Le coût de cette exonération est estimé à 40 millions d’euros, alors que le remboursement moyen s’élève déjà à 84 700 euros pour chacun de ces contribuables, soit 400 fois les 200 euros supplémentaires mensuels que devrait procurer le RSA à ses allocataires !
Les quelques économies supplémentaires réalisées grâce à la suppression du dégrèvement d’office de la taxe d’habitation et de la redevance audiovisuelle dont bénéficiaient jusqu’alors les allocataires du RMI ne pourront nous rapprocher davantage !
Monsieur le haut-commissaire, la décision de soustraire ainsi les Français les plus aisés à l’effort de financement de la solidarité nationale est en rupture totale avec les principes essentiels qui fondent notre « vivre ensemble » ! Dans le contexte de crise financière, économique et sociale qui se profile pour les prochains mois et peut-être pour plus longtemps, il est impensable que les plus riches soient dispensés de cet effort.
Face à la forte montée des critiques, M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique s’est engagé à débattre d’un plafonnement global des niches fiscales lors du prochain débat budgétaire. Pour l’heure, le gain espéré est insuffisant : environ 250 millions d’euros, soit un sixième du besoin de financement redimensionné ! Nous voyons plutôt dans ce plafonnement une parade politique visant à mettre un terme à la polémique sur le bouclier fiscal, mais il ne répond pas, sur le fond, à la question importante du financement du RSA.
Permettez-moi, par ailleurs, de vous interroger sur la pérennité de la recette apportée par la taxe que vous voulez instaurer. Dans son discours prononcé à Toulon, le Président de la République a affirmé que la taxe sur les revenus du capital sera diminuée au fur et à mesure que le RSA aura permis à ses allocataires de retrouver des postes suffisamment rémunérés. Un amendement à l’article 2 a d’ailleurs été adopté en ce sens par l’Assemblée nationale.
Si une telle évolution se produit, elle sera appréciée par tous mais, dans le cas contraire – et la crise qui se profile n’annonce rien de bon –, aucun dispositif conduisant à un accroissement de la ressource n’est envisagé au cas où il s’avérerait nécessaire. Nous pouvons en déduire que les conseils généraux paieront à la place de l’État. Mais avec quelles ressources ?
Ce débat autour du financement nous invite à rappeler que les différents dispositifs de solidarité individuelle, dont la création, les montants et les conditions de mise en œuvre sont fixés nationalement, devraient être totalement financés par la solidarité nationale, leur application étant assurée à l’échelon local, plus efficace et réactif.
J’en viens enfin aux maigres garanties accordées par ce projet de loi aux départements en matière de compensations financières.
En 2003, le législateur avait considéré le transfert aux départements de la charge de l’allocation du RMI comme un transfert de compétence, faisant ainsi naturellement jouer la garantie posée par l’article 72-2 de la Constitution. Les départements, par ailleurs, étaient déjà compétents pour l’insertion sociale et professionnelle des publics concernés.
Aujourd’hui, contrairement à 2003, le Gouvernement a décidé, à l’article 3 du projet de loi, de considérer comme une extension de compétence l’intégration dans le nouveau dispositif des personnes relevant de l’allocation de parent isolé. En privilégiant l’extension et non le transfert de compétences, vous n’offrez aux départements aucune garantie constitutionnelle en termes de compensations financières, puisque l’extension de compétences n’est accompagnée que de ressources déterminées par la loi : en fait, c’est la loi de finances de chaque année qui déterminera le niveau de la compensation apportée.
Certes, quelques amendements à l’article 3, adoptés par les députés, ont essayé de lever certaines ambiguïtés autour de la contribution des départements au financement du RSA, mais rien n’est définitivement assuré. Vous nous permettrez ainsi de douter de la sincérité de l’engagement du Gouvernement à assurer dans le long terme le financement de ce transfert. C’est ce que nous décelons derrière cette décision si lourde de risques pour les conseils généraux.
Vous nous assurez, monsieur le haut-commissaire, que le système du RSA sera vertueux et coûtera de moins en moins cher, mais la réalité constatée peut aussi être différente, comme nous l’avons appris au fil des transferts.
En effet, la ressource affectée pourrait progressivement diminuer, à partir de l’exercice 2010, passant en dessous du coût supporté par l’État au titre de l’API en 2008. Les recettes de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers évoluant à la baisse de façon assez constante, la compensation des transferts de charges posera de gros problèmes dans les prochaines années.
Les craintes des conseils généraux sont d’autant plus légitimes que l’évaluation budgétaire de l’API fait l’objet depuis de nombreuses années de sous-estimations chroniques de la part du Gouvernement. Par exemple, en 2007, 909 millions d’euros ont été budgétés alors que 1 090 millions d’euros ont été dépensés. De plus, de 2006 à 2008, le budget de l’API a augmenté de 20 %, dépassant cette année un milliard d’euros. Le nombre de ses allocataires a fait un bond de 22 % depuis 2003. Cette évolution va-t-elle continuer ? Et si tel est le cas, qui va payer ?
Dans le contexte actuel de crise financière et économique, les départements seront une fois de plus contraints de compenser les transferts financiers insuffisants de l’État ! Ce n’est pas acceptable !
Monsieur le haut-commissaire, les conseils généraux ont toujours en mémoire l’expérience coûteuse en matière de gestion du RMI et l’insuffisance du financement de l’État. Celui-ci acceptera-t-il – mais vous ne répondrez pas, bien sûr ! – de leur rembourser les 2 milliards d’euros cumulés dus au titre de ce transfert ?
Nous avons d’ores et déjà relevé un autre facteur de dérapage concernant le droit à compensation de l’extension de compétence au titre du RSA. En effet, vous l’estimez provisoirement à 322 millions d’euros en 2009 et à 644 millions d’euros en année pleine à compter de 2010. Pourquoi la compensation pour 2009 ne prend-elle en compte que la moitié des dépenses de l’année 2008, alors que le RSA sera mis en œuvre à compter du 1er juin 2009, soit une durée de sept mois pour l’année prochaine ? Dans le même temps, le projet de loi finances pour 2009 ne prévoit le financement de l’API que jusqu’au 1er juin, date de la généralisation du RSA, et la somme est insuffisante compte tenu des dernières évolutions. Qui assumera la charge financière de la mise en place du RSA pour le mois de juin ?
Monsieur le haut-commissaire, ces sollicitations répétées des budgets départementaux ne sont pas acceptables dans le contexte actuel de récession économique, qui entraîne une baisse de nos recettes – tout particulièrement des droits de mutation –, et du fait de la glaciation des dotations de l’État aux collectivités.
Voilà autant de préalables à la mise en œuvre de ce dispositif qui, par-delà la diversité de nos opinions politiques, devraient nous conduire, mes chers collègues, à prendre un temps de réflexion supplémentaire avant de voter un projet de loi dont les modalités de financement ne sont, à ce jour, ni justes ni pérennes, n’offrant aucune garantie sérieuse à ceux qui devront mettre en œuvre la loi, à savoir les départements.
À travers ce projet de loi, le Gouvernement semble prendre acte, et cela pour la première fois, du fait qu’un nombre très significatif de nos concitoyens ne pourra accéder à un emploi normalement rémunéré par le marché.
En n’introduisant dans ce texte aucun dispositif de dégressivité des aides, en ne liant pas le versement de l’aide à l’emploi à un accompagnement social, à une tutorisation en entreprise, à une formation, le texte du Gouvernement n’ouvre pas beaucoup de perspectives et prend le risque d’installer durablement dans le dispositif un nombre croissant de nos concitoyens.