Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, parmi les missions que le bureau du Sénat a confiées à l'Observatoire de la décentralisation figure le suivi du respect des principes financiers indispensables à la réussite de la décentralisation. À cet égard, je tiens à remercier la conférence des présidents et la commission des finances, notamment son président, de m'avoir convié à participer à ce débat sur les recettes des collectivités locales et de me permettre ainsi de m'exprimer à ce sujet.
Trois principes sont nécessaires à la réussite de la décentralisation : d'abord, l'autonomie financière des collectivités locales ; ensuite, la juste compensation des transferts de compétence - nous savons maintenant comment les collectivités territoriales peuvent se situer en la matière, et je salue le travail réalisé par notre collègue Jean-Pierre Fourcade et par la commission consultative sur l'évaluation des charges, qui ne s'était jamais réunie dans le passé, me semble-t-il ; enfin, la péréquation.
L'Observatoire de la décentralisation cherche à être aussi impartial que possible : il dit ce qui va et ce qui ne va pas. Ce qui va, ce sont notamment nos principes constitutionnels, qui offrent d'importantes garanties aux collectivités. Nous les avons votés pour mettre fin à plusieurs années de mise à mal de la décentralisation.
Mais, messieurs les ministres, il y a la loi, et l'esprit de la loi ; c'est sur le respect de cet esprit de la loi que le bât blesse, bien souvent.
Ainsi, concernant l'autonomie financière des collectivités territoriales, garantie par la Constitution et par une loi organique, en transférant aux départements et aux régions des impôts partagés avec l'Etat, le Gouvernement respecte la lettre de la loi organique. Toutefois, chacun sait que la véritable autonomie fiscale réside dans le fait de pouvoir voter un taux d'imposition. Je note que le Gouvernement est en voie de réussir la régionalisation d'une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Il a obtenu l'accord de l'Union européenne, et il faut l'en féliciter.
Mais, dans le même temps, il renonce à permettre aux départements de moduler le taux de la taxe sur les conventions d'assurance, qui va notamment remplacer, vous le savez, la vignette. L'assiette de cette taxe est dynamique. Cette recette sera sans doute meilleure qu'une dotation, et meilleure qu'une vignette qui était moribonde depuis 2000, mais l'autonomie n'y trouvera pas son compte.
Certains départements avaient complètement supprimé la vignette, notamment par souci d'équité puisque l'Etat n'assurait plus un recouvrement généralisé de cet impôt. Ils ne recevront qu'une compensation symbolique, qu'ils ne pourront plus jamais augmenter de façon significative. Et les départements subiront seuls les conséquences du manque à gagner lié au mauvais recouvrement de la vignette, du moins ce qu'il en restait, depuis 2001.
Je pourrais aussi mentionner les effets de l'allègement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties pour des milliers de communes rurales dont c'est une ressource essentielle. La commission des finances semble opposée à la suppression de cet impôt et je partage, à titre personnel, ce point de vue.
Dans l'application des réformes liées à l'acte II de la décentralisation, le Gouvernement ne parvient pas complètement à éviter l'écueil conduisant à récompenser les collectivités les moins vertueuses au détriment des plus vertueuses.
Là encore, il y a la loi, et l'esprit de la loi ! Je prendrai l'exemple emblématique du RMI. Respecter l'esprit de la loi, c'est prendre en charge le déficit subi par les départements en 2004, comme s'y est engagé notre collègue Jean-Pierre Raffarin. La Constitution ne l'y obligeait pas puisque la dépense à prendre en compte était celle de l'Etat en 2003. Mais le Gouvernement a voulu remédier au déséquilibre manifeste entre la recette et la dépense transférée.
Respecter l'esprit de la loi, ce serait aussi transférer sans plus attendre tous les personnels de l'Etat gérant le RMI, ce qui n'est pas encore fait.
S'agissant de la pénalisation des plus vertueux, je citerai l'exemple des départements qui, en 2004, ont fait l'effort de contrôler le versement du RMI et qui ont ainsi émis des titres de recettes pour recouvrer les indus. Ils verront leur compensation diminuée du montant de ces titres de recettes. D'autres départements, que je ne citerai pas - mais nous pouvons en présenter la liste et établir une comparaison - n'ont pas voulu constater ces indus ; ils n'ont donc pas émis de titres de recettes. Et parce qu'ils n'ont pas recherché ces versements indus, ils auront une compensation intégrale. Le message est ainsi paradoxal : pour bénéficier de la meilleure compensation, il ne fallait pas contrôler la dépense. À l'évidence, ce n'est pas acceptable !
Reconnaissons que cela n'encourage pas à être rigoureux dans la mise en oeuvre de cette mesure. Nous ne pouvons que partager ce constat et essayer de trouver les réponses adaptées à cette situation.
On évoque souvent les modalités de compensation du RMI et on en viendrait presque à oublier d'autres charges telles que l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA. Lors de ses premières années de mise en oeuvre, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et son ministre délégué, notre collègue Hubert Falco, ont été sensibilisés à la situation des départements dans lesquels le pourcentage de personnes âgées est largement supérieur à la moyenne nationale.
Comme il s'agit aussi, dans bien des cas, de départements ruraux à faible potentiel fiscal, un effort de péréquation avait été accompli afin que la compensation de l'Etat atteigne 50 %.
Aujourd'hui, ces mêmes départements constatent que la compensation se situe entre 35 et 37 %, alors que, dans le même temps, les dépenses de l'APA augmentent. Nous sommes, avec ce constat, à la charnière du débat sur la juste compensation des charges et sur la péréquation.
Il nous est rétorqué que l'APA est antérieure aux récentes lois de décentralisation. C'est bien là notre souci ! Aujourd'hui, au-delà de la difficulté rencontrée pour compenser les transferts de compétences, se multiplient les textes qui impliquent les collectivités locales, directement ou indirectement, sans compensation préalablement discutée.
En 2005, certaines collectivités locales ont délibérément choisi d'augmenter leurs dépenses et donc leurs impôts, c'est vrai, et l'on ne peut pas féliciter celles qui ont exagéré. Mais, pour nombre d'entre elles, l'augmentation de la dépense est largement subie.
Par exemple, une augmentation de 0, 8 % du traitement des fonctionnaires territoriaux est intervenue au 1er novembre. Elle était certainement nécessaire. Mais à quel moment les collectivités locales ont-elles été consultées à ce sujet ? Ont-elles été associées à ces négociations ?
Peut-on à la fois accuser les collectivités d'être trop dépensières - nous l'entendons dire, y compris, parfois, par des membres du Gouvernement ! - et, lors de la discussion des compensations, si souvent faire gagner celles qui augmentent le plus les dépenses et les impôts ? Je sais que cet aspect des choses ne vous échappe pas, mais il est important d'arrêter ensemble, très rapidement, des dispositions permettant de corriger cette situation.
Le troisième principe constitutionnel est la péréquation. Celui-ci apporte quelques satisfactions, même si des critiques peuvent encore être formulées. Mais vous êtes ouverts à cette démarche et la réforme de la dotation globale de fonctionnement permet d'augmenter, en 2006, les sommes dévolues à la péréquation, tant pour les régions et les départements que pour les communes rurales et les villes défavorisées. Mais il s'agit d'un sujet délicat ; il nous faut approfondir la réflexion, afin d'aller encore plus loin.
Pour que cet effort puisse être poursuivi, il est nécessaire que les concours de l'État continuent de progresser à un bon rythme. Bien évidemment, ce rythme dépend en grande partie de la croissance de l'économie française. Les collectivités territoriales sont des acteurs publics majeurs de cette croissance, notamment par l'importance de leurs investissements. Elles assurent près de 80 % de l'investissement public. Pour qu'elles puissent maintenir ce niveau d'investissement, il est nécessaire qu'elles retrouvent des marges de manoeuvre sur des dépenses de fonctionnement dont la progression leur est presque totalement imposée par des règles qui ne leur offrent aucun choix.
Messieurs les ministres, nous avons à coeur de réussir la décentralisation ; la France a besoin de cette réforme ! Il faut rouvrir le débat, car il semble se refermer, et instaurer un véritable dialogue entre les partenaires, et au premier rang l'État. Vous pouvez compter sur le Sénat pour y participer activement et positivement.