Faute d'informations statistiques, il est quasiment impossible de savoir combien coûte à la collectivité nationale le maintien des régimes spéciaux. Le débat d'aujourd'hui nous fournit l'occasion d'aborder cette question quelque peu dérangeante.
Les régimes spéciaux, dans leur quasi-majorité, sont avant tout caractérisés par leur insuffisance structurelle de financement et présentent tous des ratios démographiques très défavorables. Leur survie n'est donc possible que grâce à l'apport de ressources extérieures, à hauteur de 60 % aujourd'hui, et de plus encore d'ici à trente ans si l'on n'agit pas maintenant.
Selon le rapport de la Cour des comptes de septembre 2006 sur l'exécution de la loi de financement de la sécurité sociale, la masse des pensions versées par les régimes spéciaux peut être ventilée en trois composantes : premièrement, les pensions qui seraient versées si les règles d'acquisition et de liquidation des droits à la retraite étaient celles des régimes de droit commun, c'est-à-dire le régime général et les régimes complémentaires ; deuxièmement, les avantages spécifiques liés à leurs règles plus favorables ; enfin, troisièmement, le coût du déséquilibre démographique stricto sensu.
Il n'existe malheureusement encore aucune étude permettant d'évaluer avec précision l'importance relative de ces différents facteurs. Tout juste peut-on indiquer qu'à l'occasion des travaux préparatoires de la loi du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières le ministère des finances avait précisé à notre collègue Dominique Leclerc que le surcoût du « chapeau » du régime des IEG s'expliquait grosso modo, pour moitié, par la précocité des départs en retraite et, pour le reste, par le mode de calcul plus favorable des pensions.
La question controversée du coût des régimes spéciaux nécessiterait donc des investigations complémentaires importantes qui font aujourd'hui défaut de la part des statisticiens publics. Nous disposons toutefois de quelques informations absolument incontestables pour en approcher la réalité.
Pour les soixante prochaines années, les engagements de retraite des sept principaux régimes spéciaux s'élèvent à environ 300 milliards d'euros, comme l'a dit tout à l'heure le président Nicolas About. Cette somme se décompose de la façon suivante : 105 milliards d'euros pour la SNCF, 90 milliards d'euros pour les IEG ; 27 milliards d'euros pour les marins, 25 milliards d'euros pour les mines - j'ai cru comprendre qu'on voulait avoir une démarche plutôt prudente vis-à-vis des marins et des mines... -, 23 milliards d'euros pour la RATP et 12 milliards d'euros pour la Banque de France. Vous conviendrez qu'il s'agit d'une somme considérable !
Le président Nicolas About l'a rappelé également, il existe une forte disproportion entre le faible nombre des cotisants - 471 000 pour 24, 4 millions d'actifs, soit 1, 9 % - et la part relative des retraités des régimes spéciaux - 1, 1 million sur un total de 13, 5 millions, soit 8, 1 % - dans la population française. Par conséquent, nous sommes aujourd'hui dans la situation suivante : à l'inverse du régime général, il y a moins d'un actif pour deux retraités dans les régimes spéciaux. Vous comprendrez qu'une telle situation ne peut perdurer. Au fil du temps, le régime général connaîtra également une dégradation.
Le montant des retraites versées par les sept grands régimes va s'accroître : il était de 11, 8 milliards d'euros en 2003 ; le conseil d'orientation des retraites l'estime à 13, 7 milliards en 2020 et à 18, 1 milliards en 2050.
Leur besoin de financement, qui était de 7 milliards d'euros en 2003, passerait à 10, 3 milliards en 2020, 10, 8 milliards en 2040, puis 12, 8 milliards en 2050. À législation inchangée, le recours croissant à la solidarité nationale est donc massif et inévitable.
Au total, il est quasiment impossible de savoir combien « coûte » à la solidarité nationale le maintien de ces régimes. Pour ma part, j'estime intuitivement à 6 milliards d'euros, au minimum, par an, le surplus de prestations versées, par rapport à la situation théorique qui verrait ces assurés sociaux affiliés au régime général et à l'AGIRC - l'ARRCO. Pour vous donner un point de repère, ces 6 milliards d'euros représentent environ la moitié du budget de l'enseignement supérieur en 2006.
Il paraît utile - le bureau et la commission des finances pourraient y réfléchir, monsieur le président du Sénat - de renforcer les moyens budgétaires de la commission des affaires sociales et de la MECSS, afin que nous puissions pousser nos investigations et faire appel à des bureaux d'études, si nécessaire extérieurs, pour mener à bien notre travail et aider le Gouvernement dans la connaissance, aussi précise que possible, de ce que représente le coût des régimes spéciaux dans le budget de la sécurité sociale.