Comment faire avaler cette pilule alors qu’il vous a fallu faire preuve de persuasion pour obtenir du « président du pouvoir d’achat » un financement du RSA à hauteur d’un malheureux milliard et demi d’euros, soit très en dessous de ce que vous aviez initialement prévu ?
C’est dans ce tumulte que nous sommes appelés à nous soucier du sort des pauvres, au pas de course, comme d’habitude.
Or l’urgence n’est pas propice à l’examen d’un tel dossier.
Malgré les conditions et le contexte, il nous appartient de concentrer notre attention sur le sujet et de prendre le temps d’examiner très scrupuleusement ce projet de loi qui fait mine d’aller dans le bon sens alors qu’il suscite de nombreuses réserves.
Parlons d’abord des expérimentations.
Le RSA est en expérimentation depuis juillet 2007, période à laquelle vous vous étiez engagé à élargir cette expérimentation sur trois ans dans trente-quatre départements avec, à la clé, un bilan approfondi s’appuyant sur des bases solides et des expériences confirmées avant la généralisation de ce dispositif.
À ce jour, certains départements n’ont mis en place le RSA que depuis mars dernier. Pour les autres, nous ne disposons que d’un bilan d’étape pour une expérimentation opérée seulement auprès de 15 000 ménages.
L’estimation de ce bilan d’étape porte le taux de retour à l’emploi des allocataires du RMI à 30 %. Ce chiffre encourageant ne suffit pas à déclencher la généralisation du dispositif, de l’aveu même du président du comité d’évaluation, M. François Bourguignon, qui déclare ceci, dans une interview au journal Le Figaro du 9 septembre 2008 : « Les premiers résultats obtenus sont encore imprécis et provisoires, et on a besoin de plus d’observations pour parvenir à une conclusion définitive. C’est pourquoi il est impossible, à ce stade, d’en extrapoler un résultat national ».
Notre système de solidarité a tant souffert de la mise en place précipitée de dispositifs successifs, aussi visibles et flatteurs politiquement que concrètement inefficients, que nous ne pouvons, monsieur le haut-commissaire, partager aveuglément votre enthousiasme, si sincère soit-il.
Qui plus est, votre argument pour arrêter les expérimentations ne nous convainc que très moyennement, quant à la maturité de votre projet de loi. Il n’est pas suffisant d’estimer que le RMI a montré ses limites depuis longtemps pour justifier de la viabilité d’un autre dispositif. Il ne suffit pas non plus qu’une réflexion autour des minima sociaux et de l’insertion soit en cours pour que cette réflexion soit pertinente. Il se peut que les fruits de cette dernière soient encore verts. Et il convient de prendre le temps de penser, distinctement du temps d’agir.
Si vous le permettez, prenons même le temps de nous souvenir de ce que disait Jean-Louis Destans, président du conseil général de l’Eure, département de la première expérimentation du RSA : « À l’issue des trois ans, nous voulions regarder comment modifier le dispositif, l’amender ou même l’abandonner si les résultats n’étaient pas là. Annoncer dès maintenant la généralisation du RSA tue le côté expérimental. Qualitativement, nous ne sommes pas du tout dans la même approche. Il ne faudrait pas, par sa généralisation, que le RSA perde toute sa valeur d’impulsion pour les bénéficiaires. Ma vraie crainte est sur l’accompagnement. Je ne veux pas perdre sur le qualitatif, qui est la vraie valeur ajoutée de notre travail, en plus du complément de rémunération, bien entendu. Je pense qu’il vaut mieux mener à terme les expérimentations pour qu’elles réussissent. »
Mais nous reviendrons plus en détail sur l’accompagnement, qui est la clé de voûte du succès d’un dispositif d’insertion.
Monsieur le haut-commissaire, au lieu d’emprunter au laborantin la sagesse qui le fait aller au bout de ses expériences avant de tirer des conclusions, vous nous faites voter dans le flou général.
Tout d’abord, le flou est artistique, avec effet de masque, pour un premier bilan chiffré qui ne prend pas en compte la notion de temps, et qui soulève de sérieuses interrogations quant à la situation des personnes les plus éloignées, voire exclues de l’emploi.
Le contexte institutionnel dans lequel ce projet de loi est proposé constitue d’ailleurs un réel problème
Je soulignerai d’abord le démarrage du pôle emploi, avec tous les problèmes de dysfonctionnements inhérents à la mise en place d’une nouvelle organisation du travail comme dans toute entreprise.
Mme Bernadette Dupont, rapporteur du projet de loi, ne déclarait-elle pas récemment ceci : « la réussite du RSA repose sur l’efficacité de l’accompagnement et sur la capacité du nouvel opérateur à soutenir des publics qu’il n’a pas eu l’occasion d’accueillir dans le passé » ?