Dans le cas précis d'Abou Dabi, si le montant extrêmement élevé des sommes en jeu doit susciter une grande vigilance, il faut tout de même mesurer avec réalisme l'intérêt que ces sommes représentent pour nos propres musées.
Au total, ce sont environ 1 milliard d'euros sur trente ans qui seront versés directement au musée du Louvre et aux autres musées participants.
Ces fonds pourraient permettre la création, qui n'a pas encore été possible, d'un grand centre consacré à la conservation, à la restauration et à la recherche pour accueillir les réserves du Louvre et des autres musées de la capitale, en particulier celles du musée d'Orsay, toutes menacées par la crue centennale de la Seine.
Ils pourraient également permettre d'achever le projet Grand Louvre commencé avec l'édification de la pyramide en 1989. Il est en effet actuellement très largement dépassé puisque en vingt ans le nombre annuel de visiteurs a doublé, passant de quelque 4 millions à 8 millions.
Par ailleurs, ces fonds devraient permettre de libérer de nouveaux espaces, comme le pavillon de Flore, pour y accueillir des oeuvres et le public.
Enfin, ils permettraient aux musées participants d'enrichir leurs collections par la restauration ou l'acquisition de nouvelles oeuvres. Sur ce point l'accord pose problème dans la mesure où il pourrait y avoir un conflit d'intérêts entre le musée d'Abou Dabi et les musées français pour l'acquisition de certaines oeuvres.
Bien entendu, ce projet n'a de sens, madame la ministre, que s'il ne se traduit pas par une diminution de la subvention de l'État aux musées nationaux. Votre prédécesseur s'était d'ailleurs engagé à ce que ces ressources nouvelles viennent par surcroît et non en compensation de l'effort budgétaire de l'État. Je souhaite, madame la ministre, que vous nous confirmiez cet engagement.
Qu'on le veuille ou non, il existe aujourd'hui un véritable marché de l'art et de l'influence culturelle, de même qu'il existe un marché des universités.
Le Louvre est en concurrence avec le Metropolitan Museum of Art de New York, le British Museum et les grands musées européens.
Or, face à la mondialisation, notre pays dispose de formidables atouts dans ce domaine grâce à un patrimoine d'une richesse exceptionnelle et à une expertise reconnue.
Dès lors, pourquoi refuser à nos grands musées nationaux, comme le musée du Louvre, le plus grand musée et le musée le plus visité au monde, de mettre à profit cet atout artistique et intellectuel, qui est une arme pour la France dans la dure compétition de la mondialisation - je me place dans la perspective du rapport que M. Védrine vient de rédiger ?
Bien entendu, cela ne doit pas se faire dans n'importe quelles conditions. Il faut se méfier des dérives commerciales, comme dans le cas de la Fondation Guggenheim.
Je souhaite donc que le Gouvernement s'engage à informer régulièrement le Parlement de la mise en oeuvre de ce projet, de l'utilisation des sommes versées par les autorités émiriennes, ainsi que de l'action de l'Agence France Museums créée pour gérer le projet, qu'il s'agisse de ses aspects administratifs, des choix scientifiques et de sa gestion financière.
Je considère en particulier que cette agence devrait rendre chaque année un rapport au Parlement. Pourquoi les commissions de notre assemblée qui sont compétentes sur ces sujets, je pense à la commission des affaires culturelles, à la commission des finances et à la commission des affaires étrangères, ne pourraient-elles pas assurer un suivi régulier de la mise en oeuvre de cet accord, organiser des auditions communes, vérifier que les sommes recueillies servent bien à financer de nouveaux projets et s'assurer que l'État respecte son engagement de ne pas diminuer les subventions qu'il verse aux musées de France ?
Le projet « Louvre Abou Dabi » est novateur et donc risqué. Il met en jeu de sommes importantes sur une très longue durée. Sa mise en oeuvre pose et posera des problèmes déontologiques sur lesquels il faudra exercer une grande vigilance. Un contrôle parlementaire régulier est une des garanties qui doivent être apportées à sa réalisation.
Sous le bénéfice de cette observation, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous recommande, mes chers collègues, d'adopter ce projet de loi.