Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 2 octobre 2007 à 16h10
Immigration intégration et asile — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà donc réunis en ce tout début de session ordinaire pour examiner le projet de loi relatif à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, le énième texte sur le sujet, qui vise à durcir les conditions à remplir pour bénéficier du regroupement familial, d'une part, et à remettre en cause le droit d'asile, d'autre part.

Permettez-moi tout d'abord de rappeler le contexte dans lequel s'inscrit l'examen de ce texte, car il donne un éclairage saisissant sur l'obstination, voire l'obsession du Gouvernement en matière d'immigration.

Eu égard au contexte économique du pays, où ni la croissance ni l'amélioration du pouvoir d'achat ne sont au rendez-vous, où le chômage est en hausse, où les cadeaux fiscaux ne bénéficient qu'aux nantis, où le Gouvernement et sa majorité n'ont de cesse de « casser » ce qui forme le modèle social de la France - code du travail, régime des retraites, protection sociale, statut de la fonction publique -, il fallait bien, en cette rentrée parlementaire, détourner l'attention des Françaises et des Français et leur désigner sinon un responsable, du moins un ennemi potentiel, de préférence étranger et originaire du continent africain.

Quoi de mieux, dans ces conditions, qu'un projet de loi sur l'immigration prônant le rejet de l'autre, véritable pendant de la politique libérale du Gouvernement et de toutes les régressions sociales et antidémocratiques qui l'accompagnent ? Quoi de mieux pour faire passer cette politique que d'opposer les gens entre eux : les étrangers aux Français, les jeunes aux seniors, les employés du secteur public à ceux du secteur privé, par exemple ?

Le Gouvernement a donc convoqué le Parlement en session extraordinaire dès le 18 septembre dernier, essentiellement pour faire adopter son texte sur l'immigration, sur lequel il a de surcroît déclaré l'urgence. Pourtant, où est l'urgence en l'espèce ? La France serait-elle menacée par une invasion imminente d'étrangers ? Notre pays serait-il dénué de toute législation en la matière ? Pas du tout ! Il ne faut pas oublier que le présent texte est le quatrième en quatre ans ni que le regroupement familial et le droit d'asile ont déjà fait l'objet de restrictions sévères en 2003 et en 2006, sans parler de la loi sur le contrôle de la validité des mariages...

Nous légiférons donc une fois encore sur le même sujet sans disposer d'un bilan de l'application des lois antérieures. Pis : le présent texte n'est pas encore voté, monsieur le ministre, que vous annoncez déjà une nouvelle réforme, constitutionnelle, cette fois-ci, afin d'imposer les quotas d'étrangers en France - comme on impose les quotas laitiers ! -, alors que, derrière ces mots dénués de toute humanité, c'est de la vie de femmes, d'enfants et d'hommes qu'il est question.

Votre projet de loi, monsieur le ministre, intervient dans un contexte marqué par la politique du chiffre que mène le Gouvernement en matière d'expulsions du territoire, politique inhumaine s'il en est. Les objectifs chiffrés - 25 000 expulsions d'ici à la fin décembre 2007 - n'étant pas atteints, vous avez réuni les préfets pour les exhorter à « faire du chiffre » et à remplir les objectifs annoncés par votre prédécesseur, aujourd'hui Président de la République, alors que le législateur n'a jamais inscrit de tels chiffres dans quelque loi que ce soit.

Pour y parvenir, tous les moyens sont permis : outre la fameuse circulaire de février 2006 autorisant les arrestations de sans-papiers dans les préfectures, les hôpitaux ou les centres d'hébergement, le nombre de places en centres de rétention administrative est prévu à la hausse afin qu'il soit possible d'expulser plus de personnes. Certains préfets sont allés jusqu'à écrire aux maires ayant organisé des parrainages de sans-papiers pour les informer qu'ils étaient susceptibles d'être poursuivis pénalement pour aide au séjour irrégulier. On assiste à la multiplication des poursuites à l'encontre des « délinquants de la solidarité ». Les vols groupés, organisés à l'abri des regards de l'opinion publique, ont repris...

La chasse à l'homme, à la femme, à l'enfant sans papiers est ouverte. La terreur est telle chez les sans-papiers et leur famille que deux personnes - un enfant et une femme, qui est décédée - se sont défenestrées par peur des fonctionnaires de police venus les contrôler à leur domicile. C'est inadmissible, c'est scandaleux !

Le décor est planté : voilà donc, monsieur le ministre, mes chers collègues, à quoi mène votre politique sécuritaire à l'égard d'une certaine partie de notre population. Mais cela ne vous suffit pas, cela ne vous suffit plus. Comme vous ne pouvez pas décréter « l'immigration zéro » ni fermer les frontières ; comme, dans le même temps, vous avez un tant soit peu besoin, pour certains secteurs de notre économie où elle fait défaut, d'une main-d'oeuvre peu regardante sur les conditions de travail et sur les salaires, vous avez « choisi » de privilégier la seule immigration de travail, c'est-à-dire sans la famille, car seule la force de travail vous intéresse.

Pour ce faire, vous multipliez les obstacles - vous justifiez la démarche par des motifs plus fallacieux les uns que les autres - afin d'empêcher femme et enfants de venir rejoindre un époux, un père travaillant sur le territoire français. Il s'agit là d'un tournant radical, d'un changement idéologique profond dans la politique de l'immigration de la France. Cette tendance était certes déjà en marche, mais on fait aujourd'hui un sacré « bond en avant » vers le projet de société que vous voulez nous imposer.

C'est une véritable déclaration de guerre qui est faite aux étrangers. Mais pas contre les clandestins ni les illégaux, encore moins contre les trafiquants ou les passeurs, non, non ! Sont ici visés, d'une part, des étrangers régulièrement installés sur notre territoire, qui y travaillent, et qui veulent - c'est la moindre des choses ! - faire venir leur famille en France, et, d'autre part, des demandeurs d'asile ayant fui la misère, la famine, la guerre, qui règnent dans leur pays d'origine.

Ce que vous voulez, c'est privilégier la présence en France d'hommes triés sur le volet, jeunes, célibataires, sans charge de famille, en bonne santé, bien souvent taillables et corvéables à merci. Pas de problème de logement, pas de problème de scolarisation des enfants, c'est économique pour les allocations familiales autant que pour la sécurité sociale... Et, ce qui est également positif, à vos yeux, c'est que, en travaillant en France, l'étranger - sans charge de famille - pourra, grâce au livret épargne codéveloppement et au compte épargne codéveloppement, envoyer de l'argent dans son pays d'origine afin de contribuer au développement de celui-ci : la boucle est bouclée !

Une telle approche économique de l'étranger, à la fois utilitariste et opportuniste, ne peut que conduire à l'échec.

Avec votre texte, monsieur le ministre, des étrangers qui ont pourtant vocation à vivre en France vont se trouver placés devant un parcours semé d'obstacles difficiles à franchir. Ces obstacles, quels sont-ils ? Je n'aborderai ici que les plus symptomatiques de votre politique.

S'agissant, en premier lieu, des freins au regroupement familial, je commencerai évidemment par évoquer la disposition la plus honteuse pour notre pays, celle qui est relative aux tests génétiques.

Décriée par beaucoup à gauche comme à droite ainsi que par la communauté scientifique, religieuse et intellectuelle, cette mesure proposée prétendument pour « faciliter la délivrance de visas », bafoue en réalité nos principes éthiques et juridiques et s'attaque tout simplement à la dignité humaine.

Même avec les corrections que le Gouvernement tente de faire passer par l'entremise de certains sénateurs, même avec vos arguments, qui ne sont pas convaincants mais qui visent à troubler des élus de la majorité, je le dis avec force : cette mesure, parce qu'elle est discriminatoire, parce qu'elle est contraire à plusieurs conventions internationales et parce qu'elle n'est conforme ni à notre tradition humaniste ni à nos valeurs républicaines, cette mesure doit être supprimée, et le vote de la commission des lois du Sénat, la semaine dernière, doit être confirmé en séance publique.

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