En d'autres termes, la vaste majorité des femmes reste cantonnée dans ce que certains économistes appellent le « ghetto rose » : personnel de service, emplois de bureau mal rémunérés, précarité résultant de contrats à durée déterminée, intérim, temps partiel, tous types de contrats qui contribuent au creusement de l'écart salarial et qui, de surcroît, pèsent sur le montant des pensions de retraite.
L'enjeu de l'égalité entre les hommes et les femmes ne se résume pas à la seule question du montant des salaires. Derrière ce thème se profile toute la problématique de la place effective des femmes au sein des entreprises. Comment lutter contre les maternités pénalisantes pour l'avancement d'une carrière ? Comment favoriser l'accession aux formations et aux postes à responsabilités ? Comment concilier responsabilités familiales et obligations professionnelles ?
Ne disposant que de quelques minutes et de nombreux points ayant été abordés, je me contenterai d'évoquer essentiellement le problème de la maternité. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui apporte quelques avancées dans ce domaine, mais il reste encore très insuffisant. La prise de conscience est peut-être réelle, mais beaucoup reste à faire.
La maternité ne doit pas être un handicap et ne doit plus être un frein qui pénalise les femmes dans leur parcours professionnel. Dans ce texte, pour réconcilier l'emploi et la parentalité, vous proposez d'octroyer aux patrons des PME de moins de cinquante salariés une aide de 400 euros pour faire face au remplacement d'une salariée en congé de maternité. Ainsi, l'employeur ne subit aucun manque à gagner et cette indemnité compensatrice, prise en charge par la protection sociale, sous-entend qu'employer une femme constitue une charge supplémentaire. On propose donc des incitations financières pour pallier le recrutement des femmes. Ne s'agit-il pas d'une « discrimination positive » ?
Nicole Ameline a déclaré que les entreprises doivent comprendre qu'avoir des enfants ne doit pas être considéré comme un handicap. Mais cette mesure montre justement à l'employeur que la maternité est un handicap. Cette prime octroyée à l'employeur tend à accréditer l'idée que l'embauche de femmes constitue une source de problèmes pour l'entreprise.
Je ne suis pas certaine qu'en offrant aux patrons des PME des aides financières, on facilitera l'embauche des femmes. L'embauche d'une femme ne doit pas devenir un emploi aidé.
Après avoir prôné pendant de nombreuses années le retour au foyer des mères de famille, permettant ainsi d'alléger les statistiques du chômage et les finances de l'UNEDIC, la droite préconise aujourd'hui de « remettre les femmes au travail » pour faire face à la pénurie de main-d'oeuvre qui se profile avec le départ en retraite de la génération du baby-boom. Mais dans quelles conditions ? La nécessité de trouver rapidement de la main-d'oeuvre explique notamment la volonté de faire peser sur les femmes des contraintes en vue de les obliger à accepter n'importe quel emploi.
Par ailleurs, selon une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques, la participation des femmes au marché du travail dépend directement de leurs responsabilités familiales. Dans les pays où l'Etat investit peu dans l'accueil des jeunes enfants, la maternité reste un obstacle à l'entrée ou au maintien dans le marché du travail pour les femmes âgées de vingt-quatre à quarante-neuf ans.
En France, on note une insuffisance des crédits consacrés aux crèches, à la scolarisation des enfants de deux ans. Ainsi, 250 000 places sont disponibles pour 2, 4 millions d'enfants. La pénurie de crèches atteint un tel niveau que les groupes privés commencent à flairer la bonne affaire, alors que l'on sait que, le plus souvent, ce sont les femmes qui, face aux problèmes de la garde des enfants, sont contraintes d'abandonner leur travail, au moins partiellement.
En outre, si la présence d'un seul enfant de moins de trois ans dans le ménage a peu d'effet sur l'activité des femmes, en revanche, il n'en est pas de même pour les mères de deux ou trois enfants. En 2003, le taux d'activité des mères en couple s'élevait à 80 % avec un enfant de moins de trois ans, mais à 58 % avec deux enfants, dont un de moins de trois ans. Ce projet de loi n'apporte aucune réponse à ce sujet.
Alors que l'on sait aujourd'hui que les politiques de soutien aux mères salariées, notamment la politique d'accueil de la petite enfance, jouent un rôle décisif dans les processus d'insertion ou de maintien des femmes sur le marché de l'emploi, il serait plus judicieux que l'Etat développe l'accueil de la petite enfance, aide les parents à y accéder, car le développement des modes d'accueil collectifs pour les enfants est une réponse à une meilleure articulation entre vie familiale et professionnelle pour tous.
Ainsi, les femmes pourront suivre plus librement une formation, car les écarts salariaux sont la résultante non seulement de la difficulté d'embauche, mais aussi de l'accès à la formation et des conditions de l'organisation du travail. Je ne vois dans ce texte aucune réponse à ce problème.
De plus, le recours aux aides fiscales plutôt qu'à l'expansion des modes de garde collectifs favorise les familles aisées.
En effet, la garde à domicile coûte cher, en moyenne 1 050, 68 euros par mois pour un enfant d'un an. Et plus les revenus sont élevés, plus les réductions d'impôts sont importantes. Enfin, vous ne tenez pas compte de la rigidité des horaires des crèches publiques, alors que les emplois aux horaires atypiques se développent de plus en plus et que le temps de transport travail-domicile s'allonge dans les villes.
Certaines dispositions du texte soulèvent beaucoup d'interrogations quant à leur application.
L'article 1er impose la remise à niveau des rémunérations des femmes après un congé de maternité. C'est une bonne chose, à condition, bien sûr, de prendre en compte non seulement le salaire de base, mais également toute prime qui aurait pu être versée par l'entreprise dans l'intervalle, ainsi que les éventuels dispositifs d'intéressement. Les femmes en congé de maternité ont d'ores et déjà la garantie de retour à l'emploi. Mais, si elles bénéficient des augmentations générales accordées par l'entreprise, il n'en va pas de même des augmentations individuelles.
De plus, les conditions de mise en oeuvre des garanties plus larges d'évolution de la rémunération et d'évolution professionnelle des salariés ayant bénéficié d'un congé de maternité ou d'adoption doivent être fixées par un accord collectif de branche ou d'entreprise, afin de compenser les effets de la maternité ou de l'adoption sur la rémunération et les trajectoires professionnelles des salariés concernés.
Les conditions d'application de cette mesure laissent pour le moins perplexe. En effet, l'article 1er ne constitue en réalité qu'une mise en conformité avec une directive européenne et une application de l'accord de 2004. Le Gouvernement s'en remet d'ailleurs aux partenaires sociaux pour l'application de cet article, sans prévoir aucune sanction en cas de carence.
Le rapporteur à l'Assemblée nationale a même déclaré que l'essentiel était de lancer le mouvement, tout en préservant la liberté des employeurs de mettre en oeuvre, le cas échéant, ces garanties par la même négociation collective.
Le rapporteur lui-même le reconnaît : l'article 1er pourrait n'être appliqué que de façon virtuelle. Que se passerait-t-il en cas d'absence d'un accord collectif ? L'évolution des rémunérations pour les femmes revenant d'un congé de maternité ou d'adoption porterait donc sur l'augmentation minimale, calculée sur la base de la moyenne des augmentations.
Autre interrogation que soulève ce texte : s'agissant des pratiques de discrimination à l'embauche, que proposez-vous pour les femmes les plus jeunes dans la perspective d'un congé de maternité à venir ?
Pour finir, je souhaite aborder un problème qui me touche tout particulièrement et que j'ai déjà exposé et défendu à plusieurs reprises, celui du congé de maternité des femmes qui ont accouché prématurément.
Aujourd'hui, quelle que soit la date de l'accouchement, les mères assurées sociales bénéficient de seize semaines de congé indemnisé. Au-delà de ce délai, elles ne sont plus rémunérées.
L'article 10 de la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, qui complète l'article L. 122-26 du code du travail, prévoit une nouvelle disposition permettant de prolonger le congé de maternité des salariées dans le cas où l'accouchement intervient plus de six semaines avant la date prévue et exige l'hospitalisation de l'enfant. Ce droit est applicable depuis la publication de la loi. Malheureusement, la loi ne contient aucune mesure relative à l'indemnité.
En fait, l'adoption de cette disposition a eu lieu après plusieurs modifications intervenues au cours de l'examen du projet de loi relatif aux personnes handicapées, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005 puis à nouveau du projet de loi relatif aux personnes handicapées. Pour tous les parlementaires qui ont défendu cette mesure, il était évident que ce droit à un congé supplémentaire devait s'accompagner d'une indemnisation. Mais faute d'être mentionnée dans le texte ou de ne pas être placée dans le bon code, la prise en charge financière n'est pas prévue. Or ce droit nouveau n'a aucun sens s'il n'est pas accompagné d'une indemnité.
Le 28 juin dernier, j'ai posé une question orale au ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. La réponse qui m'a été donnée précise qu'il est nécessaire d'engager dès à présent une réflexion approfondie sur cette mesure, mais nous avons déjà perdu trop de temps ; il faut agir !
Je rappelle que l'allongement de la durée du congé de maternité est essentiel, car il permet à la mère et à son enfant de tisser les liens mis à mal par une hospitalisation. De plus, il est adapté aux situations de détresse dans lesquelles se trouvent des familles confrontées à la grande prématurité d'un enfant, qui peut rester hospitalisé plusieurs mois après sa naissance.
Si ce congé est sans solde, ces femmes devront reprendre leur travail, alors que leur enfant, encore en couveuse, devrait bénéficier de la présence maximale de leur mère. Il est inconcevable que ce droit soit un congé sans solde ; il doit s'accompagner d'une prise en charge financière. C'est la raison pour laquelle nous proposerons tout à l'heure un amendement permettant une telle prise en charge.
Pour conclure, je dirai que ce texte ne permet pas de répondre à tous les problèmes. Par ailleurs, toutes les solutions n'y sont pas envisagées. Je prends acte d'un manque de volonté politique. Comme je le mentionnais auparavant, la prise de conscience est là, mais il reste encore beaucoup à faire en matière d'égalité salariale !
Je terminerai par une citation : « on peut juger du degré de civilisation d'un peuple à la situation sociale de la femme ». Il faut donc agir !