Intervention de Bariza Khiari

Réunion du 14 janvier 2009 à 21h30
Situation au proche-orient — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Bariza KhiariBariza Khiari :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les propos de Mmes Monique Cerisier-ben Guiga et Josette Durrieu, dont je partage les analyses et les préoccupations. Chacune d’entre elles a traité un aspect de cet horrible conflit, qui touche de manière massive les populations civiles. Pour ma part, je m’attacherai à en décrire les conséquences sur le plan intérieur, en m’intéressant à la manière dont il affecte notre nation.

Notre pays connaît une période de tensions fortes, marquée d’actes condamnables et odieux : tombes et synagogues profanées, personnes des deux communautés prises à partie. Ainsi, dans ma circonscription, deux lycéens d’origine maghrébine du lycée Janson-de-Sailly – c’est le lycée où sont scolarisés mes enfants – ont été agressés parce qu’ils ont refusé des tracts distribués par une organisation de soutien à Israël.

J’ai parfois le sentiment qu’émergent désormais des musulmans et des juifs plus que des citoyens. Cette situation donne l’occasion à certains d’utiliser des référentiels identitaires comme mots d’ordre politiques, en expliquant que l’universalisme républicain ne serait plus un modèle. Cela représente aujourd’hui un réel danger.

Mais cette importation présumée du conflit sur notre territoire ne doit pas nous leurrer. La République est mise à mal non pas par un éventuel réveil du religieux et de l’ethnique, mais par la désagrégation du lien social. Certaines personnes se sentent exclues, et la frustration qu’elles ressentent trouve un écho dans celle des populations palestiniennes. À l’occasion de ces malheureux événements, une telle identification par la relégation et l’injustice offre un exutoire dans un combat de substitution, à travers une explosion de colère.

Nous l’avons vu lors des manifestions qui se sont déroulées dans toute la France, d’autres jeunes se mobilisent désormais dans le cadre d’une citoyenneté active. C’est nouveau. Il ne faut sous-estimer ni leur indignation ni leur frustration.

Aussi est-ce une réponse politique au Proche-Orient et une réponse sociale en France qu’il faudra apporter.

Au sujet de sa judéité, Raymond Aron déclarait ceci : « Je suis Français, citoyen français, et je reste en fidélité avec la tradition qui m’a porté. » Je fais mienne cette citation. Les identités multiples nous concernent tous. Nombre de Français de confession juive se sentent préoccupés par la sécurité d’Israël. Issue moi-même de la culture arabo-musulmane, je vis, comme d’autres, avec le problème palestinien inscrit dans ma conscience politique. Ce conflit se transmet maintenant de génération en génération et contribue à forger une « identité tragique » des deux côtés. Il existe un terreau commun en dépit des différences, ne laissons pas nos enfants grandir dans la haine de l’autre.

Pourquoi évoquer nos enfants ? Parce que nous avons les plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe. Aussi nous devons-nous d’être attentifs à ne pas faire de différences entre les communautés et, surtout, à ne pas confessionnaliser ce conflit.

Dans ce contexte, que penser de la convocation des seuls Conseil représentatif des institutions juives de France et Conseil français du culte musulman au ministère de l'intérieur ? Une telle question est politique, et non religieuse. C’est un conflit géopolitique avec lequel interfère le phénomène religieux, et non l’inverse. Le prisme religieux donne une coloration spécifique, ne la rendons pas exclusive. En d’autres termes, ne passons pas une fois encore à côté du conflit en posant la mauvaise question.

Dès lors, la situation appelle une réaction forte et immédiate de condamnation des actes, puis une réflexion et une action des pouvoirs publics sur le long terme, dans quatre domaines principalement : la lutte contre l’exclusion sociale et les discriminations, qui – on ne le dira jamais assez – sont des morts sociales ; la nécessaire promotion, sur le plan républicain, de l’égalité et de l’équité ; une pro-activité gouvernementale sur la question du Proche-Orient ; une évolution du traitement de l’islam et du monde musulman par les médias.

Sur le terrain social, dans le contexte actuel de crise, il faut porter une attention particulière aux populations issues de l’immigration, montrer que l’État est attentif à faire en sorte que leur souffrance soit semblable à celle des autres, c'est-à-dire ni plus ni moins grande, et ne pas relâcher la lutte contre les discriminations.

Sur le terrain de la République, islamophobie et antisémitisme sont les deux faces d’une même médaille. Frantz Fanon disait : « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille : on parle de vous. »

Dans notre République, toute insulte communautaire est une insulte à l’ensemble de la communauté nationale. Toute profanation de mosquée, de synagogue, d’église ou de tombe est une atteinte à la République, à notre lien social, à notre nation. Doit-on instaurer une hiérarchie dans l’indignation en mobilisant plus de moyens dans un cas que dans un autre ? Non ! Il est important de faire preuve d’équité dans la compassion, sous peine d’aider au développement d’un sentiment d’injustice. Il y va de la cohésion nationale.

La République que je soutiens, c’est celle qui traite ses enfants de manière égale. Dans ce domaine, ce n’est pas toujours le cas. Nous l’avons vu lors de la profanation des tombes musulmanes du cimetière militaire de Notre-Dame-de-Lorette, perpétrée à l’occasion de la plus importante fête canonique musulmane : la République a été absente.

En tant que républicains, nous avons plus que jamais l’obligation de promouvoir la laïcité, cet espace de concorde qui nous permet de vivre ensemble au-delà de nos différences.

Sur le terrain de l’action des pouvoirs publics, pour éviter d’importer le conflit, il faut d’abord le déconfessionnaliser et, surtout, le politiser. Cela a été souligné par plusieurs intervenants.

Une telle démarche exige par exemple de juger les actes, et non les acteurs, et de mettre à bas la « bien-pensance » qui immobilise nos élites de tous bords.

Juger l’armée israélienne ou le Hamas, ce n’est pas être antisémite ou islamophobe, c’est s’appuyer sur des faits et des données pour établir des responsabilités. Je réclame le droit à l’objectivité et à l’analyse sans être taxée d’antisémitisme. Le terrorisme intellectuel a vécu !

À ce titre, monsieur le ministre, la France, patrie des droits de l’homme, doit être au premier rang pour condamner l’impossibilité d’entrer dans la bande de Gaza pour les convois humanitaires et pour la presse, laquelle ne peut rendre compte de la situation, ce qui alimente toutes les rumeurs, ni établir la vérité, gage de la paix sociale. Comment peut-on laisser aussi silencieusement le gouvernement israélien bafouer le droit ?

Cela veut-il dire que la France ne commencera à s’inquiéter que lorsque l’armée israélienne emploiera des moyens encore plus terribles ? La diplomatie n’empêche pas la fermeté. On est davantage pris au sérieux quand on est ferme. De surcroît, au moment où les populations civiles de Gaza sont sous les bombes, la Cisjordanie est témoin d’une colonisation massive. Doit-on l’oublier et jouer ainsi le jeu du gouvernement israélien actuel, en obérant les possibilités de paix futures ?

Comme cela a été souligné dans le débat, les armes se tairont peut-être après l’investiture du président Obama. En attendant, combien de morts civils, de femmes ou d’enfants tués dans cette prison à ciel ouvert qu’est Gaza ?

Les poètes Mahmoud Darwich et Edward Saïd me manquent. « Même le soleil ne se lève plus à Gaza sous les bombes. » En guise de lumière, ses habitants ont celle des bombes au phosphore blanc…

Monsieur le ministre, vous qui êtes le promoteur, le chantre du droit d’ingérence quand des atrocités sont commises, permettez-moi de vous interpeller : ce droit serait-il valable partout dans le monde, sauf pour le conflit israélo-palestinien ?

Nous avons le devoir de réagir avec intelligence, parce que des populations qui sont marquées par ce conflit vivent sur notre territoire. À ce titre, le rôle des médias dans la représentation tant des différentes communautés que du conflit est essentiel.

Rappelons une évidence : le processus de mondialisation concerne également l’information, ce qui fait que nos concitoyens ont accès aussi bien à internet qu’à des journaux étrangers. Ils déconstruisent l’information et portent de plus en plus un regard critique sur la manière dont les médias en France rendent compte du conflit. Le souci d’un traitement sobre, sans parti pris, doit animer les rédactions de l’ensemble de nos médias.

De manière plus générale, comme je l’ai déjà dit lors du débat sur l’audiovisuel public, je m’insurge contre le traitement de l’islam par les médias. Il est tout simplement révoltant que l’on invite à discourir sur l’islam à une heure de grande écoute des personnes ne parlant ni l’arabe ni le français – je les qualifierai d’ « analphabètes bilingues » – ou des wahhabites intransigeants, alors que nombre d’intellectuels, musulmans ou non, sont tout aussi capables d’évoquer cette question.

Quand on parle de l’islam dans ces termes, c’est de moi que l’on parle ! On méprise le téléspectateur, on renforce une vision stéréotypée sans montrer la diversité de la pratique et la réalité de cette religion, qui relève du socle abrahamique, comme le christianisme et le judaïsme. Pire, on conforte aussi bien l’islamophobie que l’islamisme radical dans leurs certitudes, ce qui peut jouer un rôle dans une éventuelle importation du conflit.

Je veux saluer ici toutes les organisations qui œuvrent pour la paix, notamment les organisations féminines composées de femmes palestiniennes et israéliennes, en particulier la Coalition des femmes pour une paix juste, la Coalition des pacifistes israéliens pour Gaza et le Collectif des femmes en noir, que nous avons rencontré au Sénat grâce au groupe CRC-SPG. Il faut du courage, dans cette région du monde, pour faire la paix, et ces femmes en ont.

Je conclurai, monsieur le ministre, en disant que la violence conduit à l’impasse.

Si les causes à l’origine de la violence dans cette région du monde ne sont pas traitées dans un processus raisonné, nous finirons inévitablement par être atteints. C’est pourquoi il nous faut continuer inlassablement, d’abord pour ceux qui subissent cette violence, ensuite pour nous-mêmes, à faire preuve d’exigence avec nos amis des deux bords, en tenant un discours de vérité et de courage.

Pour que le courage fasse école, monsieur le ministre, il faut que, sur cette question, la peur nous quitte. De part et d’autre, nous devons dépasser les réactions émotionnelles que nos origines nous imposent, pour ne voir que la justice et le droit.

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