Intervention de Bernard Kouchner

Réunion du 14 janvier 2009 à 21h30
Situation au proche-orient — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Bernard Kouchner, ministre :

… tout comme le peuple palestinien.

Une fois qu’on a dit cela, peut-on s’en satisfaire ? Non.

Israël veut-il une trêve ? Je pense – je le dis avec beaucoup de précaution – que celle-ci est en train de se dessiner, car elle est exigée par tous. Interviendra-t-elle à court terme ? à moyen terme ? Je n’en sais rien. Je fais tout pour qu’elle puisse être instaurée au plus vite.

Monsieur Christophe-André Frassa, vous avez évoqué la protection des Français à l’étranger. Je sais que c’est chaque fois très difficile, mais les efforts sont exactement les mêmes que ceux que nous avions faits au Liban, dont vous avez également parlé.

Je commencerai par une évidence : les Français dont vous parlez sont pour la plupart des Franco-Israéliens qui se considèrent comme protégés par l’État d’Israël et non par la France. Si néanmoins d’autres devaient être recensés par le consulat ou l’ambassade, comme ce fut le cas au Liban, le système d’alarme mis en place serait en tout point semblable. Cependant, la situation n’est pas la même : au Liban, les Français comptaient sur la France beaucoup plus que ne le font les Franco-Israéliens, même si, bien évidemment, nous reconnaissons à ces derniers les mêmes droits.

Notre système n’est pas si mauvais que cela. Comparée aux autres pays, la France protège beaucoup mieux ses ressortissants, et je ne parle pas seulement des enlèvements ou des prises d’otage : je parle de la réalité des protections sur le terrain.

Je connais le nombre des Français établis dans ce pays, mais vous avez raison, étant leur représentant, de soulever cette question ; je rappelle toutefois que 99 % d’entre eux sont des binationaux.

Nous avons évacué la plupart des Français de Gaza, avec l’autorisation à la fois d’Israël et de l’Égypte. Trois ont voulu rester, et c’est tout à fait leur droit ; nous n’allons pas les obliger à partir ! Ce sont bien sûr, essentiellement, des Franco-Palestiniens.

Madame Bariza Khiari, je vous remercie de nouveau. J’ai été très ému par votre intervention, par votre manière de nous faire sentir le profond déchirement que représente pour chacun d’entre nous, même s’il n’est ni juif ni musulman, cette injustice faite au peuple palestinien pour en réparer une autre, elle-même immense.

Ce conflit s’inscrit dans la conscience de chacun, vous avez raison de le souligner. Oui, nous avons les plus importantes communautés musulmane et juive d’Europe. Je trouve admirable le travail mené par les organisations communautaires pour empêcher les affrontements et pour exiger au contraire qu’il y ait un dialogue. Celui-ci est généralement respecté dans notre pays, même si se sont produits des dérapages, que nous condamnons complètement. Je suis d’accord avec vous : ne « confessionnalisons » pas ce conflit.

Le ministre de l’intérieur, dites-vous, n’a reçu que le CRIF. Je l’ignorais.

J’ai retenu de votre intervention cette phrase de Frantz Fanon : « Quand on dit du mal d’un juif, dressez l’oreille, on parle de vous. » Mais, si Frantz Fanon avait sur la violence un discours que nous avons apprécié à une certaine époque, depuis, nous avons réfléchi.

Je ne peux qu’approuver vos propos sur la laïcité : on peut bien sûr juger Israël ou le Hamas sans être antisémite ou islamophobe.

Quant au manque de fermeté de la diplomatie en matière de droits de l’homme, le reproche est toujours beaucoup plus facile à formuler quand on n’a aucune responsabilité en ce domaine ! S’il est très aisé d’attaquer la diplomatie, il est beaucoup plus difficile de faire mieux qu’elle. En France, comme en Europe, comme partout dans le monde, certains s’engagent, d’autres moins, et vous trouverez toujours des fonctionnaires plus actifs que d’autres…

Vous dénoncez, sans doute à juste raison, la couverture journalistique du conflit. Mais qui ne laisse pas entrer les journalistes à Gaza ? Israël ! C’est une erreur profonde ! Israël nous avait habitués à mettre les journalistes au premier rang, leur attribuant même un officier pour leur permettre d’aller où ils voulaient. On se plaint ensuite que les seules images disponibles proviennent du Hamas ; mais il est impossible d’en obtenir d’autres, à l’exception de celles que peuvent fournir les quelques rares journalistes qui se trouvaient déjà sur place !

Vous avez évoqué le droit d’ingérence. Être ministre des affaires étrangères, ce n’est pas être un militant, ni même un inventeur du droit d’ingérence – désormais accepté par toutes les nations, par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies – devenu responsabilité de protéger ; c’est avoir choisi d’exercer des responsabilités un peu plus larges que celles des droits de l’homme.

En effet, je le répète avec beaucoup de précaution, confondre les attitudes militantes, celles qui sont propres à la société civile, avec les responsabilités gouvernementales – même s’il est bon d’avoir en permanence les droits de l’homme au cœur pour mieux les défendre –, m’apparaît comme une obligation de démission permanente, et je parle devant Jean-Pierre Chevènement, qui est un orfèvre en la matière. Cela n’est pas possible.

Le droit d’ingérence, c’est-à-dire la responsabilité de protéger les populations, doit à mon avis s’exercer à titre préventif. Sinon, c’est toujours trop tard. Venir avec l’Organisation des Nations unies pour tenter d’arrêter les combats quand ils font rage, ce n’est ni suffisant ni satisfaisant.

Dans mes fonctions actuelles, sous la direction, bien sûr, du Premier ministre et du Président de la République, j’essaie d’appliquer au mieux cette responsabilité de protéger. C’est de plus en plus difficile, et non pas seulement en Israël. Ainsi, au Darfour, la responsabilité de protéger est bafouée tous les jours, personne ici ne le niera.

Être militant est tout à fait légitime, et c’est nécessaire. Appliquer le droit et la justice, c’est ce que je m’efforce de faire. C’est extrêmement imparfait, et j’en reconnais moi-même les limites. Il m’arrive même de me poser des questions à propos de ces limites.

Madame Alima Boumediene-Thiery, être en empathie avec les populations civiles, c’est ce que j’ai fait toute ma vie, et je continue de le faire. J’ai travaillé à l’hôpital Shifa de Gaza, je connais bien cette région et la nécessité d’être aux côtés des populations. Mais, à ce point du conflit, un cessez-le-feu doit absolument intervenir ! Il s’agit de l’obtenir au plus vite, et cela relève bien de la responsabilité politique.

Sans faire, comme vous l’avez dit, madame Alima Boumediene-Thiery, la politique de l’autruche, je m’efforce d’être efficace dans une situation qui exige avant tout que cesse cette guerre. Après, nous verrons.

Quel autre choix le Conseil de sécurité pouvait-il faire pour la résolution ?

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