Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 2 octobre 2007 à 16h10
Immigration intégration et asile — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le droit de vivre en famille est aujourd'hui un élément fondamental de la politique française en matière d'immigration. Ce droit, reconnu par le droit international, s'impose à notre droit national.

Permettez-moi un bref mais nécessaire rappel : depuis le début du siècle dernier, la France a voulu attirer non seulement des travailleurs, mais également des familles pour diverses raisons.

Les étrangers ont pendant longtemps été considérés comme une source précieuse d'enrichissement, notamment du point de vue économique et démographique.

Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreux hommes sont venus d'ailleurs pour libérer notre pays du nazisme. Certains d'entre eux sont restés sur notre sol pour aider à la reconstruction de la France, et ils ont alors été rejoints par leur famille.

En fait, dès le début du siècle, la France a cherché à attirer vers elle non seulement des travailleurs immigrés, mais également des familles.

Cependant, dès 1975, avec la crise, une nouvelle vision de l'immigration a fait place à une conception plus restrictive : seuls les hommes, les travailleurs, ont été les bienvenus. Tout a été mis en oeuvre à cette époque pour dissuader les travailleurs de faire venir leur famille.

Pour mémoire, il existait même un fonds, le Fonds d'action sociale, le FAS, qui versait des allocations aux familles restées au pays et qui finançait les foyers SONACOTRA, pour travailleurs étrangers.

Ce fonds a d'ailleurs permis, après 1978, de financer certaines associations afin qu'elles mènent des actions d'insertion et d'intégration auprès des familles de migrants.

Pourquoi 1978 ? Parce que c'est à cette date que le Conseil d'État a admis que le droit à une vie familiale était un principe reconnu par les lois de la République.

Dès ce moment, on pensait que la bataille pour le regroupement familial était définitivement gagnée. Aujourd'hui, votre projet de loi l'a remise au goût du jour.

Si, en juillet 1984, les conditions du regroupement familial ont été durcies par Mme Dufoix, votre projet de loi va encore plus loin. C'est une véritable déclaration de guerre aux familles que vous nous soumettez. C'est un bond en arrière de trente ans que vous nous proposez de faire, un bond dans une période où le droit de vivre en famille n'était reconnu ni dans le droit national ni dans le droit international, un bond dans une période ou le respect des droits humains ne signifiait pas la même chose qu'aujourd'hui.

Savez-vous que, durant des années, la France était un exemple en matière d'immigration et de protection de ce droit ? L'Europe entière s'est inspirée de notre modèle.

Aujourd'hui, vous nous proposez de revenir sur ce qui a fait la fierté de la France aux yeux de nombreux États : notre capacité à accueillir les familles, familles que la France elle-même, à une certaine période, a démembrées.

Votre projet de loi s'inscrit parfaitement dans cette idée de démembrement des familles. « Enrobé » de certaines propositions sur l'aide à l'intégration des familles, il est en réalité une abdication de la nécessité devant l'utilité.

Vous voulez nous faire croire, au travers de ce projet de loi, que l'immigration familiale est inutile et coûteuse. L'objectif qui vous a été assigné par le Président de la République est d'atteindre 50% d'immigration économique.

Là se trouve le noeud de discorde. Cette immigration économique, c'est au détriment de l'immigration familiale que vous souhaitez la développer. Peu importe le bonheur de vivre avec ses enfants, peu importe le droit de vivre en famille : ce qu'il faut, c'est du chiffre !

Ce projet de loi a donc un double objet : d'une part, limiter le regroupement familial, cette immigration que vous considérez inutile, d'autre part, malgré votre discours sur l'aide au développement et la coopération, piller les cerveaux des États étrangers et vider ces derniers de leurs matières grises pour mieux inscrire la France dans la concurrence internationale. Vous pratiquez un vandalisme intellectuel indigne de notre pays !

Développer l'immigration économique aurait pu être une démarche louable si cela ne s'était pas fait au détriment de l'immigration familiale.

Comment est-il possible, en effet, de transformer une question aussi importante que l'immigration en un jeu arithmétique ?

Comment peut-on transformer la famille en une variable d'ajustement de votre politique d'immigration ?

Comment pouvez-vous ne pas avoir un instant à l'esprit ce que le droit de vivre ensemble signifie pour toutes ces familles et leurs enfants ?

Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous dire qu'une vie familiale normale n'est ni un gadget juridique ni une vue de l'esprit. Il s'agit d'un droit, d'un droit à respecter, car on m'a appris qu'un droit se respecte !

Or, c'est un droit que vous malmenez, que vous déformez dans le seul but de l'anéantir. C'est un droit que vous osez manipuler à des fins statistiques, sans en mesurer toutes les conséquences humaines.

Votre projet de loi masque une conception de l'étranger vexatoire, déstabilisante et qui stigmatise toute une partie de la population.

Vous érigez l'étranger en manipulateur, en fraudeur, en profiteur, en délinquant, en menteur. Il est présumé, avant même avoir mis un pied dans notre pays, être un agent contaminant pour la société française.

L'an dernier, vous nous avez fait légiférer sur la validité des mariages. Cela ne visait en réalité qu'à empêcher les mariages binationaux, que vous considérez comme suspects.

Aujourd'hui, votre projet de loi va même jusqu'à condamner des citoyens français d'avoir fait, malgré tout, ce choix d'épouser un étranger, en compliquant leur droit à vivre en famille !

Ce projet de loi fait plus qu'alimenter la « lepénisation » des esprits : il en est l'expression la plus aboutie !

Ces mesures restrictives apparaissent, pour citer la déclaration d'hier de la Conférence des évêques de France, « comme des concessions à une opinion dominée par la peur ». Les évêques ajoutent d'ailleurs que l'utilisation des tests génétiques pour vérifier les liens de parenté fait courir le risque d'une grave dérive sur le sens de l'homme et la dignité de la famille. Cela constitue une intrusion dans la vie privée et l'intimité des familles prohibée à l'égard des familles françaises.

Ainsi, vous légalisez l'inégalité entre les Français et les étrangers quant à la preuve possible de la filiation, et vous entrez en contradiction avec notre tradition juridique et notre droit de la famille.

Ce n'est pas en rejetant l'autre que vous construirez une France meilleure. Notre France est d'ailleurs le fruit d'un métissage, d'une acceptation de l'autre que votre majorité n'a cessé de tenter de détruire depuis 1997.

En effet, ce projet de loi, comme les précédents textes défendus par votre majorité, jette une suspicion sur l'étranger que nous récusons sous toutes ses formes. Il fait de l'étranger la source de tous les maux de la société française.

Vous avez pris l'exemple du chômage des jeunes étrangers. Il serait plus important que celui des jeunes Français, notamment parmi les diplômés.

Je tiens à vous rappeler, monsieur le ministre, que, si les étrangers connaissent des difficultés pour accéder à une activité professionnelle rémunérée à sa juste valeur, cela n'a rien à voir avec leur degré d'intégration ou leur connaissance du français. En effet, les discriminations qu'ils subissent sont souvent liées à leurs origines et à la couleur de leur peau. C'est la raison pour laquelle la France a été obligée par l'Union européenne de créer la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE.

Mais qu'apporte de plus votre projet de loi pour lutter contre ces discriminations ? Le terme « discriminations » a même disparu, par enchantement, de l'article L. 111-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Cette suppression est révélatrice de votre démarche. Vous fichez, comptabilisez, sanctionnez les étrangers, mais rien n'est prévu pour lutter effectivement contre les discriminations subies par eux, y compris lorsqu'ils sont en situation régulière.

Une vision aussi simpliste est - dois-je vous le rappeler ? - le point de départ des plus grandes tragédies humaines de notre histoire.

C'est en cela que votre projet est scandaleux ! Il crée la peur et institutionnalise la xénophobie ; il engendre une défiance à l'égard de l'étranger, traite ce dernier en paria, l'humilie avant même de lui donner sa chance.

Après le mythe du bon sauvage, nous avons eu le sauvageon. Voilà maintenant le mythe du sauvage tout court !

Monsieur le ministre, si cette loi avait existé voilà cinquante ans, elle aurait privé la France de nombre de citoyens, de sportifs, de ministres au sein de l'actuel gouvernement, sans parler de tous ceux qui, dans l'ombre, contribuent à la richesse de la France.

Plusieurs sénateurs, dont moi-même, ne seraient pas là aujourd'hui. Plusieurs collègues parlementaires, qui ont choisi de se marier à des étrangers, n'auraient pas pu avoir une vie familiale normale.

Imaginez donc maintenant toutes les pertes et le gâchis que provoquera ce projet de loi dans cinquante ans. Imaginez les désillusions et la détestation que nourrira cette loi, tant à l'étranger qu'en France.

Je souhaite revenir sur quelques exemples édifiants.

Concernant d'abord la formation mise en place par ce projet de loi, pensez-vous réellement qu'un stage de 108 heures pourra permettre à un individu de mieux s'intégrer et de mieux connaître le français ?

Le meilleur moyen de connaître une langue n'est-il pas l'immersion dans celle-ci ? Je me souviens de nos professeurs d'anglais au collège, qui nous recommandaient de partir en stage en Grande-Bretagne pour bien apprendre l'anglais.

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