Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 19 janvier 2011 à 21h30
Orientation et programmation pour la performance de la sécurité intérieure — Article 24 bis

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Revoici la question du couvre-feu, qui oppose le Sénat et l’Assemblée nationale. M. le rapporteur, en maintenant la position qu’il avait adoptée lors de la première lecture, tente de sauver cette disposition en écartant les mesures prévues par l’Assemblée nationale, qui sont manifestement inconstitutionnelles.

Pour notre part, nous persistons à penser que le couvre-feu n’est pas un dispositif pertinent.

Le II de l’article 24 bis prévoit une mesure individuelle de couvre-feu, que l’on essaie de faire passer pour une sanction éducative. Ce caractère éducatif nous paraît d’autant moins évident que le droit en vigueur, notamment les articles 375 à 375-8 du code civil, permet d’ores et déjà d’agir en cas de carence des parents, ou bien si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou encore sur le fondement de l’ordonnance de 1945. L’autorité judiciaire a donc déjà la possibilité de prononcer des mesures d’assistance éducative.

Quant au couvre-feu collectif, qui peut actuellement être décidé par un maire et qui pourrait donc l’être demain par le préfet, il consiste à interdire aux mineurs de moins de treize ans d’aller et venir dans une ville, un quartier ou un secteur géographique donnés entre certaines heures sans être accompagnés d’un de leurs parents.

J’ai le privilège – si je puis dire ! – d’habiter une ville où cette mesure est régulièrement mise en œuvre depuis sept ou huit ans, en particulier pendant les mois d’été : je constate qu’elle n’a aucun effet concret. Au début, elle a frappé l’opinion. Les journalistes sont venus nombreux afin d’observer sa mise en œuvre, et sont repartis le lendemain après avoir constaté qu’il n’y avait pas de mineurs dans les rues. Les promoteurs du dispositif ont estimé que cela prouvait le succès de celui-ci…

En réalité, de deux choses l’une : soit il ne se passe rien de notable, et alors pourquoi instaurer un couvre-feu ? soit un enfant 5, 9 ou 10 ans se retrouve seul dans la rue la nuit, et alors le droit existant fait un devoir à tout élu, policier ou gendarme – et même au-delà à tout adulte, en vertu de l’obligation d’assistance à personne en danger – qui serait informé de ce fait ou le constaterait d’intervenir. Ainsi, lorsque j’étais maire, il est parfois arrivé que l’on me signale un jeune mineur abandonné à lui-même dans la rue, la nuit : je l’ai alors fait prendre en charge avant de le confier aux services chargés de la protection de l’enfance et de la jeunesse.

L’instauration d’un couvre-feu n’apportera rien de plus et ne servira donc qu’à frapper l’opinion ! De plus, il est irréaliste d’imaginer que la police ou la gendarmerie, dont les effectifs sont déjà insuffisants et sont appelés à diminuer encore, pourront contrôler le respect du couvre-feu par les mineurs. Il s’agit donc typiquement d’une mesure d’affichage dépourvue de portée concrète. C’est pourquoi nous proposons de nouveau la suppression de cet article.

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