Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, faisant abstraction de la complexité et de l’originalité de la situation quant aux dates et calendriers déjà largement évoqués par mes collègues, j’ai porté mon attention, dans ce projet de budget, aux moyens consacrés au développement de la vidéosurveillance et au programme 152 concernant la gendarmerie nationale.
Je commencerai mon propos en évoquant les équipements de vidéosurveillance. De nature curieuse et ayant conservé d’un lointain passé de scientifique la méthodologie de l’expérimentation et de l’évaluation, je me suis interrogée, sans trouver de réponse précise et détaillée, sur la mise en place pratique et opérationnelle de ces équipements : où, quand, pourquoi, comment, avec qui ?
Les moyens financiers que vous envisagez de consacrer aux équipements de vidéosurveillance sont importants puisque le programme « Police nationale » a été doté d’un budget de 20 millions d’euros en autorisations d’engagement. De plus, le Fonds interministériel de prévention de la délinquance, le FIPD, lui consacrera 30 millions d’euros, soit la moitié de son budget global.
Pourquoi pas si ces sommes servent efficacement les objectifs poursuivis ! Mais quels sont ces objectifs : prévention de la délinquance ou élucidation et répression ? Quelle sera la nature des faits délictueux visés par ces dispositifs ? Sur quel type de territoire ? Quelle sera la surface à couvrir ? Quelles autres mesures de sécurité accompagneront cet équipement ? Le préalable à une expérimentation de qualité permettant de tirer de réelles et incontestables conclusions n’est pas au rendez-vous, ce que je regrette compte tenu des sommes concernées. J’estime, en effet, que nous en sommes encore au stade de l’expérimentation en la matière.
Sans entrer dans le débat.sur l’efficacité ou non de ces dispositifs de vidéosurveillance, je souhaite rappeler qu’une étude menée chez nos voisins britanniques – par Éric Heilmann, en 2003 – a fait apparaître tout à la fois une diminution, une stagnation, et même une augmentation de certains types d’infraction, et non des moindres – homicides, crimes sexuels, agressions violentes, délits liés à l’usage des drogues, des véhicules ou à l’atteinte à la paix publique – dans des zones équipées de vidéosurveillance. Ne nous gargarisons donc pas de chiffres généraux sur lesquels nous n’avons aucun recul, notamment en termes de déplacement éventuel de la délinquance hors des champs des caméras ou de l’apport d’autres dispositifs concomitants, y compris humains, ayant participé à une modification de la délinquance.
La vitesse et l’ampleur avec laquelle vous vous saisissez de ces moyens techniques me font craindre qu’il ne s’agisse d’abord pour le Gouvernement de mettre en œuvre, dans le domaine de la sécurité, la politique dogmatique de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, sans se poser au préalable la question de ses missions. Or il faudrait plutôt viser de réels objectifs d’efficacité.
Madame le ministre, en l’état actuel de notre méconnaissance de l’efficacité de la vidéosurveillance, il me semble préférable de concentrer les crédits sur le recrutement de personnel pour des missions couvrant des périmètres plus étendus qu’une caméra et apportant une véritable plus-value sociale.
À ce titre, je suis très inquiète de la baisse annoncée des effectifs de la police et de la gendarmerie, qui se traduira, d’ici à 2011, par la suppression d’environ 7 000 emplois : 4 000 pour la police et 3 000 pour la gendarmerie, laquelle joue pourtant un rôle essentiel dans le maintien d’un maillage territorial jusque dans les zones les plus rurales.
Le recentrage de l’activité des gendarmes sur leur corps de métier s’accompagne du renforcement des personnels civils de la gendarmerie, leur nombre devant passer d’environ 2 000 à environ 5 000 d’ici à 2013. L’opération pourrait être perçue comme un système de vases communicants, avec un bilan quantitatif finalement neutre, presque satisfaisant. Cependant, il faut se rappeler, tout d’abord, que les besoins de création de postes étaient estimés à 7 000 pour la période 2003-2007, mais que seulement 6 050 ont été dotés. J’ajoute que l’année 2008 s’est soldée par la suppression de 965 emplois et que les périodes considérées dans les deux cas ne sont pas les mêmes.
C’est dire que le compte n’y est pas ! Il y est même d’autant moins que la présentation stratégique annuelle de performances fait état d’un renforcement des activités auprès d’une population qui continuera d’augmenter dans la zone de responsabilité de la gendarmerie nationale. Cette dernière est, de surcroît, confrontée à des risques croissants : émergence de nouvelles formes de criminalité, progression des violences, radicalisation de la menace terroriste.
Et la livraison de nouveaux établissements pénitentiaires fera peser en zone urbaine des charges supplémentaires sur les gendarmes.
Vous comprendrez, madame le ministre, que ces perspectives m’amènent à m’interroger quant à la possibilité de maintenir un équilibre raisonnable et équitable sur l’ensemble du territoire, notamment hors des centres urbains. D’autant que, malgré les efforts consentis en matière de rémunération des gendarmes, notamment par le biais du PAGRE rénové, d’autres besoins semblent oubliés.
Le statut militaire des gendarmes, auquel nous sommes tous attachés, comporte l’obligation d’occuper un logement de fonction. Sur ce point, je regrette de constater la vétusté générale des locaux d’habitation, comme des casernes de gendarmerie. La remarque vaut pour le territoire que je représente, mais aucune raison objective ne me laisse penser que la communauté de brigade dudit territoire puisse être brimée par rapport aux autres.
Comment croire à une réelle volonté de maintenir un maillage territorial fort dans nos zones rurales devant une telle baisse des crédits par rapport à 2008 ? Ne faisons pas semblant d’ignorer que les projets de restructurations, rénovations ou constructions immobilières pour les petites structures, celles qui comptent moins de quarante gendarmes et sont implantées dans les zones rurales, font l’objet d’une décision unilatérale de transfert de la charge d’investissement aux collectivités locales.
Le retard pris pour le vote de la LOPPSI interdit aux collectivités locales concernées par un tel programme d’avoir ne serait-ce que le choix du montage juridico-financier d’un tel projet. Sans report ni délai complémentaire, celles-ci doivent, pour les programmes autorisés en 2007, s’engager avant le 31 décembre 2008 à réaliser un équipement répondant à un cahier des charges lourd et extrêmement précis. La maîtrise d’ouvrage leur est déléguée par l’État, selon la circulaire du Premier ministre et le décret 93-130 du 28 janvier 1993, qui prévoit une subvention généreuse de 18 %, un montant de travaux plafonné hors terrains et viabilisation et un loyer de 6 % invariable pendant neuf ans, calculé sur les bases locatives des domaines.
Ce qui reste à la charge des collectivités concernées, ce ne sont ni 10 %, ni 15 %, ni même 20 % : c’est plus encore, et ce pour le compte d’une compétence d’État !
D’autres montages plus favorables aux collectivités, de type partenariat public-privé ou bail emphytéotique avec l’État, sont devenus inenvisageables, puisque la LOPSI qui les autorisait est caduque. Ne peut-on espérer, à tout le moins, que l’État libère les collectivités de délais que lui-même ne tient pas, à défaut de prévoir un budget adapté aux besoins ?
Madame le ministre, mes doutes quant au maintien à long terme du maillage territorial de la gendarmerie nationale, dans des unités territoriales dotées d’effectifs suffisants et de locaux de travail et d’habitation au moins décents, sans même oser le mot « confortables », sont tout autant entretenus par le projet de budget dont nous discutons aujourd’hui que par le projet de loi visant au rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l’intérieur.
Dans ces conditions, vous ne serez pas étonnée que nous ne votions pas ce budget.