Monsieur le président, des circonstances exceptionnelles m’obligent à me faire aujourd'hui le porte-parole de Jean-Etienne Antoinette, retenu en Guyane par une crise sociale d’une haute gravité. Je vous ferai donc part des propos qu’ils souhaitaient tenir à cette tribune.
Oui, en Guyane, département de la République française, la paupérisation à une vaste échelle a conduit les citoyens dans la rue. Tous les points stratégiques de circulation sont soumis à leur contrôle, certes de manière pacifique, mais avec une détermination qui demande à être entendue au plus haut niveau de l’État.
Le coût du carburant – le plus cher du monde à la pompe ! – a été le facteur déclencheur. Mais, au-delà, la Guyane, enclavée par rapport aux circuits commerciaux, subit bien plus les séquelles de son passé de colonie sous-équipée et sous-développée.
Ce sont les termes des échanges commerciaux qui sont aujourd’hui sur le banc des accusés, avec des monopoles démesurés et des denrées de base dont les prix, qui atteignent jusqu’à deux ou trois fois les prix nationaux, sont devenus insupportables pour les ménages tant ils sont élevés.
Ce sont aussi les transferts de compétences non accompagnés des moyens appropriés ou le reliquat de moyens, même conventionnés, qui n’est transféré en partie qu’après des délais intolérables, au même titre d’ailleurs que les transferts réglementaires constituant l’essentiel des recettes des collectivités.
Justement, ces recettes sont structurellement déficitaires, non seulement en raison des surcoûts du fonctionnement et des investissements des collectivités territoriales dans le contexte d’enclavement de la Guyane, mais aussi parce que le potentiel fiscal propre de cette dernière est soit non optimisé dans les secteurs spatial et environnemental, soit faible, voire inexistant, pour les petites communes, tandis que les communes de plus de 10 000 habitants reçoivent des dotations de fonctionnement inférieures à celles de la métropole.
Alors, puisqu’à situation exceptionnelle il convient d’apporter des réponses exceptionnelles, je me suis permis d’utiliser la tribune de la Haute Assemblée afin non seulement de faire entendre la voix de la Guyane, mais aussi en espérant que, dans cette situation, l’écoute et la solidarité de la nation puissent le cas échéant s’exprimer à travers une mission parlementaire capable de donner un avis autorisé et d’envisager des issues pérennes à une problématique de fond. La crise déclenchée par le prix du carburant n’est en effet que symptomatique de fractures sociales de plus en plus insoutenables pour la population de ce département; fractures que les crédits de la mission « Outre-mer » pour 2009 ne réduiront pas, bien au contraire !
Le Gouvernement se félicite d’une augmentation de 12 % du budget de cette mission – 9 % pour les crédits de paiement –, en la présentant comme la traduction de son intérêt tout particulier pour nos territoires dans une période de rigueur budgétaire nationale.
Vu ainsi, les ultramarins pourraient apparaître comme les enfants chéris et privilégiés de la nation, alors qu’ils ne sont demandeurs que d’une place juste et équitable au sein de la République.
Or, loin d’être la préfiguration d’une politique volontariste de développement économique ultramarin, que la future LODEOM devrait traduire, le budget pour 2009 est essentiellement un budget de régularisation comptable pour les arriérés d’impayés de l’État envers les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux. Cela doit être dit.
Par ailleurs, si j’examine les deux programmes de la mission outre-mer à l’aune des deux finalités énoncées du budget de la nation, le bien-être social et l’efficacité économique, je continue véritablement à m’inquiéter de l’évolution prochaine de nos territoires dans un contexte de récession mondiale.
En effet, si le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » a pour finalité le bien-être social, alors ni les crédits pour le logement, simple effort de mise à jour comptable, ni le provisionnement pour l’aménagement du territoire, relevant d’obligations contractuelles pluriannuelles, ni le désengagement amorcé de l’État sur le financement de la continuité territoriale, déjà compromis, entre autres choses, par le prix du carburant, ni la baisse de plus de 6 % des crédits de l’action sanitaire et sociale, pourtant fusionnée avec la culture et le sport, ne sont à la mesure des enjeux sociaux auxquels nous devons faire face.
Et je ne parle pas des conséquences sur l’outre-mer des décisions budgétaires de droit commun à l’échelle nationale, comme la diminution des crédits de la politique de la ville ou de ceux qui sont consacrés à l’intégration des migrants, ou encore la suppression – pardon, il faut dire le « transfert » ! – des 3 000 postes d’enseignants spécialisés des RASED. Sait-on par exemple qu’en Guyane, où l’éducation devrait être une priorité fondamentale, ces équipes précieuses sont en sous-effectif chronique et ne peuvent déjà pas accueillir tous les enfants qui leur sont signalés, enfants ne parlant pas le français, enfants scolarisés tardivement sur le territoire, enfants de familles acculturées ou en détresse sociale et économique, enfants sans parents connus des autorités, pour ne citer que ces situations qui ne sont pas nécessairement les pires ?
S’agissant de l’efficacité économique, si le budget pour 2009 du programme 138 en était un exemple, les réformes proposées en matière de fiscalité et d’exonérations se seraient appuyées sur les principes élémentaires de pertinence, d’opportunité, de cohérence, d’efficacité et de transparence.
Or, qu’en est-il ? Le Gouvernement veut plafonner des avantages fiscaux destinés à booster l’investissement productif dans les territoires d’outre-mer français en plein début de récession économique. Où est la pertinence ?
Le Gouvernement nous demande de croire a priori dans l’adéquation entre l’article 65 rattaché du budget pour 2009 et la future LODEOM, dont on n’est même pas en mesure de nous dire précisément et avec certitude quand elle sera réellement examinée, mais dont on sait déjà que l’examen fera débat ! Où est la cohérence ?
Le Gouvernement a reconnu lui-même les effets positifs de la défiscalisation et des exonérations sur les économies et sur l’emploi en outre-mer toutes ces dernières années. Cependant, face aux demandes pressantes d’évaluation ex ante de ses inquiétantes réformes annoncées, il nous demande d’avoir la foi dans ses certitudes autoproclamées ! Où est le gage d’efficacité?