Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 39, modifié à l’Assemblée nationale par quatre amendements d’origine gouvernementale, rectifie le dispositif d’indemnisation des personnes ayant contracté le virus de l’hépatite C, le VHC, à la suite d’une contamination transfusionnelle. En effet, il donne désormais la possibilité à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, l’ONIAM, chargé à la place de l’Établissement français du sang, l’EFS, de l’indemnisation des victimes au titre de la solidarité nationale, d’exercer un recours subrogatoire, même sans faute, contre les assureurs des anciennes structures de transfusion sanguine reprises par l’EFS.
Si cette disposition était définitivement votée, il en résulterait assurément une crise majeure de la responsabilité médicale. En effet, elle entraînerait ipso facto la disparition de la Société hospitalière d’assurances mutuelles, la SHAM, qui assurait un nombre important d’établissements de transfusion sanguine avant 1990 et pour laquelle le contentieux de la transfusion sanguine représenterait aujourd’hui une charge particulièrement importante.
Cette disposition obligerait cette société à constituer des provisions ne lui permettant plus, dès le 1er janvier 2011, de poursuivre ses activités d’assurance. Or la SHAM est aujourd’hui le premier assureur de responsabilité médicale en France. Elle assure plus de 60 % des lits de MCO – médecine, chirurgie, obstétrique –, avec 80 % des établissements publics de santé MCO, 27 % des établissements de santé privés et plusieurs centaines de professionnels de santé libéraux exerçant dans des spécialités à risques.
Cette disposition entraînerait également la désaffection prévisible d’une majorité d’assureurs et de réassureurs intervenant sur le marché de la responsabilité médicale, en raison de l’absence de sécurité juridique du secteur, qui se caractérise par des engagements pris sur le long terme.
Il serait donc totalement inéquitable, aujourd’hui, pour tenir compte des contraintes budgétaires des comptes publics et de l’assurance maladie, de mettre à la charge des assureurs de responsabilité civile des anciens centres de transfusion sanguine les conséquences financières d’un guichet d’indemnisation ouvert au titre de la solidarité nationale et, pour cela, de récrire des règles de droit ayant un effet rétroactif sur les contrats d’assurance conclus à l’époque.
Au-delà du cas des contaminations transfusionnelles, ce dossier est exemplaire en ce qu’il illustre les difficultés que rencontrent plus généralement les assureurs et leurs réassureurs pour couvrir les risques de responsabilité médicale, en raison du changement constant du cadre juridique, qu’il soit le fait de la jurisprudence ou du législateur. Or la stabilité est indispensable pour gérer et porter les engagements concernant des risques pouvant se manifester sur le long terme.
En l’occurrence, l’article 39 du PLFSS remet en cause sur le plan juridique et financier la portée des garanties données par les assureurs voilà plus de vingt ou trente ans pour les activités de soins accomplies à l’époque ! Un tel projet ne peut que confirmer la désaffection de la majorité des assureurs pour l’assurance de la responsabilité civile médicale et provoquer le départ de ceux, déjà si peu nombreux, qui s’intéressent encore à la protection des professionnels et des organisations de santé.
Il convient de rétablir, au niveau de l’action subrogatoire de l’ONIAM, une logique de responsabilité tenant compte des mécanismes indispensables au fonctionnement de l’assurance.
Enfin, les dispositions envisagées encourent la critique sur le plan juridique, tant devant le Conseil Constitutionnel que devant la Cour européenne des droits de l’homme, notamment en raison de l’atteinte au principe de sécurité juridique.
Il faudrait, me semble-t-il, reprendre les dispositions prévues par l’article 67 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 du 17 décembre 2008 et calquer l’action subrogatoire de l’ONIAM et des tiers payeurs en matière d’indemnisation des victimes du VHC sur celle qui est actuellement prévue par l’article L. 3122-4 du code de la santé publique en matière de contamination par le VIH : l’Office ne peut engager d’action au titre de cette subrogation que lorsque le dommage est imputable à une faute.
Cette modification répondrait par ailleurs à la volonté exprimée dans l’exposé des motifs du PLFSS adopté en conseil des ministres : « La rédaction des dispositions en cause est en outre harmonisée avec celle retenue en matière d’indemnisation des victimes de préjudices résultant de contaminations par le virus d’immunodéficience humaine. »
Je souligne de nouveau que, paradoxalement, l'article 39, dans la rédaction résultant des amendements du Gouvernement votés par l’Assemblée nationale, prévoit exactement l’inverse s’agissant de l’action subrogatoire.
Toujours est-il que, dans un souci de sécurité juridique et de stabilisation de l’assurance de responsabilité civile médicale, une modification de cet article me paraît indispensable afin de stabiliser les règles juridiques et de réaffirmer, comme pour les contaminations par le VIH, que l’ONIAM ne peut exercer d’action subrogatoire qu’en cas de preuve d’une faute.