Vous avez brossé un tableau idyllique du statut d’auto-entrepreneur, vous félicitant de 320 000 créations d’auto-entreprises en 2009, même si, depuis juin dernier, ce chiffre est en chute libre, et ce pour plusieurs raisons.
Six mois après la création du statut, 60 % des auto-entreprises déclaraient peu ou pas de chiffre d’affaires. Selon une étude menée par OpinionWay, le revenu des auto-entrepreneurs en 2009 était en moyenne de 775 euros par mois. L’auto-entreprise est en réalité un statut qui semble adapté, avec son chiffre d’affaires limité, au complément de revenu.
La véritable innovation du dispositif est d’ordre moins technique, comme vous tentez de le faire croire à nos concitoyens, qu’idéologique.
Selon l’étude menée par OpinionWay en novembre 2009, 10 % des auto-entrepreneurs sont des chômeurs, 13 % bénéficient des minima sociaux et 26 % n’avaient aucune autre activité. L’âge moyen des auto-entrepreneurs, selon cette étude, est de 44 ans, et les femmes en représentent seulement 40 %.
C’est principalement dans le secteur des services aux particuliers et aux entreprises que se créent les auto-entreprises.
On voit donc que l’auto-entreprise n’est pas prévue principalement pour permettre à des travailleurs de vivre de leur activité entrepreneuriale, et que, dans les faits, bien peu arrivent à dégager un revenu suffisant.
Ainsi, il faut rappeler que, en moyenne, au bout de cinq ans, 54 % des jeunes entreprises ont cessé leur activité.
Une de vos politiques visant à résorber le chômage consiste donc à inciter les chômeurs à créer leur entreprise. Dans ce cas, le chômeur a deux choix possibles.
S’il passe du statut de chômeur à celui de créateur d’entreprise, ce qui est sur le papier plus valorisant, il perd les droits attachés à son précédent statut, tout en pouvant rester pendant trois ans sans la moindre rémunération. De plus, s’il cesse son activité d’auto-entrepreneur, par exemple à la suite d’un dépôt de bilan, et se réinscrit à Pôle emploi en tant qu’entrepreneur, il n’a pas droit à des indemnités chômages.
Si, seconde possibilité, il choisit d’être en recherche d’emploi à titre principal et auto-entrepreneur à titre accessoire, ses indemnités sont diminuées à hauteur de son chiffre d’affaires.
Le statut d’auto-entrepreneur prévoit que celui-ci ne peut pas se substituer à une activité qui devrait être normalement une activité salariée. Cependant, il est avantageux pour un employeur de ne plus voir peser sur lui, le paiement des cotisations sociales patronales et les garanties liées au salariat. Ainsi, les premiers mois de bilan de ce nouveau statut montrent que des dérives ont déjà eu lieu : ainsi, des travailleurs dans la restauration, des plongeurs, ont pu se trouver embauchés sous le statut d’auto-entrepreneur.
Pour pallier le risque de requalification judiciaire, la loi du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle avait en effet introduit une présomption de non-salariat à l’égard de celui qui s’est immatriculé à la sécurité sociale en tant que travailleur indépendant. Il pourra bien se voir reconnaître le statut de sous-traitant, mais, en raison de la faiblesse des moyens dont il dispose, ce « sous-traitant » indépendant risque de se retrouver dans la position d’un simple exécutant au sein d’une activité organisée, et pourra être tenté de demander la requalification de son contrat.
La vérité est que les entreprises employeuses font en sorte que leur collaborateur soit sous statut d’auto-entrepreneur pour ne pas avoir à payer les charges. Encore du manque à gagner pour les caisses de retraite !
Le statut d’auto-entrepreneur marque une étape de plus dans cette déréglementation du marché du travail, après l’augmentation des contrats précaires et à temps partiel censés s’adapter à la flexibilité d’un marché régi par la loi de l’offre et de la demande. Le statut d’auto-entrepreneur permet non seulement d’augmenter la flexibilité par le recours à la sous-traitance, mais aussi d’externaliser les coûts sociaux liés à la main-d’œuvre.
Si les entreprises employeuses ne supportent plus ces coûts sociaux, les travailleurs seront-ils en mesure de les financer ? Nous ne nous laisserons pas prendre à l’illusion selon laquelle le statut d’auto-entrepreneur mettrait fin à la lutte des classes en permettant à l’ensemble du salariat de devenir entrepreneur !
J’ajoute que ces activités n’ont généré que 200 millions d’euros de recettes fiscales, contre un milliard d’euros prévus initialement, soit une participation nette au creusement des déficits publics. Le bilan est, au regard des chiffres, vous en conviendrez, fort mitigé.
C’est la raison pour laquelle nous demandons que les effets de ces mesures soient clairement et honnêtement évalués.