À l'heure où d'aucuns veulent le faire taire, l'occasion nous est collectivement donnée, mes chers collègues, d'affirmer calmement son existence et son utilité.
Venons-en au texte et voyons comment nous pouvons y imprimer notre marque, à défaut de le renvoyer aux oubliettes, ce qui serait à mes yeux le plus raisonnable. Observons que la dernière loi sur l'immigration datait d'un an et que ses décrets d'application n'étaient pas tous parus quand fut présenté au conseil des ministres, le 4 juillet 2007, ce nouveau projet de loi. Rappelons qu'une loi antérieure, qui avait pour objet de mettre fin à « l'incapacité de l'État à maîtriser les flux migratoires », avait été promulguée le 26 novembre 2003.
Résumons : loi « Sarkozy I », en 2003, loi « Sarkozy II », en 2006, loi « Sarkozy III », en 2007, et j'en oublie sans doute ! Quelle débauche de textes et quel aveu d'impuissance pour celui qui se veut le grand réformateur ! À moins qu'il ne s'agisse d'une « gesticulation législative » destinée à détourner l'attention des vrais problèmes de la France, rongée par la dette et en proie aux inégalités.
C'est la vieille tactique du bouc émissaire et de la peur de l'étranger, l'inverse de la tradition française depuis 1789... Non pas que l'immigration clandestine ne soit pas un problème pour notre pays, au même titre d'ailleurs que pour toutes les nations développées du monde. Mais pourquoi ne pas la traiter rationnellement, efficacement, humainement, en dehors des surenchères politiciennes qui aggravent le mal au lieu de le guérir ?
Heureusement, la commission des lois de la Haute Assemblée a eu la sagesse d'adopter, la semaine dernière, des amendements visant à corriger les outrances de ce texte et à atténuer les mesures discriminatoires, à la limite parfois de la xénophobie. Qu'il s'agisse des conditions du regroupement familial, de l'obtention d'un titre de visa de long séjour pour les conjoints de Français ou du droit d'asile, je suivrai ces recommandations, et je souhaite que le Sénat tout entier adopte cette position.
Il y a, bien sûr, un sujet sur lequel l'opinion publique, et pas seulement en France, nous attend : c'est l'instauration de tests ADN pour confirmer la paternité ou la maternité biologique des candidats au regroupement familial. Cette malheureuse décision de nos collègues de la majorité de l'Assemblée nationale - peut-être suggérée par l'Élysée - a suscité une telle réprobation dans le pays et au sein même du Sénat que la commission des lois a adopté un amendement de suppression de cette disposition. Celui-ci a toutes chances d'être adopté en séance publique.
C'est ce que demandent en tout cas les plus hautes autorités philosophiques, morales et religieuses du pays, de même que d'éminents scientifiques, tel le professeur Axel Kahn, ou d'autres personnalités, tel le président Abdoulaye Wade, au nom du Sénégal. Un trouble profond a gagné l'opinion publique. Ce débat est pour nous l'heure de vérité ; il nous permettra de mettre devant leurs responsabilités les représentants de l'Assemblée nationale, lors de la réunion de la commission mixte paritaire. Le Sénat ne peut laisser passer cette chance d'affirmer son attachement aux droits de l'homme et de prouver qu'il est le contrepoids nécessaire à l'excessive et dangereuse concentration des pouvoirs.
Ce faisant, nous aurons évité le pire, mais nous n'aurons pas avancé d'un pouce sur les vrais dossiers : comment démanteler à l'échelle de l'Europe, et non pas de la France, les réseaux d'immigration clandestine ? Comment tarir la source des flux de migrants en mettant en place un véritable codéveloppement, notamment en Afrique ? Jacques Pelletier, le regretté président de notre groupe, rappelait à chaque occasion que c'était là la clé d'une maîtrise de l'immigration. Sa voix nous manque cruellement aujourd'hui, et pas seulement au Rassemblement démocratique et social européen !
C'est dans cet état d'esprit d'ouverture, mais aussi de fidélité aux grands principes qu'il a si bien incarnés, que j'aborderai ce difficile débat.