Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 14 février 2007 à 15h00
Banque de france — Adoption définitive d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis en deuxième lecture pose une question essentielle : devons-nous légiférer sur un thème de cette nature alors même que les évolutions politiques futures peuvent frapper d'obsolescence l'objet de notre débat ?

Le titre de cette proposition de loi pourrait sembler séduisant. On pourrait penser en effet que celle-ci devrait porter sur le devenir de notre banque centrale nationale, soit une question éminemment politique, cette institution pouvant contribuer à la mise en oeuvre des orientations politiques validées par le suffrage universel.

En fait, les apparences sont trompeuses !

L'examen en première lecture de cette proposition de loi, ici même, au mois d'octobre 2006, comme le débat mené, à la va-vite, à l'Assemblée nationale, le 17 janvier dernier, l'ont montré : ce n'est pas d'une réflexion sur le rôle de la banque centrale dans la vie économique et sociale du pays qu'il s'agit, mais seulement, hélas, d'une attaque en règle contre les droits de ses salariés.

Les motivations profondes de la proposition de loi de M. Arthuis sont, d'une part, l'esprit de revanche à l'encontre des salariés qui, non contents d'assumer des missions de service public, se piquent aussi de formuler quelques propositions sur le sens de la vie économique du pays, en commençant par leur propre entreprise et, d'autre part, la volonté de mettre en cause des fondements du dialogue social, la situation de la Banque de France présentant, dès lors, un caractère exemplaire.

Pour nourrir ce procès mené contre le droit du travail à la Banque de France, vous avez orchestré une campagne de presse sur la base d'informations mensongères.

Ainsi, les salariés de notre banque centrale jouiraient d'avantages sociaux inconsidérés, matérialisés par le niveau trop élevé des prestations fournies par le comité central d'entreprise pendant leur période d'activité et, au terme de celle-ci, par leur régime de retraite particulier.

Comme nous l'avons rappelé lors de la première lecture de cette proposition de loi, le comité central d'entreprise, par exemple, prend en charge les seules prestations accidents du travail-maladies professionnelles, les autres versements étant assurés par la branche du régime général. Il ne s'agit donc en rien d'un avantage spécifique aux personnels de la Banque de France.

Dans votre esprit, messieurs, le statut de ces salariés constituerait une sorte de luxe que nous ne saurions tolérer plus longtemps, une anomalie qu'il conviendrait de corriger.

Malheureusement, la même vertueuse indignation n'a pas cours dès qu'il s'agit des golden parachutes et autres avantages consentis aux cadres dirigeants d'entreprises, dont la presse s'est pourtant également fait l'écho ces dernières années !

Selon vous, les avantages sociaux ne sont pas normaux quand ce sont les salariés qui en profitent, mais les bonus fiscaux et l'argent public généreusement dépensé pour les détenteurs de capitaux et de patrimoine sont toujours bons pour l'économie !

Nous le savons, le régime de retraite des agents de la Banque de France se trouve dans l'oeil du cyclone, et il s'agirait de mettre en question - sinon de mettre en cause - une partie de son contenu.

Notre collègue député M. de Courson, orateur du groupe UDF, indiquait le 17 janvier dernier à l'Assemblée nationale : « La famille UDF a une position très claire sur les régimes spéciaux : nous sommes pour la mise en extinction des régimes spéciaux - ceux qui y sont y restent leur vie durant, mais les nouveaux entrants sont au régime général [...] ». Et il ajoutait en conclusion : « Néanmoins, madame la ministre, nous souhaiterions être éclairés sur le point essentiel de la réforme du régime de protection sociale des agents de la Banque de France, réforme qui, je le répète, indique la voie à suivre pour résoudre le problème de l'ensemble des régimes spéciaux en France. »

La modification du régime de la Banque de France serait ainsi une sorte de « poisson pilote » de cet alignement des régimes spéciaux, qui, comme chacun s'en doute, sera réalisé par le recul de l'âge du départ à la retraite des agents concernés et par une dégradation du niveau des pensions servies au titre de la garantie collective solidaire.

La suppression éventuelle de la qualité des régimes spéciaux permettra-t-elle d'assurer le versement de retraites plus élevées qu'aujourd'hui aux ressortissants du régime général ? Les quelques centaines de millions grappillés de-ci de-là sur les régimes spéciaux auront-ils la moindre traduction concrète pour l'ensemble des autres retraités ? À l'évidence, non !

Votre obsession à combattre les régimes de retraite dits « spéciaux » ne vise aucunement à améliorer les garanties collectives servies à tous, mais plutôt à créer un appel d'air, un vide, afin que l'ensemble des salariés de ce pays, qu'ils participent par leur travail au financement du régime général ou des régimes spéciaux, se trouvent contraints, demain, de cotiser de manière individuelle aux fonds de pension les plus divers qui ne manquent pas d'émerger depuis l'adoption de la réforme des retraites en 2003 - ce qui revient d'ailleurs à les obliger à financer leurs retraites à hauteur de leur capacité contributive et donc à cristalliser durablement, y compris au terme de la vie professionnelle, les inégalités de revenu !

Au-delà de cet aspect du texte qui nous est soumis, monsieur le président, mes chers collègues, vous me permettrez de faire également quelques observations sur le rôle de notre banque centrale, car nous avons quelques idées à ce sujet.

La véritable réforme de la Banque de France, que nous attendons toujours, c'est celle qui mettrait en question, à la lumière de l'expérience acquise depuis lors, la réforme de 1993, qui a limité le rôle de cette institution, comme celui des autres banques centrales européennes regroupées dans le système européen de banques centrales, à « définir et mettre en oeuvre la politique monétaire dans le but d'assurer la stabilité des prix ».

En effet, la Banque de France joue un rôle particulier dans l'aménagement du territoire, dans le suivi de l'endettement des entreprises comme des ménages, dans l'étude de la qualité de la circulation monétaire, dans la connaissance du tissu économique et la transmission d'une information de qualité aux agents économiques, dont elle éclaire les choix. Nous tenons à ce service public !

En tant que parlementaires dépositaires de la souveraineté nationale, nous avons vocation à user de l'activité et des missions de la Banque de France, afin de décider en toute connaissance de cause des orientations de la politique économique, de la politique industrielle - qui constitue, d'ailleurs, le parent pauvre de cette législature, puisque 300 000 emplois ont été supprimés dans ces secteurs - et donc de nos choix budgétaires.

Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons naturellement qu'inviter le Sénat à rejeter, sans la moindre ambiguïté, cette proposition de loi.

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