Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avions appelé de nos voeux la création d'un organe adapté au contrôle parlementaire des services de renseignement. Sur le principe d'une telle création, nous sommes donc évidemment d'accord. Cependant, malgré quelques sensibles améliorations apportées en première lecture par le Sénat et par l'Assemblée nationale, notre satisfaction n'est pas totale.
Comme cela a été dit à plusieurs reprises aujourd'hui, notamment par M. le rapporteur, cette création participe de la revalorisation du rôle du Parlement. À ce titre, elle est la bienvenue. Elle tend à placer nos institutions dans le droit commun des démocraties avancées en matière de contrôle parlementaire des services de renseignement et elle nous permet de continuer dans la voie dans laquelle notre pays s'était engagé en 2001 avec la réforme des fonds spéciaux.
Toutefois, malgré ce progrès démocratique, sénateurs et députés socialistes ont déploré la timidité du projet de loi, qui tend à privilégier, nous semble-t-il - je ne suis pas tout à fait d'accord avec M. Courtois lorsqu'il estime que nous serions parvenus à un équilibre -, les impératifs liés à la protection du nécessaire secret, au détriment de l'instauration de réels pouvoirs de contrôle. M. de Montesquiou a indiqué combien il regrettait que l'on n'aboutisse pas à un tel contrôle.
Il ne faudrait pas que la création de cette nouvelle instance parlementaire serve d'alibi à la poursuite d'une relation peu transparente. Elle doit constituer au contraire un outil de contrôle efficace. Aussi avons-nous sans cesse réclamé davantage de garanties quant au juste équilibre entre la confidentialité des travaux de la délégation, qui représente une impérieuse nécessité, et l'efficacité du contrôle exercé, condition essentielle pour asseoir la crédibilité de la nouvelle instance.
Nous souhaitons donc garantir le pluralisme de la délégation, pour que l'exercice d'un contrôle parlementaire puisse apporter une légitimité démocratique à l'activité de renseignement.
Par ailleurs, lors de la première lecture, nous avions déjà fait remarquer l'importance croissante du renseignement dans la conduite de la politique extérieure et de sécurité. Plusieurs intervenants ont souligné cette évidence. Sans trop insister sur cet aspect, nous pouvons signaler que la mondialisation de l'économie et la fluidité des relations internationales, assortie de menaces en constante évolution, donnent une prime aux sociétés, aux États, aux ensembles régionaux capables d'anticiper et de prévoir.
Comme vous l'avez vous-même indiqué, monsieur le secrétaire d'État, c'est là le coeur du renseignement : offrir aux décideurs la capacité d'avoir un ou plusieurs « coups » d'avance, si je puis employer cette expression. Disposer de services de renseignement est donc indispensable et primordial, parce qu'ils constituent un premier rempart, la première ligne de notre défense.
Cela étant, nous pensons aussi que, dans une démocratie moderne, le Parlement doit pouvoir s'assurer que les orientations politiques et les moyens mis à la disposition des services de renseignement sont adaptés aux circonstances, sont à la hauteur des exigences nées de l'intensité de la menace, sont respectueux des libertés publiques et des principes démocratiques.
Je le répète, instituer un équilibre dynamique et réactif entre, d'une part, l'obligation stricte de préserver les secrets de la défense, de la sécurité et de la protection des intérêts de notre pays, et, d'autre part, l'exercice d'un contrôle parlementaire réel, sans lequel il n'y a pas de démocratie, nous semble une évidente nécessité.
Nous souhaitons une délégation vivante, active et efficace ; nous aimerions que l'opposition parlementaire ne soit pas réduite à un simple rôle de figuration ; nous ne voudrions pas que les compétences de la délégation soient bridées. La question se pose donc de savoir si le « suivi » défini par le texte deviendra un véritable contrôle de la politique du renseignement et des moyens des services de renseignement.
Bien entendu, dans la mesure où le Parlement a été tenu à l'écart de ces questions pendant tant d'années, tout est à inventer - M. le secrétaire d'État l'avait expliqué en première lecture - et je conçois que l'expérience puisse permettre des évolutions ; nous sommes d'accord sur ce point.
Il s'agira en effet d'instaurer une relation de confiance entre les membres de la délégation et les responsables des services afin de développer un travail efficace et mutuellement utile, sans oublier toutefois que la représentation nationale a pour mission de contrôler la politique du Gouvernement dans tous les domaines, y compris celui, crucial, de la sécurité, et donc du renseignement !
En outre, si le renseignement comporte bien sûr une dimension étatique, je n'oublie pas que, de plus en plus, des organismes privés s'en occupent également. On les appelle des SRP, des sociétés de renseignement privé ; elles agissent notamment dans le domaine économique et financier, mais pas seulement. Il faudrait que la future délégation puisse suivre aussi l'action de ces organismes privés qui ont établi d'ores et déjà des liens et des rapports de travail avec les services de renseignement de l'État.
Enfin, n'oublions pas l'espace européen du renseignement : nous ne devons pas négliger l'aspect de la coopération européenne et les partenariats déjà en cours dans la lutte contre certaines menaces terroristes ou criminelles. D'autres parlements en Europe traitent déjà de cette question ; il ne faudrait pas que, après avoir été les derniers, ou presque, à aborder le problème du contrôle parlementaire des services de renseignement, nous soyons aussi les derniers à prendre en compte la dimension européenne de cette activité.
Tout le monde propose actuellement de renforcer les pouvoirs du Parlement. C'est bien ! Il faudra cependant vérifier dans la pratique que, après la saison des annonces, les réalités seront au rendez-vous. En attendant, nous avons, avec ce texte, la possibilité de faire un pas, un petit pas certes, mais un premier pas quand même, dans la bonne direction... Il conviendrait, pour que ce premier pas débouche sur une avancée concrète, que nos amendements soient adoptés, chers collègues de la majorité. Toutefois, après vous avoir entendu appeler à un vote conforme, monsieur le rapporteur, je ne me fais guère d'illusions sur ce point...
Voilà pourquoi, si nous saluons l'examen d'un tel texte au Sénat, nous pensons aussi qu'il peut être amélioré. À cette fin, nous présenterons quelques amendements visant à modifier le dispositif dans trois domaines.
Premièrement, nous souhaitons améliorer la capacité de contrôle de la délégation à partir de quelques mesures simples, en lui permettant d'abord de faire oeuvre utile en recueillant toutes, je dis bien toutes, les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission.
Lors de la première lecture, les rapporteurs des commissions saisies au fond et pour avis, MM. Garrec et Vinçon, avaient partagé cette volonté d'octroyer à la délégation une grande liberté d'action. Dans le même sens, nous proposerons un élargissement mesuré, contrôlé, de la capacité d'investigation de la délégation, en lui permettant d'auditionner toute personne susceptible d'éclairer ses travaux.
En outre, nous proposons que la délégation, sans avoir bien entendu à connaître des activités opérationnelles en cours, puisse travailler sur des actions éteintes, susceptibles de révéler des dysfonctionnements et donc d'apporter sans doute de riches enseignements.
Deuxièmement, si nous avons le souci de rendre cette délégation efficace, nous avons aussi la préoccupation d'y assurer une réelle représentation pluraliste.
Nous pensons donc qu'il est important que toutes les sensibilités politiques s'exprimant au Parlement soient représentées au sein de la délégation. À cet égard, je souhaite faire remarquer que nous avions défendu, lors de la première lecture, le strict respect du pluralisme au sein de la future délégation, en prenant en compte ce critère fondateur dans la désignation du président et du rapporteur de cette instance...
Troisièmement, nous persistons dans notre souhait de rapprocher utilement les travaux de la future délégation et ceux de la commission de vérification des fonds spéciaux qui existe déjà.
Au chapitre des points positifs, nous saluons l'extension de la compétence de la délégation aux services de renseignement placés sous l'autorité des ministères chargés de l'économie et du budget. Nous-mêmes avions plaidé en ce sens. Toutefois, pourquoi ne pas aller jusqu'au bout en incluant, comme nous l'avions proposé, des représentants des commissions des finances parmi les membres de la délégation ?
Pour terminer, j'évoquerai d'un mot l'actualité.
Le chantier de la fusion des services de renseignement civils, c'est-à-dire la direction centrale des renseignements généraux et la direction de la surveillance du territoire, est en cours, tandis que certains parlent déjà d'un nouveau chantier, concernant cette fois la fusion des services chargés du renseignement extérieur et du renseignement militaire, à savoir la direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE, la direction du renseignement militaire, la DRM, et la direction de la protection et de la sécurité de la défense, la DPSD.
Il est vrai que la France, malgré les bons résultats obtenus par ses services et le dévouement de ses agents, auxquels je rends à mon tour hommage, avait pris quelque retard en la matière. Des doublons avaient été constatés, et parfois de la concurrence entre services ; cela est connu de tous. Une « rationalisation du renseignement français » était devenue nécessaire et des réformes sont effectivement inévitables, s'agissant d'organisations mises en place, pour l'essentiel, dans les années soixante-dix.
Par ailleurs, le renseignement économique, financier et technologique prend dans nos sociétés une importance grandissante. Devant cette réalité, une coordination exemplaire des organismes étatiques travaillant dans tous ces domaines du renseignement « non traditionnel » est nécessaire.
Toutefois, il serait utile que la représentation nationale puisse être informée de la réorganisation en cours. Cela pourrait constituer un des premiers dossiers soumis à l'examen de la future délégation parlementaire. Plus tard, il sera intéressant d'aborder la question du futur conseil national de sécurité, dont certains annoncent l'imminente création et qui aura vocation à se substituer aux actuels organismes d'aide à la décision dont dispose le pouvoir exécutif.
Mais cela relève de l'avenir, aussi proche soit-il ; s'agissant du présent texte, dans l'attente du débat et de la discussion de nos amendements, nous réservons notre décision quant au vote final.