Intervention de Alain Fouché

Réunion du 14 février 2007 à 15h00
Protection juridique des majeurs — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Alain FouchéAlain Fouché :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est parce que, dans certaines situations, la liberté opprime que la loi, qui affranchit, est nécessaire.

C'est en vertu de ce principe que le législateur est intervenu, dès 1966, pour instituer la tutelle aux prestations sociales servies aux adultes et qu'il a défini et organisé, deux ans plus tard, les mesures de protection juridique que constituent la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle.

Sous l'empire de ce cadre légal, le nombre des personnes protégées est passé de 85 000 en 1975 à 700 000 aujourd'hui.

Si le nombre des mesures de protection a augmenté de la sorte, c'est en partie parce que le nombre des personnes ayant besoin que leurs biens et leur personne soient protégés a également progressé. Mais c'est aussi, et surtout, parce que les procédures ont été très souvent dévoyées.

Le dispositif en vigueur, initialement destiné à protéger les majeurs souffrant d'une altération de leurs facultés mentales, est trop souvent utilisé pour des personnes en grande difficulté sociale.

De ce point de vue, l'application du régime de protection des majeurs peut être rapprochée de celle des procédures de surendettement des personnes physiques prévues par le code de la consommation.

Le rapport de 1998 des trois inspections générales, respectivement des services judiciaires, des finances et des affaires sociales, mettait en lumière la qualification extensive de la prodigalité, qui permettait de justifier une cause de placement sur cinq.

De plus, le principe de la gradation des mesures n'est pas plus respecté que celui de la priorité familiale. On ne peut également que déplorer l'absence d'un statut uniforme pour l'ensemble des personnes exerçant des mesures de protection, personnes qui sont souvent des gérants de tutelle.

Enfin, les modes de financement se caractérisent par leur multiplicité et par leur inégalité, le tout pesant de plus en plus lourdement sur les finances publiques, en particulier au titre de la rémunération complémentaire.

À cet égard, la perspective d'un coût prévisionnel pour les financeurs publics de 650 millions d'euros en 2013, par rapport au coût actuel de 400 millions d'euros, ne peut laisser indifférent.

Dans ces conditions, il est indéniable que cette réforme était vivement souhaitable, les moyens engagés ne répondant plus aux objectifs initiaux.

Cette réforme s'imposait d'autant plus que les pays voisins, tels l'Allemagne et l'Italie, ont été à l'origine d'un mouvement ces dernières années ; ils ont fait prévaloir des principes et des modalités qui méritent largement d'être retenus, qu'il s'agisse de l'adaptation des mesures aux besoins des majeurs ou de la possibilité d'anticiper l'organisation de sa propre protection.

La réforme qui nous est aujourd'hui soumise fait l'objet d'un large consensus. Elle est en effet ambitieuse et pragmatique.

Elle trace une ligne de partage claire entre les mesures de protection juridique et les mesures d'accompagnement social ; elle réaffirme les principes de nécessité, de subsidiarité et de proportionnalité de la protection juridique ; elle replace la personne au centre des régimes ; elle met en place un régime d'accompagnement social spécifique ; elle renforce les acteurs de la protection et devrait améliorer les financements.

Ces orientations ayant été très bien détaillées par les rapporteurs, je concentrerai mon propos sur la protection de la personne et sur l'implication des départements, non sans avoir préalablement salué le remarquable travail accompli par le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About, qui a placé notre assemblée à la pointe de ce combat.

La protection de la personne est au coeur de la réforme, et c'est essentiel.

Cette protection se manifeste aussi bien dans la définition des personnes autorisées à demander l'ouverture d'une mesure judiciaire de protection que dans le choix du protecteur.

Désormais, la communauté de vie et la cohabitation deviennent l'élément majeur permettant d'être requérant, donc partie à la procédure. La loi se met ainsi en conformité avec les moeurs, qui évoluent, et élargit la famille traditionnelle au partenaire du PACS ou au concubin.

Il sera également possible de désigner toute personne qui s'intéresse au majeur comme curateur, ou même comme tuteur, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Il s'agit là d'un très grand progrès. Pour gérer leurs affaires, de nombreuses personnes isolées et sans famille ont choisi l'enfant de leur ami de coeur, leur « filleul » sans lien de parenté, pour garder des liens affectifs souvent plus soutenus que ceux qui les rattachent à des neveux éloignés. Or, actuellement, cette personne si proche par choix ne peut être désignée comme tuteur, ce qui contraint de nommer un tuteur professionnel dans des circonstances où l'affection n'a pas besoin de liens familiaux.

Ce sera également un bon moyen de prévenir les abus de certains mandataires soucieux d'assurer leur enrichissement personnel grâce à la gestion des biens du majeur qui leur est confié.

Dans cet esprit, il me paraît également logique de lever toute immunité familiale afin que le principe de la charge familiale prioritaire, qui est toujours rappelé par la Cour de cassation, ne puisse pas donner prise à des malversations qui restent impunies.

Soucieux de sa conformité à la Convention européenne des droits de l'homme, le projet de loi supprime la possibilité offerte au juge des tutelles de se saisir d'office, ce qui constitue, à mes yeux, un progrès certain.

Je crois néanmoins qu'il serait nécessaire d'aller plus loin pour éviter que le placement sous protection judiciaire ne cause un grave préjudice au justiciable. À cet effet, il faudrait peut-être prendre le réflexe de faire usage de l'article 1261 du nouveau code de procédure civile afin de demander au bâtonnier de commettre un avocat d'office pour assister la personne à protéger dans tous les cas et pour la représenter dans l'hypothèse où son état de santé ne lui permet pas d'être entendue par le juge.

C'est pourquoi j'approuve sans réserve l'amendement de notre collègue Henri de Richemont tendant à modifier l'article 432 du code civil pour permettre au juge de s'opposer à la présence d'un accompagnateur qui ne serait pas avocat.

Enfin, messieurs les ministres, je ne peux conclure sans parler de l'implication des départements et de ses conséquences financières.

Tout à l'heure, l'un de nos collègues membre du groupe socialiste évoquait les conséquences financières de la décentralisation. En tant qu'élu d'un conseil général depuis un certain nombre d'années, je peux vous assurer que le problème n'est pas nouveau, quelles que soient les mesures de décentralisation adoptées.

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