On peut noter également que l’aide financière accordée aux caisses d’allocations familiales et à la Mutualité sociale agricole par le fonds national des solidarités actives, le FNSA, prévue dans ce projet de loi, est une première et qu’elle rompt avec le système actuel dans lequel ces organismes effectuaient leurs missions à titre gratuit.
Ce sont autant de raisons qui nous incitent à douter de la viabilité de votre bilan. Si ce dernier était moins flou, il serait plus convaincant. Malheureusement, ce bilan très approximatif est franchement peu fiable.
De surcroît, le président du conseil général du département pionnier déclarait dans le document cité plus haut : « Nous avons très vite intégré dans le RSA des personnes qui étaient relativement proches de l’emploi. Au bout de quelques mois, nous nous sommes confrontés au groupe de personnes qui ont davantage de difficultés. » Voilà encore un défaut de ce bilan qui ne tient pas compte du « noyau » le plus éloigné de l’emploi.
Les effets pervers de toute loi ne sont visibles qu’après une certaine période d’application.
Nous comprenons votre empressement. Nous ne le cautionnons pas. Trop de personnes sont concernées pour que nous légiférions dans l’urgence.
Nous avons bien sûr conscience de l’urgence dans laquelle se trouvent de nombreux foyers en situation précaire, mais il s’agit d’un mal profond qui nécessite un traitement d’envergure. Nous craignons que le RSA ne soit qu’un placebo pour ces familles. Dans un premier temps, le dispositif sera porteur d’espoir, de quoi rendre moins difficiles les fins de mois, mais sans autre horizon.
Très vite, nous vérifierons que le vrai problème de la précarité n’est pas résolu, si nous n’intégrons pas la notion du temps nécessaire à la contractualisation territoriale et à la coordination des acteurs pour simplifier les parcours et permettre une insertion durable.
Au cours du travail mené par la mission commune d’information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, qui a été initié par Bernard Seillier durant le premier semestre de 2008, nous avons privilégié une approche globale et transversale des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Nous avons souligné, dans nos conclusions, « la complexité excessive de la gouvernance de la lutte contre les exclusions, qui devient illisible au niveau territorial, et appelle à une nécessaire simplification ».
Je souhaite encore attirer votre attention sur deux points.
D’abord, s’agissant du problème des jeunes de moins de vingt-cinq ans, je rappellerai que le conseil d’analyse économique s’est montré favorable à l’élargissement du RSA aux jeunes travailleurs.
Le gouvernement Jospin, par l’entremise de Martine Aubry, a développé le programme TRACE, ou trajet d’accès à l’emploi, pour les jeunes sans qualification ou cumulant des difficultés psychosociales. Les résultats de ce programme ont été plus que concluants. Est-ce pour cela que le gouvernement de M. Raffarin a tout stoppé ?
Près de 30 % des jeunes sont au chômage. Les jeunes sont les premières victimes de la précarisation du marché du travail. Ils sont nombreux à travailler en intérim ou à temps partiel.
Vous proposez une expérimentation pour ce public. Nous y sommes favorables, à condition que cette expérimentation soit effective, qu’elle soit menée à son terme et ne masque pas des pratiques de recrutement à bas coûts.
Pour vous convaincre de la nécessité de revoir ce texte en commission, nous vous invitons sur un terrain que certains d’entre nous connaissent bien pour y avoir œuvré pendant de nombreuses années : je veux parler de l’insertion par le travail.
Ce texte souffre d’un manque de concertation avec les partenaires sociaux, certes consultés lors du Grenelle de l’insertion, mais que vous avez omis d’associer dans l’élaboration de ce projet de loi. §Or si, dans l’intention, la loi reste fidèle aux conclusions du Grenelle, ses dispositions et mesures d’application s’en éloignent dangereusement.
Ce texte ne tient pas compte des freins à la reprise du travail. Il les ignore. Pis, il les méconnaît.
« Nul n’est inemployable » ; c’est selon vous, monsieur le haut-commissaire, le septième des principes fondateurs de la loi que vous avez exposés devant l'Assemblée nationale le 25 septembre dernier. Il faut tenir compte des spécificités de chacun face au travail, mettre en œuvre toutes les dispositions nécessaires à la reprise du travail en fonction des difficultés de chacun, et se donner le temps de leur effectivité. Dans sa mouture actuelle, le RSA ne garantit aucun dispositif d’accompagnement fiable pour ces populations.
Lancée par les travailleurs sociaux à la fin des années soixante-dix, mus par la volonté de changer les approches professionnelles dans le champ du travail social et, notamment, de dépasser les limites de l’assistanat, l’insertion par l’activité économique s’est développée pour répondre à la montée massive de l’exclusion sociale et économique.
En 1974, un an avant que la France ne franchisse pour la première fois le cap du million de chômeurs, René Lenoir, dans son livre Les exclus, nommait déjà « les oubliés de la croissance ». Depuis maintenant plus de trente ans, initiatives publiques et expériences privées se sont multipliées pour insérer professionnellement des personnes rencontrant des difficultés particulières d’accès à l’emploi. C’est le cas du secteur de l’insertion par l’activité économique, qui intervient pour redonner une place dans le monde du travail à ceux qui en sont exclus, au travers d’activités économiques multiples.
Ce sont d’ailleurs les premières communautés d’Emmaüs, qui, au début des années cinquante, inventent le concept d’activité qui permet de retrouver une dignité. Ces initiatives de terrain vont se multiplier et se structurer. Dans son rapport au ministre de la solidarité et au ministre du travail, intitulé Les structures d’insertion par l’économique et publié en 1990, Claude Alphandéry notait ceci : « l’insertion par l’activité économique est un moyen éprouvé de lutte contre l’exclusion ». Il ajoutait : « Il faut donner [une] chance [aux exclus] de se prendre en charge, de se rendre utiles, de retrouver leur dignité par un travail autonome et responsable réalisé sur un marché ouvert qui leur permet de mesurer leurs capacités ». Il précisait également que l’insertion par l’activité économique procure une forme d’emploi, des ressources et « évite une destruction plus grave encore des conditions de vie et des capacités des personnes concernées ».
Ancrées territorialement, partenariales par nécessité, les structures d’insertion par l’économique jouent un rôle primordial dans leur fonction de tremplin, d’acquisition de savoir-faire et de savoir-être professionnels, essentiels dans tout itinéraire d’insertion.