Moi, je la trouve horrible et je n'ai pas envie d'y voir le Louvre !
Or, dans ce cas précis, le reproche n'est pas fondé.
Je rappelle que c'est l'émirat d'Abou Dabi, où le désir d'ouverture au monde se manifeste activement, qui est à l'origine du projet. Pour préparer l'après-pétrole, les Émirats Arabes Unis ont engagé un processus de diversification de leur économie et de leur société. Dubaï a ainsi fait le choix du commerce et de la finance et constitue déjà la première plateforme aéroportuaire intercontinentale de cette zone.
Pour sa part, Abou Dabi a pour ambition de devenir le coeur de la région couvrant le Golfe, l'Asie, l'Australie, l'Inde, voire, le jour où la paix y régnera de nouveau, l'Irak et l'Iran, pour l'enseignement supérieur et la culture, un lieu de rencontre et d'échanges entre les civilisations, au carrefour des continents.
Il a lancé sur l'île de Saadiyat, située en face de la capitale émirienne, un projet de district culturel d'envergure mondiale, qui comprendra plusieurs musées, dont un musée maritime et un musée d'art moderne.
Après s'être tourné une première fois vers l'expertise française en matière d'enseignement supérieur, avec l'installation à l'automne 2006 d'une antenne de la Sorbonne, il a demandé l'aide de la France pour la conception d'un autre musée.
Ce musée sera un « musée universel » dont les collections couvriront toutes les périodes, y compris la période contemporaine, et toutes les aires géographiques. Il fera appel aux techniques les plus modernes. Sa conception a été confiée à Jean Nouvel qui a réalisé le musée du Quai Branly, car c'est sur ce modèle que les émiriens souhaitent voir construire leur propre musée.
Il ne s'agit donc pas de créer une antenne du Louvre ; il s'agit de concevoir un musée émirien, avec l'expertise française.
Cette coopération culturelle d'une ampleur inédite devrait s'inscrire dans la relation des civilisations d'Orient et d'Occident, dans une région du monde où les échanges culturels et artistiques sont un des éléments de la lutte contre « les identités meurtrières », pour reprendre le titre d'un livre prémonitoire d'Amin Maalouf publié il y a déjà sept ou huit ans.
Ces identités meurtrières font des ravages partout, pas seulement dans le monde arabe. Elles frappent également chez nous.
La fermeture culturelle face à la mondialisation des échanges économiques est un phénomène terrifiant. Il me semble que le projet dont nous débattons aujourd'hui fait partie de la lutte contre les identités meurtrières. À ce titre, je ne saurais trop vous conseiller la lecture du livre d'Amin Maalouf. Il n'y a pas eu, depuis la publication de cet ouvrage, de meilleure analyse des dangers auxquels nous sommes confrontés.
La deuxième source de préoccupation, certains s'en sont inquiétés, est le nombre élevé d'oeuvres d'art qui seraient prêtées au musée d'Abou Dabi, privant ainsi le public français et les touristes étrangers de ces oeuvres.
Il faut toutefois relativiser l'ampleur de ces prêts et établir un parallèle avec l'action de partenariat actuellement en cours avec le musée d'Atlanta.
Je rappelle, en effet, que l'État s'engage à prêter au musée d'Abou Dabi des oeuvres issues des collections françaises pendant une durée de dix ans. Une partie seulement de ces oeuvres proviendra du musée du Louvre. L'autre partie sera prêtée par une dizaine d'autres grands musées français, comme le musée d'Orsay.
Pendant cette période, les Émirats Arabes Unis devront acquérir des oeuvres afin de constituer leur propre collection nationale. Au-delà de ces dix ans, seules les oeuvres des collections émiriennes seront exposées dans les galeries permanentes du musée.
Le nombre d'objets prêtés par la France diminuera progressivement. Il sera de 300 oeuvres les trois premières années, puis passera à 250 oeuvres les quatre années suivantes et à 200 oeuvres les quatre dernières années. Chaque oeuvre sera prêtée pour une durée comprise entre six mois et deux ans, selon sa nature.
Je rappelle que 35 000 oeuvres sont exposées au musée du Louvre sur les quelque 445 000 oeuvres que compte le musée, et que le musée du Louvre acquiert chaque année entre 200 et 300 oeuvres d'art.
Par ailleurs, plus de 1 400 oeuvres sont prêtées chaque année par le musée du Louvre à d'autres musées, en France ou à l'étranger, et il reçoit environ 1 000 oeuvres provenant d'autres musées. Le prêt de 300 oeuvres issues de tous les musées participants ne devrait donc pas dégarnir les galeries de nos musées.
En outre, chaque prêt se fera exclusivement sur la base du volontariat, sous le contrôle d'une commission scientifique et en conformité avec les règles des musées nationaux en la matière.
La troisième préoccupation concerne les contreparties financières, qui sont probablement le point ayant suscité le plus de critiques dans les milieux artistiques.
Certains conservateurs ont dénoncé l'abandon du principe de la gratuité du prêt des oeuvres d'art entre les musées. La marchandisation générale de nos sociétés justifie que l'on s'inquiète de la voir gagner les musées de la République. Toutefois, ce risque ne doit pas être majoré.
En effet, les personnes qui ont critiqué le plus ces contreparties financières les ont elles-mêmes pratiquées quand elles dirigeaient de grands musées.