Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en France, cruel paradoxe, dès que cela va mal, le premier réflexe des gouvernants est de se tourner vers les élus locaux. C'est ainsi qu'on a entendu le Premier ministre, au cours de sa première déclaration au moment des émeutes urbaines, affirmer qu'il voulait donner aux maires plus de moyens pour faire face. C'est ainsi qu'on a entendu le Président de la République pointer du doigt les élus locaux qui ne respectaient pas la vision de l'urbanisme, sans doute indépassable, que Jean-Claude Gayssot avait inscrite dans la loi SRU.
Par conséquent, d'un côté, on reconnaît formellement le rôle de ces soutiers de la République que sont les élus locaux, parce qu'il faut bien dire que, depuis des années, faute de solution nationale, on a trop souvent renvoyé la gestion des problèmes les plus complexes à une gestion de proximité et, d'un autre côté, les élus, quelle que soit par ailleurs leur géographie territoriale ou politique, ont le sentiment d'être de véritables variables d'ajustement des décisions de l'État.
Il faut avoir la franchise de reconnaître qu'il y a en France, certes de longue date, une incompréhension persistante entre l'État et ses territoires.
Non seulement les élus sont confrontés à une avalanche de textes en tout genre qui freinent leur action, non seulement ils ont affaire à des administrés qui, tout en s'engageant de moins en moins pour la cité, sont de plus en plus exigeants, mais encore ils se retrouvent face à un État qui est souvent tenté de reprendre d'une main la liberté qu'il avait accordée de l'autre main.
Nous sommes en effet de moins en moins libres de nos dépenses, de moins en moins libres de nos ressources, et nos budgets sont de plus en plus difficiles à boucler.
Je voudrais illustrer mon propos très concrètement en parlant de ce que je connais bien : les finances départementales. Depuis près de vingt ans, j'observe l'effet de ciseaux dont elles sont victimes, quel que soit le gouvernement en place.
Dans mon département, depuis cinq ans, pour m'en tenir à la période la plus récente, les dépenses que nous n'avons pas décidées, mais que nous devons pourtant financer - et qui ne sont que très partiellement compensées - représentent une charge nette de plus de 25 millions d'euros, soit l'équivalent de vingt points de produit fiscal. Le sommet a été atteint avec l'APA, mais, pour l'exercice budgétaire 2006, tant la prestation compensatrice du handicap que le RMI ne sont que trop partiellement compensés.
S'agissant des recettes, au cours de la même période, nous avons perdu l'équivalent de 40 millions d'euros, notamment en raison du blocage des droits de mutation, de la suppression du contingent d'aide sociale intégré à la DGF, de la vignette et de la réforme de la taxe professionnelle première mouture.
Le projet de loi de finances pour 2006 prévoit-il un changement de cap ? Non, malheureusement ! Et je crois que vous en rajoutez avec la suppression de la DGE première part, de la vignette, de façon définitive, et le plafonnement de la taxe professionnelle, sans parler du « bouclier fiscal ».
L'impact de l'ensemble de ces décisions, en dépenses comme en recettes, représente sur cinq ans l'équivalent de quarante-six points de produit fiscal, ce qui est énorme. Et ce qui vaut pour un département vaut, bien évidemment, pour la plupart des autres.
La première conséquence en sera la paupérisation inexorable des collectivités, laquelle les conduira à réduire immanquablement leurs investissements ou à augmenter leur endettement. En effet, concomitamment, celles-ci maîtrisent de moins en moins leur fiscalité, en raison notamment du « bouclier fiscal » ou du plafonnement de la taxe professionnelle.
Quand les collectivités ne pourront plus investir, qui préparera l'avenir à leur place, sachant qu'elles réalisent pour leur compte plus de 70 % de l'investissement public en France ?
On assiste, depuis plusieurs années, à une remise en cause profonde de l'autonomie budgétaire et fiscale des départements et des collectivités en général. Le projet de loi de finances pour 2006 ne déroge malheureusement pas à cette règle.
Trois mécanismes attestent cette remise en cause.
Le premier d'entre eux est la déconnexion croissante entre les dépenses et les ressources, les secondes étant censées financer les premières.
Les ressources octroyées pour couvrir les transferts de charges ont toujours la même caractéristique : leur dynamisme est complètement déconnecté de celui des dépenses. Tel est le cas de la TIPP, redoutablement stable face aux dépenses du RMI, qui augmentent en moyenne de 15 % par an. Et je ne parle pas des surcoûts que vont engendrer les contrats d'avenir.
Jean-Pierre Raffarin avait mis un point d'honneur, en 2004, à compenser à l'euro près ce transfert de charges. Pourquoi ce qui était possible hier ne le serait-il pas aujourd'hui ?