Intervention de Annie David

Réunion du 13 octobre 2010 à 14h30
Réforme des retraites — Article 3

Photo de Annie DavidAnnie David :

Comme nos collègues viennent de le rappeler, cet article 3 complète le dispositif de l’article L. 161-17 du code de la sécurité sociale, qui prévoit, pour chaque assuré, le droit de connaître le relevé de sa situation individuelle au regard de la retraite.

Le présent article ajoute ainsi une information générale sur le système de retraite français après deux semestres de validation et mentionne la possibilité ouverte à chaque assuré âgé de 45 ans ou plus de bénéficier d’un entretien individuel sur les droits constitués et de recevoir une simulation du montant de sa future pension.

Ces dispositions visent donc à améliorer l’information des assurés sur les dispositifs de retraites et sur leur situation personnelle, ce qui, convenons-en, est plutôt positif ! Cet article ne serait donc pas si problématique s’il était présenté seul. Malheureusement, il ne peut être détaché de l’arsenal de mesures destructrices des droits sociaux des salariés que comporte ce projet de loi. En effet, cet article s’inscrit dans une logique globale néfaste pour chaque assuré : informer et communiquer ne pourrait avoir d’effets bénéfiques que si ces deux missions constituaient le pendant d’une réforme juste et équitable.

Les entretiens individuels et l’information générale que prévoit l’article 3 ne sont utiles que dans la mesure où ils sont effectués pour les salariés, et j’entends par là : en leur faveur ! Car le seul fait d’informer ne suffit pas, encore faudrait-il que l’on se penche sur le contenu de cette information !

En effet, l’information est malheureusement rarement neutre et peut trop souvent se transformer en outil de communication et de propagande gouvernementale. Ainsi, l’information sera logiquement effectuée dans le sens de la réforme du Gouvernement qui, sous ses airs de réaffirmer l’attachement au régime de retraite par répartition, fait la part belle aux retraites par capitalisation.

Dès lors, quelle garantie pouvons-nous avoir que chaque assuré ne recevra pas une information l’incitant à souscrire un tel contrat d’assurance retraite par capitalisation ? Rien ! Bien au contraire, nous avons toutes les raisons de craindre que ce schéma ne se réalise, car l’objectif que se fixe cette réforme est ni plus ni moins la liquidation de notre système de retraite par répartition, fondé sur la solidarité intergénérationnelle.

Ce projet de loi est en effet la véritable concrétisation des désirs de domination capitaliste. Je voudrais évoquer ici le récent ouvrage de l’économiste Frédéric Lordon, Capitalisme, désir et servitude. L’auteur présente un modèle théorique qui s’applique parfaitement aux retraites. Dans les sociétés capitalistes s’affrontent deux désirs contradictoires : ceux de l’entreprise et ceux des salariés. Chacun nourrit des aspirations qui lui sont propres et qui restent inconciliables : l’employeur tend à considérer l’individu comme une source de production et à le rendre corvéable à merci pour un coût minimal, favorisant les gains de l’entreprise ; à l’inverse, le travailleur, lui, tend à protéger sa sphère d’existence en dehors du travail et à augmenter son niveau de vie.

L’individu aspire donc à une situation qui est la plus éloignée possible des désirs du patronat, tandis que l’employeur souhaite, au contraire, faire en sorte que les désirs de l’employé rejoignent parfaitement ceux de l’entreprise. Inutile de vous préciser que je partage complètement l’analyse développée dans cet ouvrage et j’estime que c’est dans ce rapport de forces que la loi prend tout son sens.

Pourtant, dans cette réforme des retraites, le Gouvernement agit uniquement au nom des entreprises. Le projet de loi contribue ainsi à réduire les écarts entre les volontés des deux parties, au seul avantage des entreprises, en imputant à 85 % le poids du financement des retraites aux salariés, tandis que seuls de maigres et symboliques prélèvements sur les revenus du capital et les hauts revenus sont prévus.

N’ayant pas réussi à annihiler les aspirations à l’épanouissement en dehors du travail de nos concitoyens, le Gouvernement entreprend, dès lors, de faire passer cette réforme en force, méprisant les grondements populaires qui se font entendre chaque jour davantage.

Cette réforme épouse purement et simplement les intérêts du capital, répond aux exigences du MEDEF et tend à satisfaire les agences de notation, au mépris de ceux des travailleurs.

Je le réaffirme : je suis plus que sceptique quant à la prise en compte des intérêts des assurés dans l’information générale et personnelle que prévoit cet article 3. En effet, puisque la réforme ne s’intéresse guère aux assurés, on ne voit guère pourquoi l’information le ferait !

Pour nous, la seule réforme des retraites valable et la seule information adaptée sont celles qui bénéficient aux assurés et accordent toute sa place au régime de retraite par répartition.

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