Intervention de Louis de Broissia

Réunion du 25 septembre 2007 à 16h00
Accords avec les émirats arabes unis relatifs au musée universel d'abou dabi — Adoption d'un projet de loi

Photo de Louis de BroissiaLouis de Broissia :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, que M. Jacques Ralite ne m'en veuille pas si, empreint d'une éducation gaulliste et marqué par André Malraux, je n'ai retenu, dans la lettre de mission envoyée par M. le Président de la République à Mme la ministre de la culture et de la communication le 1er août, que le rappel du discours qu'André Malraux prononça en 1959, lors de la création du ministère des affaires culturelles.

Les mots d'André Malraux - « rendre accessible les oeuvres capitales de l'humanité » et « assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel » - résument bien, à mon sens, l'esprit dans lequel nous allons examiner et, pour ce qui concerne le groupe de l'UMP, voter ce projet de loi.

Ce texte consiste à offrir, à la demande des Émirats Arabes Unis - d'ailleurs, comment dire non à des hommes et à des femmes d'une autre civilisation désireux d'avoir accès à notre culture ? - l'expertise et le soutien des principaux musées français à ce grand projet de création de musée universel, ce pendant une période de trente ans. Je ne partage pas, madame Tasca, votre vision un peu fermée de l'expertise française dans le monde, bien que je vous apprécie par ailleurs.

En s'associant à une entreprise d'une telle dimension, la France confortera son effort de démocratisation universelle de la culture et renforcera les perspectives de sa diplomatie culturelle. Cette dernière présentera ainsi, de façon moderne, un aspect nouveau, franc et honnête.

La démocratisation culturelle consiste, selon nous, à rendre la culture accessible à tous, à permettre au plus grand nombre de découvrir les trésors du patrimoine culturel national et mondial sous toutes ses formes : aujourd'hui, il s'agit des beaux-arts ; demain, dans d'autres traités, il sera question du cinéma, de l'audiovisuel, de l'écrit, des spectacles vivants et de la musique.

Permettre à d'autres États d'accéder aux trésors culturels français est porteur pour la culture française. Bien que l'exportation culturelle telle qu'elle est prévue par cet accord constitue une approche nouvelle, elle n'en demeure pas moins exigeante, et nombreuses sont les garanties apportées. Cependant, je partage l'avis de Mme le rapporteur sur la nécessité d'un contrôle parlementaire de la commission des affaires étrangères, de celle des affaires culturelles et de celle des finances. Je pense, madame la ministre, que vous nous donnerez satisfaction sur ce point.

Le gouvernement des Émirats Arabes Unis a fait appel à la France, en premier lieu, pour la conception et la réalisation du musée lui-même.

Il est à noter que la dimension universelle du musée est née sous l'impulsion française. Et nous ne pouvons que féliciter les experts français, les conservateurs, les historiens d'arts, d'avoir soutenu ce projet.

La seconde partie du projet prévoit que, durant dix ans à compter de l'ouverture du musée, et dans l'attente qu'il ait constitué sa propre collection, des oeuvres du Louvre et d'autres musées nationaux, voire provinciaux, seront prêtées pour deux ans afin d'être exposées par rotation dans ce musée universel.

M. le rapporteur pour avis l'a rappelé : aujourd'hui, seuls 10 % à 15 % des collections françaises sont exposés dans les musées, la grande majorité d'entre elles étant conservée dans les réserves des musées, ce dans des conditions évidemment excellentes. Ces prêts ne devraient concerner que trois cents oeuvres pas an et seront toujours à durée déterminée.

Par ailleurs, permettez-moi de rappeler que de tels prêts existent déjà depuis longtemps. Ainsi, dans les années quatre-vingt-dix, le musée des Beaux-Arts de Dijon, le deuxième musée de France après le Louvre - je le dis non sans fierté ! - s'est vu prêter des oeuvres du musée de l'Hermitage de Saint-Pétersbourg. Mes compatriotes n'avaient pas eu le loisir d'aller les voir sur place, au moment où le rideau de fer est tombé.

Toute oeuvre d'art, monsieur Ralite, est une rencontre entre un créateur et un public. Que le public soit le plus élargi possible est pour moi la dimension même de l'art français.

La principale critique dont souffre ce projet porte sur les contreparties financières, sur la marchandisation ; j'ai même entendu parler de « chosification » de la culture.

Certains esprits, légitimement inquiets, y voient une vente déguisée du patrimoine culturel français et vont même jusqu'à imaginer, dans leurs cauchemars, qu'une possibilité serait ainsi offerte aux pouvoirs publics, et à nous, parlementaires, de diminuer les aides aux musées nationaux.

Madame la ministre, je suis sûr que vous les rassurerez et que vous mettrez un terme à ce mauvais procès.

L'Émirat d'Abou Dabi a fait appel à l'expertise technique des conservateurs de musées français afin de développer son projet. C'est un réel sujet de fierté pour notre pays ! Que cette collaboration soit rémunérée ne me choque en aucune façon. Je le dis à Catherine Tasca, avec tout le respect que je lui dois : il s'agit là d'une reconnaissance du génie français ; je préfère le terme « génie » à ceux de « savoir-faire », qui sont la traduction de know how.

Ce génie français des musées est reconnu. Prétendre qu'un expert français qui s'exporterait à l'étranger affaiblirait la France parce qu'il n'y serait plus présent témoigne d'une vision par trop hexagonale de la culture française. Car un expert français qui part travailler à Abou Dabi, à Singapour, en Chine ou au musée Getty enrichit sa culture personnelle et contribue à diffuser la culture française dans le monde.

L'aspect diplomatique de la culture ne peut pas être ignoré. Cette dimension est de tous les temps.

Au sein de notre Haute Assemblée, nous reconnaissons l'importance de la culture, au travers, notamment, de la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires étrangères. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt Mme le rapporteur et M. le rapporteur pour avis. Songeons, monsieur Ralite, à l'exemple que donnent les États-Unis, première puissance mondiale : ils ont fait non pas du dollar, mais de la culture, le bras armé de l'ensemble de leur politique dans le monde.

La culture est un outil diplomatique puissant. Je suis persuadé qu'une véritable politique de diplomatie culturelle voit le jour grâce à une ratification comme celle qui nous est proposée.

Les Émirats Arabes Unis sont un État intéressant, sur le sol duquel est mort l'un de nos collègues, un modèle économique exceptionnel fondé sur le pétrole. À l'heure où les pays du Golfe demandent à s'enrichir de la culture française et européenne, c'est une région où la marque Louvre sera bien implantée.

Certains esprits chagrins ont dit que nous allions instrumentaliser la culture. Négliger la dimension culturelle de nos relations diplomatiques serait contreproductif pour notre pays.

Que les Émirats Arabes Unis fassent appel à l'expertise des conservateurs français prouve que la compétence de ces derniers en matière muséale, en matière de conservation, en matière d'élargissement des collections, est mondialement reconnue. C'est un atout supplémentaire ! Nous ne pouvons prendre le risque, bien réel, que ce soit le Prado, le musée de l'Hermitage, le musée Frick, le musée Getty ou la Pinacothèque qui profitent de cette grande aventure culturelle.

La diffusion de la culture française à l'étranger constitue donc un enjeu diplomatique fondamental ; c'est pour nous une nouvelle dimension donnée à notre culture, qui est la culture non pas de la France seule, mais de toute une partie du monde. C'est aussi, et avant tout, un véritable pont entre les civilisations ; je souhaite que nous traversions ensemble ce pont qui va loin, jusqu'à Abou Dabi. Le groupe de l'UMP l'empruntera sans état d'âme.

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