière de complicité, par ailleurs, permettent déjà de sanctionner ceux qui entravent l’action des policiers. Le présent texte pourra également être utilisé pour sanctionner des groupes qui se constituent dans le dessein de s’attaquer aux forces de police.

Madame Boumediene-Thiery, cette proposition de loi ne vise absolument pas à interdire les groupes pacifiques ou bénévoles. La liberté de manifester n’est pas en cause ; au contraire, ce texte contribuera à mieux la protéger, comme je l’ai dit tout à l’heure. Il ne faut pas attribuer à ses partisans des intentions qu’ils n’ont pas.

Il ne s’agit pas d’un texte de circonstance : il vient compléter et adapter notre dispositif législatif. Nous avons déjà apporté certaines réponses réglementaires, mais il paraît utile de passer également par la loi.

Cette proposition de loi, qui avait déjà fait l’objet d’un très bon travail à l’Assemblée nationale, a également bénéficié d’une réflexion de grande qualité de la commission des lois du Sénat, ainsi que nous pourrons le constater lors de la discussion des articles.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi.

M. Guy Fischer remplace M. Jean-Léonce Dupont au fauteuil de la présidence.

Chapitre Ier

Dispositions renforçant la lutte contre les bandes violentes

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° 12, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le dernier alinéa de l'article 707 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Le service compétent pour les mineurs et les jeunes majeurs désigne aussitôt un éducateur, tuteur référent chargé de suivre l'exécution de la sanction, et communique à la personne concernée et le cas échéant à ses représentants légaux le nom de la personne désignée. »

La parole est à M. Charles Gautier.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

L’article 707 du code de procédure pénale pose, dans ses dispositions générales, les modalités de l’exécution des sentences. Il est donc essentiel de rappeler à cette occasion l’adaptation nécessaire à une meilleure efficacité de l’ensemble des sanctions éducatives que le juge peut prononcer.

À l’heure actuelle, la prise en charge du mineur ou du jeune majeur reste très anonyme : il peut ainsi être renvoyé d’éducateur en éducateur pour le suivi de la mesure éducative le concernant, alors qu’il lui serait nécessaire, surtout s’il est primo-délinquant, de disposer d’un éducateur référent.

Le présent amendement vise donc à compléter le dispositif en précisant que, par principe, le service compétent nomme en son sein un tuteur référent chargé de suivre l’exécution de la mesure éducative de bout en bout. Le mineur concerné et ses représentants légaux seront avertis de cette nomination.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

La question de l’exécution des sanctions prononcées à l’encontre des mineurs, qui mérite une réflexion approfondie, sera prise en compte dans le projet de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945. Il convient en effet d’assurer une meilleure mise en œuvre des décisions des juridictions pour enfants.

En tout état de cause, cet amendement s’éloigne assez fortement de l’objet de la présente proposition de loi. Je propose d’en renvoyer la discussion à l’examen du projet de loi portant modification de l’ordonnance de 1945, dont le Gouvernement a annoncé le dépôt pour l’été 2010.

J’émets donc un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État

Je partage l’avis de M. le rapporteur, pour les mêmes raisons. Cette question, qui relève de la pratique et non de la loi, pourra effectivement être réglée dans le cadre de la réforme du droit des mineurs.

L’amendement n’est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’amendement n° 13, présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er A, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au premier alinéa de l'article 15-1 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, après les mots : « décision motivée », sont insérés les mots : « et dans un délai ne pouvant excéder trois mois ».

La parole est à M. Charles Gautier.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Cet amendement de bon sens traite du problème récurrent du délai des jugements, eu égard à l’âge des personnes poursuivies et éventuellement condamnées.

Lorsqu’il existe un trop grand décalage entre la commission des faits et l’intervention du jugement, ce dernier n’a aucune efficacité, tout simplement parce qu’il frappe une personne qui n’est plus celle qui a commis l’acte. De surcroît, l’intéressé aura pu offrir à son entourage le spectacle de l’impunité, c’est-à-dire l’exact contraire de l’établissement de l’ordre et de la loi, et commettre, entre-temps, de nouveaux actes délictueux.

Autrement dit, plus une personne est jeune, plus le jugement doit intervenir rapidement. C’est seulement dans cette mesure qu’il peut avoir un sens à la fois pédagogique pour la personne condamnée et d’utilité sociale pour l’entourage de celle-ci.

Nous souhaitons donc que lorsque le prévenu est mineur au moment des faits, et notamment s’il n’a pas encore fait l’objet d’une condamnation, le jugement soit prononcé dans un délai de trois mois à compter de la clôture du dossier, c’est-à-dire de la date de la réception du dossier d’enquête par le parquet.

Pour ce genre d’affaires, il est important que les décisions soient rapides, tant pour l’auteur des faits et pour la victime que pour le corps social, qui doit constater une réaction de la société à des faits qui troublent gravement l’ordre public.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Nous sommes tout à fait d’accord avec la première partie de votre exposé, mon cher collègue : un amendement ayant le même objet a déjà été adopté à l’Assemblée nationale, et la commission des lois du Sénat, pour plus de lisibilité, a transféré la disposition correspondante à l’article 4 sexies. Vous avez donc satisfaction.

En conséquence, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Monsieur Charles Gautier, l’amendement n° 13 est-il maintenu ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’article 1er A a été supprimé par la commission, mais l’amendement n° 34, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, tend à le rétablir dans la rédaction suivante :

L'article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi modifié :

1° Le I et le II sont ainsi rédigés :

« I. - Sont autorisés par décret du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et qui intéressent la sûreté de l'État ou la défense nationale. L'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés est publié en même temps que le décret autorisant le traitement.

« II. - Sont autorisés par la loi les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État et :

« 1° Qui intéressent la sécurité publique ;

« 2° Qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté ;

« 3° Qui portent sur des données mentionnées au I et II de l'article 8. »

2° Le III et le IV sont abrogés.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il y a quelques semaines, un décret, publié le jour de la Sainte-Edwige

sourires sur les travées du groupe socialiste

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à avoir désapprouvé la création par décret de fichiers dont la mise en œuvre est susceptible de porter atteinte au droit et à la vie privée.

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement visant à apporter quelques modifications à la loi informatique et libertés, en vue de subordonner la création de fichiers de ce type à une autorisation du Parlement.

En premier lieu, sans modifier le régime réglementaire des fichiers relatifs à la sûreté et à la défense, nous proposons de prévoir que leur création fasse nécessairement l’objet d’un décret, auquel sera obligatoirement joint un avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

La seconde modification, qui est la plus importante, vise à donner au Parlement un droit de regard sur la création de fichiers relatifs à la sécurité publique, à la prévention ou à la poursuite d’infractions.

Je tiens à rappeler, à cet égard, que le pouvoir exécutif ne détient pas le monopole de la protection des libertés individuelles. Le Sénat et l’Assemblée nationale doivent pouvoir, au même titre que le Gouvernement, décider de la création de tels fichiers et de leur contenu.

Cet amendement tend à aménager cette possibilité, en ajoutant à la liste des données soumises au contrôle du Parlement celles qui sont dites « sensibles ». De ce fait, un débat pourra avoir lieu au Parlement sur ces questions. Du reste, nous aurions dû pouvoir débattre de la présence d’informations sur l’origine géographique des personnes dans la base de données relative à la prévention des atteintes à la sécurité publique, dont le décret portant la création a été publié sans même que le Parlement ait été informé préalablement.

Je vous propose, mes chers collègues, de prévenir de nouvelles surprises de cet ordre. Si vous adoptez cet amendement, la création de tout fichier sera soumise au contrôle préalable du Parlement, et ne pourra être décidée par le Gouvernement sans son consentement. Il me semble que c’est la moindre des choses, s’agissant d’un domaine où les atteintes aux libertés sont patentes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Outre le fait que cet amendement est assez éloigné de l’objet de la proposition de loi, je précise que nos collègues Anne-Marie Escoffier et Yves Détraigne se sont prononcés, dans leur rapport consacré au droit à la vie privée à l’heure des mémoires numériques, en faveur de la compétence exclusive du législateur en matière de création de fichiers de police.

L’article 4 de la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique, qui a été déposée la semaine dernière, tend à mettre en œuvre cette préconisation. Je propose donc de renvoyer la discussion de l’amendement à l’examen de cette proposition de loi et, dans cette attente, j’émets un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État

Outre l’argument développé par M. le rapporteur, je rappelle que la création de ces fichiers est autorisée par arrêté du ministre concerné ou, lorsqu’ils comportent des données sensibles, par décret en Conseil d’État.

Votre proposition, madame la sénatrice, tend à encadrer trop rigoureusement la procédure de création de ces fichiers, au risque de freiner le mouvement actuel de régularisation, sans apporter de garantie véritablement nouvelle. Elle contredit en outre l’esprit de la réforme de 2004 permise par la loi informatique et libertés, qui allège les formalités préalables à la création des fichiers. Elle contrevient, enfin, aux articles 34 et 37 de la Constitution, en élevant au niveau législatif des dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. On peut toujours considérer qu’il faut davantage passer par la loi, mais ce serait l’objet d’un débat en soi. Il conviendra, le moment venu, de faire la part des choses.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Tout d’abord, il est clair que l’amendement présenté par Mme Boumediene-Thiery est lié au texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

En effet, le Gouvernement, en l’espèce M. le ministre de l’intérieur, a explicitement prévu la lutte contre ce type de violences dans les attendus d’un décret publié un dimanche récent. Il est donc difficile d’arguer que cet amendement n’a pas de rapport avec la présente proposition de loi !

Par ailleurs, je suis très étonné de votre argumentation, monsieur le secrétaire d’État, sur un sujet de cette importance pour les libertés publiques.

L’un des décrets pris par M. Brice Hortefeux prévoit la possibilité de procéder au fichage des opinions politiques, syndicales, philosophiques et religieuses des personnes, par exemple pour lutter contre les violences dans les stades, sujet également traité dans le présent texte. Je m’étais insurgé contre la possibilité d’un tel fichage à l’occasion d’une question d’actualité au Gouvernement, en demandant à Mme Yade si elle pensait vraiment qu’il était nécessaire, pour lutter contre la violence dans les stades, de ficher les opinions philosophiques ou religieuses des citoyens et des responsables des clubs sportifs. C’est totalement aberrant ! Je suis persuadé que le Parlement, s’il avait été saisi, n’aurait pas cautionné une telle dérive.

Je rappelle qu’une proposition de loi ayant été déposée par Mme Batho, députée socialiste, et M. Bénisti, député de l’UMP, puis adoptée par la commission des lois de l’Assemblée nationale, ainsi qu’un rapport de Mme Escoffier et de M. Détraigne, adopté par la commission des lois du Sénat, préconisent que le Parlement soit saisi préalablement à la création de ce type de fichiers, ce que M. Hortefeux s’est empressé de ne pas faire ! §

Je m’étonne, monsieur le secrétaire d’État, que vous contredisiez les députés et les sénateurs que je viens de citer, en expliquant qu’il serait inconstitutionnel que le Parlement soit saisi ou que ce serait contraire à la loi informatique et libertés. Il est évident que la création de fichiers relatifs aux opinions des citoyens pose un grave problème au regard des libertés publiques et relève du Parlement !

Si cet amendement de Mme Boumediene-Thiery était adopté, au moins cette proposition de loi acquerrait-elle quelque consistance !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous soutenons cet amendement avec beaucoup de force.

L’amendement n’est pas adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

En conséquence, l’article 1er A demeure supprimé.

Après l’article 222-14-1 du code pénal, il est inséré un article 222-14-2 ainsi rédigé :

« Art. 222-14-2. – Le fait pour une personne de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires contre les personnes ou de destructions ou dégradations de biens est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.

« Dans l’année suivantla publication de la loi n° du renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public, leGouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation des dispositions du présent article. »

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Cet article vise à réprimer non pas les violences commises en bande, mais, de manière préventive, le simple fait de participer à une bande, même si cette dernière n’a pas commis de violences.

Nous souhaitons la suppression de cette disposition, pour plusieurs raisons.

D’abord, cette nouvelle incrimination ne se justifie pas. Il existe déjà un arsenal juridique amplement suffisant pour sanctionner les infractions virtuelles visées par la disposition présentée : violences commises en groupe, violences entre bandes rivales, atteintes aux biens commises en réunion, sanction préventive des attroupements, association de malfaiteurs, etc.

Ces incriminations sont potentiellement applicables aux faits évoqués à l’article 1er. Une seule différence doit être relevée, mais elle est de taille : normalement, une personne est punie pour des actes matériels précis, conformément au principe de la légalité des délits et peines. Or l’article 1er vise une incrimination exclusivement fondée sur l’intention, en l’absence de faits matériels de violence. Sur la base d’éléments matériels qui n’ont rien à voir avec l’infraction elle-même, on va décider que ces personnes vont commettre des violences, alors qu’elles ne passeront peut-être jamais à l’acte.

L’élément intentionnel suffit en l’occurrence, alors qu’en droit pénal une infraction se définit non seulement par un élément psychologique, mais également par un élément matériel : la réalisation de l’intention.

L’article 1er a précisément pour objet de punir les membres d’une bande avant qu’ils ne commettent les violences visées : il s’agit purement et simplement d’une présomption de culpabilité.

Un juge ne recourra jamais à un tel article : d’abord, aucun magistrat ne fondera une condamnation sur une intention, puisque les faits matériels évoqués dans le texte sont flous ; ensuite, il faut que la personne ait participé « sciemment » à un groupement qui projette de commettre des violences, or comment le juge va-t-il s’assurer que cette participation est intervenue en connaissance de cause ?

Les modifications apportées au texte par la commission des lois n’y changent rien : le délit en cause reste un délit virtuel, que notre droit récuse. On ne condamne pas en fonction du virtuel, monsieur le secrétaire d'État !

Enfin, ce délit est en totale contradiction avec le principe constitutionnel de personnalité des délits et des peines, qui interdit la responsabilité pénale collective : on ne peut être poursuivi que pour ses propres actes. Or, aux termes de l’article 1er, c’est bien le simple fait de participer à une bande violente qui constituerait un délit.

Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 1 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 35 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.

L'amendement n° 52 est présenté par MM. Mézard et Collin.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 1.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait la création, dans le code pénal, d’un article 222-14-2 ainsi rédigé :

« Le fait de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou des destructions ou dégradations de biens, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende. »

Ce texte visait à réprimer non pas les faits, mais l’intention de participer à des violences portant atteinte aux personnes ou aux biens. Il posait d’emblée la question de l’intention délictueuse, qui est complexe à établir, car cela suppose, d’une part, la preuve que le groupement s’apprête à commettre des faits répréhensibles, et, d’autre part, la connaissance par chacun des membres du groupe des infractions préparées.

Je vous donne acte, monsieur le rapporteur, que la rédaction que vous proposez est meilleure, ou en tout cas moins mauvaise ! Elle se rapproche de la rédaction de l’article 450-1 du code pénal, qui définit l’association de malfaiteurs.

Toutefois, cet article nous paraît tout à fait inutile et susceptible de poser de lourds problèmes.

Il est inutile, car l’arsenal législatif actuel est, à l’évidence, suffisant. En effet, les textes en vigueur prévoient déjà que les violences ou dégradations sont punies plus sévèrement lorsqu’elles sont commises en réunion. La jurisprudence a étendu la notion de réunion à toute personne ayant pris part au groupe pour faire masse. Pourquoi, alors, ajouter une nouvelle disposition, puisque l’objectif est atteint ?

Par ailleurs, les circonstances aggravantes s’appliquent à tous les complices et coauteurs. Pour les actes de violences, la préméditation et le guet-apens sont des circonstances aggravantes. La loi du 5 mars 2007 a, en outre, créé le délit d’embuscade, qui consiste dans le fait d’attendre en un lieu déterminé et durant un certain temps des représentants des forces de l’ordre dans le dessein « caractérisé par un ou plusieurs faits matériels » de commettre à leur encontre des violences avec usage ou menace d’une arme.

De manière subsidiaire, j’ajoute que la rédaction de l’article 1er ne conserve pas l’architecture du code pénal, dont le livre II est consacré aux personnes et le livre III aux biens. Or le nouvel article 222-14-2 qu’il tend à créer, pour l’intégrer au livre II du code pénal, réprime la participation à un groupement en vue de la commission d’atteintes non seulement aux personnes, mais également aux biens. Ce n’est pas très cohérent !

En conclusion, je souhaite insister sur le fait que le dispositif de l’article 1er s’appliquerait à un groupement « même formé de façon temporaire ». Quelle temporalité prendre en compte, monsieur le secrétaire d'État ? Si, pendant quelques minutes, des personnes demeurent les unes à côté des autres, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… font-elles partie, pour autant, d’un groupement ? Qu’entend-on par « groupement formé de façon temporaire » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il serait tout à fait étrange, voire exorbitant, de punir une personne pour s’être simplement trouvée à côté d’une autre, animée pour sa part d’intentions violentes ou se préparant à commettre des actes répréhensibles ! Qu’est-ce qu’un regroupement aléatoire de personnes se côtoyant à titre tout à fait temporaire ? Nous sommes ici dans l’imprécision la plus totale, dans une confusion générale ! Bien entendu, le Conseil constitutionnel ne pourra admettre une rédaction aussi confuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mes chers collègues, essayons de respecter les temps de parole !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Il ne faut pas essayer, il faut les respecter ! Nous avons des pendules électroniques pour cela !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 35.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Cet amendement vise à supprimer l’article 1er, qui crée une présomption d’infraction en instaurant l’infraction de participation à un attroupement ayant l’intention de commettre des violences.

Si une personne se trouve dans un groupe qui semble se préparer à commettre des infractions, elle pourra être inquiétée par la justice. L’absence de toute définition de la notion de bande peut laisser un très large pouvoir d’interprétation à celles et à ceux qui seront chargés d’appliquer la future loi. L’arbitraire est à craindre, et les problèmes, au lieu d’être résolus, risquent de se trouver aggravés.

Les juridictions pénales qui vont être saisies sur ce motif d’accusation auront ainsi beaucoup de difficultés à appliquer la mesure. Elles devront en effet se fonder non sur des faits commis, mais sur la volonté de la personne de passer à l’acte. En clair, il leur faudra constater ce que les membres de la bande auraient pu faire !

La présomption d’infraction sera donc suffisante pour déclarer la culpabilité de la personne. Il s’agit, en fait, d’une présomption de culpabilité. En poussant jusqu’au bout le raisonnement, une personne pourra être poursuivie alors qu’aucune infraction n’aura été commise.

Comme cela a été indiqué lors des auditions de la commission, les violences commises en groupe ont souvent un caractère spontané. Il sera donc très compliqué de prouver l’intention délictuelle de la personne mise en cause.

De plus, il est bien rare que les forces de l’ordre soient présentes dès le début du passage à l’acte. Rapporter la preuve de la responsabilité individuelle de la personne pour cette incrimination sera donc pratiquement impossible.

Enfin, dans le cas où la personne commet une infraction, des textes existants, comme celui qui est relatif aux violences en réunion, peuvent être appliqués, et d’une manière plus efficace. Point n’est donc besoin d’une loi supplémentaire, je le répète, pour réprimer les violences commises en groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 52.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Cet amendement a également pour objet la suppression de l’article 1er, puisque nous considérons que l’arsenal juridique actuel permet déjà de réprimer les délits commis en groupement.

Le rapport de la commission rappelle les objectifs visés par la création de l’incrimination et les propos de l’auteur de la proposition de loi : « L’infraction nouvelle a une visée avant tout préventive, en amont de la commission de faits de violences ou de dégradations. »

Le rapport rappelle aussi, très justement, qu’il existe déjà « une incrimination proche du délit d’appartenance à une association de malfaiteurs ». Effectivement, l’article 450-1 du code pénal réprime « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ».

On nous objecte que ces dispositions ne sont pas adaptées à la répression de violences légères. L’argumentation aurait pu être meilleure, car il était possible, à cette fin, de modifier la rédaction de l’article 450-1 du code pénal !

En réalité, il s’agit d’un effet d’annonce : il faut envoyer un message médiatique.

La commission, qui a certes amélioré le texte, a adapté la rédaction du délit « afin de viser la personne qui participe sciemment à un groupement (même formé de façon temporaire) en vue de la préparation de violences ou de dégradations. […] En outre, cette rédaction substitue à la notion de “but poursuivi”, celle de “préparation”, qui est susceptible d’être caractérisée par des éléments matériels plus objectifs (une annonce sur un blog ou un port d’arme par exemple). »

Que l’on puisse fonder des poursuites sur un port d’arme, soit, mais sur une annonce sur un blog… Je souhaite bon courage aux magistrats pour essayer d’établir une jurisprudence stable en la matière !

En résumé, l’arsenal législatif existant est suffisant. Il suffit de l’appliquer correctement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Il s’agit ici de l’un des articles phares de la présente proposition de loi.

Le phénomène des bandes n’est pas sociologiquement connu depuis très longtemps. Toutes les personnes que nous avons interrogées nous ont parlé de la spécificité des bandes actuelles et de cette forme de délinquance.

Ainsi, M. Alain Bauer, sociologue qui préside l’Observatoire national de la délinquance, a tenu les propos suivants à cet égard : « La criminalité change et évolue. Les outils pour la combattre sont multiples, mais souvent lents à mettre en place. Dans un État de droit, la loi doit être utilisée de plus en plus pour s’adapter au mode opératoire. »

En s’exprimant ainsi, ce sociologue fait du droit pénal, parce qu’à l’inverse de toutes les autres branches du droit, exception faite du droit fiscal, le droit pénal s’interprète restrictivement, et il n’appartient pas à un magistrat de déterminer quels sont les éléments constitutifs d’une infraction.

Dès lors qu’une forme de délinquance n’est pas envisagée par les textes existants, les juges ne peuvent y répondre. L’article 1er de la proposition de loi tend à combler une telle lacune. Vous craignez, mes chers collègues, que les magistrats ne fassent une interprétation large de sa rédaction, or c’est juridiquement impossible, puisque, en droit pénal, ils doivent en rester à une interprétation stricte.

Pour le reste, nous devons maintenant nous concentrer non pas sur le texte de l’Assemblée nationale, mais sur celui de la commission des lois du Sénat, qui a considérablement modifié la rédaction de l’article 1er, sur trois points.

Premièrement, la définition de l’infraction a été revue afin de viser la personne qui participe à une bande dans le but de préparer des violences ou des dégradations. Dans cette rédaction, le groupement est non pas le sujet de l’action, mais seulement le moyen de préparer des violences. Il s’agit bien ici de viser la responsabilité personnelle de l’individu, et non d’instaurer une forme de responsabilité collective. La lecture du texte permet de l’établir très nettement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Deuxièmement, la nouvelle rédaction a substitué la notion d’acte préparatoire à celle de buts poursuivis, laquelle me paraissait effectivement assez floue. Cette notion d’acte préparatoire est plus objective, et figure d’ailleurs déjà dans notre droit, au sein de la définition du délit d’association de malfaiteurs, qualification sur laquelle nous ne pouvions cependant pas nous appuyer, parce qu’un groupement ou une bande se constitue fugacement, ex nihilo.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Des gens qui se trouvent sur le même trottoir !

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Ne faites pas dire au texte ce qu’il ne dit pas, monsieur Sueur, et surtout ne faites pas dire aux magistrats qui l’interpréteront ce qu’ils ne diront jamais !

La préparation de violences volontaires contre les personnes ou d’atteintes aux biens devra en outre être caractérisée par des faits matériels, comme par exemple des annonces sur un blog, en effet. Voilà qui nous rapproche d’autres infractions, telles les menaces contre les biens ou les personnes, qu’elles soient verbales ou écrites.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Troisièmement et surtout, nous avons souhaité abaisser les peines encourues, afin que la préparation de l’infraction ne soit pas punie à la même hauteur, voire plus sévèrement, que l’infraction elle-même.

En conclusion, je considère que la commission est parvenue à un équilibre entre la nécessaire poursuite des infractions visées et le respect des principes généraux du droit. Les poursuites sur le fondement de ce texte ne seront d’ailleurs peut-être pas nombreuses, et je m’en réjouis à l’avance. En effet, quelque 222 bandes et 2 500 personnes seulement peuvent potentiellement être concernées par le dispositif.

La commission émet un avis défavorable.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État

L’argumentation que vient de développer M. le rapporteur est à la fois précise, complète et convaincante. Je ne vais pas la paraphraser, et me bornerai à revenir sur la définition du nouveau délit, qui a été améliorée par la commission des lois du Sénat. Elle est désormais suffisamment précise pour ne créer aucune responsabilité collective : nous le martèlerons autant que nécessaire ! Il s’agit bien d’une infraction dite « obstacle », comme il en existe d’autres aujourd’hui dans notre droit pénal, et non d’une infraction qui serait fondée sur des éléments virtuels.

Émettre un avis défavorable est vraiment la seule réponse possible à ces amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Mes chers collègues, on ne cesse de nous répéter qu’il faut moderniser notre législation et l’adapter à la délinquance d’aujourd’hui, qui prendrait des formes auparavant inconnues, au nombre desquelles le phénomène des bandes. À qui fera-t-on croire cela ? Les bandes existent depuis que la société existe ! La mémoire collective aura retenu la bande à Bonnot, voilà un siècle, les « J3 » ou les bandes de West Side Story, qui nous ramènent plus de cinquante ans en arrière… Il s’agit donc d’un phénomène ancien.

Par ailleurs, M. le rapporteur a cité un sociologue qui ne l’a jamais été, mais passons… Quant à vous, monsieur le secrétaire d’État, vous essayez de nous rassurer en affirmant qu’il ne s’agit pas de fonder l’infraction sur des éléments virtuels. Cependant, vous avez vous-même reconnu, parce que c’est l’évidence, qu’une manifestation peut être détournée de son objet et mal se terminer, par des bris de vitres, des attaques contre les forces de l’ordre ou d’autres dérapages du même type. Les participants à la manifestation étaient venus avec des intentions diverses, celles des fauteurs de troubles n’étant pas les mêmes que celles des organisateurs. Or distribuer des tracts pour appeler à une manifestation constitue un fait préparatoire, qui pourra servir à fonder ultérieurement des poursuites si la dispersion donne lieu à la commission de faits délictueux ! N’importe quel manifestant pourra être incriminé ! Si c’est ce que vous voulez, dites-le, mais il est inconcevable de faire porter à quelqu’un la responsabilité d’un acte commis par une personne venue se mêler à la manifestation uniquement pour la détourner de son objet.

Debut de section - PermalienPhoto de René Garrec

Il ne s’agit pas uniquement des manifestations !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Mes chers collègues, je voudrais rendre hommage à M. le rapporteur : monsieur Pillet, vous êtes vraiment un bon soldat, et on en a souvent besoin en politique, dans tous les partis, d’ailleurs…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Mais oui, c’est un vrai compliment ! Et il vous revient, monsieur le rapporteur, parce que vous avez fourni de grands efforts pour rendre le texte plus acceptable – ou moins inacceptable. Cependant, votre argumentation confine à l’argutie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Vous le sentiez venir, mon cher collègue !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

M. Charles Revet. Le début était trop gentil !

Nouveaux sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il ne s’agit pas d’être méchant, il s’agit d’être concret !

Imaginez que vous vous teniez sur le trottoir avec d’autres collègues. C’est là votre droit le plus strict, et vous pouvez même vous aventurer sur la chaussée si vous participez à une manifestation, ce qui est tout à fait estimable. Cependant, le simple fait de côtoyer des personnes ayant des intentions violentes fait de vous un membre d’un de ces groupements temporaires visés à l’article 1er.

Or vous nous expliquez, monsieur le rapporteur – et c’est là que j’admire votre dialectique –, que le groupement ne saurait être considéré comme l’auteur des faits s’il y a passage à l’acte, car ce serait inconstitutionnel, mais qu’il est un moyen. Une personne est présente, par hasard, au milieu d’un groupement conjoncturel, de surcroît temporaire, et ce groupement devient le moyen par lequel un individu est censé accomplir un acte répréhensible… Pour prendre une comparaison que tout le monde comprendra, une pierre sera considérée comme une arme par destination si elle sert à commettre un acte de violence.

En définitive, le groupement conjoncturel, temporaire et aléatoire, par vous qualifié de moyen, monsieur le rapporteur, permettrait d’exclure la responsabilité collective, puisque la personne en question agit individuellement au moyen dudit groupement… Vous déployez de grands efforts pour nous convaincre, mais je suis au regret de vous dire que vous n’y êtes pas parvenu.

Les amendements ne sont pas adoptés.

L'article 1 er est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je rappelle que l’article 1er bis a été supprimé par la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je rappelle que l’article 2 a été supprimé par la commission.

Après l’article 11-4 de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité, sont insérés trois articles 11-5, 11-6 et 11-7 ainsi rédigés :

« Art. 11 -5. – Les propriétaires, exploitants ou affectataires d’immeubles ou groupes d’immeubles collectifs à usage d’habitation peuvent constituer une personne morale dont l’objet est l’exercice, pour le compte de ses membres, de l’activité mentionnée au 1° de l’article 1er, dans les conditions prévues par l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation.

« Les agents de cette personne morale peuvent être nominativement autorisés par l’autorité préfectorale à porter une arme de sixième catégorie dans l’exercice de leurs missions.

« Un décret en Conseil d’État précise les types d’armes susceptibles d’être autorisés, leurs conditions d’acquisition et de conservation par la personne morale, les modalités selon lesquelles cette dernière les remet à ses agents, les conditions dans lesquelles ces armes sont portées pendant l’exercice des fonctions de gardiennage ou de surveillance et remisées en dehors de l’exercice de ces fonctions, les modalités d’agrément des personnes dispensant la formation à ces agents ainsi que le contenu de cette formation.

« Art. 11 -6. – Les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation à une peine correctionnelle ou à une peine criminelle inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire ou, pour les ressortissants étrangers, dans un document équivalent, ne peuvent exercer les fonctions prévues à l’article 11-5. Il en va de même :

« 1° Si l’agent a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion non abrogé ou d’une interdiction du territoire français non entièrement exécutée ;

« 2° S’il a commis des actes, éventuellement mentionnés dans les traitements automatisés et autorisés de données personnelles gérés par les autorités de police, contraires à l’honneur, à la probité ou aux bonnes mœurs ou de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, à la sécurité publique ou à la sûreté de l’État.

« L’embauche d’un agent par la personne morale constituée en application de l’article 11-5 est subordonnée à la transmission par le préfet de ses observations relatives aux obligations mentionnées aux alinéas précédents.

« Art. 11-7. – La tenue et la carte professionnelle, dont les agents des personnes morales prévues à l’article 11-5 sont obligatoirement porteurs dans l’exercice de leurs fonctions, ne doivent entraîner aucune confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police.

« Dans des cas exceptionnels définis par décret en Conseil d’État, ils peuvent être dispensés du port de la tenue. »

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Alima Boumediene-Thiery

Cet article est important, car il témoigne de manière frappante de la volonté du Gouvernement de privatiser une des missions régaliennes de l’État : le maintien de la sécurité publique.

En donnant la possibilité à des agents de surveillance et de sécurité non seulement de se comporter comme des agents de police, mais en plus de porter une arme, ce texte pousse le désengagement de l’État à son paroxysme.

La situation de la police nationale est catastrophique : j’en veux pour preuve la journée nationale d’action du 3 décembre prochain. Nous connaissons les raisons de ce malaise : pertes d’effectifs, quotas imposés, conditions de travail qui se dégradent.

À ces problèmes, que répond le Gouvernement ? La solution est simple : transformer des gardiens d’immeuble en policiers. Tel est en effet l’objet de cet article, inspiré par des préoccupations avant tout budgétaires : les problèmes d’effectifs dans la police et la gendarmerie sont résolus par le recours à la sous-traitance en matière de sécurité publique. Employer cette méthode est grave, puisqu’elle vise finalement à une privatisation rampante des missions de service public. Après La Poste, il semble que le tour de la police soit venu !

J’attire votre attention, mes chers collègues, sur les dangers d’une telle démarche. Les agents de police reçoivent une formation complète, alliant la maîtrise des armes et le respect de la déontologie. Ne peut s’improviser policier qui veut. Or c’est pourtant exactement ce que cet article prévoit : les agents de sécurité pourront porter des armes, et pas seulement des bâtons de défense comme les tonfas, mais également des couteaux ou des armes de poing. L’ironie est poussée à son maximum, puisqu’il est même prévu que les agents de sécurité pourront ne pas porter de tenue identifiable !

Monsieur le secrétaire d’État, ce mélange des genres est grave et dangereux. L’autorité de la police repose sur son unicité, sur sa cohésion, sur sa compétence exclusive pour assurer les missions de sécurité. Nous refusons que des agents de sécurité, dont la formation est rudimentaire et dont le recrutement ne repose sur aucun concours, puissent se substituer à la police. C’est la raison pour laquelle nous demanderons la suppression de cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 2 est présenté par MM. C. Gautier et Sueur, Mmes Klès, Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

L'amendement n° 36 est présenté par Mmes Assassi, Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Charles Gautier, pour présenter l’amendement n° 2.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Gautier

Selon les députés qui l’ont introduit par voie d’amendement, l’article 2 bis est censé faire suite au constat selon lequel « les parties communes de certains immeubles d’habitation gérés par les bailleurs sociaux sont régulièrement occupées par des bandes. Pour répondre à cette situation, de nombreux bailleurs ont constitué des groupements d’intérêt économique afin d’assurer la surveillance des immeubles telle qu’elle est prévue par l’article L. 127-1 du code de la construction et de l’habitation. À Paris, par exemple, les agents de ce groupement d’intérêt économique, dénommé GPIS, effectuent des rondes dans le patrimoine privé des bailleurs sociaux, assurant ainsi la sécurité de presque 70 000 logements et les interventions sur appel des locataires.

« Afin de sécuriser des sites particulièrement problématiques, ils procèdent à des visites approfondies du patrimoine, à des rondes renforcées et mènent des opérations conjointes ou coordonnées avec les services de police. »

Le présent article prévoit donc que les agents de la personne morale ainsi constituée seront nominativement autorisés par l’autorité préfectorale à porter une arme de sixième catégorie.

Mes chers collègues, nous ne pouvons que nous étonner d’une telle disposition ! En effet, aux termes de l’article 10 de la loi n° 83-629 réglementant les activités privées de sécurité, les transporteurs de fonds se voient refuser ce même port d’armes s’il existe un dispositif de destruction des billets et si les fonds sont transportés dans des véhicules banalisés, de même que les agents exerçant des activités de protection de l’intégrité physique des personnes. Ces professionnels sont pourtant autrement plus exposés aux agressions que les agents de personnes morales que je viens d’évoquer !

Le port d’armes ne doit être autorisé que dans des circonstances très particulières. L’autoriser trop largement risquerait d’entraîner une généralisation de l’usage des armes qui n’est pas souhaitable. La sécurité doit être assurée par l’État, et le manque de fonctionnaires de police dans certains quartiers ou cités ne doit pas être pallié par la création de « milices » privées.

Dans le rapport de la commission, la mention selon laquelle « la tenue et la carte professionnelle » de ces agents « ne doivent pas entraîner une confusion avec celles des autres agents des services publics, notamment des services de police » en dit long sur le mélange des genres qui est à l’œuvre…

Nous demandons donc la suppression de cet article.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 36.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Notre groupe, lui aussi, souhaite la suppression de cet article, qui tend à permettre aux propriétaires et aux exploitants d’immeubles d’armer leurs agents chargés de la sécurité. Ainsi, pour lutter contre les bandes violentes, on nous propose rien de moins que d’armer les agents qui surveillent les immeubles !

On peut d’ailleurs trouver étrange qu’une telle disposition figure dans un texte qui vise à lutter contre les bandes violentes, car cela donne à entendre que les membres de ces groupes sévissent tous dans des immeubles. Un raccourci facile est ainsi établi entre les quartiers populaires et la délinquance et, de la sorte, on stigmatise encore plus les jeunes de ces quartiers.

Outre qu’elle est dangereuse, bien entendu, cette disposition est irresponsable : ce n’est pas en élargissant la détention d’armes que l’on réglera le problème de l’occupation des entrées d’immeubles, par exemple. Au pis, elle risque fort de susciter une grave augmentation des « bavures », sinon des homicides.

Sans vouloir être désobligeante à leur égard, je rappellerai que les agents concernés n’ont qu’une vague notion de l’usage de ces armes. Ce ne sont pas des membres des forces de l’ordre et, comme je le soulignais tout à l'heure, ils ne peuvent pallier la réduction du nombre de policiers sur le terrain.

Pour reprendre les théories de Max Weber, seul l’État doit disposer du droit à l’usage de la violence légitime ; seule la puissance publique doit être habilitée à user de la force quand la situation l’exige.

Cette quasi-police privée pourra donc se doter d’armes de sixième catégorie, c'est-à-dire, pour être précis, de bombes lacrymogènes, de poings américains, de matraques, de couteaux – bref, un véritable arsenal !

Non seulement vous ouvrez ainsi la porte à la privatisation de la sécurité, mais vous mettez en place un dispositif extrêmement dangereux, qui ne fera qu’envenimer des situations déjà tendues. En effet, on n’a jamais vu une situation violente se régler durablement par un recours à cette même violence, or c’est exactement ce que vous proposez !

Cette disposition s’inscrit dans une logique d’ouverture croissante des missions de service public au secteur privé. Or la sécurité des citoyens doit rester l’apanage de la seule puissance publique. C’est pourquoi nous nous opposons farouchement à cette mesure, qui sera contre-productive car elle ne fera que favoriser l’usage de la violence.

Debut de section - PermalienPhoto de François Pillet

Je puis comprendre que l’on s’oppose à ce type de dispositions, mais on aurait pu le faire plus tôt, puisque la loi du 12 juillet 1983 – cette date n’est pas anodine ! –, qui réglemente les activités de sécurité privées, autorise déjà des agents de sécurité ou de gardiennage à porter une arme, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État…

Le dispositif présenté à l’article 2 bis de la proposition de loi est beaucoup plus précis, dans la mesure où il limitera cette autorisation aux armes de sixième catégorie et où un décret en Conseil d'État, qui sera spécifiquement dédié à ce type d’activités, viendra réglementer ses conditions d’application.

Ce décret précisera que seules les matraques, du type des bâtons de défense ou des tonfas, seront autorisées. Sur le modèle du décret relatif aux agents de surveillance de la RATP et de la SNCF, il précisera également que l’arme ne peut être utilisée qu’en cas de légitime défense : ce ne sera pas un moyen d’agression. Enfin, le décret prévoira une formation professionnelle obligatoire aux techniques de défense avec ce type d’armes de sixième catégorie.

Pour toutes ces raisons, et surtout eu égard au fait que certains agents de sécurité ou de gardiennage sont déjà autorisés à porter une arme qui, grâce à ce texte, sera exclusivement de sixième catégorie, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

Comme ce point semble sensible, je me permettrai de m’y attarder quelque peu, quitte à reprendre parfois certains des arguments excellemment développés par M. le rapporteur.

Tout d'abord, je le répète, nous précisons des possibilités qui existent déjà, et pour cause : le personnel qui travaille dans des immeubles ou des groupes d’immeubles est confronté à des agressions. Rien qu’à Paris, en 2007, 63 agents de sécurité du groupement parisien inter-bailleurs de surveillance, une société honorable et qui a pignon sur rue, ont été victimes de violences verbales ou physiques dans l’exécution de leurs fonctions ; en 2008, ce nombre s’élevait à 112, sur un effectif de 300 agents. Il s'agit donc d’un problème réel, et non d’un phantasme.

Si certaines des questions posées par les auteurs des amendements sont légitimes, ce texte apporte toutes les garanties nécessaires.

Mme Boumediene-Thiery indiquait à l’instant que les armes de sixième catégorie comprenaient les couteaux : je souligne tout de même que la référence aux armes de sixième catégorie se trouve complétée par un renvoi à un décret en Conseil d'État, qui précisera les choses. Les armes de sixième catégorie dont il s’agit ici seront plutôt des bombes lacrymogènes ou autres matériels qui sont habituellement affectés à ces personnels. Aucun risque ne sera pris.

Outre cette garantie, que M. le rapporteur a déjà rappelée, seuls les agents des personnes morales créées spécifiquement par les bailleurs pour exercer exclusivement une mission de gardiennage et de surveillance de leurs immeubles seront autorisés à porter ces armes. Cette disposition restrictive évitera, notamment, que des agents travaillant pour une entreprise de sécurité privée prestataire d’un bailleur social ne bénéficient de cet armement.

L’embauche des agents en question sera subordonnée à la transmission par le préfet de ses observations. Les armes ne leur seront remises qu’à l’issue d’une formation.

Enfin, ces agents, qui ne pourront bien sûr user de leur arme qu’en cas de légitime défense, n’ont évidemment pas vocation à se substituer aux forces de l’ordre. Cet argument ne tient pas ! Les agents de sécurité existent déjà, ils font partie de notre société, mais ils n’ont ni les mêmes missions, ni les mêmes armements, ni les mêmes moyens d’action que les forces de l’ordre, dont ils ne constituent pas une variable d’ajustement !

Il ne faut donc pas intenter de procès d’intention. Il s’agit de répondre à un besoin très concret, en faisant preuve de prudence et en restant fidèles à l’esprit de l’État de droit.

Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué 1983 : à cette époque, certains d’entre nous étaient de jeunes députés. Aujourd'hui, nous sommes de jeunes sénateurs.

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il est permis d’évoluer, même s’il n’est pas nécessaire de le faire autant que M. le secrétaire d'État...

Comme vous, monsieur le secrétaire d'État, nous n’acceptons pas que des personnes soient agressées. Pour autant, et c’est là que la confusion demeure, il est impossible de soutenir que toute personne susceptible d’être agressée puisse de facto revendiquer un port d’arme. Vous voyez où nous conduirait sinon le raisonnement !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

La police républicaine veille à la sécurité publique : elle est là pour prévenir et réprimer les agressions et c’est à ce titre que ses agents bénéficient d’un port d’arme. Étendre cette autorisation remettrait en cause l’existence même de cette institution républicaine qui est chargée de la sécurité publique.

Monsieur le secrétaire d'État, je vous pose une nouvelle fois la question, car vous ne m’avez pas répondu. Ce matin, en commission, M. le ministre de l’intérieur, que j’ai interrogé sur l'article 2 bis, a fait part de ses critiques et s’est dit « réservé ». Cela figurera au compte rendu des travaux de la commission. Ces propos témoignent donc d’une divergence d’appréciation entre le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice.

Certes, ce n’est pas la première fois, mais, si vous demandiez que le vote de ces amendements identiques n’intervienne qu’après la suspension de nos travaux, vous pourriez mettre à profit le délai pour vous concerter avec le ministre de l’intérieur. §Ainsi pourrions-nous savoir ce que pense le Gouvernement.

J’ai appris à l’école que le Gouvernement était un.

Debut de section - PermalienPhoto de René Garrec

C’était une bonne école ! Cela n’a pas changé !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Si le ministre de l’intérieur a émis des réticences, ce n’est pas pour rien : il a bien senti les risques de dérives que recelait cet article.

Monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d'État, vos efforts pour défendre cet article sont méritoires, mais vous avez bien conscience de ce qui arrivera si un port d’arme peut être accordé à tous les salariés, à tous les employés, à tous les agents d’organismes « propriétaires, exploitants ou affectataires d'immeubles ou groupes d'immeubles collectifs à usage d'habitation ».

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

N’importe quoi !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Et pourtant, c’est cela, la réalité !

Au prochain fait divers, au prochain acte de violence, imagine-t-on le Président de la République venir annoncer sur le perron de l’Élysée : « Françaises, Français, nous allons faire une nouvelle loi pour mettre fin à ces actes de violence intolérables » ?

Non, vraiment, monsieur le secrétaire d’État, il faut que le Gouvernement se concerte. Ce sera très utile pour la République !

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État

Monsieur Sueur, le mieux est l’ennemi du bien.

Vous avez beau développer vos arguties avec le talent qui est le vôtre, votre description du travail des sociétés de surveillance, et des dérives dramatiques vers une situation de non-droit qui ne manqueraient pas de résulter du présent texte, m’a paru totalement déconnectée de la réalité.

Il y aura bien une concertation interministérielle, notamment avec le ministère de l’intérieur, mais pour déterminer précisément le contenu du décret.

C'est la raison pour laquelle je ne sollicite aucun délai supplémentaire sur ces amendements identiques, monsieur le président.

Les amendements ne sont pas adoptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures cinq, sous la présidence de M. Roger Romani.