Intervention de Philippe Bas

Réunion du 14 février 2007 à 15h00
Protection juridique des majeurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un texte important que M. le garde des sceaux et moi-même avons l'honneur de vous présenter. À cet égard, je voudrais saluer la qualité du travail accompli par la commission des lois et la commission des affaires sociales pour préparer le débat d'aujourd'hui.

Cette réforme était nécessaire. En effet, M. le garde des sceaux l'a rappelé à l'instant, la tutelle est trop souvent utilisée à des fins autres que celles pour lesquelles elle a été créée. Par ailleurs, les textes qui la régissent datent d'une quarantaine d'années.

Aujourd'hui, la tutelle est utilisée à des fins sociales, faute d'instruments mieux adaptés. Privative de droits, sans alternative, elle n'est pratiquement jamais révoquée. Il faut cesser de l'utiliser à des fins d'accompagnement social, en la réservant pour des situations d'altération grave et permanente des facultés mentales. Dans ce dernier cas, l'exercice de la tutelle doit être mieux encadré.

Du fait des dérives actuelles dues à l'absence d'instruments alternatifs destinés à la protection des incapables majeurs, de la poussée démographique - nous savons que le nombre de personnes âgées de plus de quatre-vingt-cinq ans va doubler dans les dix ans à venir, passant de 1, 1 million à 1, 9 million -, mais aussi de la progression de la maladie d'Alzheimer, le nombre de majeurs protégés est en augmentation constante depuis plusieurs années. Ainsi, 850 000 de nos compatriotes souffrent d'ores et déjà de cette affection. Par conséquent, si nous continuons à utiliser la tutelle pour répondre aux difficultés des personnes atteintes de cette maladie, notre régime des tutelles, qui est d'ores et déjà proche de l'embolie, risque tout simplement la paralysie totale.

À travers cette réforme, le Gouvernement prend trois engagements : créer et développer des alternatives à la tutelle ; adapter la protection des personnes à l'évolution de leurs capacités, en créant, lorsque c'est possible, un véritable parcours d'autonomie ; apporter des garanties nouvelles aux personnes, comme aux familles.

Pour mettre en oeuvre ces engagements, le Gouvernement respectera une exigence fondamentale, celle d'assurer le financement de la réforme sans pénaliser les départements, lesquels seront les principaux acteurs pour son volet social. Les départements doivent évidemment pouvoir s'engager dans cette voie en disposant de toutes les assurances nécessaires s'agissant de l'équilibre des financements mobilisés.

Le premier engagement est donc de créer et de développer des alternatives à la tutelle.

Plus du tiers des bénéficiaires adultes de tutelles aux prestations sociales est concerné. Ces personnes sont souvent des blessés de la vie, touchés par la maladie ou la dépression, frappés par le chômage ou la précarité. Elles ne parviennent plus à gérer leur budget, à payer leur loyer, à faire face aux dépenses de la vie courante. Elles risquent de tomber dans l'errance, de compromettre leur santé et de mettre leur vie en danger.

Pour ces personnes, nous proposons de créer une mesure d'accompagnement social personnalisé, qui interviendrait en amont du dispositif judiciaire. Elle prendra la forme d'un contrat passé avec les services sociaux du conseil général et comportera une aide à la gestion des prestations sociales et un accompagnement social personnalisé. C'est ainsi que nous éviterons l'ouverture de mesures judiciaires non justifiées.

Les familles et les personnes concernées seront associées et entendues à chaque étape de la procédure. S'il en a la capacité, le majeur protégé pourra renouer avec l'autonomie puisqu'un examen périodique de la situation est prévu. Hier, une personne qui se retrouvait sous tutelle n'avait plus « voix au chapitre ». Désormais, elle sera accompagnée, écoutée, mais aussi responsabilisée, car nous ne désespérons pas de la voir recouvrer, après une période de crise aiguë, l'ensemble des attributs de la citoyenneté, de la responsabilité et de l'autonomie. Il s'agit de lui permettre de retrouver son indépendance, parce que la solidarité passe aussi par la responsabilité de celui qui en bénéficie.

Le deuxième engagement du Gouvernement est d'adapter la protection de chaque personne à l'évolution de ses capacités, en créant, lorsque c'est possible, un véritable parcours vers l'autonomie.

Bien sûr, il faut d'abord protéger les intérêts fondamentaux de la personne et sa sécurité : c'est le sens du placement sous protection judiciaire. Mais nous devons aussi prendre en considération ses droits légitimes et lui garantir, autant que possible, l'exercice de ses libertés. Un statut très protecteur, peut-être trop protecteur, comme la tutelle, n'encourage pas la personne protégée à évoluer pour assumer de nouveau ses responsabilités. Nous voulons faire le pari de la confiance, chaque fois qu'il sera réaliste. C'est pourquoi le projet de loi que nous vous soumettons permet à toute personne dont la situation évolue favorablement de reprendre l'exercice de ses droits.

Dans cette optique, tout un éventail de mesures sera déployé, de l'accompagnement social jusqu'à la tutelle et, dans d'autres cas, de la tutelle jusqu'à l'autonomie.

La mesure d'accompagnement social personnalisé constitue le premier niveau d'accompagnement. Si elle échoue, une seconde mesure, plus contraignante, d'accompagnement judiciaire pourra être mise en oeuvre. Bien qu'elle soit de même nature que la mesure d'accompagnement social, elle sera décidée par le juge. Cette contrainte est nécessaire, parce que la personne s'est dérobée au contrat. C'est alors un tiers qui gérera les prestations sociales de la personne protégée, laquelle conservera néanmoins ses droits civiques et ses droits sur son patrimoine. Au fond, nous proposons de ne retirer que les droits ne pouvant réellement plus être exercés, car il ne faut plus passer du tout au rien !

Enfin, la curatelle et la tutelle seront désormais réservées aux personnes les plus vulnérables, qui souffrent d'une altération le plus souvent définitive de leurs facultés mentales.

Je veux m'arrêter à mon tour sur le mandat de protection future, dispositif très important prévu par le projet de loi.

Cette mesure, essentielle pour deux catégories de personnes dont j'ai plus particulièrement la charge, les personnes âgées et les personnes handicapées, a été annoncée lors de la conférence de la famille de 2006.

Là encore, nous privilégions le contrat, qui permettra désormais à chacun d'entre nous d'organiser à l'avance sa prise en charge en cas d'altération mentale. Je pense notamment à la maladie d'Alzheimer. Toute personne pourra désormais choisir celui ou celle qui prendra soin d'elle et de ses biens le jour où ses facultés seront altérées par cette maladie.

Je pense aussi aux parents d'un enfant handicapé majeur, qui se demandent toujours avec angoisse qui s'occupera de leur enfant s'ils viennent à disparaître ou s'ils ne sont plus en mesure d'assumer cette prise en charge. Cette question est devenue leur principal souci, en raison du vieillissement des personnes handicapées. Grâce au mandat prévu par le projet de loi, ils pourront désigner à l'avance celui ou celle qui prendra soin de leur enfant après eux.

Enfin, le troisième engagement du Gouvernement est d'apporter des garanties nouvelles aux familles comme aux personnes protégées.

Les familles, je le rappelle, prennent directement en charge plus de la moitié des tutelles. Je tiens à leur rendre hommage : c'est un bel exemple de solidarité, qui appelle de la part des associations et des acteurs sociaux aide et soutien. Sans les familles, nous ne pourrions pas assumer la responsabilité des personnes les plus vulnérables. L'Assemblée nationale, avec l'appui du Gouvernement, a d'ailleurs décidé de mettre en place un dispositif d'aide et d'information, qui permettra aux familles de trouver plus facilement des solutions aux difficultés qu'elles rencontrent si souvent aujourd'hui.

Madame le rapporteur pour avis, vous soulignez dans votre rapport que le projet de loi redonne la priorité aux familles en matière de protection des majeurs. Les mesures de protection seront en effet confiées en priorité à un proche, pourvu qu'il entretienne des liens étroits avec la personne protégée. Le texte étend ainsi le nombre de celles et de ceux qui pourront assumer cette fonction pour l'un des leurs.

Aujourd'hui, les tutelles, lorsqu'elles ne sont pas assurées par les familles, sont confiées à des associations tutélaires, à des mandataires ou aux établissements qui accueillent des personnes sous tutelle. Si les intervenants, dans leur ensemble, s'acquittent généralement avec dévouement de leurs responsabilités, trop d'abus ou de négligences sont encore constatés.

Nous avons donc voulu que soient à la fois mieux encadrés et mieux formés les mandataires judiciaires à la protection des majeurs. Si l'on ne doit pas réduire une profession à quelques dérives, force est de constater qu'elles existent. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de professionnaliser davantage la fonction de mandataire et de renforcer les contrôles.

Un certificat national de compétence sera ainsi créé. Le mandataire devra être inscrit sur une liste tenue par le préfet, après avis favorable du procureur de la République. L'État assumera la responsabilité de contrôles renforcés.

Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, pour nos trois engagements.

J'en viens maintenant à l'exigence que j'ai évoquée tout à l'heure : il s'agit d'assurer le financement de la réforme sans pénaliser les départements, qui seront les principaux acteurs des changements à venir. Nous leur devons cette garantie.

Les départements constituent, en effet, l'échelon de proximité qui garantit l'efficacité de notre politique sociale. Cette réforme conforte leurs missions actuelles et, donc, la cohérence de l'action sociale.

Certains départements ont exprimé la crainte que cette réforme n'alourdisse leurs dépenses. Je veux leur répondre, afin de dissiper les inquiétudes qui ont pu naître.

Vous avez souligné, monsieur le rapporteur, le travail mené par le Gouvernement pour s'assurer que le financement de ce dispositif pourrait fonctionner correctement, ce dont je vous remercie.

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