Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 2 octobre 2007 à 16h10
Immigration intégration et asile — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Monsieur le ministre, il ne faut pas que le débat sur les tests ADN, qui ont été légitimement rejetés par la commission des lois, soit l'arbre qui cache la forêt. Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui constitue, dans son ensemble, non seulement une menace permanente pour les étrangers vivant sur notre territoire et une restriction de liberté pour nos compatriotes voulant vivre avec eux, mais il porte aussi gravement atteinte au crédit de la France dans le monde. Les réelles difficultés de certains territoires d'outre-mer méritent un traitement particulier, mais elles ne sauraient justifier ce texte général.

Nous sommes à l'heure de la mondialisation. Personne ne conteste la nécessité de s'y adapter, à commencer par le Président de la République, qui a récemment confié à Hubert Védrine la mission de rédiger un rapport sur ce sujet.

Alors, monsieur le ministre, je vous pose la question : que signifie pour vous la mondialisation ? À nos yeux, c'est une réalité que nous devons regarder en face !

En ce début de XXIe siècle, les distances se sont réduites, les communications sont instantanées. Dans ces conditions, comment imaginer un monde dans lequel les capitaux et les informations circuleraient librement tandis que les êtres humains seraient pour le plus grand nombre voués à rester sur leur territoire d'origine ? Se mettre à l'heure de la mondialisation nous oblige à admettre que les mouvements de population dans le monde vont s'amplifier et non se restreindre.

L'obsession de « maîtriser les flux migratoires », qui semble être la vôtre à travers ce énième projet de loi, est donc assez largement irréaliste. Elle est également contraire aux principes républicains qui ont fait de la France un pays respecté et influent dans le monde.

Jeter la suspicion en permanence sur l'étranger, c'est se fermer au monde. La France court un grand danger en se prêtant à cette escalade. S'en prendre à l'étranger ne réglera aucun de nos problèmes. Au contraire, cela nous isolera du reste du monde, nous laissant seuls face à nos difficultés.

La France est un pays d'immigration depuis le XIXe siècle. Elle a massivement fait appel à la main-d'oeuvre étrangère pour reconstruire le pays après 1945. En 1974, elle a commencé à fermer ses frontières quand elle a pris peur face à la crise économique mondiale. Depuis cette date, le chômage a-t-il été enrayé ? Non, il a augmenté !

L'argument tronqué et inlassablement rabâché selon lequel « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » est à côté de la plaque. Les difficultés économiques et sociales que vivent les Français ne tiennent pas à la présence d'étrangers, qu'ils soient en situation régulière ou non, sur notre sol ; elles sont dues aux problèmes structurels de notre société : manque de compétitivité de nos entreprises, investissement public insuffisant en matière de recherche et d'innovation, déficit de logements, difficultés d'adaptation de notre appareil éducatif.

Comme l'a rappelé M. Collombat, la proportion d'étrangers sur notre territoire est stable depuis vingt-cinq ans, représentant de 5 % à 6 % de la population, soit un peu plus de trois millions de personnes pour un pays de soixante millions d'habitants. Quant aux étrangers en situation irrégulière, leur nombre est estimé à 400 000, soit 0, 6 % de la population. Il n'y a donc aucune vraie raison de vouloir durcir les conditions de l'immigration légale, si ce n'est une volonté d'affichage politique en réponse au trouble de l'opinion.

Monsieur le ministre, vous affirmez vouloir lutter contre l'immigration clandestine. Pourtant, aucune disposition majeure du projet de loi n'y est consacrée. Pis, en durcissant les conditions de l'immigration légale, vous prenez le risque de faire flamber les prix des passeurs et des réseaux clandestins, qui prospèrent précisément sur les refus de visas et de titres de séjour.

En réalité, l'essentiel de votre texte vise à dresser des obstacles à l'immigration légale.

Si votre projet de loi était voté en l'état, l'administration française serait conduite à exiger des candidats au regroupement familial une formation à la langue française et des documents alors que ces candidats peuvent être issus de pays où, vous le savez bien, le droit à l'éducation n'est pas encore assuré et où l'administration ne dispose pas des moyens de la France, particulièrement en matière d'état civil. C'est pourquoi nous demanderons la suppression des articles 1er et 2.

Le problème des visas est devenu chez nos partenaires étrangers le symbole d'une France suspicieuse, frileuse et un tantinet xénophobe. Ce n'est pas la France que nous aimons !

Pour justifier les expulsions du territoire, vous répétez que « la loi doit être respectée ». Mais le Gouvernement, lui, respecte-t-il les engagements internationaux de la France, c'est-à-dire la loi internationale, notamment l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui assure à chacun le droit au respect de sa vie privée et familiale ?

Vous avez défini un objectif, « l'immigration choisie », qui fait craindre à de nombreux pays, notamment en Afrique, une « fuite des cerveaux » qui compliquerait encore leurs conditions de développement. À l'inverse, les difficultés cumulées pour venir faire des études en France font qu'un grand nombre d'étudiants étrangers renoncent à s'inscrire chez nous et préfèrent d'autres destinations.

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