La volonté de récompenser l'effort de ceux qui exerçaient un métier vital pour la nation ou qui étaient soumis à de fortes contraintes a conduit à la création de régimes de protection sociale spécifiques.
La question qui nous est posée aujourd'hui est de savoir si ces régimes spéciaux, en ce début du XXIe siècle, ont toujours une raison d'être et, plus largement, si d'autres secteurs d'activité nouveaux ne sont pas concernés par le stress et la pénibilité.
On tend à considérer en France que ce qui existait dans le passé doit se pérenniser. Or, en s'appuyant sur le seul bon sens, on est conduit à constater que les conditions qui justifiaient ces régimes spéciaux n'existent plus. Comme l'a récemment déclaré le chef de l'État : « Il existe des régimes spéciaux de retraite qui ne correspondent pas à des métiers pénibles, il existe des métiers pénibles qui ne correspondent pas à un régime spécial de retraite. »
Je ferai un rappel historique : ces régimes spéciaux, dont nous parlons tant, remontent parfois jusqu'à Louis XIV ! Comme vous l'avez souligné, monsieur le ministre, c'est en effet dès 1673 que les marins ont bénéficié d'une pension en cas de blessure les empêchant de continuer leur activité. En 1709 était institué un véritable régime de retraite pour tous les marins de commerce et de la pêche. Au XIXe siècle furent aussi mis en place les régimes de retraite de la Banque de France, de la Comédie-Française, des chemins de fer - en 1855 - et des mines. Je m'en tiendrai à cette litanie non exhaustive.
Par la suite, lors de la création du régime général des assurances sociales en 1930, puis du régime général de sécurité sociale en 1945, les ressortissants des régimes spéciaux choisirent pour la plupart de rester protégés par des régimes mieux adaptés à leur spécificité et qui offraient une meilleure protection. Quoi de plus normal !
La pénibilité du travail d'un conducteur de locomotive ou d'un mineur ne laissait à ces derniers, en moyenne, qu'une durée de retraite de cinq ans !
Le sujet que nous abordons est d'autant plus complexe que ces régimes sont parfois très différents. Certains assurent l'intégralité de la protection sociale de leurs membres : c'est le cas pour les marins, les agents de la SNCF, le personnel de la chambre de commerce et d'industrie de Paris ou les notaires. D'autres n'offrent qu'une protection partielle et ne touchent que la branche vieillesse : c'est le cas des régimes des fonctionnaires locaux, des employés des industries électriques et gazières ou des personnels de l'Opéra de Paris.
J'insisterai sur les trois principaux régimes spéciaux de retraite : EDF-GDF, SNCF et RATP. Comme le rappelle le rapport de la Cour des comptes, ces régimes concernent près de 500 000 bénéficiaires et comptent 361 000 cotisants actifs. Celui de la SNCF, dont bénéficient 178 000 agents, prévoit un départ à la retraite à cinquante-cinq ans, à cinquante ans pour les agents de conduite. À la RATP, les personnels de maintenance peuvent partir à la retraite à cinquante-cinq ans et les conducteurs à partir de cinquante ans. Enfin, à EDF et GDF, l'âge de départ à la retraite est fixé à soixante ans, sauf pour les salariés qui occupent des fonctions pénibles et qui peuvent partir à cinquante-cinq ans. Nous constatons donc une grande hétérogénéité, qui s'explique par des choix et un contexte datant d'environ soixante ans, et non par des causes contemporaines.
Pour éviter que les entreprises n'aient à supporter un financement de plus en plus lourd, EDF-GDF et la RATP ont d'ores et déjà entrepris d'adosser les retraites de leurs agents au régime général. Ce transfert de charges est compensé par le versement d'une soulte, à ceci près que les gaziers, électriciens et agents de la RATP continueront à bénéficier de conditions spécifiques plus favorables que les autres salariés : départ à cinquante-cinq ans, voire cinquante ans, durée de cotisations de trente-sept ans et demi au lieu de quarante, pension calculée sur le dernier salaire, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, qui regrette que la loi de 2003, alignant les durées de cotisations des fonctionnaires sur celles des salariés du privé, ne se soit pas occupée de cette question.
Ces régimes sont théoriquement autofinancés, mais, pour des raisons démographiques, ils sont de plus en plus déficitaires. Ce déficit est couvert par des subventions de l'État : 2, 5 milliards d'euros pour la seule SNCF, ce qui est considérable !
Alors que de nouveaux efforts s'annoncent en 2008 pour l'ensemble des Français et que le Gouvernement doit gérer équitablement ses dépenses publiques, il est difficile de ne pas réformer ces régimes.
C'est pourquoi les acteurs du système de retraite estiment en toute logique que la poursuite du statu quo est devenue impossible au-delà de l'horizon 2008. Nombre de syndicalistes et de membres du parti socialiste partagent cet avis. Je ne ferai pas l'exégèse des propos de Manuel Valls, de Michel Rocard ou du nouveau directeur général du FMI. Et puisque l'Union européenne et la mondialisation nous conduisent à la comparaison...