Monsieur le ministre, le caractère d’urgence que vous appliquez à une trêve des combats à Gaza est sans doute bienvenu, mais risque d’occulter les responsabilités de longue durée à l’origine de ce conflit. À cet égard, permettez-moi de considérer que la lucidité dont vous vous prévalez est à courte vue.
Le Hamas, dont les positions sont ce qu’elles sont, mais qu’il n’est pas besoin de partager, a, faut-il le rappeler, gagné les élections de 2006 au Conseil législatif palestinien, élections démocratiques et internationalement contrôlées.
Il n’a pas été tenu compte du verdict des urnes, même pour tenter de responsabiliser le Hamas. Ce dernier a été récusé par Israël et par la communauté internationale, étant considéré comme une organisation terroriste.
Cependant, la connaissance que nous avons du Hamas par le biais de bons experts montre que ses positions peuvent évoluer ; elles ne sont pas toujours celles que la presse présente de manière caricaturale. Mon propos se fonde sur le programme électoral et les déclarations politiques d’Ismaël Haniyeh, qui fut un temps Premier ministre.
Vous-même, monsieur le ministre, ne voulez pas avoir de contact direct avec le Hamas et entendez recourir au canal d’autres États. Ce n’est pas une position courageuse. On ne peut pas attendre d’un adversaire qu’il se conforme à vos vues pour négocier avec lui. En réalité, vous appliquez le boycott décidé par Israël et par les États-Unis.
Cette absence de contact n’est pas seule en cause. La victoire électorale du Hamas n’a pas été un coup de tonnerre dans un ciel bleu ; elle fut elle-même le fruit d’un long pourrissement. Dois-je rappeler que la conférence de Madrid, en 1992, de même que le processus d’Oslo, ont soustrait le problème israélo-palestinien à la compétence du Conseil de sécurité de l’ONU ? Il n’a plus été question, ensuite, d’une conférence internationale organisée sous l’égide de l’ONU.
Le processus d’Oslo s’est étiré sur de longues années, plus encore après l’assassinat d’Itzhak Rabin puis l’élection de M. Netanyahu, en 1996, ainsi que la médiation trop tardive du président Clinton, en fin de mandat, à l’été 2000 et au début de 2001.
Après l’éclatement de la deuxième Intifada, le président de l’Autorité palestinienne, qui était alors Yasser Arafat, a été diabolisé. Son successeur, Mahmoud Abbas, pourtant animé d’intentions pacifiques, a été décrédibilisé par la poursuite de la colonisation israélienne en Cisjordanie, où l’étendue des implantations a été multipliée par trois, sinon par quatre, depuis la signature des accords d’Oslo.
La conférence d’Annapolis a été un échec, la mission du Quartet et de son envoyé spécial, M. Tony Blair, une farce. Tout s’est passé comme si la volonté politique d’appliquer les accords d’Oslo, dans l’esprit des résolutions de l’ONU qui prévoyaient la création d’un État palestinien viable, avait tragiquement fait défaut. Je ne prétends pas que certains n’étaient pas sincères, mais en tout cas tous ne l’étaient pas.
Naturellement, l’envoi de missiles, même rustiques, sur Israël à partir de la bande de Gaza est une agression susceptible de frapper des innocents, une violation du droit international, mais le blocus de Gaza et le refus d’Israël d’appliquer les clauses de l’accord de cessez-le-feu étaient eux-mêmes illégaux et affectaient des populations sans défense.
Les roquettes palestiniennes ne suffisent pas à légitimer l’offensive menée par Israël contre 1, 5 million de réfugiés concentrés dans un espace grand comme la moitié du Territoire de Belfort, soit environ 360 kilomètres carrés, qui a déjà fait plus de 1 000 morts et de 4 000 blessés.
Dans l’immédiat, le Gouvernement français et le Président de la République ont bien fait de chercher à réunir les conditions d’une trêve par le canal de l’Égypte pour sécuriser la frontière entre ce pays et la bande de Gaza. Cependant, monsieur le ministre, la France doit voir plus loin et garder une parole libre, franche et sans faux-fuyants, pour créer les conditions d’une réconciliation entre les Palestiniens eux-mêmes, préalable à une négociation loyale visant à l’instauration d’un État palestinien viable.
Il appartient à la France d’exercer son influence pour amener le président Obama à inverser l’ordre des priorités qu’il a énoncées et à mettre en tête de son ordre du jour l’enclenchement d’une négociation israélo-palestinienne plutôt que le renforcement des troupes de l’OTAN en Afghanistan.
Le problème de Gaza, comme l’a dit le Président de la République, est un problème mondial, une manifestation insupportable de l’existence d’un droit international à deux vitesses. Il faut faire tomber la pression dans l’ensemble du monde arabo-musulman : c’est un préalable indispensable, une question de bon sens ! C’est ainsi que l’on asséchera le terreau du terrorisme et que l’on créera les meilleures conditions d’une normalisation avec l’Iran, d’un retrait pacifique des troupes américaines d’Irak et d’une solution politique du problème afghan.
Comme l’a dit un chercheur que vous connaissez sans doute, M. Dominique Moïsi, le problème israélo-palestinien est devenu la matrice des relations internationales. Comprenons-le avant qu’il ne soit trop tard. La négociation avec l’ensemble des Palestiniens est dans l’intérêt de tous les peuples, y compris celui d’Israël. La sécurité à long terme de ce dernier est commandée par la normalisation de ses relations avec tous ses voisins, et plus généralement par la modernisation du monde arabo-musulman. Cette négociation est également dans l’intérêt de la paix et dans celui de la France, dont le projet d’Union pour la Méditerranée ne peut réussir qu’à cette condition.
Nous attendons, monsieur le ministre, de la part du Gouvernement français, moins de faux-fuyants et moins d’expressions biaisées. Vous semblez surpris par mes paroles, mais vous avez fait la déclaration suivante dans les colonnes du quotidien Le Parisien-Aujourd’hui en France, le 11 janvier : « Le Hamas représente quelque chose dans le peuple palestinien, il est donc indispensable que certains aient des contacts avec eux. » Pourquoi pas nous ?
La liberté de parole et d’action de la France sera également le plus sûr moyen de faire reculer la tentation d’importer sur notre sol le conflit du Proche-Orient et les haines fanatiques qu’il suscite. La République est une exigence dans l’ordre intérieur – M. Cambon a parlé de la laïcité –, mais c’en est aussi une dans l’ordre extérieur ! C’est l’exigence d’une parole juste et libre.