Intervention de Joseph Kergueris

Réunion du 22 octobre 2008 à 15h00
Revenu de solidarité active — Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Joseph KerguerisJoseph Kergueris :

Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, voici enfin une réforme structurelle qui cible les véritables insuffisances du système des minima sociaux et des contrats aidés, une réforme qui s’appuie sur une véritable expérimentation dont elle tire les enseignements. En un mot, voici enfin une réforme de l’insertion qui soit digne de ce nom !

Vous l’aurez compris, monsieur le haut-commissaire, votre projet de loi constitue, à nos yeux, une avancée sociale majeure. Pas seulement à nos yeux d’ailleurs car, sur le fond, et cela est révélateur de son importance, votre réforme fait consensus. Je crois en effet pouvoir dire, sans trop me tromper, qu’un texte sur lequel une grande majorité du groupe socialiste de l’Assemblée nationale s’abstient fait consensus…

Lorsque j’évoque le fond de cette réforme, je fais bien évidemment abstraction de la question du financement. Cette dernière est bien entendu capitale et a suscité, à juste titre, de vives polémiques, mais c’est aussi une question qui mérite un traitement distinct de celui du contenu structurel du projet de loi. C’est la raison pour laquelle je laisserai mon collègue du groupe de l’Union centriste Jean Boyer la traiter plus spécifiquement.

Sur le fond, donc, nous appelions de nos vœux depuis longtemps l’avancée portée par ce texte. En effet, depuis de nombreuses années, lutter contre la pauvreté et l’exclusion est pour nous tous une priorité absolue, pour ne pas dire une urgence ! Une fois n’est pas coutume, nous considérons que c’est à juste titre que le Gouvernement a déclaré l’urgence sur ce texte, procédure que l’on a pris l’habitude d’appliquer pour la quasi-totalité des projets de loi. Pour une fois, cela se justifie !

Il y a urgence à agir parce que, après vingt ans d’existence, le RMI ne remplit plus sa double mission.

Il a d’abord failli à sa mission de réinsertion dans l’emploi : en vingt ans, le nombre d’allocataires du RMI est passé de 422 600 à 1 100 000, et le chômage n’a pas cessé de croître ou de stagner.

Il a ensuite failli à sa mission de garantir un minimum vital. En effet, le constat dressé par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale et le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion est plus qu’alarmant. À partir de 1990, soit deux ans après la création du RMI, le taux de pauvreté a cessé de baisser en France et s’est stabilisé autour de 12 % de la population depuis la fin des années quatre-vingt-dix, alors qu’il avait diminué régulièrement depuis les années soixante-dix.

De nos jours, vous nous l’avez dit, monsieur le haut-commissaire, la pauvreté concerne un ménage sur huit, et l’on dénombre de plus en plus de travailleurs pauvres. En outre, le nombre de familles surendettées s’élève à 1 500 000.

Il n’est pas question, bien sûr, de mettre ici au banc des accusés le seul RMI. C’est tout notre système de minima sociaux et de contrats aidés, fait d’un empilement de mesures successives, vecteurs de complexité et d’opacité, fondé sur une logique de statut du bénéficiaire et non de revenus, qui s’est révélé inadapté.

Ce système n’a pas empêché la constitution de trappes à inactivité et à pauvreté. Le phénomène est bien connu, aussi ne m’y étendrai-je pas longuement. Cependant, il n’en est pas moins ahurissant.

Aujourd’hui, en France, un grand nombre d’allocataires du RMI ou de l’API pourraient ne pas avoir intérêt à reprendre un emploi, parce qu’ils n’y ont pas de motivation financière directe, en raison de la nature différentielle des minima en question, et ce malgré les réformes de l’intéressement.

On s’est bien sûr très tôt rendu compte que si la réduction du minimum social atteignait 100 % du revenu du travail dès le premier euro, personne ne sortirait du système.

Le système classique d’intéressement – cumul intégral de l’allocation et du revenu d’activité pendant trois mois, suivi d’un cumul de 50 % des revenus du travail pendant neuf mois – s’est avéré insuffisant.

La réforme introduite par la loi du 23 mars 2006 relative au retour à l’emploi et sur les droits et devoirs des bénéficiaires de minima sociaux n’a pas non plus réglé le problème.

Nous l’avions souligné à l’époque, l’instauration de primes forfaitaires et mensuelles pour les reprises importantes d’emploi ne pouvait pas, par nature, apporter une solution satisfaisante.

En effet, la loi de 2006 ne touchait pas aux limites structurelles du système que sont, d’une part, le caractère provisoire de la possibilité de cumuler revenu du travail et allocation, et, d’autre part, la limitation de cette possibilité aux seules prises ou reprises d’emploi.

Plus embarrassant encore, cette loi n’a fait qu’aggraver les effets de seuil préexistants et a concentré l’aide sur les publics les moins éloignés de l’emploi. Nous avions insisté sur ce point lors de l’examen du texte : le mécanisme d’intéressement qu’il créait favorisait surtout les fortes reprises d’emploi.

Or, on sait très bien que les personnes les plus éloignées de l’emploi, les plus prisonnières des trappes à inactivité, ne peuvent en général reprendre une activité que par petits paliers successifs.

Par ailleurs, lorsque l’on dit qu’un allocataire de minima social peut ne pas avoir intérêt à retrouver un emploi, il faut prendre en compte un intérêt social indirect, lié à tous les avantages et droits sociaux qu’il perd avec son statut d’allocataire. C’est la fameuse problématique des droits connexes, trop longtemps négligée mais à l’évidence capitale, problématique d’ailleurs que Valérie Létard, alors sénatrice de notre groupe, avait mise en lumière dans son important rapport de mai 2005.

Les droits connexes sont aujourd’hui liés au statut des personnes et non à leurs revenus. Cela est injuste et contribue très fortement à constituer les trappes à inactivité contre lesquelles on entend lutter.

Or, le projet de loi dont nous entamons l’examen tend très précisément à remédier à toutes les limites structurelles que je viens d’énumérer.

En effet, le système d’intéressement actuel est limité dans le temps ; le RSA, quant à lui, sera pérenne.

Le système actuel exclut un grand nombre de personnes ; le RSA concernera un public beaucoup plus large, puisqu’il sera ouvert à tous les travailleurs à revenus modestes, sans distinction entre ceux qui bénéficiaient déjà du RMI ou de l’API et les autres.

Le RMI et l’API n’assuraient pas une augmentation suffisante des revenus en cas de reprise d’activité, surtout pour les petites reprises d’emploi ; le RSA sera ciblé sur ces petites reprises d’emploi et garantira un revenu supérieur sans limitation de temps.

À ce sujet, il convient de ne pas ignorer un certain nombre de réalités. Pour dire les choses clairement, il est vrai que le système du RSA fera des « gagnants » et des « perdants », mais c’est précisément là la marque de son caractère redistributif, et justement redistributif. En effet, les perdants perdront peu et les gagnants gagneront beaucoup. Cet effet est la conséquence nécessaire du recentrage du dispositif sur les publics qui en auront le plus besoin.

Enfin, les droits connexes obéissent aujourd’hui à une logique désastreuse de statut ; le projet de loi l’abolit au profit d’une logique de revenus.

Une autre critique formulée contre le système actuel de l’insertion a trait à sa complexité.

Là encore, le groupe auquel j’appartiens s’était mobilisé de longue date pour une simplification du système. Souvenons-nous du rapport intitulé « Plus de droits et plus de devoirs pour les bénéficiaires des minima sociaux »remis au Premier ministre par Michel Mercier et Henri de Raincourt, au mois de décembre 2005. Nos collègues préconisaient une fusion du RMI et de l’API : c’est exactement ce que prévoit le présent projet de loi.

Une autre simplification porte sur les contrats aidés, avec la création du contrat unique d’insertion.

Si, sur le fond, cette réforme semble parfaitement adaptée pour répondre à la nature et à l’ampleur des problèmes observés, sa force est également de ne pas être une réforme théorique, puisqu’elle s’appuie sur une expérimentation.

C’est une expérimentation brève, certes, mais digne de ce nom, pour une réforme qui l’est aussi. À ce stade du processus de décision, les membres de mon groupe et moi-même avons tâché de prendre toute notre part du travail à effectuer.

Le département de la Mayenne, où le Chef de l'État a annoncé la généralisation du RSA, a été l’un des rares, avec la Haute-Corse, à expérimenter le dispositif sur l’ensemble de son territoire, ainsi que Jean Arthuis vient de s’en faire l’écho.

Pour ma part, en tant que président du conseil général du Morbihan, j’ai veillé à ce que cette mesure fasse l’objet d’une attention toute particulière de la part de nos services. L’expérience menée dans notre département sur le territoire de la commission locale d’insertion de Vannes a donné des résultats très encourageants.

Ces derniers ont été confirmés par le rapport d’étape établi après six mois d’expérimentation par le comité d’évaluation présidé par François Bourguignon pour l’ensemble des trente-trois départements concernés.

Ce rapport démontre à l’envi que le RSA incite bien au retour à l’emploi, puisque les bénéficiaires de la nouvelle prestation sont, en moyenne, 30 % plus nombreux à reprendre une activité dans les zones expérimentales que les allocataires du RMI dans les zones témoins.

Toutefois, si l’expérimentation a légitimé la réforme de façon indiscutable, au travers de l’épreuve des faits, elle doit aussi, surtout aujourd'hui, nous permettre de répondre à toutes les questions que la mise en œuvre du texte ne manquera pas de poser et nous aider, le cas échéant, à en améliorer la rédaction législative.

Grâce à l’expérimentation, nous savons quels problèmes se poseront aux opérateurs de la réforme. Les débats parlementaires doivent être l’occasion de résoudre ces problèmes par anticipation et d’éclairer la mise en place du RSA généralisé.

Dans mon département, par exemple, que vous avez bien voulu visiter à mon invitation, monsieur le haut-commissaire, l’expérimentation du RSA a soulevé de nombreuses questions, dont certaines restent toujours en suspens après l’examen du texte à l’Assemblée nationale. J’aimerais que vous puissiez y répondre.

Ainsi, le projet de loi indique que le département pourra décider de l’attribution de montants plus favorables que ceux qui seront prévus par les lois et règlements applicables au RSA. Cela signifie-t-il que plusieurs RSA pourraient voir le jour selon les départements ?

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